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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 15 février 2011, n° 09-08191

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Charneau

Défendeur :

Kriss Laure (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mme Cocchiello, M. Christien

Avoués :

SCP d'Aboville de Moncuit Saint-Hilaire, SCP Bazille

Avocats :

Mes Le Fustec, Gautier

T. com. Saint-Nazaire, du 21 oct. 2009

21 octobre 2009

Exposé du litige

La société Kriss Laure, qui commercialise des produits amaigrissants, a confié le 11 juillet 2002 à Michèle Charneau un mandat d'agent commercial afin de démarcher une clientèle de particuliers, étant convenu que l'agent était libre de définir son secteur géographique sur le territoire français et qu'aucune exclusivité ne lui était conférée par le mandant.

Par acte du 17 juin 2009, Madame Charneau fit assigner la société Kriss Laure devant le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire à l'effet d'obtenir l'annulation de la clause de non-concurrence lui interdisant, après rupture du contrat, d'entreprendre sur le territoire national toute activité relative à la commercialisation ou à la fabrication de produits concurrents pendant deux ans.

Par jugement du 21 octobre 2009, le tribunal de commerce a statué en ces termes :

" Déboute la société Kriss Laure de sa demande en annulation de l'assignation délivrée à la requête de Madame Charneau le 17 juin 2009 à la société Kriss Laure ;

Déboute Madame Charneau de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Dit et juge valable la clause de non-concurrence stipulée au contrat d'agent commercial de Madame Charneau ;

Déboute la société Kriss Laure de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de Madame Charneau ;

Condamne Madame Charneau à payer à la société Kriss Laure la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement conformément aux dispositions des articles 514 et suivants du Code de procédure civile, et sans constitution de garantie ;

Condamne Madame Charneau aux entiers dépens ".

Madame Charneau a relevé appel de cette décision en demandant à la cour de :

" Constater que la clause de non-concurrence post-contractuelle incluse dans les articles 11 et 11-2 du contrat d'agent signé par Madame Charneau n'est pas conforme au secteur géographique qui lui a été confiée par la société Kriss Laure ;

Constater que la clause de non-concurrence post-contractuelle incluse dans les articles 11 et 11-2 du contrat d'agent signé par Madame Charneau n'est pas conforme à la clientèle qui lui a été confié par la société Kriss Laure ;

Constater que la clause de non-concurrence post-contractuelle incluse dans les articles 11 et 11-2 du contrat d'agent signé par Madame Charneau ne respecte pas le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et est disproportionnée à l'objet du contrat d'agent commercial ;

Prononcer en conséquence la nullité de la clause de non-concurrence post-contractuelle incluse dans les articles 11 et 11-2 du contrat d'agent commercial conclu entre Madame Charneau et la société Kriss Laure ;

Condamner la société Kriss Laure à payer à Madame Charneau la somme de 10 000 euro hors taxe en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ".

La société Kriss Laure conclut quant à elle à la confirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande d'annulation de la clause de non-concurrence, mais de le réformer en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive.

Elle sollicite à cet égard la condamnation de Madame Charneau au paiement de la somme de 20 000 euro, outre une indemnité complémentaire de 8 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour Madame Charneau le 15 novembre 2010, et pour la société Kriss Laure le 5 octobre 2010.

Exposé des motifs

La clause litigieuse (article 11 alinéa 1 à 3 du contrat) est ainsi conçue :

" À la cessation du présent contrat, quel[le] qu'en soit la cause ou l'auteur, l'agent s'interdit d'entreprendre toute activité relative à la commercialisation ou la fabrication de produits susceptibles de concurrencer ceux distribués par la société Kriss Laure.

Il devra notamment s'interdire de visiter la clientèle qu'il prospectait en application du présent contrat, pour des produits similaires à ceux désignés à l'article ci-dessus, de même que de s'intéresser en quelque qualité que ce soit (salarié, mandataire, associé, travailleur indépendant...) à une entreprise quelconque susceptible de concurrencer les activités de la société Kriss Laure.

Cette interdiction est faite et acceptée pour une durée de deux années à compter de la prise d'effet de la rupture du présent contrat et s'appliquera sur l'ensemble du territoire national français ".

Cet engagement de non-concurrence est en outre complété par une clause de confidentialité (article 11 alinéa 4 du contrat) imposant à l'agent de s'abstenir d'utiliser tous documents qui lui ont été remis par la société Kriss Laure, ainsi que par une clause de non-sollicitation (article 11-2 du contrat) faisant durant deux ans interdiction à l'ancien agent commercial de solliciter les distributeurs du réseau de la société Kriss Laure en vue de les détourner du réseau ou de constituer une nouveau réseau de distributeurs, concurrent ou non.

Selon l'article L. 134-14 du Code de commerce, une clause de non-concurrence stipulée dans un contrat d'agent commercial doit, pour être valable, être convenue pour une période maximale de deux ans et concerner le secteur géographique et, le cas échéant, la clientèle confiée à l'agent, ainsi que le type de produits qu'il est chargé de représenter.

En l'occurrence, il n'est pas contesté que la clause litigieuse, limitée à deux ans et portant sur la commercialisation de produits diététiques susceptibles de concurrencer ceux distribués par la société Kriss Laure, respecte les conditions de durée et de corrélation avec les produits représentés énoncées par l'article L. 134-14 précité.

En outre, cette clause, qui s'applique explicitement sur l'ensemble du territoire national, est bien corrélée avec le secteur géographique confié à l'agent commercial, l'article 3 du contrat stipulant que Madame Charneau est "libre de définir son secteur d'activité sur le secteur national français".

La circonstance que l'appelante ait elle-même limité son activité aux régions Bretagne et Pays-de-Loire est en effet inopérante, dès lors que la validité de la clause de non-concurrence ne peut dépendre des conditions dans lesquelles la partie qui s'est engagée à la respecter exécute le contrat, et que, de surcroît, la société Kriss Laure démontre au travers de attestations établies par ses collaborateurs et son expert-comptable qu'il est effectivement possible pour un agent commercial d'exercer son activité sur l'ensemble du territoire national.

En revanche, la cour constate, contrairement aux premiers juges, que cette clause de non-concurrence n'est nullement limitée à l'exercice d'une activité auprès de la clientèle qui est contractuellement confiée à l'agent commercial.

Ainsi que le rappelle la société Kriss Laure elle-même, l'article 2 du contrat confie à Madame Charneau mandat de visiter une clientèle " composée exclusivement de particuliers ", l'attestation de l'expert-comptable du mandant confirmant à cet égard que les produits Kriss Laure sont uniquement commercialisés auprès de particuliers dans le cadre d'un circuit de distribution organisé en vue de la vente directe en réseau.

Or si, aux termes de la clause litigieuse, l'agent " devra notamment s'interdire de visiter la clientèle qu'il prospectait ", il s'engage en outre à ne pas " s'intéresser en quelque qualité de ce soit à une entreprise quelconque susceptible de concurrencer les activités de la société Kriss Laure " et, plus généralement, renonce à " toute activité relative à la commercialisation et à la fabrication de produits susceptibles de concurrencer ceux distribués par la société Kriss Laure ".

Il s'en évince qu'alors que la clientèle confiée à Madame Charneau est déterminée comme étant celle des particuliers, la clause de non-concurrence lui interdit de fait toute activité liée à la distribution de produits diététiques, y compris auprès de prescripteurs, d'intermédiaires ou de distributeurs, et même toute activité en lien avec la fabrication de ces produits, de sorte qu'il n'y a pas de corrélation entre la clientèle contractuellement confiée à l'agent et l'engagement de non-concurrence dont l'étendue n'est au surplus pas nécessaire à la protection des intérêts de la société Kriss Laure qui n'exerce qu'une activité de vente directe aux particuliers.

De surcroît, cette clause de non-concurrence empêcherait concrètement Madame Charneau, en cas de rupture de son contrat d'agent commercial, d'exercer toute activité professionnelle, dès lors qu'elle est âgée de près de 50 ans, qu'elle a une formation et une expérience professionnelle de déléguée médicale, et que lui sont interdites pendant deux ans toutes activités, salariées ou non, dans le domaine de la fabrication et de la commercialisation de produits diététiques sur la France entière.

Il convient donc de réformer le jugement attaqué et d'annuler la clause de non-concurrence figurant aux alinéas 1 à 3 de l'article 11 du contrat d'agent commercial du 11 juillet 2002.

En revanche, les clauses de confidentialité (article 11 alinéa 4 du contrat) et de non-sollicitation (article 11-2 du contrat), qui créent à la charge de l'agent commercial des obligations post-contractuelles parfaitement divisibles de l'engagement de non-concurrence et dont la licéité est exempte de critiques utiles, ne seront pas annulées.

L'action de Madame Charneau a pour l'essentiel été jugée par la cour bien fondée, de sorte que la société Kriss Laure ne saurait sérieusement prétendre que son droit d'agir en justice ait pu dégénérer en abus.

En outre, l'intimée ne démontre pas que Madame Charneau, dont le contrat d'agent commercial n'a à ce jour pas été résilié, ait désorganisé son réseau en provoquant le départ de distributeurs ou de " moniteurs " dépendant du groupe dont l'animation lui avait été confiée.

Les premiers juges ont donc à juste titre rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts.

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de Madame Charneau l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de la procédure et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 21 octobre 2009 par le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire, sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par la société Kriss Laure ; Annule la clause de non-concurrence figurant aux alinéas 1 à 3 de l'article 11 du contrat d'agent commercial du 11 juillet 2002 ; Condamne la société Kriss Laure à payer à Madame Charneau une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la société Kriss Laure aux dépens de première instance et d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle la société civile professionnelle d'Aboville et de Montcuit-Saint-Hilaire, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.