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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 10 mars 2011, n° 09-09875

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Terre de Sienne (SA)

Défendeur :

Carrefour (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maron

Conseillers :

Mmes Brylinski, Beauvois

Avoués :

SCP Debray-Chemin, SCP Lissarrague Dupuis Boccon-Gibod

Avocats :

Mes de Gaulle, de Lammerville

T. com. Nanterre, 7e ch., du 7 déc. 2009

7 décembre 2009

Faits et procédure

La société Terre de Sienne exerce une activité de conseil en communication, en particulier sur le marché des rapports annuels et rapports de développement durable des grandes entreprises cotées.

La société Carrefour a choisi la société Terre de Sienne fin 2001 pour la conception et la réalisation de son rapport annuel et lui a confié ensuite la rédaction de ses rapports annuels pour les exercices 2001, 2002 et 2003.

En 2004, la société Carrefour a procédé à un appel d'offres, qui a été remporté par la société Terre de Sienne, portant sur la conception et la réalisation des rapports annuels, ainsi que des rapports développement durable, sur les exercices 2004, 2005 et 2006.

La société Terre de Sienne a assuré en outre des prestations annexes de communication écrite vers les actionnaires (lettres aux actionnaires, avis de convocation).

Le 18 juillet 2007, Carrefour a écrit à Terre de Sienne qu'elle n'entendait pas renouveler leur collaboration pour les prochains rapport annuel et rapport développement durable 2007.

Des échanges de courrier se sont poursuivis au-delà de cette date entre les parties.

C'est dans ces circonstances que par acte d'huissier en date du 20 février 2008, signifié à personne morale, la société Terre de Sienne a assigné la société Carrefour devant le Tribunal de commerce de Nanterre en l'indemnisation de ses différents préjudices, sur le fondement des articles 1134, 1135, 1147, 1149, 1382 du Code civil, et l'article L. 442-6-I 5°) du Code de commerce en soutenant que Carrefour avait rompu brutalement sa relation commerciale établie, que la rupture brutale mise en œuvre par Carrefour avait porté atteinte à son image de marque, que Carrefour n'avait pas respecté les usages en vigueur dans le secteur de la communication en refusant d'inviter Terre de Sienne à son nouvel appel d'offres, que Carrefour avait porté atteinte au principe selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi en n'invitant pas Terre de Sienne à son nouvel appel d'offres.

Par jugement rendu le 7 décembre 2009, le tribunal a dit que la société Carrefour n'avait pas commis de faute en mettant fin à sa relation commerciale avec la société Terre de Sienne et en ne l'invitant pas à l'appel d'offres de 2007, a débouté la société Terre de Sienne de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Carrefour 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Terre de Sienne a relevé appel de ce jugement.

Par dernières conclusions signifiées le 3 novembre 2010, la société Terre de Sienne demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau de dire que la société Carrefour a rompu brutalement la relation commerciale établie, de condamner la société Carrefour à lui payer 1 546 709 euro en réparation du préjudice subi et 35 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par dernières conclusions signifiées le 2 décembre 2010, la société Carrefour demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la société Terre de Sienne à lui payer une indemnité de 50 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de son appel, la société Terre de Sienne soutient que la société Carrefour a rompu brutalement la relation commerciale qui les liait depuis 2001 en violation de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce.

Elle rappelle que la relation commerciale a duré plus de six années même si aucun contrat n'a été formalisé entre les parties, y compris après la procédure de mise en concurrence en 2004 à l'issue de laquelle elle a été retenue.

La société Terre de Sienne fait valoir que la conclusion d'une succession de contrats à durée déterminée constitue une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, que la relation commerciale se distingue de la relation contractuelle. La relation entre les parties ne s'inscrivait pas dans une situation de précarité annoncée laquelle ne peut être caractérisée par la signature d'un contrat à durée déterminée en cours de relations commerciales.

Elle ajoute que le domaine d'activité des parties ne suppose pas par nature une précarité des relations. Elle fait notamment observer que la préparation du rapport annuel d'une année N qui sera en réalisé finalisé et diffusé dans le courant du 1er semestre de l'année N+1 commence dès le mois d'août de l'année N.

Elle estime donc qu'elle pouvait légitimement espérer la poursuite de la relation commerciale établie puisque Carrefour ne lui avait pas notifié un préavis écrit.

Ni l'appel d'offres informel de 2004 ni la réunion évoquée par Terre de Sienne dans son courrier du 23 octobre 2006 ne sauraient constituer un préavis.

Dans les faits, Terre de Sienne a connu des difficultés dans sa relation avec Carrefour lors de l'arrivée courant 2005 d'une nouvelle personne à la tête de la direction de la communication du groupe Carrefour. Dans les mois qui ont suivi, la direction de la communication du groupe Carrefour a tenté une première fois d'évincer Terre de Sienne, sans préavis et sans motif, pour travailler avec une nouvelle agence.

Carrefour soutient qu'elle aurait informé cette dernière oralement, lors d'une réunion ayant eu lieu en 2006, de son intention de rompre leur relation commerciale.

A l'appui de cette affirmation, Carrefour se fonde sur un courrier adressé par Terre de Sienne à Carrefour le 23 octobre 2006.

En réalité, le courrier du 23 octobre 2006 n'évoquait pas la possibilité d'un appel d'offre en 2007, mais la crainte d'une rupture des relations entre les parties dès 2006. Dans ce courrier, Terre de Sienne évoque son inquiétude face à la décision du groupe Carrefour " de mettre un terme à son engagement de septembre 2004 de (lui) confier, après appel d'offres, pour 3 ans, la rédaction, la conception-création, la réalisation et la fabrication des rapports annuels et de développement durable 2004, 2005 et 2006 [...] ".

On comprend clairement que la discussion, lors de la réunion ainsi évoquée, portait non pas sur le non-renouvellement de cet engagement, mais bel et bien sur une éventuelle anticipation de son terme. Il est de ce fait naturel que Terre de Sienne ait souhaité attirer l'attention de Carrefour sur les conséquences dommageables pour elle d'une telle rupture.

Ce courrier ne saurait constituer un quelconque préavis notifié par Carrefour à Terre de Sienne.

Par ailleurs, la lettre du 18 juillet 2007 ne constitue pas non plus un préavis car le préavis doit être donné avant la cessation des commandes.

Eu égard à la durée des relations commerciales établies, à la saisonnalité qui caractérise le marché des services concernés, l'importance des relations commerciales entre les parties, les possibilités de trouver une solution alternative et des investissements consentis, Carrefour aurait dû lui accorder un préavis d'au moins une année.

Faute de l'avoir fait, Carrefour aurait dû en outre et à tout le moins offrir de bonne foi à Terre de Sienne une chance de contracter en l'invitant à participer à l'appel d'offre qu'elle organisait.

Carrefour devra donc indemniser Terre de Sienne à hauteur de la marge qu'elle aurait dû réaliser si les relations avaient continué pendant la fin de l'année 2007 et le début de l'année 2008. Carrefour reconnaît elle-même la validité de ce mode de calcul dans ses écritures.

En outre, Terre de Sienne entend obtenir réparation du préjudice subi du fait qu'elle n'a pas été invitée à participer à l'appel d'offre organisé par Carrefour, et a dès lors perdu une chance très sérieuse de contracter.

La réparation du préjudice de Terre de Sienne ne serait pas complète si celle-ci ne tenait pas compte de la grave atteinte à l'image de marque de Terre de Sienne.

En réponse, la société Carrefour rappelle en premier lieu que contrairement à ce qu'indique Terre de Sienne dans ses écritures, les parties ne sont entrées en relation qu'en 2002, année au cours de laquelle Terre de Sienne a réalisé, à la demande de Carrefour, la conception et la réalisation de son rapport annuel pour l'exercice 2001.

Terre de Sienne prétend que Carrefour aurait rompu brutalement la relation commerciale établie qu'entretenaient les parties. Elle ajoute que cette prétendue rupture brutale engagerait la responsabilité de la concluante sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce.

La société Carrefour soutient qu'il n'en est rien : non seulement Carrefour n'a rompu aucune relation mais encore la relation commerciale qu'ont entretenue les parties n'entre pas dans le domaine de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce. En tout état de cause, cette dernière a respecté un préavis suffisant de six mois.

Carrefour n'a nullement rompu la relation commerciale puisque le contrat à durée déterminée est arrivée à son échéance.

En effet, l'appel d'offres auquel Terre de Sienne a répondu en 2004 avait pour objet un contrat à durée déterminée de trois ans.

La jurisprudence considère de façon constante que l'arrivée à son terme d'un contrat à durée déterminée ne peut pas s'analyser en une rupture de relation commerciale. Par exception la jurisprudence applique l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce lorsque le demandeur prouve que la qualification donnée par les parties à durée déterminée ne reflète pas la réalité des relations contractuelles.

Terre de Sienne ne pouvait pas s'attendre au renouvellement du contrat conclu en 2004 puisqu'elle était informée que Carrefour organiserait un nouvel appel d'offres en 2007.

Terre de Sienne ne pouvait escompter un renouvellement du contrat au-delà de son terme : la relation ayant existé entre les parties n'était pas "établie" au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce. Terre de Sienne ne pouvait pas légitimement s'attendre à la stabilité de sa relation avec Carrefour.

Une procédure d'appel d'offres comporte, par essence, un aléa pour celui qui s'y soumet qui exclut que les relations commerciales puissent être considérées comme établies.

Dès 2006, Terre de Sienne savait que Carrefour procèderait à un nouvel appel d'offres pour l'attribution du marché de la conception et de la réalisation de ses rapports annuels et de développement durable relatifs à ses exercices 2007, 2008 et 2009.

En effet, c'est en 2006 que, lors d'une réunion spécialement organisée par Carrefour, cette dernière a indiqué à Terre de Sienne qu'elle organiserait un nouvel appel d'offres en 2007. Elle lui a d'ailleurs remis un document écrit en faisant état.

La tenue de cette réunion et son contenu sont parfaitement reflétés dans un courrier émanant de Terre de Sienne elle-même, en date du 23 octobre 2006.

Carrefour a parfaitement satisfait à ses obligations en matière de préavis.

La remise du document d'appel d'offres en 2004 peut-être considéré comme un préavis écrit.

Au surplus, Terre de Sienne a été informée dès octobre 2006 par Carrefour que celle-ci organiserait un nouvel appel d'offres pour l'attribution du marché de la conception et de la réalisation de ses rapports annuels relatifs aux exercices 2007 à 2009, de sorte qu'elle ne pouvait se méprendre. Le courrier du 23 octobre 2006 ne constitue pas un préavis mais démontre qu'un tel préavis a bien été réitéré lors de la réunion qui s'est tenue en octobre 2006.

Carrefour a confirmé à nouveau à Terre de Sienne le 18 juillet 2007 la fin prochaine de leur relation.

Aucune faute ne peut donc être reprochée à Terre de Sienne : le jugement sera donc confirmé.

Carrefour n'a pas davantage commis de faute en n'invitant pas Terre de Sienne à participer à l'appel d'offres postérieur.

Terre de Sienne n'a en tout cas subi aucun préjudice.

Les prétentions de Terre de Sienne, même si elles ont été revues à la baisse par rapport à la procédure de première instance, demeurent exorbitantes: l'appelante réclame l'allocation d'une somme correspondant à l'addition de plus de quatre années de marges brutes réalisées avec Carrefour.

Par ailleurs, l'évaluation du prétendu préjudice de Terre de Sienne a connu, depuis la naissance du présent différend, des fluctuations qui révèlent son absence de réalité.

Terre de Sienne n'a subi aucun préjudice résultant de la prétendue rupture brutale pas plus que de la "non-invitation" à l'appel d'offres.

La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 16 décembre 2010.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Il résulte de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce que sauf dans le cas où l'autre partie n'exécute pas ses engagements ou celui de la force majeure, le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice en résultant.

Terre de Sienne estime que Carrefour a engagé sa responsabilité en mettant fin sans préavis écrit par son courrier du 18 juillet 2007 à une relation commerciale établie depuis 2001.

Carrefour réplique que l'article L. 442-6-I 5° sus-cité n'est pas applicable en l'espèce, au motif en premier lieu que le contrat qui liait les parties était à durée déterminée ce dont Terre de Sienne avait connaissance depuis l'appel d'offres de 2004 et que le contrat arrivait donc à son échéance, que l'arrivée d'un terme ne peut s'analyser en une rupture brutale de relation commerciale, que la condition exigée de la relation commerciale établie n'est pas remplie, que Terre de Sienne ne pouvait s'attendre légitimement à la pérennité et la stabilité de cette relation.

La notion de relation commerciale établie est indifférente au support juridique sur lequel repose le courant d'affaires instaurée entre deux sociétés. Les dispositions de l'article sus-cité peuvent s'appliquer indépendamment de tout contrat écrit et aucun formalisme n'est requis.

Elle suppose cependant démontré le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif, et stable du courant d'affaires existant pour laisser augurer au prestataire que cette relation a vocation à durer.

En particulier, même si la conclusion d'un contrat à durée déterminée ou le recours à un appel d'offres ne suffisent pas à exclure par principe l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article suscité, il peut être déduit de certaines circonstances ou événements entourant ou marquant cette relation commerciale, la précarité annoncée de la situation qui ne permet pas à la partie qui se prétend victime de la rupture d'avoir une croyance légitime dans sa pérennité.

En l'espèce, le 18 juillet 2007, après la rédaction du rapport annuel et du rapport développement durable, rapports de l'exercice 2006, comme l'établissent les factures produites par Terre de Sienne dont la dernière est en date du 25 juin 2007, Carrefour a indiqué à Terre de Sienne qu'elle ne souhaitait pas renouveler sa collaboration avec cette dernière pour les prochains rapports de l'exercice 2007.

Il est établi par une première facture en date du 13 décembre 2001 à titre d'acompte " 1/3 de la commande " visant un devis du 27 novembre 2001 et portant en objet " Budget Carrefour rapport annuel 2001 " que Carrefour a confié à tout le moins la rédaction de son rapport annuel pour l'exercice 2001 à Terre de Sienne et que les deux sociétés sont donc entrées en relation commerciale fin 2001.

Il est indifférent pour qualifier la relation commerciale qu'aucun contrat écrit n'ait été établi et signé entre les parties en 2001 et que Terre de Sienne se soit vu ensuite confier les rapports annuels sur les exercices suivants 2002 et 2003 également sans contrat écrit.

En revanche, il est justifié qu'en 2004, Carrefour a procédé à une consultation auprès de cinq agences qu'elle a mises en concurrence pour la conception du rapport annuel et rapport développement durable.

Ce document d'appel d'offres adressé à chacune des agences consultées mentionne expressément que l'appel d'offres est établi en vue d'une collaboration de 3 années avec l'agence sélectionnée.

Terre de Sienne a eu nécessairement connaissance de ce document lors de la mise en concurrence en septembre 2004 puisqu'elle le verse elle-même aux débats (pièce 4 de son bordereau).

Elle l'a d'ailleurs expressément reconnu dans son courrier du 23 octobre 2006 dans lequel elle rappelle l'engagement pris par Carrefour de lui confier, après appel d'offres, pour 3 ans, la rédaction, la conception-création, la réalisation et la fabrication des rapport annuel et rapport développement durable 2004, 2005 et 2006.

Le recours à cette mise en concurrence en septembre 2004 entre Terre de Sienne et quatre autres sociétés, après une première période au cours de laquelle Carrefour n'avait pas eu recours à ce mode de sélection de l'agence chargée de ces prestations, ainsi que la précision expressément apportée dans l'appel d'offres de la durée déterminée de trois années sont autant de circonstances qui ont conféré à la relation entre Carrefour et Terre de Sienne un caractère temporaire et l'ont privée dès cette date de garantie de permanence.

En effet, alors qu'il était prévisible dès 2004 que les prestations objet de l'appel d'offres qui portent sur l'établissement du rapport annuel et du rapport développement durable devraient continuer à être exécutées bien au-delà du terme retenu par l'appel d'offres, la mise en concurrence et la limitation expresse à une durée déterminée pour une prestation aussi essentielle pour le groupe Carrefour et par nature destinée à être reproduite à chaque exercice, démontrent sans ambiguïté que Carrefour n'entendait pas donner au prestataire choisi une quelconque assurance de prolongation de la relation au-delà du terme convenu et entendait à l'issue de cette période de trois ans retrouver une complète liberté contractuelle et commerciale.

C'est d'ailleurs ce que Carrefour a fait en 2007 en ayant recours à un nouvel appel d'offres pour une période de trois années.

Dès lors que Terre de Sienne a répondu dans ces circonstances précises à l'appel d'offres et a été sélectionnée en connaissance de ces circonstances, quand bien même elle avait déjà depuis trois exercices exécuté ces mêmes prestations pour Carrefour, dès 2004, les relations avec Carrefour ont été placées dans une perspective de court terme et de précarité certaine car Terre de Sienne ne pouvait avoir aucune certitude quant à la poursuite de la relation d'affaires au-delà des travaux à exécuter pour l'exercice 2006.

Il n'était prévu dans le document d'appel d'offres aucune reconduction tacite ou modalité de renouvellement.

Au surplus, dans son courrier du 23 octobre 2006, Terre de Sienne a écrit " Suite à la décision du groupe Carrefour de mettre un terme à son engagement de septembre 2004 de nous confier, après appel d'offres, pour 3 ans, la rédaction, la conception-création, la réalisation et la fabrication des rapports annuels et de développement durable 2004, 2005 et 2006, je souhaite attirer votre attention sur les préjudices subis [...] ".

Ce courrier n'émane certes pas de Carrefour et ne constitue pas un préavis formel mais il n'en démontre pas moins que Terre de Sienne savait dès cette date que Carrefour n'entendait pas poursuivre la relation.

A l'évidence, le courrier d'octobre 2006 émanant de Terre de Sienne établit que celle-ci était informée de la détermination de son partenaire commercial de ne pas laisser la relation commerciale s'installer au-delà de la durée prévue puisque suivant l'aveu même de Terre de Sienne, il a été envisagé à cette période une rupture anticipée à laquelle Carrefour a renoncé.

Terre de Sienne prétend qu'au contraire elle aurait été confortée dans sa relation oralement par Carrefour, ce dont elle n'apporte aucune preuve, alors que de son côté Carrefour prétend avoir informé Terre de Sienne dès septembre 2006 oralement de ce que la relation cesserait une fois achevée la conception des rapports annuel et de développement durable.

Dans le document remis en octobre 2006 à Terre de Sienne par Carrefour intitulé "Brief rapport annuel et rapport développement durable Groupe Carrefour 2006", il est rappelé que cette dernière organisera un appel d'offres en 2007 regroupant des agences choisies par la direction, ce qui confirmait encore le recours à la mise en compétition et l'absence de pérennité acquise de la relation.

Terre de Sienne ne prouve donc pas comme elle le soutient que la cessation de la relation avec Carrefour au terme convenu depuis 2004 aurait été soudaine et inattendue.

La qualité du travail de Terre de Sienne que Carrefour ne discute pas est indifférente à la solution du litige sur ce point.

Dans ces conditions, même si le courant d'affaires entre Carrefour et Terre de Sienne a duré près de six années au total, Terre de Sienne, qui était de longue date informée que la relation avec Carrefour prendrait fin après la publication des rapport annuel et rapport développement durable de 2006, ce qui lui a été encore confirmé en octobre 2006, alors que rien ne lui a raisonnablement donné à croire qu'elle pouvait se prolonger au-delà, manque à prouver que Carrefour aurait brutalement rompu une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce.

Sur la perte de chance

Terre de Sienne écrit dans ses conclusions que Carrefour aurait dû lui offrir de bonne foi une chance de contracter en l'invitant à participer à l'appel d'offres qu'elle organisait et sollicite l'indemnisation de la perte de chance en résultant mais ne reprend pas dans ses écritures l'argumentation qu'elle avait développée en première instance et n'invoque aucune pièce en particulier.

Carrefour bénéficiait de la liberté de contracter et donc de mettre en concurrence les agences de son choix. Il n'est pas démontré qu'elle se soit engagée envers Terre de Sienne à la faire participer à l'appel d'offres ou qu'elle ait seulement laissé croire à Terre de Sienne qu'elle l'inviterait à participer à l'appel d'offres à intervenir en 2007.

Le seul fait de ne pas avoir retenu Terre de Sienne dans les partenaires potentiels ne suffit pas à établir la mauvaise foi de Carrefour et ne justifie pas d'un comportement fautif de sa part.

En l'absence de toute faute de Carrefour de nature à engager sa responsabilité envers Terre de Sienne, le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Les dépens seront à la charge de la société Terre de Sienne.

L'équité commande de la condamner à payer à Carrefour une indemnité de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Condamne la société Terre de Sienne aux d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP Lissarrague Dupuis Boccon-Gibod, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne à payer à la société Carrefour une indemnité de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La déboute de sa demande au même titre.