Cass. crim., 23 février 2011, n° 09-87.849
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
DGCCRF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Desgrange
Avocat général :
Mme Magliano
Avocats :
Me Ricard, SCP Odent, Poulet
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, contre l'ordonnance n° 826 du premier Président de la Cour d'appel de Montpellier, en date du 30 septembre 2009, qui a prononcé sur la requête de la société X en annulation des opérations de visite et saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 1351 du Code civil, 520, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a annulé, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier le 2 avril 2008 et évoqué le fond du litige ;
"aux motifs que, sur la déclaration d'incompétence : l'article 520 du Code de procédure pénale dispose que, si le jugement est annulé pour violation ou omission non réparée de formes prescrites par la loi à peine de nullité, la cour évoque et statue sur le fond ; que la SA X demande que l'affaire soit évoquée au motif que par ordonnance du 15 janvier 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier s'est déclaré incompétent et l'a renvoyé à mieux se pourvoir sur le fondement des nouvelles dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; que si l'ordonnance du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence a modifié les dispositions de l'article L. 450-1 du Code de procédure pénale en permettant aux personnes ayant fait l'objet d'une opération de visite et de saisies de contester leur déroulement devant le premier Président de la cour d'appel, la SA X a introduit son recours devant le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier le 20 juin 2008 ; qu'il résulte de ces éléments que le premier juge était compétent pour statuer sur ledit recours, conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, alors applicables ; qu'en conséquence, il convient d'annuler le jugement entrepris et d'évoquer le fond du litige ; que sur la nullité des opérations de visite et de saisie : la SA X entend que la nullité des opérations de visite et de saisie soit prononcée, l'ordonnance portant autorisation "étant elle-même entachée de nullité ; qu'à l'appui de son argumentation elle indique que l'ordonnance rendue le 2 avril 2008 a été prise sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, alors contraire aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; qu'il ne peut être fait droit à cette demande dans la mesure où par, ordonnance du 3 juin 2009, la première Présidente de la Cour d'appel de Montpellier a confirmé la décision rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier ; qu'en conséquence, la demande de la SA X doit être rejetée ;
"1°) alors que le juge ne peut se prononcer au-delà des limites du litige ; qu'en l'espèce le conseiller désigné par ordonnance de Mme la première Présidente de la cour d'appel n'était pas saisi d'un recours en annulation de l'ordonnance d'autorisation mais d'un recours en contestation du déroulement des opérations de visite et de saisies, formé le 26 janvier devant Mme la première Présidente de la cour d'appel ; qu'en prononçant l'annulation de l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie, l'ordonnance attaquée a excédé le champ de sa saisine en violation des textes susvisés ;
"2°) alors que le juge ne peut méconnaître l'autorité de la chose jugée ; qu'après avoir énoncé que la SA X entend que la nullité des opérations de visite et de saisies soit prononcée, l'ordonnance portant autorisation "étant elle-même entachée de nullité ; qu'à l'appui de son argumentation elle indique que l'ordonnance rendue le 2 avril 2008 a été prise sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, alors contraire aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; qu'il ne peut être fait droit à cette demande dans la mesure où par, ordonnance du 3 juin 2009, la première Présidente de la Cour d'appel de Montpellier a confirmé la décision rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier ; qu'en conséquence, la demande de la SA X doit être rejetée, l'ordonnance attaqué ne pouvait, sans se contredire, et violer l'autorité de la chose jugée, annuler en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier le 2 avril 2008 ;
"3°) alors que, dans la mesure où il entendait statuer en appel de l'ordonnance du 15 janvier 2009 par laquelle le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur le déroulement des opérations de visite et de saisies réalisées le 22 avril 2008 et a renvoyé la SA X à mieux se pourvoir sur le fondement des nouvelles dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, le conseiller désigné par ordonnance de Mme la première Présidente de la cour d'appel ne pouvait, dans les motifs de sa décision, dire que le premier juge était compétent pour se prononcer sur ledit recours, conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, alors applicables, (recours en contestation du déroulement des opérations de visite et de saisies), dire qu'en conséquence il convient d'annuler le jugement entrepris et d'évoquer le fond du litige, et dans le dispositif de sa décision, annuler non pas l'ordonnance du 15 janvier 2009, mais l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier le 2 avril 2008 ;
"4°) alors que, dans la mesure où il entendait statuer en appel de l'ordonnance du 15 janvier 2009 par laquelle le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier s'était déclaré incompétent pour se prononcer sur le déroulement des opérations de visite et de saisie réalisées le 22 avril 2008 et avait renvoyé la SA X à mieux se pourvoir sur le fondement des nouvelles dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, le conseiller désigné par ordonnance de Mme la première Présidente de la cour d'appel, seul compétent pour se prononcer sur la régularité du déroulement des opérations de visite et saisie, ne pouvait que rejeter l'appel dont il était saisi et confirmer l'ordonnance du 15 janvier 2009 ; qu'en effet, dès lors que ni l'ordonnance du 13 novembre 2008 donnant compétence au premier Président de la cour d'appel pour statuer sur la régularité des opérations de visite et de saisie ni l'article 139 de la loi 2009-526 du 12 mai 2009, la ratifiant, n'ont prévu de dispositions transitoires sur le contentieux de la régularité des opérations, il en résultait qu'à la date à laquelle il s'était prononcé soit le 15 janvier 2009, le juge des libertés et de la détention n'avait plus compétence pour statuer et s'était à bon droit déclaré incompétent" ;
Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'ordonnance attaquée a ordonné la restitution par le directeur interrégional, chef de la brigade interrégionale d'enquêtes concurrence BIEC, des pièces ne concernant pas la filière viticole ;
"aux motifs que la SA X demande que les pièces saisies hors du cadre matériel et temporel fixé par l'ordonnance lui soit restituées ; que l'ordonnance du 2 avril 2008 indique "que des pièces annexées à la requête font état de hausses de tarifs concomitants pour les années 2006 et 2007 ; que pour établir les pratiques présumées de répartition de clientèle, de hausses concertées de prix et la hausse de pénurie organisée, la Direction Générale de la Répression des Fraudes et de la Concurrence a saisi des documents datés de 1995, 2002, 2004 et 2005, susceptibles de révéler ces agissements dans le secteur du négoce et de la commercialisation des bouteilles de verre destinées à la filière viticole ; qu'ainsi, la saisie des pièces cotées 74 et 75 du scellé n° 3, récapitulant des volumes de production et d'export sur la période 1995-2001 a permis, en ce qui concerne l'agence de Courbevoie, d'avoir des hypothèses de hausse de prix ; que de la même manière, la saisie des pièces cotées 1 à 38 du scellé n° 1, à l'agence, de Montpellier, a permis de faire apparaître plusieurs indications sur les hausses tarifaires pratiquées en 2002 et 2003 ; qu'au regard de ces éléments, il apparaît que la saisie de documents antérieurs, a été effectuée par l'Administration en vue d'une meilleure traçabilité et compréhension des manquements, reprochés ; qu'en conséquence, la demande de restitution des pièces cotées 1 à 38 (scellé n° 1), 1 à 2 (scellé n° 2), cotées 40 à 62, 63 à 77 (scellé n° 1), 74 à 75 (scellé n° 3), 29 à 33 (scellé n° 6), doit être rejetée ; que, cependant, que par ordonnance du 2 avril 2008, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Montpellier a autorisé le directeur interrégional à Marseille à procéder ou à faire procéder dans les locaux des entreprises suivantes, aux visites et aux saisies prévues afin de rechercher la preuve dans le secteur suivant : le négoce et la commercialisation de bouteilles de verre destinées à la filière viticole, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée ; qu'à l'appui de la requête formée par le Directeur interrégional, chef de la brigue interrégionale d'enquêtes concurrence BIEC ont été présentés des procès-verbaux de déclaration et des prises de copies de documents provenant du Cercle des vignerons de Provence, Embouteillage et Services des vins, Friedrich et Cie, Vignoble de Lorière et d'Herbauges et la Compagnie des vins du Grand Sud-Ouest, acteurs de la filière viticole ; qu'il résulte de ces éléments que le champ d'application de l'ordonnance rendue le 2 avril 2008 ne portait que sur le secteur de la filière viticole, à l'exclusion de tous les autres secteurs d'activité ; qu'en conséquence, les documents ne se rapportant pas à ce secteur, soit les pièces cotées 83 à 123 (scellé n° 1), cotées 31 à 41 (scellé n° 3), cotées 21 à 23 et 44 (scellé n° 6), doivent être restituées à la SA X ;
"alors que, saisi d'un recours concernant le déroulement des opérations de visite et de saisie, le juge doit en vérifier la régularité et ordonner la restitution des seuls documents dont il est établi qu'ils ont été appréhendés irrégulièrement ; qu'en statuant ainsi, par des motifs généraux, alors qu'il lui appartenait de rechercher si les documents saisis concernaient, au moins en partie, les pratiques anticoncurrentielles susceptibles d'être relevées dans le secteur de la filière viticole objet de l'enquête le juge a méconnu le sens et la portée du texte susvisé" ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure que, par ordonnance en date du 2 avril 2008, le juge des libertés et de la détention a autorisé l'Administration de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents dans les locaux de la société X (la société) en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; qu'ensuite des opérations qui se sont déroulées le 22 avril 2008, cette société a déposé une requête auprès du juge des libertés et de la détention aux fins d'annulation partielle desdites opérations ; qu'après plusieurs incidents de procédure liés à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 13 novembre 2008, la société a saisi le premier Président de la Cour d'appel de Montpellier de cette requête ;
Attendu que l'ordonnance de ce magistrat, après avoir, dans ses motifs, estimé que le "premier juge" était compétent pour statuer sur ledit recours et énoncé qu'il ne pouvait être fait droit à des demandes de la requérante, annule, dans son dispositif l'ordonnance du 2 avril 2008 ayant autorisé les visite et saisie, évoque le fond du litige et ordonne la restitution à la société de certains documents ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi par des motifs contradictoires et erronés, alors que, d'une part, l'ordonnance, dont il prononçait l'annulation, avait été, par une précédente décision, déclarée définitivement régulière après rejet d'un pourvoi en cassation, d'autre part, il lui appartenait uniquement de statuer sur la régularité des opérations de visite et saisie qui s'étaient déroulées le 22 avril 2008, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance du premier Président de la Cour d'appel de Montpellier, en date du 30 septembre 2009, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant le premier Président de la Cour d'appel de Nîmes, à ce désigné par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.