CA Versailles, 14e ch., 16 mars 2011, n° 10-00956
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Renault (SAS)
Défendeur :
FEDA, FNAA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fedou
Conseillers :
Mme Andrich, M. Boiffin
Avoués :
Me Binoche, SCP Jullien Lecharny Rol Fertier
Avocats :
Mes Deprez, Lucas, Restelli Brizard
Faits et procédure,
Se prévalant de la diffusion massive de campagnes publicitaires dénigrantes de la part du constructeur Renault depuis la mi-octobre 2009, la Fédération des syndicats de la distribution automobile, "FEDA", et la Fédération nationale de l'artisanat automobile, "FNAA", ont, après mise en demeure du 5 novembre 2009 restée infructueuse, assigné en référé la SAS Renault, au visa des articles L. 121-1 et L. 121-8 du Code de la consommation, afin notamment de cessation et d'interdiction sous astreinte faite à la société Renault de diffuser ou de faire diffuser de quelque manière que ce soit les campagnes publicitaires télévisées " Carte Renault mains libres " et " Frein de parking assisté ", ainsi que toute campagne publicitaire et promotionnelle conçue et ayant un contenu similaire, diffusée sur tous supports média.
Par ordonnance de référé contradictoire en date du 1er février 2010, le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre a notamment :
- ordonné la cessation et l'interdiction immédiates de la diffusion par la société par actions simplifiée Renault ou toute autre personne pour son compte, de quelque manière que ce soit, sous astreinte de 3 000 euro par infraction constatée pendant deux mois à compter de cette décision, des campagnes publicitaires télévisées " Cartes Renault mains libres " et " Frein de parking assisté ", diffusées sur tous supports média ;
- condamné la société par actions simplifiée Renault au paiement à chacune des demanderesses de la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Renault SAS a interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 26 janvier 2011, elle expose que c'est à l'aune, non des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-8 du Code de la consommation qu'il convient d'apprécier les faits, mais des dispositions des articles L. 121-8 et L. 121-9 du même Code, lesquelles incriminent la publicité comparative dénigrante.
Elle relève que les demanderesses n'allèguent, ni ne démontrent, que les spots en cause reposeraient sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur l'existence, la nature ou les caractéristiques essentielles du service proposé par Renault.
Elle souligne que ces spots, qui n'identifient de façon implicite ou explicite aucun concurrent de Renault et ne caractérisent dans ces conditions aucun trouble manifestement illicite, ne constituent pas une publicité comparative dénigrante au sens des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation.
Elle ajoute que l'outrance de la situation dans laquelle les réparateurs automobiles ne faisant pas partie du réseau Renault sont représentés et la nature caricaturale des personnages représentés dans ces publicités sont de nature à exclure le dénigrement.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 26 janvier 2011, la société Renault demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
- débouter la FEDA et la FNAA de leur demande tendant à voir écarter les pièces n° 4 et 5 communiquées par Renault ;
- infirmer purement et simplement l'ordonnance entreprise ;
- statuant à nouveau :
- constater que l'action de la FEDA et de FNAA tend à la cessation et à l'interdiction de diffusion d'une publicité prétendument comparative à caractère dénigrant ;
- constater que les faits auraient dû être qualifiés au regard des dispositions des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation ;
- dire et juger que les publicités litigieuses ne constituent pas une publicité trompeuse ;
- dire et juger que les publicités litigieuses n'identifient implicitement ou explicitement aucun concurrent de la société Renault ;
- dire et juger que les publicités litigieuses ne sont pas dénigrantes à l'égard des réparateurs automobiles n'appartenant pas au réseau Renault ;
- en conséquence, débouter purement et simplement la FEDA et la FNAA de toutes leurs demandes ;
- condamner la FEDA et la FNAA à verser à la société Renault la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la FEDA et la FNAA aux entiers dépens.
Suivant écritures signifiées le 25 janvier 2011, la Fédération des syndicats de la distribution automobile "FEDA" et la Fédération nationale de l'artisanat automobile "FNAA" concluent au rejet des pièces n° 4 et 5 de la société Renault, à la confirmation de l'ordonnance entreprise et à la condamnation de la société Renault au paiement à la chacune des fédérations de la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Elles invoquent l'intention malveillante de la société Renault vis-à-vis des professionnels de la réparation automobile, puisque les spots publicitaires litigieux mettent en exergue de prétendus défauts des concurrents de ladite société et sont à ce titre condamnables au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, et alors que ces spots visent des professionnels particulièrement bien identifiables, ce qui constitue une publicité comparative excessive au visa de l'article L. 121-8 du même Code.
Elles stigmatisent le caractère dénigrant des spots litigieux, révélateur de la mauvaise foi de l'annonceur désireux de nuire à celui auquel il se compare, soutenant qu'il est constitutif d'une violation caractérisée de l'article L. 121-9 du Code de la consommation, en ce que la publicité comparative effectuée par la partie adverse entraîne le discrédit de concurrents.
Elles ajoutent que la campagne dont s'agit, qui se veut établie sur la caricature et l'humour, est en réalité une caricature outrageuse et dénigrante, dans la mesure où elle est entièrement basée sur la mise en situation ridicule des concurrents visés et conclut qu'il s'agit d'un dénigrement par omission, la société Renault ne mettant pas sa propre compétence en comparaison.
La clôture a été prononcée le 26 janvier 2011.
Motifs de l'arrêt,
Considérant que selon l'article L. 121-8 du Code de la consommation une publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent étant prohibé par l'article L. 121-9 du même Code ;
Considérant que la société Renault oppose qu'elle a souhaité traiter un thème publicitaire destiné à attirer les consommateurs désireux de faire entretenir leur véhicule automobile de marque Renault dans les membres du réseau primaire, c'est-à-dire concessionnaires et réparateurs agréés en traitant le thème se résumant au slogan " Qui mieux que Renault pour entretenir votre Renault " sous une forme humoristique ;
Qu'elle soutient que les réparateurs mis en scène dans les deux spots télévisés l'un relatif à la carte " mains libres ", l'autre au " frein de parking assisté " ne peuvent être pris pour des personnes existantes ;
Considérant que les réparateurs mis en scène sont présentés sous une enseigne certes inexistante " les spécialistes de l'auto ", mais portent, à l'instar des salariés de centres automobiles de réparation connus et faisant partie des deux fédérations intimées, une sorte d'uniforme de travail, présentant un calicot avec rappel du nom de l'enseigne, exercent dans un local moderne comparable à ceux qui sont apparus ces dernières années dans le paysage urbain ou péri-urbain sous des enseignes diverses ;
Que, comme tels, ils incarnent implicitement l'ensemble des réparateurs appartenant à des centres de réparation automobile ou des garagistes artisans qui ne font pas partie du réseau Renault ;
Qu'ils sont indéniablement présentés comme ignorants et totalement dépassés par la technologie des véhicules Renault dont certains ne sont plus équipés de clefs de contact mais d'une carte et d'un système de blocage automatique des roues, renforcé par un frein de parking dont la commande, de forme inaccoutumée, est située dans l'habitacle du véhicule à un endroit inhabituel ;
Qu'au demeurant, le caractère implicite de la référence à la prestation fournie concurremment par le réseau primaire Renault et l'ensemble des adhérents des fédérations intimées cède, à la lecture des déclarations du directeur après-vente de la société Renault, tels que rapportés dans le mensuel de janvier 2010 l'Automobile, qui vise expressément une réponse " du berger à la bergère " soit aux spots développés par la société Midas et la société Feu Vert qui auraient d'après lui, instillé dans l'esprit du consommateur que le service après-vente du réseau primaire pratiquait systématiquement des prix plus élevés ;
Que dans les spots visés dans la présente instance, il est seulement mis en exergue que les réparateurs étrangers au réseau Renault, objet de la comparaison à laquelle le consommateur spectateur est invité à se livrer, sont incompétents pour effectuer les réparations d'entretien et le service après-vente des véhicules de marque Renault, les prix pratiqués n'apparaissant pas avec évidence comme le centre du message porté ;
Que l'ironie s'exerçant contre les réparateurs, la mise en scène de leur incompétence ou inculture mécanique dépasse manifestement les limites de l'humour revendiqué qui supposerait que l'annonceur fasse également sourire ou rire de lui-même ;
Que, le comportement de la société Renault de nature à jeter publiquement le discrédit sur l'entreprise ou la compétence de toute personne physique ou morale, pour en tirer un profit avoué comme étant inspiré par le désir de répondre aux publicités de Midas et Feu Vert apparaît comme un procédé de dénigrement qui, comme tel, est constitutif d'un trouble manifestement illicite auquel le premier juge dont les motifs plus amples et la décision doivent être confirmés, a mis fin ;
Considérant que les fédérations intimées qui demandent à la cour d'appel de rajouter à l'ordonnance entreprise en portant à 5 000 euro l'astreinte prononcée et fixée provisoirement par le premier juge à la somme de 3 000 euro par infraction constatée, n'apportent aucun élément de nature à établir que l'astreinte telle que fixée ne répond pas à sa destination ;
Qu'il n'y a pas lieu à fixer l'astreinte à un autre montant que celui confirmé ;
Considérant que le comportement de la société Renault, qui succombe en ses prétentions a contraint la Fédération des syndicats de la distribution automobile et la Fédération nationale de l'artisanat automobile à exposer des frais qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge ;
Que la société Renault doit être condamnée à verser à chacune d'entre elles la somme de 7 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue entre les parties, le 1er février 2010 par le Président du Tribunal de grande instance de Nanterre ; Y ajoutant, Condamne la société Renault à verser, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 7 000 euro (sept mille euro) à chacune des deux fédérations intimées ; Condamne la société Renault aux entiers dépens de l'appel, autorisation étant donnée aux avoués en la cause, de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.