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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 2 février 2011, n° 09-12831

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Protecmo (SAS)

Défendeur :

Fohrer

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP Cohen-Guedj, SCP Blanc-Cherfils

Avocats :

Mes Charbit, Joly

T. com. Cannes, du 14 mai 2009

14 mai 2009

Faits - procédure - demandes :

Par contrat du 1er février 1987 Monsieur Gérard Fohrer est devenu pour le secteur Alpes Maritimes/Var/Monaco l'agent commercial de la société Protecmo, ayant alors pour gérant Monsieur Escure, et qui est la distributrice des produits Belzona servant au traitement des surfaces rouillées.

En 1997 Monsieur Fohrer a créé la SARL Fohrer Concept dont il est le gérant, et qui a pour activités les réparations, maintenances, conseils, fournitures et applications en matière de systèmes de colmatage et de revêtement, activités dans lesquelles cette société se fournit en produits Belzona auprès de la société Protecmo.

Un jugement du 20 mars 2007 a sur demande de l'URSSAF ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Fohrer Concept.

Le contrat d'agent commercial a été résilié par une lettre de la SAS Protecmo du 10 mai 2007, signée de son président Monsieur Bruno Bernardin et reprochant à Monsieur Fohrer la faute grave suivante commise la veille :

" - e-mail injurieux à mon encontre qui de fait met un point d'arrêt à toute relation professionnelle entre nous;

" - e-mail injurieux à l'encontre du directeur commercial de la société Fohrer Concept Monsieur Patrick Godard. Cet e-mail était adressé en copie aux plus hautes instances de nos clients stratégiques comme la DCN, Endel ou encore Ortec; ceci jette un discrédit total sur notre activité et hypothèque gravement tout contact commercial futur ".

Un jugement du 22 mai 2007 a prononcé la liquidation judiciaire de la société Fohrer Concept.

Le 26 novembre 2007 Monsieur Fohrer a assigné la société Protecmo devant le Tribunal de commerce de Cannes, qui par jugement du 14 mai 2009 retenant que les courriels ne concernent que l'activité de Monsieur Fohrer au sein de la société Fohrer Concept mais pas celle d'agent commercial, qu'ils ne dénigrent ni la société Protecmo ni les produits Belzona, et qu'ils ne portent pas atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun, a :

* condamné la seconde à payer au premier, avec intérêt au taux légal à compter du 23 octobre 2007, les sommes de :

- 39 288 euro pour indemnité de cessation de mandat;

- 5 873 euro pour indemnité compensatrice de préavis;

* condamné la société Protecmo à payer à Monsieur Fohrer, pour commissions restant dues, la somme de 2 177,70 euro HT c'est-à-dire 2 604 euro TTC à présentation des factures correspondantes;

* enjoint à Monsieur Fohrer, sous astreinte de 20 euro par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification du jugement, de restituer à la société Protecmo la collection et le matériel confiés lors de la conclusion du contrat d'agence commerciale; et réservé au tribunal la liquidation de cette astreinte;

* condamné la société Protecmo à payer la somme de 2 000 euro à Monsieur Fohrer au titre des frais irrépétibles;

* ordonné l'exécution provisoire [laquelle a été suspendue par le Premier Président de cette cour dans une ordonnance du 12 février 2010 jusqu'à constitution par Monsieur Fohrer d'une caution bancaire d'un montant minimal de 50 000 euro].

La SAS Protecmo a régulièrement interjeté appel le 6 juillet 2009. Par conclusions au fond du 4 novembre suivant elle soutient notamment que :

- en 2002 et en 2004 elle a informé Monsieur Fohrer de la dégradation de son activité d'agent commercial;

- le premier courriel contient des propos injurieux à l'égard de son président Monsieur Bernardin, et a pour auteur Monsieur Fohrer autant en sa qualité de gérant de la société Fohrer Concept que celle d'agent commercial d'elle-même;

- le second courriel injurieux à l'encontre de Monsieur Godard a été adressé en copie aux plus hautes instances des clients stratégiques d'elle-même, dont la DCN qui lui passait directement commande des matériels pour lesquels elle-même commissionnait Monsieur Fohrer en sa qualité d'agent commercial; dans l'esprit du client final il y avait un amalgame total entre les 2 qualités de Monsieur Fohrer; le comportement de ce dernier est incontestablement de nature à causer à elle-même un préjudice grave.

L'appelante demande à la cour de :

- dire et juger que Monsieur Fohrer a bien commis une faute grave justifiant la rupture immédiate de son contrat d'agent commercial;

- confirmer le jugement pour le surplus;

- en tout état de cause :

- condamner Monsieur Fohrer à la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné elle-même à payer les sommes de 39 288 euro et de 5 873 euro.

Par conclusions récapitulatives du 9 novembre 2010 Monsieur Gérard Fohrer répond notamment que :

- en mai 2007 il a connu de très graves problèmes de santé qui l'ont conduit à partir du 16 à une hospitalisation de 5 semaines; les propos déplacés ou injurieux, s'ils n'ont pas été tenus en présence de la clientèle ni portés à la connaissance de celle-ci, ne sont pas constitutifs d'une faute grave; cette dernière résulte de faits commis par l'agent commercial dans le cadre de ses fonctions et qui portent atteinte à la clientèle traitée en commun;

- les 2 mails du 9 mai 2007 sont étrangers à la relation d'agence commerciale, ainsi qu'à la part de marché développée en commun; le premier concerne un demande de prix à laquelle la société Protecmo n'avait pas encore répondu, et dont le caractère d'urgence venait du fait que la société Fohrer Concept était en redressement judiciaire depuis le 20 mars précédent; le second contient un reproche fait à son salarié et directeur de développement Monsieur Godard de ne pas suivre ses directives;

- ces 2 mails sont étrangers à la part de marché développée en commun : à l'époque il n'existait aucun lien de clientèle entre d'une part la société Protecmo, et d'autre part la DCN et les sociétés Endel Suez et Ortec qui toutes étaient les clientes non de cette société mais de la société Fohrer Concept, la DCN depuis 1997;

- dans les mois précédant ces courriels la société Fohrer Concept a rencontré d'importantes difficultés financières qui ont obligé lui-même à déployer des efforts considérables pour la sauver, d'où une dépression sévère, avec hospitalisation psychiatrique de 2,5 mois et incapacité de travailler durant 8 mois, qui expliquent l'incongruité ou l'incohérence des propos qu'il a tenus; la maladie de l'agent commercial ne peut fonder un reproche de faute grave à son encontre;

- la société Protecmo, dès la liquidation judiciaire de la société Fohrer Concept, s'est empressée de reprendre à son compte le contrat signé entre celle-ci et le groupe Endel Suez dont la société Entrepose-Navibord;

- la société Protecmo a reconnu lui devoir un arriéré de commissions de 2 177,70 euro HT c'est-à-dire 2 604 euro TTC; la fourniture des factures correspondantes retenue par le tribunal de commerce est une formalité inutile, puisque le jugement a valeur de justificatif comptable.

L'intimé demande à la cour de :

- confirmer le jugement sauf pour l'avoir condamné sous astreinte à restituer la collection et le matériel, dont la remise à lui-même n'est pas prouvée et dont la valeur comptable est nulle;

- condamner la société Protecmo à lui régler la somme de 4 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 décembre 2010.

Motifs de l'arrêt :

Sur les commissions de 2 177,70 euro HT c'est-à-dire 2 604 euro TTC :

Ces sommes ne sont payables par la société Protecmo à Monsieur Fohrer qu'à la condition, classique en matière de contrat d'agent commercial, que celui-ci fournisse préalablement à celle-là les factures sur lesquelles elles sont basées.

C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a prononcé condamnation " à présentation des factures correspondantes ", ce qui conduira la cour à confirmer sur ce point le jugement, lequel du fait de cette précision n'a pas valeur de justification comptable comme le prétend Monsieur Fohrer.

Sur la restitution de la collection et du matériel :

Cette restitution a été demandée à Monsieur Fohrer par la société Protecmo dès la lettre de rupture du contrat d'agent commercial du 10 mai 2007; le contrat d'agent commercial du 1er février 1987 stipule en son article 10 que le mandant octroie des " échantillons, documents, matériels et équipements ", qui restent sa propriété, à son agent lequel en fin de contrat doit les retourner. De plus Monsieur Fohrer a signé les 2 février 1987 et 1er octobre 1997 la réception de divers matériels remis par la société Protecmo.

Par suite c'est à tort que Monsieur Fohrer soutient ne pas avoir reçu la collection et le matériel, et le jugement sera confirmé pour avoir enjoint à l'intéressé de restituer ceux-ci sous astreinte.

Sur la rupture du contrat le 10 mai 2007 par la société Protecmo :

La maladie de l'agent commercial ne permet à celui-ci de réclamer l'indemnité de fin de mandat que s'il prend lui-même l'initiative de la cessation du contrat, ainsi que le prescrit l'article L. 134-13-2° du Code de commerce ; or en l'espèce le contrat a été rompu non par Monsieur Fohrer mais par cette société.

La faute grave invoquée par la société Protecmo, et qui la dispense de payer à son agent commercial Monsieur Fohrer les indemnités de cessation de mandat et de préavis, est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun que constitue le contrat d'agence commerciale, et qui rend impossible le maintien du lien contractuel; cette faute grave doit en outre être commise dans l'exécution de ce contrat.

Les 2 courriels litigieux ont été envoyés par Monsieur Fohrer le 9 mai 2007, le premier à Monsieur Bernardin président de la société Protecmo, et le second à Monsieur Godard directeur du développement et donc salarié de la société Fohrer Concept; aucun élément ne permet à la cour de déterminer si l'adresse de départ [...] est celle de cette dernière société, ou de Monsieur Fohrer en qualité d'agent commercial de la société Protecmo.

Dans le premier courriel Monsieur Fohrer se plaint de la lenteur de la réponse de la société Protecmo à la demande par la société Fohrer Concept de prix et de délai de livraison pour 3 produits Belzona, et ajoute : " Admettons (...) que l'efficacité de la secrétaire Protecmo soit dix fois moindre que celle des deux secrétaires Fohrer Concept RJ... (ça paraîtrait au Guiness des records). Ma demande aurait été satisfaite, il y a belle lurette (...) Gérard Fohrer agent commercial Protecmo (depuis plus de 20 (vingt) ans, oui) moi pas comprendre (disait mon élingueur de bille d'Okoumé au Gabon dans les années 1970) Bruno Bernardin PDG de Protecmo, j'exige des réponses claires, précises & par écri[t], sans délais (ne joue plus avec Fohrer Concept RJ, ni avec Gérard Fohrer (...) Démontre (...) à ton copain Gérard Fohrer (...) que tu as Bernardin Bruno, des couilles au cul (...) Allez au boulot Connard... (et je suis gentil) ne me fais plus attendre ".

Ces propos sont nettement injurieux vis-à-vis de Monsieur Bernardin et de la société Protecmo qu'il préside, d'autant que ces 2 personnes pouvaient face à la demande de la société Fohrer Concept être légitimement inquiètes du fait que celle-ci avait été mise en redressement judiciaire moins de 2 mois plus tôt. Par ailleurs Monsieur Fohrer mentionne clairement d'une part sa qualité d'agent commercial de la société Protecmo, et d'autre part la personne de lui-même c'est-à-dire la même qualité. En outre le contenu du courriel est forcément de nature à mettre sérieusement en doute l'exécution efficace par Monsieur Fohrer du mandat d'intérêt commun qu'il a avec la société Protecmo, puisque celle-ci ne trouve de clients pour vendre ses produits que grâce à celui-là.

Le second courriel informe Monsieur Godard que la société Fohrer Concept qui l'emploie a pour patron Monsieur Fohrer, et ce dernier précise : " Je t'ordonne de suivre mes directives. Fais ton travail de directeur de développement et exclusivement ton travail (...); je te laisse le choix. Ou tu suis à 100 %, donc sans faille aucune, mes directives en permanence (...) ou alors si cela ne te convient pas dans l'intégralité, j'espère pour toi, que tu auras assez de couilles au cul pour démissionner ". Ce document concerne uniquement les relations professionnelles entre Monsieur Fohrer et Monsieur Godard au sein de la société Fohrer Concept.

Cependant il a été transmis en copie à 3 personnes de la société Endel, à 2 personnes de la DCN, et à 1 personne de la société Ortec. Ces 3 entreprises travaillent certes directement avec la société Fohrer Concept et non avec la société Protecmo, mais achètent en grandes quantités les produits Belzona de cette dernière qu'elles ont évidemment connus par Monsieur Fohrer en sa qualité d'agent commercial de celle-ci, seule cette qualité ayant permis à l'intéressé de pouvoir leur vendre lesdits produits; par suite ce courriel n'a pu qu'inquiéter ces 3 entreprises quant au comportement de Monsieur Fohrer pour la suite de leurs relations avec les produits ci-dessus, inquiétude que la société Endel Suez a manifesté dès le lendemain du courriel en écrivant à la société Protecmo : " Les propos de ce mail (...) ne sont pas tolérables, et impactent négativement nos relations avec notre client DCN Toulon dans le cadre des activités industrielles utilisant des produits distribués par Protecmo via Fohrer Concept. Fohrer Concept agissant en tant qu'Agent Commercial de Protecmo, je vous demande de bien vouloir intervenir auprès de Fohrer Concept pour faire cesser cette situation ". Ces phrases démontrent l'amalgame total de la clientèle des produits Belzona de la société Protecmo entre les 2 qualités de Monsieur Fohrer.

En conséquence c'est à tort que le tribunal de commerce a jugé que les 2 courriels envoyés par Monsieur Fohrer étaient étrangers à l'activité de celui-ci comme agent commercial de la société Protecmo, et n'étaient pas de nature à porter atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun ni à rendre impossible le maintien du lien contractuel. La faute grave invoquée par la société Protecmo est ainsi constituée, l'épisode dépressif de Monsieur Fohrer pouvant l'expliquer mais en aucun cas la justifier ni l'excuser. Par suite la cour infirmera le jugement en ce qu'il a condamné la société Protecmo à payer à Monsieur Fohrer les indemnités de cessation de mandat et de préavis.

Enfin l'équité fait obstacle à la demande de la société Protecmo au titre des frais irrépétibles.

Décision

LA COUR, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire et prononcé par mise à disposition au greffe. Confirme le jugement du 14 mai 2009 uniquement pour avoir condamné : * la SAS Protecmo à payer des commissions; * Monsieur Gérard Fohrer à restituer sous astreinte la collection et le matériel. Infirme tout le surplus de ce jugement, et déboute Monsieur Gérard Fohrer de toutes ses autres demandes. Rejette toutes les autres demandes de la SAS Protecmo. Condamne Monsieur Gérard Fohrer aux entiers dépens, avec droit pour les avoués de la cause de recouvrer directement ceux d'appel dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.