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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 18 février 2011, n° 09-19272

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Arconsil (SAS)

Défendeur :

Moulinsart (SA), Rodwell

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mmes Regniez, Nerot

Avoués :

SCP Petit Lesenechal, SP Bommart-Forster-Fromantin

Avocats :

Mes Azzopard, Watrin

TGI Evry, 8e ch., du 9 juillet 2009

9 juillet 2009

Georges Remi Hergé, décédé en 1983, est l'auteur d'une bande dessinée intitulée " Les Aventures de Tintin " dont les principaux personnages sont le jeune reporter Tintin et son chien Milou, le capitaine Haddock, la Castafiore et le professeur Tournesol.

Madame Fanny Rodwell, légataire universelle, est investie du droit moral de l'auteur. Elle chargea la société Moulinsart de l'exploitation de l'œuvre d'Hergé ;

La société Arconsil qui créa les Editions du Léopard Masqué spécialisées dans la publication d'ouvrages humoristiques, expose qu'elle lança en 2006 une nouvelle collection de romans parodiques qui débuta par la publication de deux ouvrages intitulé " The dada de Vinci Code " et " C'est pas sorcier Harry ". Elle poursuivit son entreprise en lançant une série de romans de la même veine, parodiant l'œuvre d'Hergé. Regroupés dans une collection " Les aventures de Saint-Tin et de son ami Lou ", cinq volumes parurent dans un premier temps, sous les titres suivants:

- " Le Crado pince fort " (novembre 2008),

- " Le vol des 714 porcineys " (novembre 2008),

- " L'oreille qui sait " (janvier 2009),

- " La Lotus bleue " (janvier 2009),

- " Saint-Tin au Gibet " (avril 2009).

D'autres suivirent après la décision déférée : " L'ire Noire ", " L'affaire tourne au sale ", " Les Poils mystérieux ", " Le secret d'Eulalie Corne ", " Les pies jouent de la castagnette " ;

Il ne s'agit pas de bandes dessinées mais d'œuvres romanesques, de format court (145 pages), destinées à tout public.

Estimant que ces ouvrages portaient atteinte au droit moral et aux droits patrimoniaux dont elles sont respectivement titulaires, Fanny Vlamynck épouse Rodwell et la société Moulinsart assignèrent à jour fixe la société Arconsil devant le Tribunal de grande instance d'Evry pour voir prononcer les mesures d'interdiction et de publication d'usage et réparer les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale qu'elles dénoncent.

Par jugement en date du 9 juillet 2009, le tribunal rejeta les demandes formées au titre de la contrefaçon au motif que les reprises litigieuses relevaient de l'exception de parodie et de pastiche prévue à l'article L. 122-5-4° du Code de la propriété intellectuelle, mais accueillant les demandes formées sur le terrain du parasitisme, condamna la société Arconsil à payer à la société Moulinsart la somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts et ordonna la publication du jugement.

Vu les dernières écritures en date du 5 janvier 2011 de la société Arconsil qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Madame Rodwell et la société Moulinsart de leur demande en contrefaçon de l'œuvre d'Hergé, mais l'infirmation des autres dispositions du jugement elle conclut au rejet de l'ensemble des prétentions adverses et à la condamnation in solidum de Madame Rodwell et de la société Moulinsart à lui verser les sommes de 225 510 euro en réparation du préjudice subi du fait des saisies contrefaçon opérées chez son imprimeur et ses distributeurs et du trouble commercial supporté en raison de l'arrêt de la commercialisation des ouvrages pendant six mois outre la somme de 2 850 euro qu'elle a dû régler aux intimées " en exécution des délais accordés par le juge de l'exécution "; elle demande enfin que le présent arrêt soit publié aux frais des intimées ;

Vu les dernières écritures de Fanny Rodwell et de la société Moulinsart en date du 16 décembre 2010, qui soutiennent en substance que la nature des reproductions en cause exclut qu'elles puissent être couvertes par l'exception légale de parodie, avant de solliciter l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle les a déboutées de leurs demandes fondées sur la contrefaçon de l'œuvre d'Hergé, concluent à la condamnation de la société Arconsil à verser les sommes de 50 000 euro à Fanny Rodwell en réparation de l'atteinte portée au droit moral d'Hergé et 135 000 euro à la société Moulinsart en réparation de l'atteinte portée aux droits patrimoniaux de cette dernière ; elles demandent que les autres dispositions du jugement relatives à la réparation des actes de parasitisme soit confirmées et enfin qu'y soient ajoutées des mesures d'interdiction de commercialisation des ouvrages, de retour des exemplaires offerts à la vente et de destruction de ceux-ci.

Sur ce,

Considérant que Gordon Zola, pseudonyme de l'auteur des certains des volumes en cause en avait résumé le propos à la presse (sur www.leparisien.fr pièce 127) comme suit :

" (Ce sont) les aventures du fils supposé de Tintin. Enfin, c'est un journaliste qui pense être le fils de Tintin qui décide de partir à l'aventure à travers le monde et de revivre les aventures supposées du père... " ;

Que l'éditeur présente la collection sur son site Internet, dans les termes suivants :

"Saint-Tin est reporter free-lance, toujours accompagné de son ami Lou, perroquet bavard et sentencieux. Dans ses aventures, retrouvez également un vieux loup de mer, le capitaine Aiglefin, deux policiers inséparables d'origine siamoise Yin et Yang, le professeur Margarine cryptozoologue et chercheur de civilisations disparues et Alba Flore écrivain beige surnommée " la plume d'Anvers ". Mais que serait un héros sans un ennemi juré " Celui de Saint-Tin est Rasta Populiste " ;

Qu'en effet " Les aventures de Saint-Tin et de son ami Lou " qui se déroulent à notre époque, mettent en scène un jeune reporter qui se persuade qu'il est le fils de Tintin et va chercher à s'entourer de personnages proches de ceux qui ont nourri ses lectures d'enfant, tels que : Margarine, savant marginal, qui le ramènera en France ou l'éclusier bougon Aiglefin, ancien capitaine à la retraite, qui lui rappellera celui qui fut l'ami de son prétendu père ou encore les détectives Yin et Yang, dénommés Y plus et Y moins dans " L'ire Noire " et dans " Les Poils Mystérieux ", décrits comme étant deux fleurons d'une police aussi secrète qu'inefficace.

Que l'intrigue de chacun des romans est le plus souvent construite autour d'une enquête policière qui conduit Saint-Tin et ses amis dans des expéditions menées aux quatre coins du monde et à affronter des individus dangereux pour élucider des actes criminels;

Considérant que Madame Rodwell et la société Moulinsart stigmatisent la reprise par les romans tout à la fois, des titres, des personnages principaux et secondaires, des illustrations de la couverture et de l'intrigue développée par les albums correspondants ; que selon elles, chacun des ouvrages en cause obéit à la même démarche : reprendre l'intrigue générale de l'œuvre comme ses personnages, et les placer dans des situations qui présentent de fortes similitudes avec certaines scènes de l'œuvre première ; que la multiplication des ressemblances entre les romans en cause et les albums de la bande dessinée dont ils sont issus, caractérisent selon elles, des adaptations non autorisées des albums d'Hergé et un détournement de leur notoriété ;

Qu'elles relèvent que la reprise quasi servile, sans raillerie ni travestissement burlesque, des éléments d'une œuvre notoire et notamment de ses personnages emblématiques, pour les insérer dans des aventures romanesques sans véritable distanciation, ne peut être justifiée par l'exception de parodie ni par celle de pastiche d'autant qu'il ne s'agit pas d'œuvre du même genre (bande dessinée pour l'œuvre première, roman pour l'œuvre seconde), ni même de caricature ; qu'elles soulignent l'absence de démonstration de tout travail parodique et soutiennent que la volonté d'amuser le lecteur est distincte de l'intention parodique;

Considérant que l'appelante leur oppose que les conditions qui l'autorisent à se prévaloir de l'exception de parodie sont parfaitement réunies en l'espèce puisque d'évidence l'humour est bien présent dans l'ensemble des romans incriminés, que ce soit dans les titres, le dessin des couvertures ou dans le corps du texte, et qu'aucune confusion ne peut exister avec l'œuvre originale ; qu'elle ajoute que la série " Les Aventures des Saint-Tin " est avant tout une œuvre romanesque aussi bien sur le fond que dans sa forme ; que les auteurs se sont attachés à travailler la qualité de l'écriture en convoquant tous les ressorts de la parodie : satire, jeux de mots, calembours, traits d'esprit, moqueries, et que la trame et l'histoire des romans sont bien différentes de celles des albums d'Hergé auxquels leurs titres renvoient comme un clin d'oeil;

Sur l'exception de parodie:

Considérant ceci exposé, qu'aux termes de l'article L. 122-5-4° du Code de la propriété intellectuelle et de l'article 5.3k de la directive " Société de l'information " 2001-29-CE, l'auteur ne peut interdire " la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ";

Considérant que l'exception de parodie procède de la liberté d'expression qui a valeur constitutionnelle ;

Qu'elle bénéficie à toute forme d'œuvre, sans distinction du genre dont elle relève ; qu'il est ainsi indifférent que l'œuvre parodiée soit elle même une œuvre humoristique ou que la parodie emprunte comme en l'espèce, un genre différent (roman) de celui de l'œuvre parodiée (bande dessinée) ;

Considérant en revanche que le propos parodique doit être perçu sans difficulté ce qui suppose à la fois une référence non équivoque à l'œuvre parodiée et une distanciation recherchée qui vise à travestir ou à subvenir l'œuvre dans une forme humoristique, avec le dessein de moquer, de tourner en dérision pour faire rire ou sourire ;

Que ne peuvent alors relever de l'exception de parodie les œuvres qui empruntent les ressorts d'œuvres premières pour s'attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre ainsi de leur rayonnement ; que l'adjonction à ces emprunts de traits d'humour secondaires est dénuée d'effet car elle ne modifie pas la nature d'une entreprise littéraire construite sur un détournement de notoriété ;

Considérant en l'espèce, que la cour doit apprécier le caractère parodique des œuvres romanesques publiées par l'appelante, dont la substance est empruntée non seulement à l'univers de l'œuvre d'Hergé mais plus encore à chacun des albums qui la compose, avec cette singularité qui tient à la difficulté de réaliser une distanciation humoristique d'une œuvre qui est déjà, au moins en partie, une œuvre humoristique;

Considérant que le pastiche auquel l'appelante se réfère également pour justifier les emprunts dénoncés - dont le régime légal est au demeurant identique à celui de la parodie -, n'a pas pour objet de légitimer une entreprise littéraire qui adopte, comme en l'espèce un autre genre que l'œuvre pastichée et un autre style, puisque les auteurs des volumes incriminés s'expriment dans leur style, sans rechercher à transposer dans leurs romans, le style concis dans lequel Hergé fait s'exprimer ses personnages ;

Considérant que c'est donc au regard de l'exception de parodie que doivent être appréciés les emprunts stigmatisés par les intimées ;

Considérant que s'agissant des titres des œuvres premières qui sont couverts par un droit d'auteur en ce que notamment, ils comprennent les termes " Les aventures de Tintin ", le titre de chacun des romans est une démarcation d'un album de bandes dessinées, sous forme de calambour, de détournement cocasse et de jeu de mots immédiatement perçus comme tels par les lecteurs : " Le Crado pince fort ", pour " Le crabe aux pinces d'or ", " L'oreille qui sait " pour " L'oreille cassée ", " L'ire noire " pour " L'île noire ", " L'affaire tourne au sale " pour " L'affaire Tournesol "... etc ;

Considérant qu'à cette dérision potache du titre s'ajoute celle de l'image de couverture de chacun des albums dont certes les références géographiques, le style des dessins, et les éléments décoratifs sont repris mais dans un autre agencement et dans une mise en scène qui en signent le caractère parodique ;

Qu'ainsi dans le " Crado pince fort " voit-on en plein désert, sous un ciel d'un bleu profond, le corps d'un aventurier, mort, allongé sur le sable, avec à proximité de lui ces mots tracés dans le sable " le homard m'a tuer ", alors que la couverture de l'album " Le crabe aux pinces d'or " représente Tintin et le capitaine Haddock, en plein désert, juchés chacun sur un chameau ; que la couverture du roman " L'oreille qui sait " reprend le décor de la maquette de " L'oreille cassée " mais en changeant la situation des personnages puisqu'au lieu de représenter Tintin et Caraco dans leur pirogue dérivant sur le fleuve, elle donne à voir une pirogue qui sombre dans les profondeurs du fleuve, avec flottant à la surface de l'eau les seuls chapeaux des passagers disparus et les plumes de Lou, le perroquet; que s'agissant de l'ouvrage " Le vol des 714 Porcineys " titre parodique de " Vol 714 pour Sydney ", il s'agit de la reprise du même décor vu sous un autre angle et avec une substitution de personnages ; que si cette représentation n'est pas en elle même une parodie directe de la maquette de l'album, l'ensemble formé avec le titre " Le vol des 714 Porcineys " reproduit dans un grand cartouche, et le dessin d'un personnage effrayé lui confèrent néanmoins ce caractère ;

Considérant que les personnages principaux des " aventures de Saint-Tin et de son ami Lou " procèdent pareillement par emprunts de ceux créés par Hergé, dont ils vont détourner le nom et reprendre leurs traits de caractère dominants pour les accentuer non sans dérision;

Que par exemple le jeune reporter s'appelle " Saint-Tin ", le capitaine Haddock devient Aiglefin (deux mots quasiment synonymes pour désigner le même poisson), le professeur Tournesol devient le professeur Margarine, La Castafiore devient Albaflore mais ne désigne pas le même personnage que les autres noms choisis sont plus démarqués mais évoquent ceux de l'œuvre d'Hergé : Hippolyte Buro pour Séraphin Lampion ou Mefitua Dukandirato pour Mitsuhirato, Archibald Tringue Pour Nestor... ;

Que la personnalité des personnages principaux est assez voisine, la bande de Saint-Tin est pareillement composée du vieux capitaine, du savant original, des détectives jumeaux;

Considérant toutefois que les œuvres litigieuses leur attribuent d'autres traits de caractère parfois loufoques;

Que par exemple Aiglefin croit appartenir à la famille du Tsar Nicolas II et lui ressembler ; que Saint-Tin né sous X et hanté par la recherche de ses origines, voit dans Tintin son supposé père et cherche à le retrouver dans des aventures que son père rêvé aurait pu lui même vivre ; quant à Alba Flore, elle est certes corpulente et vaniteuse, mais c'est une richissime auteure d'œuvres littéraires, accompagnée par un agent dépressif;

Considérant qu'une illustration du style cocasse et parodique adopté par les auteurs pour mettre en scène les personnages peut être donnée par le passage suivant tiré de " Les Pies jouent de la Castagnette " (p. 17/19)

" Archibald Tringue, le majordome du Moulin Tsar, apparut au bout de quelques instants, raide comme un piquet, les bras en portemanteau. Son humeur habituellement impassible de valet-grume s'était changée en angoisse patente. Teint blême, ton blâme, il coupa le capitaine avant que celui-ci n'ait pu réagir :

- Monsieur, des invités non invités sont venus occuper le salon. Ils vous attendent

... La tête " in " et célèbre d'Alba Flore, la " Plume d'Anvers ", dominait superbement le salon satisfaite des visages consternés qui l'entouraient."

Considérant que là encore, le dessein parodique se révèle par le recours à de nombreux calembours, l'exagération des traits de caractère et un style écrit qui privilégie les bons mots et les jeux de mots.

Considérant que s'agissant de la trame des ouvrages, elle est construite comme pour les albums de bandes dessinées d'Hergé, sur la narration d'une aventure menée par le valeureux Saint-Tin qui se transporte aux quatre coins du monde et qui, avec l'aide de ses amis, déjoue des conspirations et démantèle des réseaux criminels;

Que comme pour les titres, des références sont faites à quelques unes des scènes tirées des albums;

Considérant que pour autant, le prologue, l'épilogue et l'intrigue de chaque roman diffèrent des albums de bandes dessinées;

Que Saint-Tin est un héros d'aujourd'hui qui utilise les techniques d'aujourd'hui pour mener ses investigations;

Considérant en conséquence, que les romans incriminés tout en se nourrissant de l'œuvre d'Hergé, savent s'en distancier suffisamment pour éviter tout risque de confusion, ne serait-ce que par la forme romanesque adoptée et les intrigues originales qu'ils décrivent;

Que le propos parodique est d'emblée perçu à la lecture du titre et à la vue des couverture, tous deux renseignant immédiatement sur la volonté des auteurs de travestir et de détourner les images avec le dessein de faire rire ; que ce dessein est poursuivi par les jeux de mot et calembours qui émaillent le texte intérieur et qui président au choix du nom et de la personnalité des personnages, démarcation parodique de ceux des personnages de la bande dessinée;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent Madame Rodwell et la société Moulinsart, les auteurs des romans n'ont pas seulement cherché à amuser le lecteur en puisant dans le vaste univers de l'œuvre d'Hergé mais ils ont voulu s'inscrire dans une démarche parodique exempte de toute dénaturation, qui privilégie dans un style littéraire qui leur est propre, le recours aux calembours, au burlesque et aux travestissements comiques;

Considérant que rien ne vient établir qu'ils auraient ce faisant, dépassé les lois du genre;

Que pas davantage n'est-il démontré que la publication de ces romans, au faible tirage, aient pu porter atteinte à l'exploitation de l'œuvre d'Hergé avec laquelle n'existe aucun risque de confusion, ni causé aux intimées un préjudice injustifié, au sens de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant qu'il suit que la décision entreprise sera confirmée, par substitution de motifs, en ce qu'elle a accueilli l'exception de parodie et rejeté l'action en contrefaçon;

Sur le parasitisme

Considérant que Madame Rodwell et la société Moulinsart avancent que le vaste projet éditorial de la société Arconsil qui a déjà publié dix ouvrages de la collection " Les Aventures de Saint-Tin " et qui s apprête à en publier un onzième, traduit la volonté de l'appelante de piller la substance des albums et l'intégralité de la collection des " Aventures de Tintin " et caractérise un comportement parasitaire d'envergure dont elles seraient bien fondées à demander la cessation;

Mais considérant que, comme exposé ci-dessus, la reprise dans les romans parodiques en cause de divers éléments tirés de l'œuvre d'Hergé, ne constitue pas une contrefaçon des droits d'auteur; que par application de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle les ayants-droit de celui-ci ne peuvent interdire la diffusion des ouvrages incriminés;

Que sauf à vider de toute portée l'exception de parodie dont il a été rappelé qu'elle procédait de la liberté d'expression, les mêmes reprises que celles stigmatisées au titre de la contrefaçon ne peuvent pas caractériser un comportement fautif parasitaire ;

Que les premiers juges se sont mépris en retenant sur le fondement du parasitisme à l'encontre de la société Arconsil, des reprises tirées de l'œuvre d'Hergé, dont ils constataient par ailleurs le caractère non contrefaisant;

Considérant que pas davantage ne peut constituer un acte de parasitisme ouvrant droit à réparation le nombre des romans publiés par l'appelante qui parodient les albums de bandes dessinées dans la mesure où chacun d'eux satisfait aux exigences de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle;

Considérant que la décision entreprise sera en conséquence infirmée en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la société Arconsil sur le fondement du parasitisme.

Sur les autres demandes

Considérant que la société Arconsil fait valoir que les trois saisies-contrefaçon effectuées chez les imprimeur et distributeurs des ouvrages lui ont été très préjudiciables, ce que ne pouvait ignorer la société Moulinsart ; qu'elle précise qu'elle a dû suspendre la diffusion des ouvrages pendant la procédure de première instance et qu'elle n'a repris leur commercialisation qu'après le jugement, ce qui lui a causé une perte de 5 mois d'activité et a flétri son image auprès des distributeurs et des lecteurs ; qu'elle demande que la réparation de son préjudice soit fixée à la somme globale de 225 510 euro au titre tout à la fois de la perte de son chiffre d'affaires subie entre mars et juin 2009, des coûts de traitement de dossier et de la perte de crédibilité auprès des distributeurs et des financeurs, augmentée de la somme (10 000 euro) demandée par l'imprimeur en dédommagement de l'arrêt des machines pendant la durée de la saisie;

Mais considérant que la société Arconsil procède par affirmation plus que par démonstration ; qu'en effet, elle ne justifie pas avoir cessé totalement la diffusion de la collection après les saisies-contrefaçon ; qu'elle ne produit aucun document de son commissaire aux comptes pour évaluer l'impact de cette procédure sur son chiffre d'affaires ; que pas plus ne prouve-t-elle les frais qu'elle aurait exposés pour reprendre son travail éditorial, ni la somme complémentaire qu'elle aurait réglée à son imprimeur;

Considérant en revanche qu'il n'est pas contestable que la société Arconsil est une petite société qui réalisait une partie significative de son chiffre d'affaires avec la commercialisation de la collection arguée de contrefaçon et que la procédure engagée par la société Moulinsart et Madame Rodwell a conduit à une réduction significative des ventes à tout le moins de mars à juin 2009 (le résultat cumulé pour les six premiers mois de l'année aurait été inférieur à 3 000 euro) ;

Qu'à ce préjudice, s'ajoute celui né de l'atteinte portée à son image auprès de ses distributeurs notamment et la somme qu'elle a dû régler aux intimées ;

Considérant qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de condamner in solidum Madame Rodwell et la société Moulinsart à verser à la société Arconsil la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que les circonstances de l'espèce ne commandent pas de faire droit à la mesure de publication sollicitée par la société Arconsil ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile:

Considérant que l'équité commande de condamner en outre les intimées à verser la somme de 12 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Par ces motifs, Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a rejeté l'action en contrefaçon, dit n'y avoir lieu à une mesure d'interdiction et ordonné la mainlevée des saisies opérées, Statuant à nouveau et y ajoutant, Rejette les demandes formées par Madame Rodwell et la société Moulinsart au titre du parasitisme, Rejette l'ensemble de leurs demandes complémentaires, Dit n'y avoir lieu à une mesure de publication, Condamne in solidum Madame Rodwell et la société Moulinsart à verser à la société Arconsil les sommes de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts et de 12 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du même code.