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Décisions

CA Angers, ch. com., 8 mars 2011, n° 09-01731

ANGERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Pack'West (EURL)

Défendeur :

Arca (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Vallée

Conseillers :

Mmes Rauline, Schutz

Avoués :

SCP Gontier-Langlois, SCP Deltombe, Notte

Avocats :

Mes de Mascureau, Bordas

T. com. Angers, du 24 juin 2009

24 juin 2009

L'EURL Pack'West commercialise, auprès de coopératives du Groupe Orcab, des matériaux destinés à la construction bois et se fournissait auprès d'un grossiste, la SARL Arca qui est dirigée, comme la société SCAB, une filiale, par Monsieur René Chambard ;

Entre décembre 2007 et février 2008, la SARL Arca a livré à l'EURL Pack'West différents matériaux ; l'EURL Pack'West a refusé de payer les factures correspondantes ;

Par exploit en date du 1er août 2008, la SARL Arca a fait comparaître l'EURL Pack'West devant le Président du Tribunal de commerce d'Angers, siégeant en audience de référés, aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 21 761,05 euro résultant de 9 factures, outre une indemnité de procédure de 1 250 euro ;

L'EURL Pack'West a résisté à cette demande et invoqué des actes de concurrence déloyale et le non-respect d'une clause d'exclusivité par son adversaire ;

Le juge des référés a renvoyé les parties à se pourvoir au fond ;

La SARL Arca a repris ses prétentions, le 17 novembre 2008, devant le Tribunal de commerce d'Angers ;

Par jugement en date du 24 juin 2009, le Tribunal de commerce d'Angers a condamné l'EURL Pack'West aux dépens et à payer à la SARL Arca, outre une indemnité de procédure de 1 250 euro, la somme de 21 761,05 euro, assortie, par application de l'article L. 441-6 du Code de commerce, des intérêts au taux appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement, majoré de 7 points :

- à compter du 5 décembre 2007 sur la somme de 3 322,24 euro ;

- à compter du 18 décembre 2007 sur la somme de 4 568,48 euro ;

- à compter du 19 décembre 2007 sur la somme de 2 746,06 euro ;

- à compter du 15 janvier 2008 sur la somme de 4 571,64 euro ;

- à compter du 21 janvier 2008 sur la somme de 1 787,43 euro ;

- à compter du 30 janvier 2008 sur la somme de 80,02 euro ;

- à compter du 20 février 2008 sur la somme de 1 190,35 euro ;

- à compter du 20 février 2008 sur la somme de 2 443,18 euro ;

- à compter du 28 février 2008 sur la somme de 1 052,65 euro ;

Ce même jugement a débouté l'EURL Pack'West de l'ensemble de ses prétentions ;

Le 24 juillet 2009, l'EURL Pack'West a relevé appel de ce jugement ;

LA COUR,

Vu la déclaration d'appel ;

Vu les dernières conclusions de l'EURL Pack'West en date du 29 décembre 2010 demandant à la cour d'infirmer le jugement et par nouvelle décision, de :

- débouter la SARL Arca de ses demandes, au motif que l'offre de restitution des marchandises faite par la concluante est satisfactoire, et au motif que la rupture des relations contractuelles résulte des fautes de la SARL Arca ;

- faire interdiction à la SARL Arca de démarcher et commercer, directement et indirectement, par l'entremise de sa partenaire, la société SCAB, avec les sociétés du Groupe Orcab, Groupe Anjac, Foussier, Larivière, Tanguy, Gedimo et plus généralement avec les clients de la concluante, sous astreinte de 5 000 euro par infraction constatée ;

- condamner la SARL Arca aux dépens et à lui payer, sur le fondement de l'article 1382 et 1383 du Code civil, la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts et 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières écritures de la SARL Arca en date du 8 décembre 2010 demandant à la cour de confirmer le jugement et y ajoutant, de condamner l'appelante aux dépens d'appel et au paiement d'une indemnité de procédure de 3 500 euro ;

Attendu que l'EURL Pack'West expose qu'un de ses salariés, Eric Metivier qui lui était lié, contre indemnité, par une clause de non-concurrence durant une année après le départ de l'entreprise, a démissionné le 29 décembre 2007 et a été embauché par la société SCAB qui a le même dirigeant, le même siège social et la même activité que la SARL Arca, puis que la société SCAB est devenue le fournisseur du Groupe Orcab au lieu et place de la concluante, dont le chiffre d'affaires s'est effondré en 2008; que M. Métivier a été condamné par un jugement du Conseil des prud'hommes d'Angers du 29 novembre 2010 ;

Qu'elle reproche ensuite à la SARL Arca d'avoir donné un accord d'exclusivité à la société SCAB envers le client Orcab, contrairement à l'accord passé entre l'appelante et l'intimée en date du 25 novembre 2005 ; qu'elle forme de ce chef le grief de rupture brutale et injustifiée d'une relation commerciale établie ;

Qu'elle prétend que la SARL Arca n'était pas hostile à la restitution des agrafes et pointes commandées, puisque la clientèle de l'EURL Pack'West s'était effondrée mais qu'elle a imposé une décote inadmissible des marchandises ;

Attendu que la SARL Arca rétorque que c'est l'EURL Pack'West qui a rompu les relations en annulant ses commandes par lettre du 21 mars 2008 alors que les marchandises étaient livrées, que ce n'est pas elle mais la société SCAB qui a embauché M. Metivier avec la mention de la clause de non-concurrence à respecter durant un an, et qu'elle et la société SCAB n'ont commis aucune manœuvre déloyale, qu'enfin, l'engagement d'exclusivité ne portait que sur le produit Hitachi NR 90 GC (clous) et était dans le temps limité à la période où les parties étaient en relations contractuelles ;

Sur ce,

Sur le grief de violation de l'accord de distribution sélective :

Attendu qu'un contrat de référencement peut être établi par tous moyens ; qu'il suffit qu'il résulte d'un faisceau d'indices établissant la nature et l'étendue des produits sur lequel il porte ;

Qu'en l'espèce, les factures prétendues impayées démontrent que le commerce entre la SARL Arca et l'EURL Pack'West portait principalement, et pour des sommes et quantités importantes, sur des pointes et des agraphes destinées aux travaux du bâtiment ;

Que le courrier dressé de façon manuscrite le 25 novembre 2005 par l'EURL Pack'West et sur lequel la SARL Arca a porté son visa et sa signature, interdisait à la SARL Arca la revente à différents clients nommément désignés, de la marchandise du cloueur Hitachi, hors réseau de l'EURL Pack'West ;

Qu'il est de notoriété publique que le cloueur Hitachi fabrique et exporte des pointes et agrafes employées sur les chantiers de construction; que la procédure prud'homale a permis de démontrer que M. Eric Metivier qui jusqu'en décembre 2007, revendait ces matériaux auprès des coopératives du Groupe Orcab et d'autres clients, a cessé de le faire pour le compte de l'EURL Pack'West à compter de son départ de cette entreprise et a démarché ensuite ces mêmes coopératives et clients pour le compte de la société SCAB ;

Qu'alors, en acceptant de fournir en marchandises du cloueur Hitachi à compter de 2008 la société SCAB au mépris de son engagement contractuel d'exclusivité souscrit en novembre 2005 au bénéfice de l'EURL Pack'West, la SARL Arca a commis une violation qui l'oblige à réparation sur le fondement de l'article L. 442-6 I du Code de commerce ;

Que la cour prendra comme juste et fondé, pour apprécier le dommage subi, eu égard à la durée des relations contractuelles (un peu plus de 2 années), le délai d'une année qui eût été nécessaire à la SARL Arca pour dénoncer à l'EURL Pack'West le contrat de référencement ;

Que toutefois, en raison du principe de liberté du commerce qui doit prévaloir et parce que la rupture des relations entre les parties est effective depuis, maintenant, plus de 3 années, la cour ne fera pas droit à la demande tendant à interdire à la SARL Arca de commercer, pour l'avenir, avec les anciens clients de l'EURL Pack'West ;

Sur le grief de concurrence déloyale :

Attendu qu'il est constant que M. Eric Metivier a donné congé, le 29 décembre 2007, de son emploi de responsable technique et commercial de l'EURL Pack'West, qu'il a quitté cet employeur le 29 février 2008 et a été embauché, dès le 4 mars 2008, par la société SCAB, dont le dirigeant n'est autre que M. Chambard, également gérant de la SARL Arca ;

Qu'il convient de noter que M. Chambard est associé majoritaire dans la SARL Arca, que la société SCAB est une filiale de la SARL Arca, et que c'est M. Chambard lui-même qui a dressé, en sa qualité de gérant de la filiale, le nouveau contrat de travail d'Eric Metivier dont il savait qu'il était lié avec l'EURL Pack'West par une clause de non-concurrence puisque celle-ci est rappelée dans le contrat de travail signé le 4 mars 2008 ;

Attendu ensuite que la SARL Arca et la société SCAB ont surtout, outre le même siège social et le même dirigeant, la même activité de grossiste en bois ; qu'elles avaient donc potentiellement des clients communs ou très approchants ; qu'il s'en déduit que la société SCAB ne pouvait qu'être intéressée par les clients, dont plusieurs coopératives, que l'EURL Pack'West alimentait jusque-là en matériaux de construction ;

Qu'il ressort d'ailleurs de l'audition du 26 avril 2010 devant le Conseil des prud'hommes d'Angers de MM. Ordonneau et Pelloquin, salarié et assistant de direction de deux coopératives différentes se fournissant jusque-là auprès de l'EURL Pack'West, qu'entre janvier 2008 et janvier 2009, ces coopératives ont continué leurs contacts et leurs commandes avec Eric Metivier en sa qualité de nouveau salarié de la SCAB, parce qu' " elles souhaitaient que leurs clients gardent la même façon de travailler qu'avec l'EURL Pack'West " ;

Que M. Pelloquin a ajouté qu'il avait été démarché par M. Chambard ;

Or, attendu que M. Chambard ne pouvait connaître l'identité des clients de l'EURL Pack'West qu'en sa qualité de dirigeant de la SARL Arca, grossiste alimentant l'EURL Pack'West en produits bois, laquelle les revendait à ces coopératives ;

Qu'ainsi, la SARL Arca, par les agissements de son dirigeant, a fait acte de détournement de clientèle au profit de la SCAB et au détriment de l'EURL Pack'West ;

Qu'il n'est pas sans intérêt de relever aussi que, quelques mois après qu'Eric Metivier ait fait usage au profit de la société SCAB du carnet de clientèle de l'EURL Pack'West, la SARL Arca lui a cédé 49 % de ses parts dans sa filiale, la société SCAB ; que cette cession qui s'assimile comme une véritable récompense par la SARL Arca d'avoir détourné la clientèle de l'EURL Pack'West au profit de la société SCAB corrobore le détournement de clientèle et donc les actes positifs de concurrence déloyale imputables à la SARL Arca au préjudice de l'EURL Pack'West ;

Qu'il n'est pas nécessaire que l'auteur de la concurrence déloyale ait profité lui-même et directement de l'acte déloyal ; qu'il peut l'avoir fait pour le compte et le profit d'un tiers, en l'espèce la société SCAB ; que cette circonstance ne fait pas disparaître pour autant sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard de la personne qui en est victime ;

Que la cour estime donc les éléments de preuve suffisants apportés par l'EURL Pack'West pour dire que la SARL Arca a commis à l'encontre de cette dernière des actes de concurrence déloyale et la condamner à réparation de préjudice en découlant ;

Sur la réparation des préjudices subis par l'EURL Pack'West :

Attendu que l'EURL Pack'West sollicite réparation de son préjudice financier subi par l'EURL Pack'West du fait de la rupture brutale de la convention de distribution du produit Hitachi et consécutif à la concurrence déloyale, et réparation de son " préjudice commercial lié à la déstabilisation de la clientèle " ;

Attendu que l'EURL Pack'West entend faire supporter, par la SARL Arca, sur la perte de son chiffre d'affaires en 2008, la quote-part de ses charges d'exploitation, hors achats et variation de stock ;

Qu'effectivement, en 2007, pour un chiffre d'affaires annuel de 671 636 euro, l'EURL Pack'West a supporté des charges externes, salaires, impôts et charges sociales de 264 477 euro soit 39 % de son chiffre d'affaires ; qu'en 2008, elle a supporté, au titre de ces mêmes charges, 233 938 euro, correspondant à 52 % de son chiffre d'affaires annuel (449 498 euro);

Que la différence de quote-part (52-39 = 13 %) de ses charges fixes dans le chiffre d'affaires 2008, représente une dépense incompressible dont elle est fondée à solliciter remboursement par la SARL Arca, soit une somme de 449 498 euro multipliée par 0,13 = 58 434 euro ;

Qu'il y a lieu de noter par ailleurs que cette somme représente aussi, approximativement, le résultat d'exploitation sur 3 années que l'EURL Pack'West faisait quand sa clientèle n'avait pas été détournée, tandis qu'en 2008, ce résultat s'est réduit à - 91 euro ; qu'elle est donc une juste réparation du préjudice supporté par l'EURL Pack'West durant le délai moyen nécessaire de 3 années pour reconstituer une nouvelle clientèle ;

Sur la demande de la SARL Arca en paiement de factures :

Attendu que la SARL Arca verse aux débats les bons de commande, les bons de livraison et les 9 factures justifiant sa créance à l'encontre de l'EURL Pack'West pour le montant fixé par le premier juge ;

Que l'EURL Pack'West entend, pour refuser le paiement de ces factures, opposer des actes de concurrence déloyale qu'elle reproche à sa co-contractante ainsi que le non-respect d'une clause d'exclusivité ; qu'elle prétend aussi que c'est la SARL Arca qui est à l'origine de la rupture des relations entre les parties et qu'enfin, la SARL Arca aurait accepté la restitution en nature des matériaux livrés ;

Mais attendu que l'exception d'inexécution ne peut pas être invoquée à propos d'obligations qui ne sont pas nées d'une même convention ; que le préjudice de l'EURL Pack'West consécutif aux actes de concurrence déloyale et à la rupture brutale de la convention d'exclusivité a déjà été ci-dessus examiné et réparé et ne la dispense pas d'acquitter le prix des marchandises dont elle a profité ;

Que c'est bien elle et non la SARL Arca qui a entendu, la première, par sa lettre du 7 mars 2008 " dénonçant le partenariat et retournant les dernières livraisons ", mettre fin aux relations contractuelles ;

Et que le contrat faisant la loi entre les parties, il convient de relever que l'EURL Pack'West ne rapporte pas la preuve que la SARL Arca a accepté de reprendre les marchandises, objet des factures, et a renoncé à en exiger le règlement ; que bien au contraire, il est établi par les courriers échangés entre les parties d'avril à juillet 2008 (pièces 14 à 19 SCP Deltombe) que les parties ne sont pas tombées d'accord sur la valeur des marchandises à restituer et que le litige les opposant de ce chef reste non solutionné ;

Que le jugement déféré sera donc confirmé, du chef de la condamnation de l'EURL Pack'West au paiement à la SARL Arca des factures, outre intérêts de retard ;

Sur les dépens et les indemnités de procédure :

Attendu qu'en équité, chaque partie assumera la charge de sa défense personnelle ;

Que les dépens seront à la charge de la SARL Arca dont les manquements ont été à l'origine du conflit ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme le jugement déféré du chef de la condamnation de l'EURL Pack'West au paiement à la SARL Arca des 9 factures, outre intérêts, et du chef du rejet de l'offre de restitution des marchandises ; Infirme le jugement pour le surplus et statuant à nouveau : Condamne la SARL Arca à payer à l'EURL Pack'West la somme de 58 434 euro avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ; Ordonne compensation entre les créances respectives à due concurrence de la plus faible ; Rejette, comme non fondée, toute plus ample prétention. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SARL Arca aux dépens, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.