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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 11 mars 2011, n° 09-07243

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Carré Blanc Distribution (SAS)

Défendeur :

Lemée (ès qual.), Joki (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cuny

Conseillers :

M. Maunier, Mme Clozel-Truche

Avoués :

SCP Aguiraud-Nouvellet, SCP Ligier de Mauroy-Ligier

Avocats :

Mes Gosme, Lemonnier

T. com. Roanne, du 28 oct. 2009

28 octobre 2009

Exposé du litige

Madame Aymes, après avoir vendu le fonds de commerce qu'elle exploitait au Mans sous l'enseigne New Man depuis 12 ans a voulu reprendre une activité à Alençon.

Elle est rentrée en contact avec la société Carré Blanc Distribution lors du salon de la franchise, en vue de l'exploitation éventuelle d'une franchise sur la ville d'Alençon.

A la suite de ce contact, elle a recherché un pas de porte avec un emplacement n° 1 dans cette ville, emplacement correspondant également à la surface demandée.

Après visite des lieux, la société Carré Blanc Distribution a donné son accord sur l'emplacement et lui a remis le DIP (Document d'Information Précontractuel) daté du 2 mars 2006.

Ce document comportait en annexe des informations sur le marché local d'Alençon.

Avant la signature du contrat de franchise, la société Carré Blanc Distribution lui a remis un prévisionnel dont l'hypothèse la plus basse prévoyait un chiffre d'affaires HT de 200 101 euro.

Le contrat de franchise a été signé le 25 avril 2006 entre la société Carré Blanc Distribution et la société Joki représentée par sa gérante, Madame Aymes, en vue de l'ouverture du magasin le 16 mai suivant.

Ce contrat était assorti de son cautionnement à hauteur de 25 000 euro et d'un nantissement d'un montant de 32 000 euro sur le fonds de commerce.

Le premier exercice clos au 28 février 2007 s'est soldé par un chiffre d'affaires de 117 918 euro et par une perte de 28 006 euro.

L'expert comptable de la société Joki, Monsieur Caillault, a saisi la société Carré Blanc Distribution pour l'informer de la faiblesse du chiffre d'affaires par rapport au prévisionnel et de l'énormité du stock représentant 60 482 euro alors que le prévisionnel prévoyait un stock de l'ordre de 30 000 euro.

Il faisait part du souhait de la gérante de voir la société Carré Blanc Distribution reprendre une partie de ce stock et d'une plus grande maîtrise des approvisionnements.

Devant l'ampleur des pertes constatées à la clôture de l'exercice d'une durée de 18 mois, le 31 août 2008, et suite au désistement d'un acquéreur potentiel de son pas de porte, la société Joki a été contrainte de déclarer son état de cessation des paiements.

La société Carré Blanc Distribution a déclaré sa créance de 44 675,81 euro puis a mis en œuvre le cautionnement de Madame Aymes qu'elle a fait assigner devant le Tribunal de commerce du Mans.

Maître Lemée, mandataire judiciaire de la société Joki, a introduit la présente action aux fins de l'annulation du contrat de franchise, de condamnation de la société Carré Blanc Distribution au paiement de dommages et intérêts, d'une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens.

Par jugement du 28 octobre 2009, le Tribunal de commerce de Roanne a statué comme suit :

" Vu les pièces versées aux débats et les conclusions des parties.

Vu les dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce,

Vu la jurisprudence,

Dit que la société Joki a été abusée par la légèreté des documents fournis, qui n'a pu que l'induire en erreur sur la réalité de la situation et qu'ainsi son consentement a été vicié.

Prononce, en conséquence, la nullité du contrat de franchise pour manquement de la SAS Carré Blanc Distribution à ses torts et griefs.

Déboute la SAS Carré Blanc Distribution de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Condamne la SAS Carré Blanc Distribution au remboursement du droit d'entrée de 10 000 euro.

Rejette les demandes de dommages intérêts pour insuffisance d'actif.

Condamne la SAS Carré Blanc Distribution à payer à Maître Xavier Lemée, ès qualité de Mandataire Liquidateur de la société Joki, la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamne la SAS Carré Blanc Distribution aux entiers dépens. "

La société Carré Blanc Distribution a relevé appel de ce jugement par déclaration de son avoué reçue au greffe de la cour le 23 novembre 2009.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 29 juin 2010, elle fait valoir :

- que le Tribunal de commerce de Roanne s'est contenté d'examiner un seul document bien que non obligatoire et remis seulement à titre indicatif par la société Carré Blanc Distribution, pour affirmer qu'il y avait erreur dolosive,

- qu'elle a parfaitement rempli ses obligations légales à l'égard du futur franchisé telles que prévues par les articles L. 330-3 et R. 330-3 du Code de commerce en lui remettant un document d'information conforme à ces dispositions avant la signature du contrat de franchise ; qu'elle lui a de plus remis un document spécifique au marché local, qu'elle n'a nullement l'obligation d'établir une étude de marché,

- qu'en tout état de cause, le seul manquement du franchiseur à son obligation d'information précontractuelle, ce qui n'est même pas le cas en l'espèce, ne suffit pas à démontrer l'existence d'un vice du consentement, que le juge ne peut annuler le contrat sans rechercher si le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement du contractant, que le manquement à une obligation précontractuelle d'information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s'y ajoutent le caractère intentionnel de ce manquement et une erreur déterminante provoquée par celui-ci, qu'il n'est pas prouvé un vice du consentement,

- que la société Carré Blanc Distribution n'a pas à supporter les multiples carences de la société Joki, que le bilan prévisionnel n'était pas obligatoire, n'était pas contractuel, était purement indicatif, était soumis aux aléas de la vie commerciale et notamment dépendant de la capacité et de l'implication de la société Joki dans son statut de franchisé, qu'à aucun moment il n'a été indiqué que ce document constituait une étude de faisabilité, que le franchisé n'est pas affranchi d'une obligation de se renseigner personnellement, que la société Joki ne justifie d'aucune analyse d'implantation, d'aucun prévisionnel, d'aucune étude de marché établis par ses soins, qu'ayant connu des problèmes de santé, Madame Aymes a confié la gestion du magasin à une vendeuse, qu'elle n'a elle-même pratiquement jamais exercé dans la boutique, qu'elle n'a pas fait de communication sur l'ouverture, a refusé d'utiliser le fichier clients proposé à titre gratuit par son prédécesseur, s'approvisionnait a minima, manquait d'implication dans son point de vente et aux réunions et conventions, avait fermé son point de vente en juillet 2008,

- qu'elle n'a pas caché l'existence d'une boutique Carré Blanc à Alençon en 2002/2003.

Elle demande à la cour de :

" Vu les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce,

Vu les articles 1109 et suivants du Code civil

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces produites,

Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Carré Blanc Distribution à l'encontre du jugement rendu le 28 octobre 2009 par le Tribunal de commerce de Roanne,

Confirmer ledit jugement en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de Maître Xavier Lemée, ès qualité de Mandataire Liquidateur de la société Joki,

Reformer le jugement dont appel en ce qu'il dit et a :

- Dit et jugé que la SAS Carré Blanc a manqué à son obligation de renseignement sur l'état réel du marché local et d'avoir remis un prévisionnel non fiable et erroné sans lequel la société Joki alors in bonis n'aurait pas signé,

En conséquence,

- Prononcé la nullité du contrat de franchise pour manquement de la SAS Carré Blanc Distribution à ses torts et griefs,

- Débouté la SAS Carré Blanc Distribution de toutes ses demandes fins et conclusions,

- Condamné la SAS Carré Blanc Distribution au remboursement du droit d'entrée de 10 000 euro,

- Condamné la SAS Carré Blanc Distribution à payer à Maître Lemée, ès qualité de Mandataire Liquidateur de la société Joki, la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Statuant à nouveau

Constater que la société Carré Blanc Distribution a bien transmis les documents visés par les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce à la société Joki,

En conséquence,

Dire et juger que la société Carré Blanc Distribution n'a commis aucune faute à l'égard de la société Joki,

Dire et juger que la société Carré Blanc Distribution a rempli entièrement son obligation légale d'information précontractuelle envers la société Joki,

Dire et juger que la société Carré Blanc Distribution ne supporte aucune obligation de résultat concernant les prévisions d'activité du franchisé,

Dire et juger que la société Joki avait l'obligation de se renseigner personnellement et de procéder elle-même à une analyse d'implantation précise lui permettant d'apprécier le potentiel et donc la viabilité du fonds de commerce,

Dire et juger que la société Joki est défaillante dans l'administration de la preuve notamment en ne démontrant pas l'existence d'une faute de la part de la société Carré Blanc Distribution et quoi celle-ci aurait vicié le consentement de la société Joki,

En conséquence,

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Maître Xavier Lemée ès qualité de Mandataire-Liquidateur de la société Joki comme étant non fondées,

Condamner Maître Xavier Lemée ès qualité de Mandataire-Liquidateur de la société Joki à payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner le même aux entiers dépens de première instance et d'appels distraits au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet, avoués sur leur affirmation de droit. "

Dans ses dernières écritures signifiées le 14 septembre 2000, Maître Xavier Lemée réplique :

- qu'il est exact que la société Carré Blanc Distribution a fourni les documents prévus par la loi Doubin, mais qu'elle a également fourni un prévisionnel irréalisable, ce qu'elle ne pouvait ignorer du fait des résultats de son ancien franchisé, qu'elle a ainsi fourni un prévisionnel fixant un chiffre d'affaires dans le pire des cas de 200 101 euro HT pour la première année, soit 2007, que la société Aubade franchisée Carré Blanc Distribution avait réalisé en 2002/2003 un chiffre d'affaires de 191 112 euro sur 16 mois, que contrairement à ce qu'elle a indiqué dans sa lettre du 24 septembre 2008 à la société Joki, le chiffre d'affaires ne progressait pas de 5 % par an, que la société Carré Blanc Distribution a manqué à son obligation de loyauté en fournissant des chiffres faux,

- qu'elle a fait de la publicité pendant 4 semaines lors de l'ouverture du magasin dans L'Orne Hebdo et le 61, qu'elle n'a jamais eu la possibilité d'utiliser le fichier du précédent franchisé à titre gratuit comme il a été prétendu, que de plus, ce fichier datait de 4 ans et était obsolète et inutilisable informatiquement, qu'elle ne s'est pas approvisionnée à minima puisque la société Carré Blanc Distribution lui a imposé un stock de 60 000 euro, que du reste, il n'existe aucun bon de commande, qu'avant d'être malade, elle s'est très correctement occupée de son magasin et que sa vendeuse était suffisamment compétente pour que la société Carré Blanc Distribution lui propose de reprendre la franchise, que tandis que le magasin a été ouvert en 2006, elle n'est tombée malade qu'en juin 2007, soit plus d'un an plus tard, qu'en juillet 2008 où le magasin a été fermé, la situation était d'ores et déjà irrémédiablement compromise, et qu'il ne peut lui être reproché d'avoir fermé le magasin alors qu'elle était malade,

- que la société Carré Blanc Distribution a remis à sa vendeuse à qui elle proposait la reprise de la franchise un prévisionnel également erroné,

- que la société Carré Blanc Distribution ne l'a pas assistée, s'étant abstenue de répondre à la lettre de son expert-comptable en date du 16 avril 2007,

- que versant un droit d'entrée de 10 000 euro, le candidat à la franchise est en droit d'attendre une prestation de la part du franchiseur un peu plus conséquente et notamment la remise d'un prévisionnel d'exploitation sincère,

- que si la production d'un prévisionnel n'est pas obligatoire, le franchiseur doit, s'il le fournit, le faire de façon sincère, sur des bases sérieuses permettant d'apprécier réellement et en toute connaissance de cause la rentabilité de l'entreprise,

- que le fait de cacher au franchisé l'existence d'un précédent franchisé dont les affaires n'avaient pas été florissantes, de ne mentionner aucune sortie de franchisés du réseau dans les douze mois précédant la signature du DIP et la production d'un prévisionnel attractif ont conduit Madame Aymes ès qualités à s'engager alors que s'il lui avait été indiqué que les affaires du précédent franchisé Carré Blanc Distribution sur Alençon avaient été mauvaises et que le prévisionnel ne correspondait pas à la réalité économique de l'entreprise projetée, elle n'aurait jamais contracté et n'aurait jamais accepté de se porter caution de la société Carré Blanc Distribution à hauteur de 25 000 euro, que cette absence de loyauté et de sincérité a vicié son consentement.

Elle demande à la cour de :

" Dire l'appel de la société Carré Blanc du jugement du Tribunal de commerce de Roanne du 28 octobre non fondé.

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter la société Carré Blanc de son appel et de toutes ses demandes fins et conclusions.

Faisant droit à l'appel incident de Maître Lemée,

Constater que la société Carré Blanc a également manqué à son devoir d'assistance.

La condamner au paiement de la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à celle de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP Ligier de Mauroy et Ligier, avoué sur son affirmation de droit. "

L'ordonnance de clôture est en date du 2 novembre 2010.

Sur ce,

Attendu que pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer à leurs dernières écritures devant la cour ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé ;

Attendu que Maître Lemée ès qualités fait grief à la société Carré Blanc :

- d'avoir remis un document relatif au marché local d'Alençon " dont la pauvreté laisse pantois ",

- d'avoir remis une liste des franchisés ne faisant état d'aucune sortie du réseau de franchiseur dans les 12 mois précédant la remise du DIP,

- d'avoir fourni un prévisionnel qui n'était ni loyal ni sérieux,

- de ne pas avoir apporté assistance à la société Joki, n'ayant pas daigné apporter la moindre réponse à la lettre de son expert-comptable en date du 16 avril 2007 demandant une reprise des stocks ;

Attendu qu'il est établi et non contesté que la société Carré Blanc Distribution a communiqué à la société Joki le document prévu à l'article L. 330-3 du Code de commerce dans le délai prévu par ce texte ;

Attendu qu'il n'est pas contesté qu'elle a de plus remis à la société Joki un compte d'exploitation prévisionnel ;

Attendu que le contrat de franchise a été signé le 25 avril 2006 ;

Attendu que par fax du 16 avril 2007, l'expert-comptable de la société Joki a écrit à la société Carré Blanc Distribution :

"En accord avec Madame Jocelyne Aymes, gérante de la société Joki, je prends contact avec vous pour solliciter une conférence téléphonique, si possible ce jour, vers 15 heures.

L'activité actuelle est insuffisante, les stocks sont importants, la trésorerie est négative, et les prochaines échéances d'achats ne pourront pas être honorées;

Nous souhaitons vous faire part de ces difficultés et examiner avec vous les mesures à prendre pour éviter que la situation ne se dégrade encore plus.

En vous remerciant pour votre réponse, ... ";

Attendu que par courrier du même jour, il lui écrivait :

" Je vous ai adressé un fax ce matin... et j'ai essayé de joindre votre secrétariat à plusieurs reprises. Des messages ont été laissés sur les différentes boîtes vocales de votre secrétariat et sur celle de Monsieur Maronne.

L'objet de ces messages et de cette correspondance est de vous tenir au courant des difficultés que rencontre la SARL Joki et sa gérante, Madame Jocelyne Aymes.

Je viens de faire le point avec elle sur l'activité de son commerce :

- chiffre d'affaires prévu pour la première année d'activité : 150 000 euro HT

- trésorerie au 16 avril 2007 : - 27 000 euro,

- montant du stock : 60 482 euro.

Des mesures urgentes doivent être prises pour éviter le dépôt de bilan.

En particulier l'importance du stock, eu égard au montant du chiffre d'affaires, pose une réelle difficulté d'autant plus qu'il est composé de marchandises livrées en début d'activité dont l'écoulement est insuffisant, voir nul en particulier les articles de literie).

Le prévisionnel établi par vos services prévoyait un chiffre d'affaires de 200 101 euro HT, et un stock de base de 30 000 euro.

Les réalisations sont très éloignées de ces prévisions.

Madame Aymes souhaite une reprise des stocks pour un montant d'environ 25 000 euro et une plus grande maîtrise des approvisionnements pour éviter ce stockage qu'elle ne peut pas gérer et financer.

Pour plus de détails, vous pouvez joindre directement Madame Aymes;

Je reste également à votre disposition... ";

Attendu que par mail du 18 septembre 2008, Monsieur Christian Aymes écrivait à la société Carré Blanc Distribution :

" Vous trouverez en pièce jointe le dernier bilan à fin août.

Celui-ci démontre que les résultats sont loin de ceux annoncés par M. Tournon dans le prévisionnel et que suite à une visite au greffe nous avons découvert qu'une boutique Carré Blanc avait existé à Alençon dans la même rue dans les années 2002, 2003 et 2004 et que le ca 2002 ressort à 146 000 euro avec une perte de 42 000 euro et celui clos le 31/12/2003 à 191 000 euro avec une perte de 95 000 euro mais surprise sur un exercice de 16 mois, ce qui le ramène à 143 000 euro sur 12 mois.

Il est bien évident que si nous avions été avertis de ces données nous n'aurions pas donné suite au projet. En effet, le prévisionnel de M. Tournon prévoyait un CA de 185 000 euro HT, soit environ + 30 % avec une surface de vente inférieure à l'ancienne boutique qui pouvait exposer de la literie etc... actuellement le local est exploité par New Man.

Compte tenu de ces éléments, je vous demande un rdv en urgence afin de trouver une solution dans les plus brefs délais... ";

Attendu que par courrier en date du 24 septembre 2008, la société Carré Blanc a répondu :

- d'abord pour contester avoir caché l'existence d'une boutique Carré Blanc à Alençon de 2002 à 2004

- ensuite pour faire observer que le chiffre d'affaires prévu de 185 000 euro HT n'était pas surestimé au regard des performances réalisées sur des zones de chalandises comparables,

- également pour faire grief à la société Joki de ses propres négligences et défaillances,

- enfin pour lui rappeler ses arriérés en ses livres et la mettre en demeure de régler cet arriéré de 44 190,49 euro ;

Attendu qu'elle écrivait en ce qui concerne le chiffre d'affaires assigné au point de vente de la société Joki :

" Le chiffre d'affaires réalisé par votre prédécesseur sur Alençon en 2003, sur un emplacement de moins bonne qualité, était de 151 000 euro HT sur les douze derniers mois de son exploitation et progressait de 5 % par an.

Une simple extrapolation sur ces mêmes bases nous amène aux 185 000 euro HT objectivés pour 2007 alors que notre réseau enregistrait des performances annuelles, sur la même période et à périmètre constant, bien supérieures à 5 %.

Cette simple analyse historique est largement confirmée par les performances que nous réalisions en 2007 sur des zones de chalandises parfaitement comparables :

Population : Ville, Population Zone Chalandise, CA 2007 HT

Vichy : 26 046, 115 239, 268 000

Vienne : 30 264, 76 315, 284 000

Saumur : 29 757, 85 659, 232 000

Alençon : 28 144, 114 761, 185 000 (objectif annoncé)

Malgré ces références objectives nous avons préféré établir votre compte d'exploitation prévisionnel sur les bases les plus prudentes à savoir 185 000 euros HT de chiffre d'affaires ";

Attendu que par mail du 29 septembre 2008, Monsieur Christian Aymes a notamment confirmé qu'il connaissait l'existence d'une précédente boutique Carré Blanc à Alençon mais que par contre, ce n'était que le jour de l'ouverture que le prédécesseur lui avait conseillé de prendre contact avec Routage Rhône Alpes mais que ceux-ci lui avaient indiqué que les fichiers n'étaient plus exploitables ;

Attendu que la société Joki a régularisé une déclaration de cessation des paiements le 29 septembre 2008 et que le Tribunal de commerce d'Alençon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à son égard par jugement du 6 octobre 2008 ;

Attendu que contrairement à ce qu'affirme Maître Lemée ès qualités, le DIP remis à la société Joki en application des articles L. 330-3 et R. 330-3 du Code de commerce mentionnait bien en paragraphe " VI - Présentation du réseau d'exploitants " des sorties de franchisés du réseau au cours des 12 derniers mois; que Maître Lemée ès qualités ne prétend pas à et a fortiori n'établit pas que les informations figurant à ce paragraphe seraient incomplètes ou inexactes ;

Attendu que Maître Lemée ès qualités ne précise pas quels renseignements complémentaires la société Joki pouvait légitimement prétendre trouver dans le document relatif au marché local d'Alençon qui n'y figuraient pas; qu'il ne fait pas état d'éléments défavorables affectant ledit marché local dont la société Carré Blanc Distribution avait ou aurait dû avoir connaissance et qu'elle lui aurait sciemment dissimulés lors de la conclusion du contrat ; qu'il ne démontre pas non plus ni même n'allègue que le document remis à la société Joki concernant le marché local contenait des éléments inexacts ; qu'il n'est pas établi une insuffisance de renseignements dans le document relatif au marché local, dont cette société ne s'est de toute façon pas plaint à l'époque de la signature du contrat, l'ayant induit en erreur sur ses perspectives d'activité, ayant vicié son consentement et l'ayant incité à contracter dans des conditions lui permettant de se prévaloir d'un dol commis par la société Carré Blanc Distribution ;

Attendu qu'il est versé au dossier :

- un compte d'exploitation prévisionnel visant un projet à Alençon édité le 07/04/05 faisant état des chiffres d'affaires, résultats d'exploitation et résultats nets suivants :

CA HT, Résultat d'exploitation, Résultat net

* 1re hypothèse : 200 101 euro HT, 7 264 euro, 576 euro

* 2e hypothèse : 214 916 euro HT, 12 546 euro, 5 522 euro

* 3e hypothèse : 238 896 euro HT, 21 985 euro, 13 877 euro

* 4e hypothèse : 255 863 euro HT, 32 188 euro, 22 904 euro

- un compte d'exploitation prévisionnel visant un projet à Alençon actualisé le 11 janvier 2006, édité le 11 janvier 2008 faisant état des chiffres d'affaires, résultats d'exploitation et résultats nets suivants :

* 1re hypothèse : 191 037 euro HT, 2 858 euro, -3 534 euro

* 2e hypothèse : 214 916 euro HT, 11 830 euro, 5 031 euro

* 3e hypothèse : 238 796 euro HT, 21 126 euro, 13 252 euro

* 4e hypothèse : 255 863 euro HT, 33 132 euro, 23 742 euro

Attendu que les comptes de la société Aubade, précédent franchisé de la société Carré Blanc Distribution, au 31/08/2002 et au 31/12/2003, révèlent :

- un chiffre d'affaires de 146 226 euro, un résultat d'exploitation négatif de 22 358 euro et une perte de 42 688 euro au 31/08/2002,

- et, pour l'exercice clos au 31/12/2003 ayant eu une durée de 16 mois, un chiffre d'affaires de 191 442 euro au 31/12/2003, ce qui ramené à 12 mois représente 143 581,50 euro, un résultat d'exploitation négatif de 30 086 euro, soit rapporté à douze mois, de 22 564,50 euro, et une perte de 91 876 euro, soit rapportée à douze mois de 68 907 euro,

- une baisse du chiffre d'affaires entre 2002 et 2003 de 146 226 euro à 143 581,50 euro,

- une légère augmentation des pertes d'exploitation,

- une nette augmentation des pertes ;

Attendu qu'alors même qu'il n'existe aucune obligation à la charge du franchiseur d'établir et de remettre au franchisé un bilan prévisionnel, il doit, lorsqu'il le fait, le faire de façon sincère et sur des bases sérieuses permettant d'apprécier réellement la rentabilité de l'entreprise ;

Attendu en l'espèce que la société Carré Blanc Distribution ne conteste pas avoir remis à la société Joki un prévisionnel aboutissant dans la moins bonne des hypothèses à un chiffre d'affaires de 200 101 euro, à un résultat d'exploitation de 7 264 euro et à un résultat net de 576 euro et qu'il ressort du mail de Monsieur Aymes à la société Carré Blanc Distribution en date du 18 septembre 2008 et du courrier en réponse de celle-ci à celui-là en date du 24 septembre 2008 que les parties avaient prévu un chiffre d'affaires HT de 185 000 euro ;

Attendu qu'il ne saurait être contesté que ce prévisionnel ne reposait sur aucun élément objectif fiable et sérieux puisque la société Carré Blanc Distribution a cru pouvoir expliquer à la société Joki dans son courrier du 24 septembre qu'en l'état d'un chiffre d'affaires de 151 000 euro HT réalisés par son prédécesseur sur les douze derniers mois de son exploitation en 2003 et d'une progression de celui-ci de 5 % par an, le chiffre d'affaires prévu de 185 000 euro HT était réaliste, alors que le chiffre d'affaires dudit prédécesseur était, au vu de son compte de résultat de 191 442 euro sur 16 mois, soit de 143 581,50 euro HT ramené à 12 mois, que le chiffre d'affaires de l'exercice 2002 d'une durée de 12 mois avait été de 146 226 euro, donc un peu supérieur, et qu'il n'y avait donc pas eu une progression de 5 % l'an mais une légère diminution;

Attendu qu'il ressort de plus des comptes dudit prédécesseur qu'il avait réalisé au 31/08/2002 une perte d'exploitation de 22 358 euro et une perte nette de 42 688 euro et au 31/12/2003 une perte d'exploitation de 30 086 euro, soit sur douze mois 22 564,50 euro, et une perte de 91 876 euro, soit sur douze mois 68 907 euro ;

Attendu qu'il ne peut être reproché à la société Joki de ne pas avoir pas fait réaliser un prévisionnel dès lors que la société Carré Blanc Distribution lui en avait elle-même remis un et que tandis que l'hypothèse la plus basse correspondait à un chiffre d'affaires de 200 101 euro, les parties s'accordaient pour prévoir un chiffre d'affaires de 185 000 euro HT; que la société Joki était fondée à compter à la fois sur la connaissance et la compétence de la société Carré Blanc Distribution et sur sa loyauté ;

Attendu qu'il est clair que le chiffre d'affaires et les résultats annoncés constituent un élément déterminant du consentement que le co-contractant est amené à donner et que si la société Joki avait su que le chiffre d'affaires réalisé par son prédécesseur était bien inférieur à celui prévisionnel qui lui était annoncé, qu'il était en diminution et que ledit prédécesseur subissait des pertes en augmentation entre 2002 et 2003, elle n'aurait pas contracté avec la société Carré Blanc Distribution dans les conditions où elle l'a fait;

Attendu que la société Carré Blanc Distribution n'a pu utilement et valablement invoquer dans son courrier du 24 septembre 2008 les performances réalisées en 2007 sur des zones de chalandises qu'elle estimait parfaitement comparables, à savoir Vichy, Vienne et Saumur; qu'en effet, les chiffres réalisés en 2007 dans ces villes ne peuvent justifier les chiffres prévisionnels annoncés en avril 2006; qu'en outre, ces chiffres ne sont pas justifiés par la production des comptes des sociétés en cause; qu'enfin, il n'est nullement établi que l'on soit en présence de marchés locaux présentant les mêmes caractéristiques que le marché d'Alençon ;

Attendu qu'en vain, la société Carré Blanc Distribution met par ailleurs en cause la gestion de Madame Aymes ès qualités de représentante légale de la société Joki;

Attendu en effet qu'elle affirme sans l'établir que celle-ci n'a pas fait de communication pour son ouverture, Maître Lemée ès qualités affirmant au contraire que la société Joki a fait de la publicité pendant 4 semaines consécutives précédant l'ouverture de la franchise dans les journaux locaux, à savoir Orne Hebdo et le 61 ;

Attendu qu'elle affirme également sans l'établir que Madame Aymes ès qualités a refusé d'utiliser le fichier de son prédécesseur alors que Maître Lemée ès qualités explique qu'il s'agissait d'un fichier ancien de trois années, obsolète et non informatiquement utilisable, ce qui se conçoit puisque l'exploitation remontait à environ deux années ;

Attendu de plus, que Madame Aymes était une personne expérimentée dans le domaine du commerce puisqu'elle avait exploité pendant 12 années à Le Mans une franchise New Man; qu'elle n'a connu de graves problèmes de santé qu'un an après le contrat et que malgré sa présence assidue la première année, les résultats ont immédiatement été défavorables; que si c'est sa vendeuse qui a tenu le magasin, après qu'elle-même ait été atteinte par la maladie et ait dû subir des traitements, la société Carré Blanc Distribution ne peut sérieusement prétendre qu'il s'agit d'une cause de l'échec du projet alors qu'elle a proposé à ladite vendeuse, suite à la liquidation judiciaire de la société Joki, de reprendre la franchise ;

Attendu qu'il n'est nullement démontré que Madame Aymes ès qualités n'aurait pas participé aux réunions ou conventions du franchiseur ; que selon Maître Lemée ès qualités, elle s'est rendue à toutes les conventions excepté celle de juin 2007 parce qu'elle subissait alors une opération et qu'en janvier 2008, elle a envoyé Madame Urfin, sa vendeuse, faute de pouvoir se déplacer, ce que Madame Urfin confirme dans son attestation en date du 26 juin 2009 ;

Attendu que Maître Lemée ès qualités justifie par la production d'une attestation de Madame Danielle Humbert en date du 3 juillet 2009 que Madame Aymes ès qualités faisait en sorte que la décoration de son point de vente soit toujours actualisée ;

Attendu s'agissant d'une politique d'approvisionnement a minima, que les affirmations de la société Carré Blanc Distribution à cet égard sont démenties par le courrier que l'expert-comptable de la société Joki lui a adressé le 16 avril 2007 faisant état d'un montant de stock de 60 482 euro, Maître Lemée ès qualités soulignant que c'est la société Carré Banc Distribution qui décidait du stock qui devait se trouver dans le magasin et la société Carré Blanc Distribution ne justifiant pas quant à elle de commandes émanant de la société Joki ;

Attendu enfin que la fermeture du magasin en juillet 2008 ne peut être la cause des mauvais résultats antérieurs de la société Joki et qu'à cette époque, sa situation apparaissait d'ores et déjà irrémédiablement compromise ;

Attendu en réalité qu'en l'état du prévisionnel qui lui a été remis par la société Carré Blanc Distribution, la société Joki pouvait légitimement compter réaliser un chiffre d'affaires de 185 000 euro HT, ce chiffre étant nettement inférieur à celui figurant dans l'hypothèse la plus basse dudit prévisionnel ;

Attendu que c'est en l'état de cette quasi-certitude donnée à la société Joki par le prévisionnel remis par la société Carré Blanc Distribution de pouvoir réaliser un chiffre d'affaires de 185 000 euro a minima que la société Joki a contracté; qu'il s'agissait en effet d'un facteur déterminant de son consentement, le chiffre d'affaires et les bénéfices à réaliser constituant les éléments essentiels de valorisation d'un fonds de commerce ;

Attendu que les chiffres d'affaires réalisés en 2002 et 2003 par le prédécesseur de la société Joki, quand bien même une augmentation de 5 % aurait dû intervenir chaque année (ce qui n'est nullement établi et ne pouvait être considéré comme certain), ne permettaient pourtant pas d'envisager sérieusement d'atteindre le chiffre de 185 000 euro HT et, à fortiori, celui de 200 101 euro ;

Attendu que le consentement de la société Joki a été vicié ;

Attendu dans ces conditions que le tribunal a, à bon droit, prononcé l'annulation du contrat de franchise et condamné la société Carré Blanc Distribution à rembourser à Maître Lemée ès qualités la somme de 10 000 euro correspondant au droit d'entrée ;

Attendu que le fonds a été exploité en pure perte et que la société Joki a dû subir une procédure de liquidation judiciaire; qu'ainsi, elle a nécessairement subi un préjudice du fait de la conclusion du contrat de franchise dans les conditions ci-dessus, et que de plus, lorsque, confrontée à des difficultés sérieuses, elle s'est, notamment par l'intermédiaire de son expert-comptable, adressée à son franchiseur, elle n'a obtenu aucune assistance et même aucune réponse ;

Attendu que Maître Lemée ès qualités ne fournit aucun justificatif de l'évaluation de son préjudice à 50 000 euro ;

Attendu que ce préjudice, qui existe, ne saurait, en l'absence de plus amples justificatifs, être évalué à une somme supérieure à 6 000 euro étant précisé qu'il n'y a pas de lien de cause à effet dûment établi entre la nullité du contrat et l'insuffisance d'actif dont le montant n'est du reste même pas précisé ni justifié ;

Attendu que vu les éléments du litige, sa solution et la situation respective des parties, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Joki prise en la personne de Maître Lemée, son liquidateur judiciaire, l'intégralité des frais irrépétibles que lui a occasionnés la présente procédure; que la société Carré Blanc Distribution sera tenue de lui verser la somme complémentaire de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Attendu qu'elle supportera quant à elle l'intégralité de ses propres frais irrépétibles et, outre les dépens de première instance, ceux d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Maître Lemée ès qualités de sa demande de dommages et intérêts, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Carré Blanc Distribution à lui verser la somme de 6 000 euro à titre de dommages et intérêts, Confirme le jugement dont appel pour le surplus, Condamne la société Carré Blanc Distribution à verser à la société Joki prise en la personne de son liquidateur judiciaire la somme complémentaire de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Carré Blanc Distribution aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Ligier de Mauroy- Ligier, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.