CA Aix-en-Provence, 2e ch., 23 février 2011, n° 09-19682
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Frassanito et Cie (SCS)
Défendeur :
Biofficine (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Fohlen, Jacquot
Avoués :
SCP Blanc-Cherfils, SCP Cohen-Guedj
Avocats :
Mes Hollier Larousse, Haas
Exposé du litige
Les faits :
La société Frassanito et Cie exerce sous le nom commercial "Phytoquant" une activité de fabrication et vente par correspondance de produits et compléments alimentaires. Dans l'attente de l'aménagement de son site Internet, elle a confié à la société Biofficine, la distribution exclusive de ses produits via le site Internet www.biofficine.com. Les dirigeants des deux sociétés étant liés par des liens amicaux, aucun contrat de distribution n'a été souscrit mais il a été convenu, au travers d'un échange de lettres et courriels, qu'en contrepartie d'une remise tarifaire préférentielle de 50 %, la société Biofficine diffuserait sur son site les produits "Phytoquant" à un prix supérieur de 5 % au tarif catalogue pour ne pas nuire au réseau mis en place par la société Frassanito et Cie.
De janvier à décembre 2007, la société Biofficine a ainsi réalisé un chiffre d'affaires moyen de 10 000 euro par mois, diminué de moitié à compter de janvier 2008. Soutenant qu'elle prétendait faussement être en rupture de stock de produits "Phytoquant" pour vendre des produits concurrents fabriqués par la société Safetynat Ltd dont le représentant est le père du gérant de la société Biofficine, la société Frassanito et Cie a mis un terme avec effet immédiat aux relations commerciales par courrier du 4 février 2008.
La procédure :
Invoquant que nonobstant la rupture intervenue, la société Biofficine continuait de référencer sur de nombreux sites Internet les produits "Phytoquant" aux fins de diriger la clientèle sur son site pour lui vendre ses propres produits, la société Frassanito et Cie l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce de Nice.
La société Biofficine a pour sa part formé une demande reconventionnelle pour imposition illicite de prix minimal et rupture brutale des relations commerciales fondée sur les articles L. 442-5 et L. 442-6 du Code de commerce.
Dans son jugement contradictoire du 2 octobre 2009, le Tribunal de commerce de Nice a:
- retenu sa compétence matérielle;
- débouté la société Frassanito et Cie de sa demande principale;
- débouté la société Biofficine de sa demande reconventionnelle;
- condamné la société Frassanito à payer à la société Biofficine la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la même aux dépens.
La société Frassanito et Cie est régulièrement appelante du jugement selon déclaration du 3 novembre 2009 et expose dans ses conclusions du 27 décembre 2010 que:
- la procédure en contrefaçon des marques communautaires "Phytoquant" et "Quanta" initiée par Monsieur Frassanito est sans incidence sur la présente instance ayant pour objet la réparation d'un préjudice issu d'une concurrence déloyale;
- les procès-verbaux de constat établis les 29 mai et 29 septembre 2009 et 23 mars 2010 montrent que la recherche sur Internet des produits "Phytoquant" dirige l'internaute vers le site de la société Biofficine où il lui est proposé les produits concurrents de la société Biofficine qui reprennent en outre un conditionnement similaire;
- après la rupture, la société Biofficine avait le devoir de prendre toutes dispositions nécessaires pour supprimer le référencement du nom commercial "Phytoquant" de tous les sites marchands dirigeant les consommateurs vers son propre site;
- l'argumentaire développé par la société Biofficine sur le droit communautaire des marques est inopérant puisque la société Frassanito et Cie ne formule à son encontre aucun grief tiré du droit des marques;
- les attestations de médecins ayant prescrit des produits "Phytoquant" établissent la confusion entretenue par la société Biofficine;
- les faits constatés dans le procès-verbal du 29 septembre 2009 sont similaires à ceux relatés dans le procès-verbal du 29 mai précédent malgré la procédure engagée, la société Biofficine n'ayant jamais cherché à mettre un terme à ses comportements déloyaux;
- elle ne peut invoquer un "aiguillage involontaire des patients sur son site dû à la présence de la phrase réclamée" par la société Frassanito et Cie indiquant l'absence de produits "Phytoquant" puisque celle-ci a été retirée dès juin 2009;
- la société Biofficine n'a jamais contesté la cause de la rupture qui ne ressort pas d'un prix imposé et qu'au demeurant elle n'a jamais respecté.
La société Frassanito et Cie sollicite l'infirmation du jugement, l'interdiction par la société Biofficine d'user sous quelque forme que ce soit du nom commercial "Phytoquant", sa condamnation au paiement de la somme de 200 000 euro à titre de dommages-intérêts et de 20 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et la publication de l'arrêt dans trois journaux aux choix et sur le site Internet de la société Biofficine.
Dans ses conclusions d'intimée du 13 décembre 2010, la société Biofficine fait valoir en réplique que:
- la société Frassanito et Cie s'est opposée à la libre détermination du prix de revente en violation de l'article L. 442-5 du Code de commerce ;
- elle n'établit pas que la société Biofficine ait fait état d'un stock insuffisant de produits "Phytoquant" pour justifier la rupture des relations commerciales et est donc tenue à un préavis qui peut être arrêté à six mois;
- sur la base des mêmes pièces soit les trois procès-verbaux de constat, Monsieur Frassanito et la société Frassanito et Cie réclament paiement des sommes de 20 000 euro et de 200 000 euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale au travers de deux procédures distinctes;
- la société Biofficine ne gère pas les comparateurs de prix;
- la société Frassanito et Cie ne démontre pas que les produits alimentaires vendus par les parties sont similaires et procède par affirmations;
- la jurisprudence communautaire ne prohibe pas la référence à une marque en l'absence de confusion auprès de l'internaute;
- les attestations des docteurs Gaglione-Rolland et Menat ne sont pas pertinentes et la société Biofficine ne peut être tenue pour responsable de leur manque d'information;
- l'aiguillage involontaire des patients sur le site Internet de la société Biofficine n'est dû qu'à la présence de la phrase réclamée par la société Frassanito et Compagnie qui ne démontre aucune faute à son encontre;
- la société Biofficine a offert la mise en place d'un lien Internet pour améliorer le référencement ou la suppression de la phrase qui est intervenue le 4 juin 2009 de telle sorte que la société Frassanito et Cie ne justifie d'aucune préjudice.
La société Biofficine conclut à la confirmation du jugement sauf à condamner la société Frassanito et Cie au paiement des sommes de 28 000 euro et 60 000 euro à tire de dommages-intérêts et de 12 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 janvier 2010.
Discussion
La compétence matérielle du tribunal n'étant plus contestée en cause d'appel, la confirmation du jugement s'impose en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du litige.
Sur la demande principale :
S'il est exact qu'un différend a opposé les parties sur les prix pratiqués par la société Biofficine à l'encontre des produits "Phytoquant" et dont il sera question ci-après, il n'est pas contesté que la rupture des relations commerciales a pour cause la fausse information diffusée par la société Biofficine aux internautes sur son site quant à une rupture de stock du produit "Quantarel" aux fins de vendre à la place un produit concurrent. En effet, si la société Biofficine s'oppose dans son courriel du 14 février 2008 à la rupture effectuée par la société appelante "pour la raison précitée", elle ne conteste aucunement les faits invoqués et rappelés dans le courriel du 10 février 2008. Sa dénégation est aujourd'hui tardive.
Ces faits s'inscrivent en violation des accords intervenus et sont constitutifs d'acte de concurrence déloyale en ce que le produit "Phytoquant" sert de produit d'appel, l'internaute étant dirigé vers le produit concurrent présenté en outre comme étant de meilleure qualité.
La société Biofficine ne peut dès lors invoquer les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui ne prive pas tout opérateur économique du droit de mettre un terme à la relation commerciale en cas de manquement grave du partenaire économique à ses propres obligations. Elle a par ailleurs persisté dans ses errements, les trois procès-verbaux de constat produits aux débats et corroborés par les attestations de médecins établissant que postérieurement à la cessation des relations, la société Biofficine a laissé sur son site la référence "Phyto" et celle des produits "Quanta", alors qu'elle ne les distribue plus et que les internautes sont nécessairement amenés à acquérir ses propres produits.
Aucun motif ne permet d'écarter ses témoignages établis dans les termes de l'article 202 du Code de procédure civile. C'est aussi en vain qu'elle invoque la mention: "Nous ne commercialisons plus le produit x de la marque Phytoquant que vous pourrez vous procurer en vous adressant directement au laboratoire Phytoquant" retirée en juin 2009 et qui aurait été la cause d'un "aiguillage involontaire des patients sur le site www.biofficine.com". En effet, le constat du 23 mars 2010 montre que "Phytoquant" et les produits "Quanta" sont toujours utilisés comme termes de référencement et renvoient au site de la société Biofficine. L'invocation de la jurisprudence communautaire sur l'usage d'une marque comme mot-clef est aussi inefficace puisque le litige ne relève pas du droit des marques mais d'une action en responsabilité délictuelle pour concurrence déloyale.
La société Biofficine se devait de prendre toutes dispositions nécessaires pour supprimer les référencements "Phytoquant" et "Quanta" des sites marchands dirigeant les consommateurs vers son site comme elle avait su les mettre en place pour diffuser les produits durant l'application des accords commerciaux. Si un délai peut être admis, en aucun cas celui-ci ne pouvait perdurer jusqu'à l'époque de l'assignation postérieure de plus d'une année à la rupture des relations commerciales. La société Biofficine a donc "laissé faire", et il n'est pas indifférent de relever au travers des différents constats d'huissier évoqués qu'aucun renvoi ne dirige l'internaute vers le site www.phytoquant.net pourtant mis en place.
Aucun enseignement ne peut en revanche être tiré du conditionnement des produits, les comparaisons opérées par la société Frassanito et Cie démontrant que les produits similaires sont parfois conditionnés en flacons par une partie et en boîte par l'autre et inversement pour d'autres produits. De même l'apposition en termes très apparents des enseignes, noms commerciaux et marques de chaque partie soit "Quanta" et "Phytoquant", pour la société Frassanito et Compagnie et "Biorevat" pour la société Biofficine exclut un risque de confusion auprès d'un consommateur d'attention moyenne.
Il est incontestable que les agissements de l'intimée ont causé une perte à la société Frassanito et Cie qui doit être apprécié à la lumière du chiffre d'affaires réalisé par la société Biofficine sur les produits "Phytoquant" durant l'année 2007. La cour dispose ainsi des éléments nécessaires et suffisants pour arrêter à la somme de 15 000 euro le montant des dommages-intérêts réclamés. La société Biofficine sera par ailleurs condamnée à publier le dispositif de l'arrêt sur son site dans les conditions figurant ci-après.
En revanche, il n'y a pas lieu à publication dans la presse, la concurrence déloyale n'ayant été réalisée que sur Internet.
Sur la demande reconventionnelle :
L'échange de lettres et courriels intervenu entre les parties montre aussi qu'un différend les a rapidement opposées sur les prix des produits "Phytoquant" offerts à la vente sur le site Internet de la société Biofficine. Il est indiscutable que la société Frassanito et Cie a tenté constamment d'imposer des prix minima pour protéger ses ventes sur catalogue. Cette pratique, régulièrement dénoncée par la société Biofficine est contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 442-5 du Code de commerce qui la sanctionne pénalement.
Gênée dans sa politique commerciale, la société Biofficine a également subi un préjudice qui, au regard des mêmes éléments d'appréciation, peut être évalué à la somme de 10 000 euro.
Chaque partie étant condamnée à paiement, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune d'elles la charge de ses frais irrépétibles.
Pour les mêmes motifs, elles conserveront la charge des dépens qu'elles ont exposés tant en première instance qu'en appel.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Reçoit l'appel; Confirme le jugement déféré en ce qu'il statue sur la compétence; L'infirme en toutes ses autres dispositions; Et statuant à nouveau : Condamne la société Biofficine à payer à la société Frassanito et Compagnie la somme de 15 000 euro (quinze mille euro) à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale; Interdit à la société Biofficine l'usage sous quelque forme que ce soit du nom commercial "Phytoquant" et des dénominations des produits commercialisés par la société Frassanito et Cie sous astreinte de 1 500 euro (mille cinq cents euro) par infraction constatée; Condamne la société Frassanito et Compagnie à payer à la société Biofficine la somme de 10 000 euro (dix mille euro) à titre de dommages-intérêts pour imposition illicite de prix minimal; Autorise la publication pour une durée de six mois du dispositif du présent arrêt sur la page d'accueil du site Internet www.biofficine.com aux frais de la société Biofficine et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt et sous astreinte de 500 euro (cinq cents euro) par jour de retard passé ce délai; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.