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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 25 février 2011, n° 10-02074

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Calberson Rhône-Alpes (SAS)

Défendeur :

Bufab Industries (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cuny

Conseillers :

M. Maunier, Mme Clozel-Truche

Avoués :

SCP Dutrievoz, SCP Aguiraud-Nouvellet

Avocats :

Mes Rambaud, Lacoste

T. com. Lyon, du 9 mars 2010

9 mars 2010

Faits, procédure, prétentions et moyens des parties

La SAS Calberson Rhône-Alpes a effectué pendant plusieurs années des prestations de transport pour le compte de la SAS Chapellet Bufab qui a mis fin à cette relation commerciale par courrier du 9 octobre 2008.

Par exploit du 13 février 2009 la société Calberson Rhône-Alpes a fait citer la société Chapellet Bufab devant le Tribunal de commerce de Lyon en se prévalant des dispositions de l'article L. 442-6-5 du Code de commerce, d'une relation commerciale de près de 20 ans et d'un préavis écrit de trois semaines seulement, pour obtenir paiement d'une indemnité de 111 165,33 euro représentant douze mois de marge brute.

Par jugement en date du 9 mars 2010 le tribunal a :

- constaté que la société Calberson Rhône-Alpes n'avait pas rempli correctement ses obligations contractuelles

- débouté la société Calberson Rhône-Alpes de toutes ses demandes

- condamné la société Calberson Rhône-Alpes à payer à la société Chapellet Bufab une indemnité de procédure de 750 euro et à supporter les dépens.

Par déclaration remise au greffe le 19 mars 2010 la SAS Calberson Rhône-Alpes (ci-après Calberson) a interjeté appel de ce jugement dans toutes ses dispositions.

La société Chapellet Bufab est désormais dénommée Bufab Industries.

Par conclusions en réponse et récapitulatives n° II signifiées le 8 décembre 2010 au visa des articles 1134, 1147 du Code civil et L. 442-6-5 du Code de commerce la SAS Calberson demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et statuant à nouveau de:

- dire et juger que:

* la société Chapellet Bufab ne rapporte pas la preuve d'un manquement à ses obligations contractuelles

* la rupture des relations entre les parties avec préavis d'un mois par lettre recommandée en date du 9 octobre 2008 est brutale

* subsidiairement, la chute de moitié du chiffre d'affaires entre les parties entre 2007 et 2008 constitue une rupture brutale

* eu égard à l'ancienneté des relations commerciales entre les parties, la société Chapellet Bufab aurait dû respecter un délai d'au moins 12 mois

- condamner la société Chapellet Bufab à lui payer la somme de 111 165,53 euro avec intérêts légaux à compter du 13 février 2009 et une indemnité de procédure de 8 000 euro

- ordonner la capitalisation des intérêts

- débouter la société Chapellet Bufab de toutes ses demandes.

D'abord la SAS Calberson se prévaut de relations commerciales anciennes entre les parties ayant duré 19 années (alors qu'elle justifie d'une ouverture de compte en novembre 1989 par la société SNTR Calberson aux droits de laquelle elle vient en vertu d'un contrat d'apport partiel d'actif du 11 mai 1994) et à tout le moins 10 années (s'il est seulement tenu compte de l'ouverture d'un compte en ses livres le 6 mars 1998).

Elle expose que par courrier recommandé du 9 octobre 2008, reçu le lendemain, la société Chapellet Bufab l'a brutalement informée de la fin de ses prestations courant semaine 45 c'est-à-dire entre le 3 et le 8 novembre 2008.

Elle précise qu'elle a réalisé avec la société Chapellet Bufab les chiffres d'affaires suivants:

- 2006 : 648 785 euro HT avec une marge brute de 127 171 euro

- 2007 : 716 864 euro HT avec une marge brute de 123 908 euro

- 2008 : 364 766 euro HT avec une marge brute de 82 417 euro

- 2008 : 0

soit une marge brute mensuelle moyenne de 9 263,77 euro au cours des trois dernières années.

L'appelante soutient que la rupture est intervenue brutalement le 9 octobre 2008 avec un préavis d'un mois, insuffisant en égard à la durée des relations commerciales; qu'il n'est justifié d'aucune lettre de rupture en novembre 2007, la mise en œuvre de négociations tarifaires aboutissant à un accord le 4 février 2008, ne constituant pas le préavis écrit exigé par l'article L. 442-6-5 du Code de commerce. Elle conteste tout lien de causalité entre les discussions tarifaires et la rupture brutale du 9 octobre 2008. Elle fait aussi valoir qu'à supposer que la chute du chiffre d'affaires réalisé ensemble entre 2007 et 2008 " atteste de la fin de la relation commerciale dès la fin 2007 " la société Chapellet Bufab aurait contrevenu aux dispositions de l'article L. 442-6-5 susvisé en l'absence d'écrit; que le fait qu'un type de trafic ait été confié à un tiers en 2008 ne pouvait laisser prévoir la rupture totale fin 2008 des relations commerciales qui ne comportaient pas de clause d'exclusivité.

Elle conteste aussi avoir accepté la réduction du chiffre d'affaires. Elle se prévaut de la teneur des courriels échangés entre novembre 2007 et février 2008 qui avaient pour objet la poursuite de relations commerciales avec un minimum de volumes.

Si la cour ne devait pas retenir une rupture brutale de toute relation à la date du 9 octobre 2008, elle considère qu'il conviendrait de retenir que la chute du chiffre d'affaires entre 2007 et 2008 constitue une rupture brutale au sens de l'article L. 442-6-5.

La SAS Calberson conteste avoir à aucun moment manqué à ses obligations contractuelles et souligne que la lettre de rupture ne contient aucun motif. Elle observe que le courrier du 5 novembre 2008, invoqué pour justifier qu'elle aurait imposé à sa cliente des fournitures dont celle-ci n'aurait pas eu l'utilité, est postérieur à la rupture. Elle ajoute que l'intimée ne justifie pas de ses affirmations quant au caractère inadapté de la prestation Top 24, ni d'aucune contrainte. Elle considère que la société Chapellet Bufab avait la liberté de rompre mais qu'il lui appartenait de le faire en respectant un préavis de 12 mois.

Elle précise qu'elle justifie d'une perte de marge brute de 111 165,33 euro et qu'il n'y a pas lieu de se référer aux demandes qu'elle a pu formuler dans un cadre amiable.

Par conclusions n° 2 signifiées le 18 novembre 2010 au visa des articles 1134 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce la SAS Bufab Industries sollicite la confirmation du jugement entrepris et le paiement d'une indemnité de procédure complémentaire de 5 000 euro.

D'abord l'intimée conteste toute brutalité dans la rupture des relations commerciales et soutient que la rupture était déjà consommée le 9 octobre 2008. Elle expose qu'en novembre 2007 la société Calberson a cherché à augmenter le montant de ses tarifs qui étaient déjà supérieurs à ceux de la concurrence; qu'au cours des échanges qui se sont poursuivis pendant une durée de trois mois la société Calberson n'a pas accepté de revoir sa position notamment sur une prestation Top 24 qui ne répondait pas à ses besoins; que la chute vertigineuse du chiffre d'affaires entre 2007 et 2008 atteste de la fin des relations commerciales entre les parties dès fin 2007; que la société Calberson l'a autorisée à confier une partie du trafic à un tiers. Elle soutient que l'exigence du caractère écrit du préavis est seulement formelle.

Ensuite la SAS Bufab fait valoir que la rupture des relations est imputable à la SAS Calberson qui, en raison de sa puissance économique, lui a imposé de mauvaise foi la poursuite d'une prestation Top 24 dont elle n'avait pas besoin.

Enfin la SAS Bufab conteste le préjudice allégué par l'intimé dont elle relève qu'il est passé de 75 000 euro, puis à 90 000 euro et encore à 116 654,76 euro. Elle ajoute que l'attestation de marge brute produite par la SAS Calberson en pièce 9 est établie par un de ses salariés, et non par le commissaire aux comptes, et estime que cette pièce n'a donc pas de valeur probante suffisante; qu'en toute hypothèse le préavis doit être réduit du délai de 4 semaines prévu dans le courrier du 9 octobre 2008.

Elle souligne enfin que :

- le chiffre d'affaires réalisé ensemble ne représente que 0,55 % du chiffre d'affaires de l'appelante

- pour une telle relation qui a duré 10 ans il ne pourrait être retenu tout au plus qu'un préavis de trois mois.

Une ordonnance en date du 4 janvier 2011 clôture la procédure.

Sur ce, LA COUR,

Attendu qu'aux termes de l'article L. 442-6-5 du Code de commerce engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par un industriel ou un commerçant de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels;

Attendu en l'espèce que la société Calberson verse aux débats:

- la demande d'ouverture de compte dans les livres de la SNTR Calberson signée le 2 avril 1990 par la société Chapellet, qui est devenue Chapellet Bufab désormais dénommée Bufab Industries

- le contrat d'apport partiel d'actif qui est intervenu le 11 mai 1994 entre la SNTR Calberson et la société Calberson Rhône-Alpes et qui concernait notamment l'agence de Genay (69730);

Qu'en conséquence, et même si la société Chapellet a encore souscrit le 6 mars 1998 " un contrat Calberson " il convient de fixer au 2 avril 1990 le début des relations commerciales entre les parties;

Que le 9 octobre 2008 la société Chapellet Bufab a informé la société Calberson qu'elle arrêterait courant semaine 45 la prestation logistique confiée à cette société; que ce courrier constitue le préavis écrit exigé par l'article L. 442-6-5 du Code de commerce alors qu'ensuite des négociations tarifaires menées en 2007 et jusqu'en mars 2008 les parties ont poursuivi leur partenariat même si le volume du fret confié par la société Chapellet Bufab a beaucoup diminué ce que la société Calberson a accepté en lui écrivant dans un email du 4 février 2008 " en terme d'exploitation cela peut vous permettre de confier à un tiers tout ou partie de votre trafic Pack 30 "; que si la société Bufab Industries considérait que les prestations offertes par la société Calberson ne lui étaient plus toutes utiles, elle avait la possibilité de rompre la relation commerciale en respectant un préavis; qu'elle ne démontre pas que la société Calberson aurait manqué à ses obligations contractuelles et notamment à son obligation de bonne foi et de loyauté dans l'exécution des conventions liant les parties; que le jugement entrepris sera donc infirmé en toutes ses dispositions;

Attendu que même si l'appelante justifie de relations commerciales ayant duré plus de 18 ans la société Calberson ne discute pas que le chiffre d'affaires réalisé avec la société Chapellet Bufab ne représentait que 0,55 % de son chiffre d'affaires total; qu'il résulte des courriers échangés entre les parties que les prestations de transport confiées par la société Chapellet Bufab ressortaient du contrat-type messagerie; qu'ainsi il doit seulement être retenu en l'espèce un préavis de trois mois;

Que la société Chapellet Bufab a mis fin aux relations commerciales par courrier du 9 octobre 2008 reçu le 10 octobre, pour la semaine 45 soit avec un préavis d'un mois seulement;

Que si la société Calberson n'a pas produit de documents financiers certifiés par un expert comptable ni visés par un commissaire aux comptes mais seulement une attestation en date du 3 février de son directeur administratif et financier, il sera observé que les chiffres d'affaires portés sur cette attestation n'ont pas été contestés par l'intimée; que les taux de marge brute mentionnés correspondent à ceux habituellement constatés dans le domaine de la messagerie; qu'ainsi au vu des documents produits il convient de retenir une marge brute mensuelle moyenne de 9 000 euro et de fixer à 18 000 euro le préjudice occasionné à la société Calberson par le caractère brutal de la rupture des relations commerciales; que cette indemnité portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt; que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil ;

Attendu enfin qu'il convient de condamner la société Bufab Industries aux entiers dépens de première instance et d'appel;

Par ces motifs, Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 mars 2010 par le Tribunal de commerce de Lyon; Statuant à nouveau, Dit que la société Bufab Industries ne rapporte pas la preuve d'un manquement de la société Calberson Rhône-Alpes à ses obligations contractuelles; Dit que la société Chapellet Bufab était tenue de respecter un préavis d'au moins trois mois; Dit que la rupture des relations contractuelles entre les parties avec préavis d'un mois par courrier du 9 octobre 2008 est brutale; Condamne la société Bufab Industries à payer à la société Calberson Rhône-Alpes la somme de 18 000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts légaux à compter du présent arrêt; Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil ; Déboute la société Calberson Rhône-Alpes du surplus de ses demandes et dit n'y avoir lieu de faire application à son profit des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Bufab Industries aux entiers dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.