CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 mars 2011, n° 10-07142
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sofirem (SAS)
Défendeur :
Ghozali
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Touzery-Champion
Avoués :
SCP Kieffer-Joly-Bellichach, SCP Menard Scelle Millet
Avocats :
Mes Cuiec, Bensaoula
Le 23 décembre 2005, la société Sofirem venant aux droits de la société Mobil Affiches International, spécialisée dans la fabrication, l'exploitation et la diffusion d'affichages publicitaires, a concédé à la société Affichage et Communication Mobile, société de droit marocain en cours de formation, représentée par M. Ouassini Ghozali, une licence exclusive d'exploitation d'un dispositif d'affichage publicitaire déroulant et sélectif pour le Maroc; en contrepartie, le licencié devait verser une redevance initiale de 70 000 euro.
L'activité nécessitait l'acquisition par le licencié de camions équipés du système déroulant et d'un code d'accès fourni par le concédant.
M. Ghozali bénéficiait déjà d'une licence exclusive d'exploitation en Algérie.
Sur le territoire marocain, la société Sofirem venant aux droits de la société Mobil Affiches International avait confié, par contrat du 12 octobre 1998, l'exploitation de cette licence à la société Prodyn.
Par lettre recommandée du 24 avril 2006, la société Sofirem a mis en demeure M. Ghozali de payer la somme de 789 087,80 euro.
Par lettre recommandée du 18 mai 2006, ce dernier a mis en demeure la société Sofirem de respecter ses engagements qui prévoyaient qu'elle réglerait le sort de ses précédents licenciés au Maroc ; c'est dans ces conditions qu'il a saisi le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 10 décembre 2010, le Tribunal de commerce de Paris a :
- prononcé la nullité du contrat signé le 23 décembre 2005,
- condamné la SAS Sofirem venant aux droits de la société Mobil Affiches International à payer à M. Ouassini Ghozali la somme de 5000 euro à titre de dommages,
- condamné la SAS Sofirem à payer à M. Ouassini Ghozali la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté par SAS Sofirem le30 mars 2010.
Vu les conclusions signifiées le 9 décembre 2010, par lesquelles SAS Sofirem demande à la cour de réformer le jugement et de :
- constater l'inexécution par M. Ghozali de ses obligations contractuelles,
- constater que le contrat s'est trouvé résilié à la date du 24 mai 2006,
- prononcer cette résiliation,
- condamner M. Ghozali à lui payer la somme de 415 228,54 euro avec intérêts contractuels au taux de 10 % l'an à compter du 24 mai 2006,
- le condamner à lui payer la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- le condamner à restituer les sommes versées en exécution du jugement du 10 décembre 2009,
- le condamner aux dépens.
Vu les conclusions signifiées le 13 janvier 2011 par lesquelles M. Ouassini Ghozali demande à la cour de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et de condamner SAS Sofirem à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.
Sur ce
Sur la qualité à agir de M. Ghozali :
Considérant que l'article 1843 du Code civil dispose que " les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant l'immatriculation, sont tenues aux obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale ", étant précisé que " en cas de reprise des engagements par la société il n'y a pas solidarité entre la personne qui a engagé la société en formation et la personne morale régulièrement constituée et immatriculée par la suite mais substitution d'un débiteur à un autre " ;
Considérant que le contrat mentionnait "la présente licence est consentie par le concédant à la société marocaine en cours de création en raison de la personne de Monsieur Ouassini Ghozali" ;
Que la société en formation ne peut exercer ses droits que par son futur dirigeant, en l'espèce M. Ghozali qui a mené les négociations et signé le contrat ; que dès lors celui-ci est recevable.
Au fond :
Considérant que la société Sofirem venant aux droits de la société Mobil Affiches International fait valoir que M. Ghozali n'aurait pas exécuté ses obligations contractuelles, qu'il connaissait la situation au Maroc et qu'il a refusé de prendre possession de deux camions nécessaires à l'exercice de son activité ; que le contrat s'est trouvé résilié le 24 mai 2006 ;
Considérant que M. Ghozali expose avoir totalement rempli ses obligations en versant une première somme de 35 000 euro correspondant à la redevance de l'octroi de licence, une seconde somme de 35 000 euro juste après la commande de deux camions publicitaires et 7 000 euro représentant le montant de deux redevances payées pour ceux-ci ce qui n'est plus contesté ;
Considérant que la société Sofirem avait signé le 12 octobre 1998 un contrat de licence exclusive pour le Maroc avec la société Prodyn ; que cette dernière a développé cette licence ; que si Prodyn a connu des difficultés financières ce qui avait conduit Sofirem à lui adresser une lettre de résiliation le 30 avril 2002, celle-ci a régularisé sa situation vis-à-vis de son franchiseur et a pu poursuivre son activité, exploitant trois nouveaux véhicules dans le Nord du Maroc ;
Considérant que la lettre d'intention signée entre Sofirem et M. Ghozali le 4 novembre 2005 mentionne que le territoire concédé est le Maroc ; que si cette lettre d'intention retrace le contrat précédemment signé avec Prodyn, il est mentionné l'envoi d'une lettre de résiliation le 17 mars 2005 "lettre qui permettra de mettre un terme définitif au contrat actuel avec la société Prodyn sur le Maroc" ;
Que Sofirem verse copie d'un courrier en date du 16 mars 2005 envoyé en recommandé et par fax à Prodyn qui fait état d'un solde dû de 16 604,48 euro comprenant les redevances depuis 2002 et une facture de 3 000 euro au titre des frais de brevet ; que par ce courrier elle rappelle à son franchisé l'article XIV du contrat selon lequel "si dans le délai de 30 jours suivant la réception de cette lettre valant mise en demeure, l'obligation dont la partie contrevenante était débitrice n'a pas été exécutée, le présent contrat sera résilié de plein droit si la partie victime de l'inexécution de l'obligation le désire" et que " sans régularisation des sommes dues dans le délai de 30 jours dès première présentation de la présente lettre recommandée " le contrat sera résilié de plein droit ;
Considérant que, si Sofirem produit un courrier de la poste en date du 16 juin 2005 faisant état de sa distribution le 28 mars 2005 et ajoute l'avoir à nouveau adressé par fax le 3 mai 2005, elle ne produit aucun accusé de réception de la société Prodyn qui a contesté l'avoir reçu ;
Que Prodyn a continué d'exercer son activité au Maroc sans que Sofirem engage la moindre action à son encontre afin de mettre fin à cette activité ou faire constater judiciairement la résiliation du contrat; que le 30 mai 2006 Prodyn écrivait "à ce jour je n'ai jamais accusé réception d'une quelconque lettre de résiliation et encore moins refusé d'aller la chercher. De ce fait... je dispose de tous les droits sur le territoire du Maroc" ;
Que dès lors à la date de signature du contrat avec M. Ghozali, Sofirem qui n'avait pas reçu réception de son courrier de résiliation ne pouvait ignorer que son précédent franchisé poursuivait son activité d'autant qu'il était en possession d'un matériel spécialement conçu pour cette activité ; qu'ainsi Sofirem n'a pas donné à son nouveau cocontractant des informations sincères qui lui permettaient de s'engager en connaissance de cause ;
Que le contrat définitif signé le 23 décembre 2005 indiquait expressément "le concédant n'a eu d'autre choix que d'adresser une 2e lettre de résiliation le 17 mars 2005 qui a mis un terme définitif au contrat liant le concédant à la société Prodyn du Maroc. Le concédant a recouvré son entière liberté sur le territoire du Maroc depuis le 2 juin 2005" alors même que le franchiseur de par les renseignements en sa possession ne pouvait loyalement affirmer qu'il était délié de toute obligation vis-à-vis de Prodyn ;
Considérant que l'article 1116 du Code civil dispose que "le dol est une cause de nullité lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manœuvres l'autre partie n'aurait pas contracté" ;
Considérant que l'exclusivité sur le territoire d'exploitation était une condition essentielle du contrat de franchise sans l'assurance de laquelle M. Ghozali n'aurait pas conclu ; que les manœuvres destinées à lui faire croire que le contrat de franchise avec Prodyn était définitivement résilié, sont constitutives d'un dol et que c'est à juste titre que les premiers juges ont prononcé la nullité du contrat de franchise qu'il a conclu avec Sofirem ;
Considérant qu'en conséquence la demande reconventionnelle de la société Sofirem pour inexécution du contrat ne saurait prospérer ;
Sur la demande de dommages et intérêts de M. Ghozali pour appel abusif et dilatoire :
Considérant qu'il y a lieu de relever la mauvaise foi de la société Sofirem qui à tort avait allégué du non-paiement par M. Ghozali des sommes stipulées contractuellement ;
Que de plus en raison des manœuvres dolosives de celle-ci, il a été privé de l'usage de cette somme et dans l'impossibilité d'exercer l'activité prévue ;
Que malgré l'exécution provisoire dont était assorti le jugement et malgré le rejet de sa demande d'arrêt de celle-ci, Sofirem n'a pas exécuté sa condamnation ;
Qu'il convient de l'allouer à M. Ghozali une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts ;
Et considérant que M. Ghozali a engagé des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif et de rejeter la demande de la société Sofirem à ce titre.
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne la société Sofirem venant aux droits de la société Mobil Affiches International à payer à M. Ghozali la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts, La condamne à verser à M. Ghozali une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette la demande de la société Sofirem à ce titre, La condamne aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.