CA Douai, 2e ch. sect. 1, 16 mars 2011, n° 10-09281
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Trans Artois Frigo (SA), Theetten (ès qual.)
Défendeur :
Unilever France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Parenty
Conseillers :
MM. Deleneuville, Brunel
Avocats :
Mes Demeyere, Eymri
Vu le jugement contradictoire du Tribunal de commerce d'Arras du 24 novembre 2010 s'étant déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Nanterre dans la procédure Trans Artois Frigo contre la société Unilever et Maître Theetten.
Vu le contredit de compétence déposé le 6 décembre 2010 au greffe du Tribunal de commerce d'Arras par la société TAF ;
Vu les conclusions déposées le 2 février 2010 pour la société Trans Artois Frigo et Maître Theetten, ès qualités de liquidateur judiciaire ;
Vu les conclusions déposées le 2 février 2010 pour la société Unilever France ;
Vu l'ordonnance de fixation de Madame le Premier Président en date du 28 décembre 2010 ;
Les demandeurs au contredit sollicitent l'infirmation de la décision, demandent à la cour de se déclarer compétente pour statuer sur l'action en responsabilité délictuelle encourue par la société Unilever, d'évoquer l'affaire, de débouter la société Unilever de toute prétention contraire ; elle réclame 2 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile ;
La défenderesse au contredit sollicite la confirmation, le débouté de ses adversaires et 1 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a fait droit à une exception d'incompétence par laquelle la société Unilever prétend voir appliquer la clause attributive de compétence territoriale stipulée au contrat selon laquelle : " tous les litiges auxquels le présent contrat pourra donner lieu, tant pour sa validité que pour son interprétation, son exécution ou sa résiliation seront soumis aux tribunaux compétents de Nanterre " ; la société Trans Artois Frigo et Maître Theetten s'y opposent au motif que le contenu de l'acte introductif d'instance expose clairement que la responsabilité d'Unilever est recherchée sur le fondement délictuel des articles L. 442-6-I et L. 446-1 [sic] du Code de commerce du chef de rupture brutale et abusive des relations commerciales, non-respect des délais de paiement fixés à l'article L. 441-6 ; ils plaident que la jurisprudence est constante sur le caractère délictuel d'une telle action, que la clause attributive de compétence ne peut dans ce cas faire obstacle à la compétence du tribunal définie par l'article 46 du Code de procédure civile qui prévoit que le demandeur peut saisir à son choix outre la juridiction où se trouve le défendeur, la juridiction du fait dommageable ou celle du ressort dans lequel le dommage a été subi. Ils estiment non probante la jurisprudence citée par Unilever qui a trait à un litige international, lequel ne répond pas aux mêmes règles.
Ils font valoir qu'ils ont choisi Arras, car c'est le lieu où s'exerçait l'activité de l'entreprise victime, que la clause est inapplicable puisque ce n'est pas la résiliation qui est visée mais la rupture brutale de l'article L. 442-6.
À titre subsidiaire, la société Trans Artois Frigo avait visé l'article R. 662-3 du Code de commerce que le tribunal a retenu en occultant le visa de l'article 46 du Code de procédure civile qui figurait dans les conclusions ; ce faisant, le tribunal a dit que le tribunal de commerce de la procédure collective n'aurait pas compétence pour examiner le litige né de l'exécution d'un contrat conclu et rompu avant l'ouverture de la procédure collective et partant se déclarait incompétent sans expliquer pourquoi l'article 46 serait inapplicable.
Sur leur demande d'évocation, ils font valoir qu'il est de bonne justice de donner au litige une solution définitive.
La société Unilever plaide qu'il est de jurisprudence constante que l'action exercée par le liquidateur d'une société qui n'est pas née de la procédure collective mais de l'exécution ou de l'inexécution d'engagements antérieurs aurait pu exister même s'il n'y avait pas eu ouverture d'une procédure collective, que dès lors le juge compétent est celui de droit commun ou celui désigné par une clause attributive, que celle-ci figure dans l'article 4-6 du cahier des charges au profit des tribunaux de Nanterre.
Sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5°, elle fait valoir que la Chambre civile de la Cour de cassation reconnaît que cette action est de nature contractuelle, comme le dit clairement un arrêt du 6 mars 2007, sachant que la nature délictuelle ou contractuelle de cette action ne doit pas remettre en cause la volonté des parties qui lors de la signature du contrat ont décidé de soumettre tout différend qui viendrait à les opposer au tribunal de commerce de leur choix, au cas d'espèce Nanterre, quelque soit la nature du différend et son fondement juridique. Elle souligne que les relations contractuelles se sont poursuivies et que l'étendue et les conditions d'exécution du contrat sont également en litige.
Sur l'évocation, elle invoque la nécessité d'un double degré de juridiction, vu l'importance des postes de préjudice invoqués.
Sur ce
Sur la compétence du Tribunal d'Arras
Il apparaît clairement de l'acte introductif d'instance que la société Trans Artois Frigo et son liquidateur ont entendu assigner la société Unilever à raison de son comportement fautif, constitué par une rupture partielle abusive et brutale de leurs relations contractuelles et par le non-respect des délais de l'article L. 441-6, que le dispositif faisait mention des articles L. 442-6 I 5°, de l'article 1382 du Code civil et de l'article 46 du Code de procédure civile. Il visait aussi l'article R. 662-3. Mais le tribunal n'a statué que sur ce seul article mis en avant par Unilever à l'appui de son exception d'incompétence et a, au visa de ce texte, fait remarquer que le litige ayant trait à cette rupture était né à une date antérieure à celle prononçant le redressement judiciaire de sorte que le tribunal de la procédure collective n'était pas compétent. En cela le Tribunal de commerce d'Arras n'a pas répondu à l'argument essentiel lié au cadre juridique posé par le procès et fixé par les articles visés.
L'action entamée par la société Trans Artois Frigo vise la responsabilité de l'assignée pour rupture brutale de la relation commerciale établie ; cette action a été reconnue comme une action de nature délictuelle qui ouvre l'application de l'article 46 du Code de procédure civile qui donne au demandeur le choix de la juridiction devant laquelle il assigne, soit le lieu où se situe le défendeur, soit le lieu du fait dommageable ou le lieu où il a été subi. La Cour de cassation a jugé que la clause contractuelle attributive de juridiction est inapplicable dans ce type d'action, a fortiori qu'elle ne reprend pas au rang des actions envisagées contractuellement dans la clause la rupture de la relation commerciale.
La jurisprudence invoquée par Unilever est inapplicable au cas d'espèce puisque la Cour de cassation fait clairement un distinguo entre les litiges internes et les litiges internationaux et que les arrêts cités ont trait à un litige international dont le fondement est également basé sur l'article 1147 du Code civil. Il a été jugé que lorsque le dommage invoqué est constitué par la cessation d'activité de l'entreprise suite à des difficultés financières résultant de l'attitude prétendument fautive de la société, il s'en suit que le dommage a été subi au lieu où s'exerçait l'activité de l'entreprise qui s'estime victime. Les premiers juges devaient donc examiner la question de la compétence au regard de l'article 46 du Code de procédure civile visé ; ils ne l'ont pas fait ; l'infirmation s'impose, la cour reconnaissant la compétence de la juridiction d'Arras, lieu où le dommage aurait été subi.
Sur l'évocation
Certes, la cour peut évoquer le fond si elle estime que c'est de bonne justice de donner une solution définitive au litige ; cela dit en procédant de la sorte, elle ôte aux parties un degré de juridiction. La cour considère, au regard des intérêts en jeu, qu'il convient de sauvegarder ce double degré dans l'intérêt des parties ; elle ne fera donc pas droit à la demande d'évocation, le dossier devant être renvoyé devant la juridiction arrageoise.
Succombant, la société Unilever sera déboutée de sa demande sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et condamnée à payer 2 000 euro de ce chef à Maître Theetten ès qualités de liquidateur de la société Trans Artois Frigo.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, sur contredit, par arrêt mis à disposition au greffe fait droit au contredit ; Infirme le jugement ; Déclare le Tribunal de commerce d'Arras compétent pour juger de l'affaire ; Déboute Maître Theetten et la société Trans Artois Frigo de leur demande d'évocation ; En conséquence, renvoie le dossier au Tribunal de commerce d'Arras pour que l'affaire soit jugée au fond ; Déboute la société Unilever de ses demandes ; Condamne la société Unilever à payer 2 000 euro à Maître Theetten ès qualités de liquidateur de la société Trans Artois Frigo sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et dépens du contredit.