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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 mars 2011, n° 08-10928

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Camafra (Sté)

Défendeur :

BCBG Max Azria Group (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Narrat Peytavi, SCP Baufume Galland Vignes

Avocats :

Mes Tiquant, Gondard

T. com. Paris, du 10 avr. 2008

10 avril 2008

LA COUR,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 10 avril 2008, qui, dans un litige entre la société de droit marocain Camafra, commercialisant au Maroc des vêtements de la marque Alain Manoukian, et la SAS BCBG Max Azria Group, exerçant sous l'enseigne Alain Manoukian, a prononcé la résiliation, à compter du 23 juillet 2007, du contrat de franchise ayant lié les parties, aux torts partagés de celles-ci et accordé 1 euro de dommages et intérêts à la société Camafra ;

Vu l'appel de la société Camafra et ses conclusions du 1er janvier 2011 par lesquelles elle demande notamment à la cour de prononcer la résiliation du contrat de franchise Manoukian Homme aux torts et griefs de la société BCBG; la nullité, subsidiairement la résiliation aux mêmes torts, de l'avenant du 27 octobre 2006 ; condamner la société BCBG Max Azria à lui payer, à titre de dommages et intérêts, les sommes de 50 000 euro pour ne pas l'avoir mise en demeure d'apprécier l'intérêt de signer l'avenant; 491 900 euro pour perte du fonds de commerce, 364 420,08 euro, subsidiairement 267 978 euro pour perte de marge jusqu'au 31 juillet 2009, date normale de l'expiration du contrat; 3 800 euro pour perte sur les dépenses de communication, 33 000 euro pour les aménagements du magasin, 60 000 euro pour les offres sur le magasin femme de la franchise du magasin homme, 100 000 euro pour la brusque rupture du contrat de licence de fabrication, le tout avec intérêts " de droit " à compter de l'assignation, 56 000 euro pour les frais fixes liés à la franchise, 200 000 euro pour préjudice moral, 50 000 euro pour perte du contrat de distribution exclusive des produits de la marque Manoukian, subsidiairement désigner un expert, avec paiement par BCBG d'une provision de 200 000 euro et réclame 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 17 janvier 2011 de la société BCBG Max Azria Group, exerçant sous l'enseigne Alain Manoukian, qui demande à la cour de débouter la société Camafra de toutes ses demandes ; confirmer le jugement sauf en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts partagés et accordé à Camafra des dommages et intérêts ; prononcer cette résiliation aux torts exclusifs de Camafra ; subsidiairement ramener à 1 euro l'indemnisation de la société Camafra ; " prendre acte de ses protestations et réserves " concernant la désignation d'un expert, et réclame 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que le 15 mars 2003, la société Camafra a conclu avec la société Manoukian, aux droits de laquelle vient BCBG Max Azria par suite de fusion, d'un contrat pour la distribution sur le territoire du Maroc des produits Manoukian homme et femme, puis le 3 avril 2008 un contrat de franchise pour l'exploitation d'une boutique femme à Casablanca, venu à expiration le 30 juin 2008 et qui n'a pas été renouvelé, ainsi que, le 1er juillet 2004, un contrat de franchise, qui devait venir à expiration le 31 juillet 2009, pour l'exploitation d'une boutique homme, qui lui-même a fait l'objet d'un avenant le 27 octobre 2006 ; que Camafra reproche à BCBG d'avoir cessé de l'approvisionner en vêtements pour homme à partir de la fin de l'année 2006 ; que les parties ont procédé à divers échanges, notamment en juillet 2007 exprimant leurs désaccords, et que Camafra a déposé l'enseigne Manoukian pour sa boutique homme le 14 septembre 2007 en informant BCBG par lettre le même jour ; que la cour se réfère pour le surplus à l'exposé des faits du tribunal ;

Considérant que l'appelante demande que soit prononcée la nullité de l'avenant du 27 octobre 2006 ; que l'intimée oppose l'irrecevabilité de cette demande, non formulée devant le tribunal, sur le fondement de l'article 564 du Code de procédure civile ;

Mais considérant que BCBG, qui ne conteste pas sérieusement avoir, à partir de la fin 2006 cessé d'approvisionner la société Camafra en vêtements pour la boutique homme, tire argument, à l'appui de sa contestation quant au manquement à ses obligations contractuelles, de l'avenant d'octobre 2006 qui permettrait d'approvisionner la boutique homme en robes (pour femmes apparemment), chaussures et petits accessoires ; qu'il s'agit d'un point essentiel de son argumentation qui implique que ces produits auraient pu se substituer entièrement aux vêtements pour homme quant à la fourniture de la boutique homme ; que c'est sur ce fondement qu'elle conteste toute faute de sa part et reproche à Camafra de ne pas avoir accepté cette substitution ; que dès lors la contestation par Camafra de la validité de l'avenant, qui n'a aucune autonomie par rapport au litige principal, tend d'une part à faire écarter les prétentions adverses et d'autre part à l'obtention de la réparation des conséquences de l'arrêt de la fourniture de vêtements pour homme de la boutique homme objet du contrat de franchise litigieux, et donc aux mêmes fins que les demandes présentées devant les premiers juges ; qu'il s'ensuit qu'elle est recevable ;

Considérant que, par courrier du 16 février 2007, la société BCBG a informé la société Camafra qu'elle ne pourrait pas lui confier la collection homme griffée Alain Manoukian sous licence, ajoutant " notre plan de restructuration dans lequel nous avons arrêté l'homme nous interdit de commercialiser sous quelque forme que ce soit cette ligne griffée sous la marque Alain Manoukian. Nous vous conseillons de vous rapprocher de notre PDG M. Simon Azria pour étudier d'autres possibilités de distribution de cette gamme " ; que malgré cette dernière phrase, BCBG a, par ce message, mis fin unilatéralement au contrat de franchise pour la ligne homme, supprimant son objet même; que la livraison d'échantillons le 7 février 2007 n'y change rien, non plus que les moyens, licites ou non, contrefaisants selon BCBG, de pallier à cette situation, qui auraient été mis en œuvre par Camafra, la contrefaçon alléguée faisant l'objet d'une instance au Maroc et étant hors du présent litige; que la rupture du contrat, aux termes mêmes du message précité ainsi qu'à ceux d'un message interne de BCBG du 26 janvier 2007 mentionnant le " choix stratégique " d'arrêter la ligne homme, est du seul fait de BCBG, sans qu'aucun manquement soit reproché à Camafra; que cette dernière a négocié ensuite pendant plusieurs mois la mise en place de solutions alternatives; qu'elle n'était aucunement obligée de les accepter, que l'échec des négociations est d'autant moins constitutif d'une faute de la part de Camafra qu'il n'apparaît même pas que BCBG ait fait une offre concernant les " robes chaussures et accessoires " objet de l'avenant du 27 octobre 2006 ci-dessous examiné; que par la dépose de l'enseigne en septembre 2007, elle n'a fait que tirer la conséquence de la situation, aucune livraison de vêtement pour homme n'ayant alors eu lieu plusieurs mois ni ne pouvait avoir lieu dans l'avenir;

Considérant que BCBG invoque un avenant au contrat de franchise en date du 27 octobre 2006 stipulant en son article 1er " Modification des produits prévus au contrat " : les parties conviennent que la société BCBG Max Azria Group SAS pourra indifféremment proposer au franchisé des produits de la classification " homme " ou des produits de la classification " robes, chaussures et pièces accessoires. Le franchisé ne pourra réclamer aucune indemnité ni mettre en cause la responsabilité de la société BCBG Max Azria Group sur la base de la classification proposée ";

Considérant que les parties interprètent ce texte de manière différente; que selon BCBG, il permet la substitution complète des " robes, chaussures et pièces accessoires " aux vêtements pour hommes; que pour Camafra, c'est seulement un complément; que le préambule de l'avenant mentionne en effet que " les parties ont décidé de se rapprocher pour mettre en place un plan d'action permettant d'introduire la classification " robes, chaussures et petits accessoires au sein de la boutique précédemment dédiée aux produits homme "; que le document n'est qu'un avenant, et ne remplace pas le contrat principal; que la novation ne se présume pas et doit être sans équivoque; que l'avenant n'indique pas que " l'introduction " pourrait signifier la " substitution ", ni que l'annexe au contrat de franchise définissant les vêtements homme objet du contrat soit devenue caduque;

Considérant que la tromperie résulte des termes mêmes de l'avenant qui sont ambigus et manifestement libellés pour justifier l'interprétation qu'en fait aujourd'hui BCBG, sans que cela soit clair pour Camafra; que lors de la conclusion de l'avenant, BCBG n'ignorait pas qu'elle avait, sinon définitivement décidé, - du moins envisagé - l'arrêt total de la ligne homme; que dans un courriel du 27 novembre 2006, un cadre de BCBG déclare avoir rencontré Max (Max Azria, le dirigeant) " la semaine dernière " soit quelques jours après la signature de l'avenant qui souhaite soit l'arrêter, soit le sous-traiter; que rien n'indique que Camafra ait été informée de cette situation lors de la signature de l'avenant; qu'il y eu réticence dolosive; que par courriel du 30 novembre 2006 le dirigeant de la société Camafra, M. Jacques Malick, a protesté contre le projet d'arrêt de la ligne homme, en déclarant " ce serait un coup dur pour le Maroc, si vous arrêtez la gamme homme aujourd'hui qui produit autant de chiffre d'affaires que la boutique femme, et cela au m2 ", suggérant au contraire de " développer le réseau homme en remplaçant éventuellement certains points de vente femme "; qu'il est donc évident que si Camafra avait connu les intentions de BCBG, dissimulées sous les termes ambigus et trompeurs de l'avenant du 27 octobre 2006, il n'aurait pas contracté celui-ci; qu'en outre, indépendamment du dol, il n'y a eu aucun accord de volonté concernant le contenu de cet avenant, chaque partie voulant des choses différentes et incompatibles;

Considérant qu'il s'ensuit que l'avenant précité est nul; que la cour ajoute surabondamment que même s'il n'en était pas ainsi, le dit avenant ne pourrait, en application des articles 1273 et 1162 du Code civil, être interprété comme le fait BCBG et donc justifier la rupture unilatérale du contrat par celle-ci;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la résiliation du contrat de franchise doit être prononcée à compter du 16 février 2007 aux torts exclusifs de la société BCBG;

Considérant sur la nature et le montant des préjudices que les deux parties présentent des études d'experts comptables, Camafra de la société Acden, BCBG de la société Aubart Aubergel, toutes deux de droit marocain; que ces études souffrent d'une part de la non-production et de la non-prise en considération des comptes, notamment du compte de résultats, de l'exercice 2007, d'autre part de l'absence de comptabilité analytique de la société Camafra, qui ne distingue pas entre les résultats de la boutique homme et ceux de la boutique femme; que les deux études, librement communiquées et discutées, constituent toutefois des bases d'évaluation; que le taux de conversion des dirhams en euros opérée par les parties n'est pas contesté ;

Considérant que les résultats de la société Camafra ont été en augmentation en 2006 par rapport à 2005, avec 45 170 euro de bénéfice contre 19 705 euro de perte en 2005, malgré une légère diminution du chiffre d'affaires, mais en raison d'une importante baisse des charges ; que le préjudice se calcule en tous cas sur la marge et non sur les bénéfices ; que la boutique homme était un élément essentiel du fonctionnement de l'entreprise ; que le cabinet Acden calcule la perte de marge sur un taux de 15 %, ce qui est raisonnable, mais avec une base de chiffre d'affaires prévisionnel de 484 000 euro en 2007, alors qu'il n'était que de 381 787 euro en 2006, soit une progression de plus de 10 % annoncé dans le tableau d'Acden ; que cette dernière prévoit encore un taux de progression de 10 % en 2008 et de 5 % en 2009 ; que compte tenu de l'effet d'entraînement et de la synergie entre les deux boutiques, le taux de progression apparaît raisonnable mais que la base d'évaluation en chiffre d'affaires est nettement supérieure à celle du bilan ; que la cour ramènera à 180 000 euro l'évaluation de la perte de marge prévisionnelle, au lieu des 236 340 euro du cabinet Acden ;

Considérant que la disparition de la marque Alain Manoukian de la boutique homme a entraîné une perte manifeste de valeur du fonds de commerce ; que le cabinet Acden évalue la perte de fonds de commerce à 430 000 euro le cabinet Aubergal à 91 389 euro ; qu'Acden déclare qu'il tient compte de l'emplacement du magasin, dans " le triangle d'or " de Casablanca ; mais que le cabinet Aubergal remarque justement que le fonds de commerce n'est pas totalement perdu, le droit au bail, notamment, étant conservé ; que la cour évaluera à 120 000 euro ce poste de préjudice ;

Considérant que la rupture prématurée du contrat a eu des incidences sur le chiffre d'affaires de la boutique femme, compte tenu de la synergie entre les deux, comme dit ci-dessus ; que les dépenses en termes de frais fixes liés à la franchise, à la communication, aux aménagements du magasin ont été rendues partiellement inutiles du fait de la rupture du contrat ; que la cour évalue à 70 000 euro le préjudice pour l'ensemble de ces postes, auxquels s'ajoute 30 000 euro de préjudice moral ; que les autres postes de préjudice économique ne sont pas spécifiques et distincts de ceux retenus ou en lien de causalité directe avec la faute de BCBG retenue par la cour, Camafra n'ayant notamment pas un droit au renouvellement des autres contrats ; qu'en définitive, il sera accordé à l'appelante 400 000 euro de dommages et intérêts, toutes causes incluses; que l'indemnité étant fixée par la cour, les intérêts au taux légal ne seront dus qu'à compter de l'arrêt;

Considérant qu'eu égard à l'ensemble des circonstances de l'affaire et à l'importance des écritures des parties, il est équitable d'accorder également à la société Camafra les 20 000 euro qu'elle demande pour ses frais irrépétibles.

Par ces motifs, - Infirme le jugement entrepris. - Prononce la résiliation du contrat litigieux à compter du 16 février 2007 aux torts exclusifs de la société BCBG Max Azria Group ainsi que la nullité de l'avenant du 27 octobre 2006. - Condamne la société BCBG Max Azria Group à payer à la société de droit marocain Camafra les sommes de 400 000 euro de dommages et intérêts et 20 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. - Déboute les parties de toutes autres demandes. - Met à la charge de la société BCBG Max Azria Group les dépens de 1re instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.