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Décisions

CA Poitiers, 1re ch., 4 mars 2011, n° 09-03904

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brochard Transports (SARL)

Défendeur :

HM Voyages (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martin-Pigalle

Conseillers :

Mmes Contal, Kamianecki

Avoués :

SCP Musereau Mazaudon Provost-Cuif, SCP Tapon Michot

Avocats :

Mes Audureau-Rousselot, Texier

T. com. Niort, du 21 oct. 2009

21 octobre 2009

Faits et procédure

Le 20 avril 2005 la société HM Voyages a répondu, en qualité de titulaire du marché, à un appel d'offres du Conseil général des Deux-Sèvres concernant des " transports routiers non urbains de voyageurs ", en l'espèce des prestations de transport scolaire par cars. Elle a proposé deux sous-traitants, les sociétés Voyages Chargelegue et Voyages Brochard.

Le 17 juin 2005 la société HM Voyages a signé avec le Conseil général des Deux Sèvres un acte d'engagement.

Par actes spéciaux du 21 octobre 2005 et du 21 décembre 2006 le Conseil général des Deux Sèvres a accepté la sous-traitance de la société Voyages Brochard.

Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 30 septembre 2008 la société HM Voyages a informé la société Voyages Brochard qu'elle résiliait les contrats de sous-traitance avec effet au 1er janvier 2009.

La société Voyages Brochard a refusé cette rupture et a indiqué qu'elle envisageait de poursuivre ses prestations.

Par acte spécial modificatif en date du 18 décembre 2008, notifié le même jour, le Conseil général des Deux Sèvres a mis fin à la sous-traitance de la société Brochard Voyages à compter du 1er janvier 2009.

Par assignation délivrée le 10 avril 2009 la société Brochard Voyages s'est prévalue de l'article L. 442-6 du Code de commerce et de l'article 1134 du Code civil pour solliciter la condamnation de la société HM Voyages à l'indemniser du préjudice financier résultant de la rupture des relations contractuelles.

Par jugement du 21 octobre 2009 le Tribunal de commerce de Niort a notamment déclaré que la rupture du contrat de sous-traitance était brutale, que la société Brochard Voyages avait subi un préjudice, condamné la société HM Voyages à lui payer une somme de 21 900 euro à titre de dommages-intérêts, outre celle de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté par la société Brochard Voyages ;

Vu les conclusions du 23 décembre 2010 par lesquelles l'appelante demande notamment à la cour de réformer la décision déférée en condamnant la société HM Voyages à lui payer une somme de 245 679 euro à titre de dommages-intérêts, et subsidiairement d'ordonner une expertise judiciaire pour évaluer son préjudice financier ;

Vu les conclusions du 4 novembre 2010 par lesquelles la société HM Voyages sollicite notamment la réformation de la décision déférée, la société Brochard Voyages devant être déboutée de l'ensemble de ses prétentions ;

Sur ce

Les parties admettent qu'elles se sont rapprochées courant 2005 pour que la société HM Voyages réponde le 20 avril 2005 à un appel d'offres du Conseil général des Deux Sèvres concernant " les transports routiers non urbains de voyageurs ", en l'espèce du transport scolaire.

Il s'évince de ce document que la société HM Voyages se présente comme mandataire principal, ayant deux sous-traitants les sociétés Voyages Chargelegue et Voyages Brochard.

L'acte d'engagement régularisé le 17 juin 2005 concerne uniquement la société HM Voyages, alors que des co-traitants auraient pu être envisagés.

Le cahier des charges générales relatif à ce marché public de services régit dans la rubrique 2-3 les conditions de sous-traitance. Il prévoit que le contractant peut sous-traiter à des tiers une partie des services objets du marché, mais, sous réserve de l'accord exprès de l'Autorité organisatrice, le contractant restant seul responsable vis-à-vis du département et des tiers de l'exécution des services confiés aux sous-traitants.

Par actes spéciaux de sous-traitance en date du 21 octobre 2005 et du 21 décembre 2006, notifiés à la société Brochard, respectivement les 24 octobre 2005 et le 26 décembre 2006, le Conseil général des Deux Sèvres a accepté la sous-traitance de la société Brochard. Ces actes ont précisé que la société Brochard serait payée directement par le Conseil général et ont visé l'existence d'une tranche ferme et d'une tranche conditionnelle, dont les montants prévisionnels ont été évalués aux sommes de 2 710 751,69 euro TTC pour la première et 57 788,09 euro pour la seconde.

Ces actes se réfèrent à l'acte d'engagement principal (n° marché 79 980 00 05 172) dans lequel la durée de la tranche ferme est fixée à une cinq années, et celle de la tranche conditionnelle à deux années débutant soit à la rentrée scolaire 2010, ou au plus tard le 1er septembre 2010.

Par lettre du 14 août 2008 le Conseil général des Deux Sèvres a indiqué à la société HM Voyages que " l'acte spécial de sous-traitance constituait un lien uniquement entre la personne publique et le titulaire du marché, puisqu'il avait pour objet, sur présentation du titulaire du marché, d'habiliter le sous-traitant proposé et d'agréer ses conditions de paiement ".

Cette analyse est conforme aux mentions figurant sur les actes spéciaux et déjà discutées dans les motifs précédents.

Les parties conviennent au surplus l'une et l'autre dans leurs écritures, être liées uniquement par une convention de droit privé, conclue entre l'entrepreneur principal titulaire du marché public, à savoir la société HM Voyages, et un de ses sous-traitants, à savoir la société Brochard. Elles ne critiquent donc pas la décision déférée sur cette appréciation des relations contractuelles.

Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 30 septembre 2008 la société HM Voyages a informé la société Brochard qu'elle résiliait avec effet au 1er janvier 2009 les conventions de prestations de sous-traitance acceptées par les actes spéciaux.

Elle a ajouté qu'elle reprenait " donc en direct " l'exploitation de ses marchés avec la Conseil général des Deux Sèvres, et que le préavis qu'elle " consentait " pouvait permettre d'examiner l'ensemble " des possibilités et modalités de transfert des contrats de travail des chauffeurs, et le cas échéant des matériels roulants affectés à ces services ".

Si la société Brochard s'est initialement opposée à cette rupture en arguant d'un contrat la liant directement au Conseil général des Deux Sèvres elle s'appuie désormais sur les conditions de la résiliation notifiée par la société HM Voyages pour solliciter l'indemnisation de son préjudice. Il est donc sans intérêt de discuter de ses premières argumentations désormais abandonnées.

S'agissant de relations entre commerçants, les premiers juges ont à juste titre vérifié les conditions d'application de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce.

La société HM Voyages soutient à tort qu'ils ne pouvaient dans cette hypothèse se substituer aux parties pour élaborer un nouveau délai de préavis.

En effet, l'appréciation du délai de 3 mois imposé par la société HM Voyages dans sa lettre de résiliation en date du 30 septembre 2008 impliquait, si ce délai n'était pas conforme aux stipulations contractuelles ou aux usages professionnels, d'envisager un nouveau délai qualifié de raisonnable au visa des critères précités, afin de fixer le préjudice de la société Brochard.

La société HM Voyages et la société Brochard n'ont pas signé entre elles de contrat particulier définissant les conditions de la sous-traitance, notamment sur sa durée et les conditions de résiliation.

Il s'en déduit que pour apprécier les conditions de la résiliation annoncée par la société HM Voyages dans sa lettre du 30 septembre 2008 les premiers juges ont à juste titre analysé l'économie générale du contrat de sous-traitance tel qu'il résultait du marché public et des actes spéciaux.

La lettre du 30 septembre 2008 n'a été précédée d'aucune mise en garde permettant à la société Brochard d'envisager que son contrat de sous-traitance allait prendre fin.

La société HM Voyages qui ne peut contester avoir ainsi pris une décision unilatérale de rupture n'a pas motivé son choix autrement que par sa volonté d'exercer " en direct " l'exploitation du marché. Sans articuler de grief contre son sous-traitant, le titulaire du marché public récupérait par cette démarche l'entier bénéfice de ce marché et servait donc ses propres intérêts.

Cette position de la société HM Voyages caractérise donc une rupture imprévisible et brutale, sans motif sérieux et légitime.

En outre les premiers juges ont exactement rappelé que le transport en cause portant sur du transport scolaire, la société HM Voyages aurait dû tenir compte de la particularité de cette prestation, pour accorder à son sous-traitant un préavis lui permettant de rechercher de nouveaux marchés à la prochaine rentrée scolaire.

Ainsi le délai de préavis limité à 3 mois, avec effet au 1er janvier 2009, en cours d'année d'exploitation était insuffisant.

La société HM Voyages, qui ne se prévaut d'aucun motif précis de résiliation, susceptible de justifier cette date retenue tout aussi unilatéralement, n'explique pas pourquoi elle a attendu le 30 septembre 2008, donc le démarrage d'une année scolaire pour informer son sous-traitant de ses intentions, alors qu'elle aurait pu l'aviser avant l'été 2008 de ses intentions de modification des relations contractuelles, ce qui aurait permis à la société Brochard de s'organiser dès la rentrée scolaire 2008.

Ce revirement soudain, en cours d'année scolaire, exprime une déloyauté dans les relations contractuelles puisque la société Brochard se trouvait privée de marché sans avoir pu l'anticiper.

Si la société HM Voyages était tenue de proposer la continuité des contrats de travail des salariés de la société Brochard, sa proposition de reprendre aussi, certes éventuellement, le parc automobile s'avère empreinte de mauvaise foi.

En effet alors qu'en cours d'année scolaire la société Brochard se trouvait privée d'une partie de ses prestations, ce qui engendrait des difficultés à amortir les crédits-bails contractés pour obtenir du matériel roulant, l'offre de la société HM Voyages aboutissait à convaincre la société Brochard, qu'elle avait mise au préalable en difficultés, à lui céder ses moyens d'exploitation.

L'ensemble de ces motifs caractérise une attitude fautive de la société HM Voyages, engageant sa responsabilité en application de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce.

La société HM Voyages se limite à nier toute responsabilité pouvant résulter de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce pour considérer que la société Brochard n'a subi aucun préjudice. Elle ne forme aucune demande subsidiaire pour le cas où sa faute serait retenue.

Les motifs déjà développés confirment que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le préavis aurait dû être donné avec effet au 1er septembre 2009.

Il s'en déduit que la société Brochard est fondée à demander réparation de la perte d'exploitation subie jusqu'à cette date.

La société Brochard produit une attestation de son expert comptable, que la société HM Voyages ne discute pas. Il en résulte que le manque à gagner pour l'année 2009, consécutif à la reprise par la société HM Voyages des lignes régulières exploitées en sous-traitance pour le compte du Conseil général des Deux Sèvres, s'est élevée à la somme de 70 194 euro.

L'analyse de l'économie de l'acte d'engagement principal et des actes spéciaux de sous-traitance permet de retenir que la société Brochard bénéficiait d'un contrat d'une tranche ferme expirant à la rentrée de septembre 2010. Elle ne peut donc solliciter l'indemnisation d'un préjudice financier concernant la tranche postérieure, qualifiée de conditionnelle.

Les montants du marché applicable à cette tranche ferme ont seulement été envisagés à titre prévisionnel dans les actes spéciaux.

Si la résiliation décidée par la société HM Voyages a privé la société Brochard de la possibilité de poursuivre jusqu'au terme de la tranche ferme le contrat de sous-traitance, celle-ci peut, compte tenu des motifs précédents, seulement se prévaloir d'une perte d'une chance de poursuivre jusqu'à la rentrée 2010 ses prestations et d'en obtenir des revenus.

La cour s'estime suffisamment informée pour apprécier à 20 000 euro l'indemnisation de cette perte de chance.

En conséquence la décision déférée sera réformée sur le montant des condamnations à paiement.

Par ces motifs, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a retenu que la rupture du contrat de sous-traitance avait été brutale, déclaré que la société Brochard Transports avait subi un préjudice et statué sur les frais irrépétibles et les dépens la reforme sur le montant de la condamnation à titre de dommages-intérêts et statuant à nouveau, Condamne la société HM Voyages à payer à la société Brochard Transports la somme de 90 194 euro à titre de dommages-intérêts, Y ajoutant, Condamne la société HM Voyages à payer à la société Brochard une somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ; Condamne la société HM Voyages aux dépens et autorise l'application de l'article 699 du Code de procédure civile.