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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 février 2011, n° 09-05444

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Larzul (SAS)

Défendeur :

Camargo (SAS), Française de gastronomie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Touzery-Champion, Pomonti

Avoués :

SCP Petit Lesenechal, SCP Mira-Bettan

Avocats :

Mes Geniteau, Le Pen

T. com. Paris, du 4 févr. 2009

4 février 2009

Faits constants et procédure

La SAS Larzul est une entreprise familiale créée en 1906, spécialisée dans l'élaboration de plats cuisinés en conserve. La SA Vectora rassemble les membres de la famille Larzul et était jusqu'en 2005 l'associée unique de la SAS Larzul.

La SA Française de gastronomie (FDG) est spécialisée dans les produits festifs (escargots cuisinés et spécialités de la mer) du groupe belge La Floridienne.

La SAS Camargo est une filiale à 100 % de la SA FDG et a pour activité la récolte d'escargots et leur négoce après extraction de la coquille, nettoyage, tri, calibrage et surgélation.

La SAS Camargo approvisionne notamment les filiales du groupe La Floridienne qui procèdent à la préparation des escargots sous forme de produits surgelés.

En 2004, la SA FDG devant faire face à l'obsolescence de l'outil industriel d'une de ses filiales à 100 %, la société Ugma, ayant pour activité la production et la vente de conserves d'escargots, s'oriente vers une reprise par la SAS Larzul de l'activité de la société Ugma et un accord préliminaire est signé entre la SA FDG et la SAS Larzul le 27 juillet 2004.

Puis les partenaires vont sceller leur " alliance " par la signature de divers documents :

- le 14 décembre 2004, la SA Vectora, la SA FDG et la société Ugma ont signé un protocole d'accord prévoyant une prise de participation de 50 % de la SA FDG dans la SAS Larzul par apport du fonds Ugma, cession d'actions par Vectora et augmentation de capital réservée à FDG,

- le 14 décembre 2004 également, est signé un traité d'apport par la société Ugma à la SAS Larzul de son fonds de commerce de conserves d'escargots pour 800 000 euro, la SA FDG intervenant à l'acte pour garantir à la SAS Larzul que le fonds de commerce apporté générerait " une marge brute contributive ", telle que définie au contrat, d'au moins 800 000 euro par an pendant trois ans au titre de la production d'escargots appertisés, une clause d'indemnisation limitée étant convenue dans le cas contraire,

- le 31 janvier 2005, la SAS Larzul a conclu avec la SAS Camargo un contrat d'approvisionnement exclusif en chairs d'escargots surgelées,

- le 31 janvier 2005 également, la SAS Larzul a confié à la SA FDG la vente des conserves d'escargots au travers d'un contrat de distribution exclusive à l'exportation et d'un contrat d'agent commercial exclusif en France.

En outre, dans la perspective d'une intégration complète à moyen terme de la SAS Larzul au sein du Groupe La Floridienne, la SA FDG et la SA Vectora se sont consenties des promesses d'achat et de vente, l'option pouvant dans les deux cas être exercée entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2009 à un prix fondé sur la valeur de la société lors de l'exercice de l'option.

Les relations entre la SAS Larzul et la SAS Camargo se sont dégradées dès l'année 2005, la première reprochant à la seconde des manquements répétés à ses obligations contractuelles, à savoir des livraisons tardives de produits de mauvaise qualité et des surfacturations, lui occasionnant un important préjudice.

Par exploit du 6 mai 2008, la SAS Larzul a assigné la SAS Camargo devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir une expertise pour évaluer ses différents préjudices, évalués provisoirement en référé à la somme de 1 520 824,56 euro, qui viendront se compenser avec les créances dont se prévaut la SAS Camargo.

La SAS Camargo a conclu à l'irrecevabilité et au débouté de la SAS Larzul de ses demandes et à sa condamnation à lui payer le solde de ses factures de 1 520 824,56 euro.

Par jugement du 4 février 2009, le Tribunal de commerce de Paris a :

- déclaré la demande de la société Larzul recevable,

- débouté la société Larzul de sa demande d'expertise,

- condamné la société Larzul à payer à la société Camargo la somme de 1 520 824,56 euro avec les intérêts de retard calculés au taux légal à compter de la date de constitution de la provision,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société Larzul à payer à la société Camargo la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR :

Vu l'appel de ce jugement interjeté par la SAS Larzul le 25 février 2009.

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 28 mai 2009 qui, à la demande de la société Camargo, a ordonné l'exécution provisoire du jugement dont appel.

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 22 juillet 2009 qui, à la demande de la SAS Larzul, l'a autorisée à constituer une caution bancaire au profit de la société Camargo en garantie du paiement des sommes dues en exécution du jugement dont appel.

Vu les moyens et prétentions de l'appelante exposés dans ses dernières conclusions du 29 novembre 2010 tendant :

- à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a été déclarée recevable en sa demande,

- à ce que soient constatés les manquements graves de la SAS Camargo dans l'exécution du contrat d'approvisionnement exclusif du 31 janvier 2005,

- à la condamnation de la SAS Camargo à lui payer la somme de 3 000 000 euro à titre de provision à valoir sur son préjudice,

- à la désignation d'un expert afin d'établir les conditions de vente de chairs d'escargot surgelées par la SAS Camargo à la SAS Ugma (en 2003, 2004 et jusqu'au 31 janvier 2005), à la SAS Larzul (du 1er février 2005 au 31 janvier 2008), aux filiales du groupe La Floridienne, en particulier la SAS BCA-Billot et à ses éventuels clients extérieurs (du 1er janvier 2003 au 31 janvier 2008) et d'évaluer les diverses composantes du préjudice qu'elle a subi, et au sursis à statuer sur la fixation définitive de son préjudice jusqu'au dépôt du rapport d'expertise,

- à ce qu'elle soit dite bien fondée à opposer à la SAS Camargo l'exception non adimpleti contractus,

- subsidiairement, à ce qu'il soit constaté que la créance de la SAS Camargo au titre de la vente de marchandises ne peut dépasser 1 417 780,72 euro et ce que la compensation entre la créance de la SAS Camargo et la provision accordée à la SAS Larzul soit ordonnée,

- à la condamnation solidaire de la SAS Camargo et de la SA FDG à lui payer une indemnité de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les moyens et prétentions de la SAS Camargo, intimée, exposés dans ses dernières conclusions du 15 décembre 2010, tendant :

- à ce que soit constatée l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 5 février 2008 sur les demandes de la SAS Larzul,

- en conséquence, à ce que les demandes de la SAS Larzul soient déclarées irrecevables,

- à titre subsidiaire, à ce qu'il soit constaté que la Cour d'appel de Rennes, par arrêt irrévocable sur ce point, a rejeté les demandes au titre du préjudice de la SAS Larzul invoqué par la société Vectora,

- en conséquence, à ce que la SAS Larzul soit déboutée de toutes ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire, à la confirmation du jugement entrepris et au débouté de la SAS Larzul de sa demande de provision,

- dans tous les cas, à titre reconventionnel, à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Larzul à lui payer la somme de 1 520 824,56 euro avec les intérêts au taux légal à compter de la date d'émission des factures et avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

- à la condamnation de la société Larzul à lui une indemnité de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les moyens et prétentions de la SA Française de Gastronomie, intervenante volontaire, exposés dans ses dernières conclusions du 12 octobre 2010, tendant à être déclarée recevable et bien fondée en son intervention volontaire, à ce qu'il soit constaté qu'elle s'associe à l'argumentation de la SAS Camargo et qu'elle sollicite, en conséquence, la confirmation du jugement dont appel.

Vu les conclusions de la SAS Larzul signifiées le 20 décembre 2010, soit après l'ordonnance de clôture du 16 décembre 2010 tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture pour admettre aux débats les conclusions signifiées le 20 décembre 2010 et subsidiairement à ce que les conclusions signifiées par la SAS Camargo le 15 décembre 2010 soient écartées des débats.

Conformément aux articles 455 et 753 du Code de procédure civile (articles 11 et 13 du décret 98-1231 du 28 décembre 1998) pour l'exposé des prétentions des parties, la cour se réfère expressément par visa à leurs dernières écritures pour de plus amples développements.

Motifs

La SAS Larzul a signifié le 20 décembre 2010 de nouvelles conclusions, qui ne peuvent qu'être écartées des débats puisque signifiées après l'ordonnance de clôture du 16 décembre 2010.

Les conclusions de la SAS Camargo signifiées le 15 décembre 2010 ne sont que la réponse nécessaire aux dernières conclusions de l'appelante signifiées le 29 novembre 2010.

Elles ne comportent pas de moyens nouveaux de sorte que le principe du contradictoire est respecté et qu'il n'y a pas lieu de les écarter des débats comme le voudrait la SAS Larzul.

Par contre les nouvelles pièces communiquées en même temps que les conclusions de l'intimée du 15 décembre 2010 à savoir le lettre de la DDPP du Finistère du 22 mars 2010 (n° 21), l'échange de courriel entre Monsieur Delacroix et Madame Vacher (n° 22) et le courriel de Monsieur Delacroix (n° 23) adressés au conseil de la SAS Camargo respectivement le 29 novembre 2007 et le 21 août 2007 ont été produites tardivement, ne permettant pas à la SAS Larzul de les commenter avant l'intervention de l'ordonnance de clôture, alors qu'elles auraient pu être communiquées bien avant.

Elles doivent, en conséquence, être écartées des débats.

- Sur la recevabilité des demandes de la SAS Larzul :

La SAS Camargo se prévaut de l'autorité de la chose jugée d'un arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 5 février 2008 qui a confirmé un jugement du Tribunal de commerce de Quimper du 19 octobre 2007, dans un litige opposant la SA Vectora à la SAS Larzul, la SA IEA et la SA FDG, déboutant la SA Vectora de l'ensemble de ses demandes en annulation des délibérations de l'associée unique de la SAS Larzul du 30 décembre 2004, avec toutes conséquences de droit, en réparation du préjudice subi par elle et à la désignation d'un expert judiciaire pour évaluer le préjudice.

La SAS Larzul fait observer que cet arrêt a été partiellement cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2009.

L'arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 5 février 2008 n'est cassé qu'en ce qu'il a rejeté les demandes tendant à l'annulation des délibérations de l'associé unique de la SAS Larzul du 30 décembre 2004 et n'est pas remis en cause sur les autres points relatifs à l'existence d'un préjudice pour la société Vectora et à la désignation d'un expert judiciaire pour évaluer le préjudice.

En tout état de cause, la SAS Camargo n'était pas partie à cette procédure et ne peut soutenir qu'elle y aurait été représentée par la SA FDG dont elle est la filiale à 100 %, chacune des deux sociétés ayant une personnalité juridique propre.

Or, l'autorité de la chose jugée suppose une identité de parties qui n'existe pas en l'espèce et elle ne vaut que dans les limites de l'objet du litige tel que fixé par les demandes des parties.

Si la SAS Camargo n'était pas partie à l'arrêt rendu le 5 février 2008 par la Cour d'appel de Rennes c'est parce que cette procédure ne la concernait pas, ne portant pas sur le préjudice subi par la SAS Larzul du fait des manquements de la SAS Camargo au contrat d'approvisionnement exclusif du 31 janvier 2005 mais du fait de l'apport du fonds Ugma à la SAS Larzul et de l'évaluation de ce fonds.

Dans le cadre de cette procédure, la SA Vectora, demanderesse, reprochait à la société IEA, commissaire aux apports, un manquement à ses devoirs d'indépendance et d'impartialité et une surévaluation du fonds Ugma apporté, la SA FDG, venant aux droits de la société Ugma pour l'avoir absorbée, et la SAS Larzul n'ayant été appelées dans la cause que pour que la nullité demandée leur soit opposable.

Dans le cadre de cette procédure, la SAS Larzul se contentait de demander qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle serait amenée, au vu de l'arrêt à intervenir à réclamer la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la société IEA et du fait de la SAS Camargo.

La seule demande d'expertise dont était saisie la Cour d'appel de Rennes était une demande de la SA Vectora qui sollicitait l'évaluation du préjudice que lui avait causé la faute de la société IEA même si, dans les motifs de l'arrêt, est abordée la question des manquements de la SAS Camargo.

En conséquence, en l'absence d'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 5 février 2008, les demandes de la SAS Larzul sont parfaitement recevables.

- Sur l'existence de manquements de la SAS Camargo à ses obligations contractuelles :

La SAS Larzul reproche à la SAS Camargo de ne pas avoir respecté les termes du contrat d'approvisionnement exclusif du 31 janvier 2005 en ne lui fournissant pas une marchandise conforme à un prix lui permettant d'être compétitive, en ne respectant pas les délais auxquels elle s'était engagée et en lui imposant des livraisons de marchandises non commandées.

Aux termes de l'article 4 du contrat le fournisseur (Camargo) s'engage à livrer au fabricant (Larzul) des produits (chairs d'escargot) conformes en qualité et en quantité (avec une tolérance de plus ou moins 10 %) aux spécifications de la commande.

La SAS Larzul établit qu'un certain nombre de livraisons n'ont pas été conformes à la commande par de nombreuses lettres recommandées avec accusé de réception de réserves quant à la qualité des produits livrés et relevant des non-conformités par rapport aux commandes (2 août, 3août, 16 août, 21 septembre, 8 octobre, 11 octobre, 19 octobre, 31 octobre 2007).

La non-conformité des produits livrés est également démontrée par différents courriels adressés par la SAS Larzul à la SAS Camargo (30 mars,10 mai, 26 juillet 2005, 1er juin, 6 juillet, 24 août, 12 septembre 2006 et 24 mai 2007) ainsi que par le procès-verbal de constat des 24 et 25 janvier 2007 dont il résulte qu'en moyenne 43,75 % des chairs sont hors du calibre annoncé, par le procès-verbal de constat du 17 avril 2007 dont il résulte que 3 931 boîtes de chairs d'escargots non conformes (poids inférieur à ce qu'il est autorisé de commercialiser) ont été bloquées physiquement avant conditionnement et par le procès-verbal de constat du 8 novembre 2007 dont il résulte que les chairs d'escargots livrées surgelées ne sont pas conformes à la réglementation.

Il existe par ailleurs plusieurs correspondances entre FDG et Camargo faisant état de difficultés liées à l'approvisionnement (7 juin, 19 septembre 2005) et le président des sociétés FDG et Camargo a reconnu l'existence de ces problèmes lors d'une réunion du conseil d'administration de la société Larzul, le 22 mai 2007.

Ce comportement de la SAS Camargo, consistant à livrer des lots mal calibrés, de mauvaise qualité ou ne correspondant pas à l'espèce annoncée lui permettait de maximiser ses profits au détriment de la SAS Larzul.

Le contrat en son article 3 permettait à la SAS Camargo de fixer unilatéralement le prix de vente des marchandises vendues (avec une évolution chaque année civile dans une fourchette de + ou - 3 %) avec l'obligation, en contrepartie de faire ses meilleurs efforts pour déterminer les prix de manière à permettre au fabricant de pouvoir faire face à la concurrence.

La SAS Larzul reproche à la SAS Camargo d'avoir profité de sa qualité de fournisseur exclusif et de son pouvoir de fixation unilatérale des conditions tarifaires pour imposer à son client captif des prix abusifs l'obligeant à vendre à perte pour pouvoir faire face à la concurrence.

La SAS Larzul rapporte la preuve du fait que la SAS Camargo lui vendait les chairs d'escargot en moyenne 25 % plus cher qu'à ses autres clients (cf pièce n° 51 de l'appelante).

Elle établit que le taux de marge brute moyen de la SAS Camargo au cours des années 2005, 2006 et 2007 a été de 15 %, se décomposant en un taux de marge brute de 29 % sur les ventes Larzul et un taux de marge brute de 10 % sur les ventes à d'autres clients.

Il apparaît également que dans le cadre du renouvellement, en avril 2007, du contrat entre la SAS Larzul et la société Metro négocié par la SA FDG, la SAS Camargo a pu abaisser son prix de vente de chairs d'escargot à la SAS Larzul dans de très importantes proportions (entre - 22 et - 50 % selon les espèces) ce qui démontre le prix excessif habituellement pratiqué.

L'absence d'efforts de la SAS Camargo pour déterminer les prix de manière à permettre à la SAS Larzul de pouvoir faire face à la concurrence est ainsi démontrée.

La SAS Larzul établit ainsi que la SAS Camargo n'a pas exécuté le contrat de bonne foi, abusant de son droit de fixer unilatéralement le prix des marchandises, ce qui était accentué par le fait que la SAS Larzul étant liée à la SAS Camargo par un contrat d'approvisionnement exclusif, elle ne pouvait pas échapper aux conditions qui lui étaient imposées en changeant de fournisseur.

La SAS Larzul n'établit par contre pas le non-respect par la SAS Camargo des délais de livraisons prévus et les livraisons forcées qu'elle allègue.

Le seul e-mail de Monsieur Servia, responsable des approvisionnements chez Camargo, est trop imprécis pour justifier des retards significatifs de livraison.

- Sur le préjudice subi par la SAS Larzul :

La SAS Larzul fait état de divers préjudices résultant de l'inexécution par la SAS Camargo de ses obligations contractuelles.

S'agissant, tout d'abord, du préjudice résultant de la livraison de marchandises non conformes, la SAS Larzul a dû procéder à des manipulations pour se rapprocher des calibres réglementaires (mélanges entre différents lots, sur-emboîtage...)

Ces manipulations supplémentaires, non automatisées, ont déstabilisé la production, entraîné une baisse de la productivité générale et induit d'importants surcoûts.

L'e-mail de Monsieur Servia, responsable des approvisionnements chez Camargo, du 19 septembre 2005 établit un lien direct entre les manquements de Camargo et les difficultés de Larzul dans son activité de fabrication de conserves d'escargots. Il affirme la relation de cause à effet entre le mauvais calibrage des lots et la nécessité de procéder à des mélanges et à du sur-emboîtage.

Dans le procès-verbal du conseil d'administration de la SAS Larzul du 22 mai 2007, le président de la SAS Camargo, Monsieur Boonen, reconnaît qu'il y a un problème sur l'approvisionnement des chairs d'escargots et que cela provoque des non-conformités pouvant être préjudiciables à la société Larzul. Il fait état de plusieurs dizaines de réclamations écrites de consommateurs pour environ 1 500 000 boîtes vendues, en sus des réclamations des distributeurs et estime que c'est sans importance.

Le rapport d'expertise privée du Bureau Veritas du 23 mars 2009 confirme les difficultés générées pour la société Larzul par les livraisons de produits non conformes et conclut :

" - Le fournisseur Camargo ne respecte pas les spécifications matières premières définies sur les fiches techniques et bons de commande validés. Les accords contractuels ne sont donc pas respectés par le fournisseur.

- L'hétérogénéité des lots de matières premières ne permet pas de fabriquer des lots conformes à l'ensemble des critères réglementaires.

- Mélanger des lots hétérogènes n'améliore pas les résultats sur les produits finis et ne permet pas de revenir dans les normes fixées sur les produits finis.

- Le site n'a pas de moyens pour remettre en conformité la matière première reçue. "

Ces marchandises non conformes ont entraîné des réclamations de consommateurs, des litiges avec les distributeurs, une impossibilité de commercialiser certaines boîtes de conserve et une régression du chiffre d'affaires de " l'activité escargots " tel que cela résulte du tableau d'évolution du chiffre d'affaires par catégorie de produits 2006/2005 (pièce n° 49 de l'appelante).

Cela a inévitablement porté atteinte à l'image de marque de la SAS Larzul, comme mettant en cause la qualité des produits commercialisés.

Il existe également pour la société Larzul un préjudice financier résultant de la pratique par la société Camargo de prix plus élevés que ceux pratiqués pour d'autres clients.

Par contre, dès lors que les livraisons tardives et les livraisons forcées ne sont pas établies il n'existe pas de préjudice en résultant.

En définitive, la seule possibilité pour Larzul de limiter son préjudice était de mettre un terme à la fabrication de conserves d'escargots, ce qu'elle a fait le 31 janvier 2008, soit le jour même où les contrats conclus avec FDG pour leur commercialisation sont parvenus à leur terme.

Elle ne pouvait en effet rechercher un autre fournisseur, étant liée par le contrat d'approvisionnement exclusif auprès de la SAS Camargo jusqu'en 2010.

Les premiers juges ont retenu l'existence d'un versement effectué par la SA Française de Gastronomie au titre de son engagement de garantie de " marge brute contributive " de 1 784 000 euro qui aurait pu indemniser la SAS Larzul du préjudice subi.

Un tel versement n'est cependant pas justifié et ne résulte pas, contrairement à ce qui a été retenu, du rapport d'expertise privée Price Waterhouse Coopers (PWC) du 20 juin 2007.

Si la mise en œuvre de la garantie de " marge brute contributive " stipulée au profit de la SAS Larzul est effectivement susceptible de se compenser, en tout ou en partie, avec le préjudice subi par cette dernière encore faut-il qu'elle soit effectivement payée, ce qui ne résulte pas des éléments du dossier.

Si le préjudice subi par la SAS Larzul est indéniable, son évaluation ne peut résulter des trois ordonnances de référé du Tribunal de commerce de Paris des du 3 juillet 2007, 27 novembre 2007 et 17 septembre 2008, évaluant provisoirement le préjudice de la SAS Larzul à la somme de 1 520 822,56 euro TTC, ou du rapport privé PWC du 20 juin 2007 qui l'évalue à 2 594 000 euro HT.

Il est donc nécessaire d'avoir recours à une expertise judiciaire qui sera confiée à un expert-comptable ayant la faculté de se faire assister d'un technicien spécialiste de l'industrie de la conserve avec pour mission :

- d'établir les conditions de vente de chairs d'escargot surgelées faites par la SAS Camargo à la SAS Ugma (en 2003, 2004 et jusqu'au 31 janvier 2005), à la SAS Larzul (du 1er février 2005 au 31 janvier 2008), aux filiales du groupe La Floridienne, en particulier la SAS BCA-Billot et à ses éventuels clients extérieurs (du 1er janvier 2003 au 31 janvier 2008),

- d'évaluer les diverses composantes du préjudice qu'elle a subi au titre des pertes sur matière du fait du sur-emboîtage, des pertes de productivité du fait des contraintes supplémentaires (mélanges, contrôles, ajouts manuels...) et de la désorganisation de la production, des pertes de marge du fait de l'application par la SAS Camargo à la SAS Larzul de prix d'achat excessifs, supérieurs à ceux pratiqués à l'égard de ses autres clients, en particulier la SAS BCA-Billot, surcoûts divers (service qualité, surconsommation énergétique, frais administratifs), frais de stockage et coût financier des sur-stocks, atteinte à l'image, perte de gain, éventuel coût de l'arrêt de " l'activité escargot ",

- de donner toute indication utile à la solution du litige sur la mise en œuvre de la garantie de " marge brute contributive " stipulée à la charge de la SA Française de Gastronomie et au profit de la SAS Larzul.

L'avance sur frais d'expertise doit être mise à la charge de la SAS Larzul qui la sollicite et qui supporte la charge de la preuve de l'étendue de son préjudice.

La SAS Larzul sollicite une provision à valoir sur son préjudice de 3 000 000 euro, les pièces produites étant cependant insuffisantes pour justifier ce montant.

Il y a lieu, tout comme le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris, de limiter la provision au montant des factures réclamées par la SAS Camargo.

- Sur la demande reconventionnelle de la SAS Camargo en paiement des factures demeurées impayées par la SAS Larzul :

La SAS Larzul ne conteste ni le principe ni le quantum de la réclamation de la SAS Camargo, sous réserve d'un avoir qui aurait dû lui être consenti.

Elle s'estime cependant en droit d'opposer l'exception " non adimpleti contractus " compte tenu des manquements de la SAS Camargo à ses engagements contractuels.

Cependant, s'il a été relevé ci-dessus l'existence de manquements sérieux et répétés de la SAS Camargo à ses engagements contractuels, la sanction de ce comportement ne peut être que l'octroi de dommages intérêts en réparation du préjudice subi par la SAS Larzul qui se compenseront avec la créance de la SAS Camargo et non le non-paiement des factures qui correspondent à de la marchandise effectivement livrée.

Le montant de l'intégralité des factures émises par la SAS Camargo et impayées par la SAS Larzul s'établit à la somme de 1 520 822,56 euro.

La SAS Larzul souligne à juste titre que les factures concernant des chairs d'escargot destinées à la fabrication de conserves pour Métro n'étaient pas conformes aux accords intervenus entre les parties en avril 2007 qui prévoyaient des prix spécifiques inférieurs à ceux habituellement pratiqués.

Il est constant que la SAS Camargo aurait dû établir un avoir de 103 043,84 euro TTC correspondant à la différence entre le prix auquel elle avait facturé les chairs d'escargot utilisées pour la fabrication de conserves à destination de Métro et les prix auxquels elles auraient dû être facturées en application des accords d'avril 2007 pour l'exécution de ce contrat spécifique.

La créance de la SAS Camargo sur la SAS Larzul s'établit donc à la somme de 1 417 778,72 euro, ce montant devant être assorti des intérêts au taux légal à compter de la demande du 1er octobre 2008 et avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil.

Il y a lieu de réserver à statuer sur les plus amples demandes et conclusions des parties, et notamment sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, jusqu'au dépôt du rapport d'expertise.

Par ces motifs, Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Rejette la demande de la SAS Larzul tendant à ce que les conclusions de la SAS Camargo signifiées le 15 décembre 2010 soit écartées des débats, Elles ne comportent pas de moyens nouveaux de sorte que le principe du contradictoire est respecté et qu'il n'y a pas lieu de les écarter des débats comme le voudrait la SAS Larzul. Ordonne que soient écartées des débats les nouvelles pièces communiquées avec les conclusions de l'intimée du 15 décembre 2010 à savoir le lettre de la DDPP du Finistère du 22 mars 2010 (n° 21), l'échange de courriel entre Monsieur Delacroix et Madame Vacher (n° 22) et le courriel de Monsieur Delacroix (n° 23) adressés au conseil de la SAS Camargo respectivement le 29 novembre 2007 et le 21 août 2007, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a déclaré recevable la demande de la SAS Larzul, Constate les manquements sérieux et répétés de la SAS Camargo dans l'exécution du contrat d'approvisionnement exclusif du 31 janvier 2005, Condamne la SAS Camargo à payer à la SAS Larzul la somme de 1 417 778,72 euro à titre de provision à valoir sur son préjudice, Rejette l'exception " non adimpleti contractus " soulevée par la SAS Larzul, Condamne la SAS Larzul à payer à la SAS Camargo la somme de 1 417 778,72 euro, avec les intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 2008, avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, Avant dire droit : Tous droits des parties demeurant réservés sur les dommages et intérêts dus à la SAS Larzul, les dépens et l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Ordonne une expertise et désigne Monsieur Alain Auvray <coordonnées> pour y procéder, avec pour mission de : - convoquer les parties et leurs conseils, recueillir contradictoirement leurs dires et explications et se faire communiquer par elles tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission, - faire contradictoirement toutes constatations utiles à l'exécution de sa mission et entendre tous sachant, - d'établir les conditions de vente de chairs d'escargot surgelées faites par la SAS Camargo à la SAS Ugma (en 2003, 2004 et jusqu'au 31 janvier 2005), à la SAS Larzul (du 1er février 2005 au 31 janvier 2008), aux filiales du groupe La Floridienne, en particulier la SAS BCA-Billot et à ses éventuels clients extérieurs (du 1er janvier 2003 au 31 janvier 2008), - d'évaluer les diverses composantes du préjudice subi par la SAS Larzul au titre des pertes sur matière du fait du sur-emboîtage, des pertes de productivité du fait des contraintes supplémentaires (mélanges, contrôles, ajouts manuels...) et de la désorganisation de la production, des pertes de marge du fait de l'application par la SAS Camargo à la SAS Larzul de prix d'achat excessifs, supérieurs à ceux pratiqués à l'égard de ses autres clients, en particulier la SAS BCA-Billot, surcoûts divers (service qualité, surconsommation énergétique, frais administratifs), frais de stockage et coût financier des sur-stocks, atteinte à l'image, perte de gain, éventuel coût de l'arrêt de " l'activité escargot ", - de donner toute indication utile à la solution du litige sur la mise en œuvre de la garantie de 'marge brute contributive' stipulée à la charge de la SA Française de Gastronomie et au profit de la SAS Larzul. - donner un avis sur le compte entre les parties en procédant aux éventuelles compensations entre les montants respectivement dus par les parties, - d'une manière générale, fournir à la cour tous éléments de fait ou techniques utiles à la solution du litige, - répondre à tout dire et réquisition des parties, - déposer un pré-rapport préalablement au dépôt du rapport définitif. Dit que l'expert pourra, si nécessaire, demander l'assistance d'un sapiteur pour toute spécialité utile, notamment un technicien spécialiste de l'industrie de la conserve, Dit qu'en cas d'empêchement, il sera pourvu au remplacement de l'expert par simple ordonnance, du conseiller de la mise en état, Désigne Madame Pomonti, conseiller de la mise en état, pour suivre les opérations d'expertise, Dit que l'expert procédera à l'exécution de sa mission et devra déposer un rapport dans le délai de trois mois à compter de sa saisine, Subordonne l'exécution de l'expertise au versement préalable par la SAS Larzul de la somme de 10 000 euro à valoir sur la rémunération de l'expert, avant le 30 avril 2011, Reserve les dépens, Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 19 mai 2011 à 13 h, pour vérification de la consignation.