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Décisions

Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-12.913

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Manpower France Holding (SAS), Manpower France (SAS)

Défendeur :

Adecco France (SAS), Adia (SAS), Randstad (SAS), EDF (SA), Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Président de l'Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

SCP Bénabent, SCP Odent, Poulet, SCP Baraduc, Duhamel, Me Ricard

Cass. com. n° 10-12.913

29 mars 2011

LA COUR : - Joint les pourvois n° 10-12.913 formé par les sociétés Manpower France Holding et Manpower France et n° 10-13.686, formé par la société Randstad, qui attaquent le même arrêt; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2010) que sur une saisine du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie dénonçant des pratiques d'entente mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire par les groupes de sociétés Adecco, Manpower et Vedior, le Conseil de la concurrence (le Conseil), devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), a notifié deux griefs d'entente aux sociétés Adecco Travail temporaire, Manpower France Holding SAS, pour la période antérieure au 30 avril 2004 et, pour la période postérieure, à la nouvelle société Manpower France SAS, anciennement dénommée Manpower Entreprise, ainsi qu'aux sociétés Groupe Vedior France SAS, VediorBis et Adia ; que par une décision n° 07-DSA-29 du 31 janvier 2007, le Conseil a donné acte de la demande formulée par les sociétés Groupe Vedior France et VediorBis, les 28 novembre 2006 et 2 janvier 2007, de classement dans une annexe confidentielle de documents regardés par elles comme mettant en jeu le secret des affaires, a précisé que la version confidentielle de ces documents était classée dans une annexe confidentielle au dossier, que la version non confidentielle et le résumé de ces documents étaient versés au dossier et, enfin, que les messageries et fichiers saisis sous forme dématérialisée le 30 novembre 2004 étaient classés dans leur intégralité dans une annexe confidentielle ; que les sociétés Groupe Vedior France et VediorBis, Adecco France et Adia ont ensuite sollicité le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, leur permettant, à la condition de ne pas contester la réalité des griefs notifiés et de modifier leurs comportements pour l'avenir, de bénéficier d'une réduction de la sanction; que par une décision n° 09-D-05 du 9 février 2009, le Conseil de la concurrence a décidé, notamment, qu'il était établi que les sociétés Manpower France, Holding (anciennement Manpower France), Manpower France (anciennement Manpower Entreprise) (les sociétés Manpower), Adecco France, (anciennement Adecco Travail temporaire), Adia et VediorBis ont enfreint les dispositions de l'article 81 du traité CE, devenu l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, a pris acte des engagements souscrits par les sociétés Adecco France, Adia et les autres entités du groupe Adia ainsi que des engagements souscrits par les sociétés Groupe Vedior France et VediorBis et enjoint à ces entreprises de s'y conformer; qu'enfin, le Conseil a infligé des sanctions pécuniaires à toutes les entreprises en cause;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 10-12.913 : - Attendu que les sociétés Manpower font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs recours contre la décision n° 09-D-05 du Conseil alors, selon le moyen : 1°) qu'il résulte de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, et des principes généraux du droit communautaire, que le principe de l'égalité des armes suppose que les entreprises poursuivies dans une procédure de concurrence aient accès au dossier dans des conditions qui ne les désavantagent pas par rapport à la partie poursuivante ; que cela implique qu'elles aient accès à l'ensemble des documents, à charge et à décharge, que les autorités de poursuite ont recueillis au cours de l'enquête, et non aux seuls éléments à charge sélectionnés par l'autorité de poursuite; qu'en l'espèce, à la suite de la saisie des messageries informatiques de salariés de VediorBis, et de leur classement en une annexe confidentielle du dossier, le rapporteur a eu accès à l'intégralité de ces messageries, dont il a extrait un certain nombre de pièces à charge à l'encontre des sociétés Manpower, sur lesquelles la poursuite a reposé, sans que ces dernières puissent avoir accès dans les mêmes conditions à l'intégralité de la messagerie, pour y chercher notamment des pièces à décharge; qu'en décidant néanmoins qu'il n'y avait pas eu atteinte à l'égalité des armes, au préjudice des sociétés Manpower, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et les principes généraux du droit communautaire ; 2°) qu'en vertu du principe de l'égalité des armes, l'accès par les entreprises à l'ensemble du dossier doit être concret et effectif ; que si l'article R. 463-15 ancien du Code de commerce ouvrait aux entreprises poursuivies la possibilité théorique de demander le déclassement des messageries classées comme une pièce unique en annexe confidentielle, cette possibilité n'était pas concrète et effective, dans la mesure où une demande des sociétés Manpower de déclassement de l'ensemble des dites messageries aurait été vouée à l'échec, dans la mesure où Manpower, ignorant leur contenu, était dans l'impossibilité de démontrer qu'elles contenaient des éléments indispensables à l'exercice de ses droits de la défense ; que dès lors, en se fondant sur cette possibilité qui n'était pas effective, pour admettre l'absence d'atteinte à l'égalité des armes, la cour d'appel a méconnu les articles 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et les principes généraux du droit communautaire ; 3°) que dans sa lettre du 28 novembre 2006, le conseil de VediorBis a demandé clairement et précisément l'occultation de seulement 156 messages de la messagerie électronique saisie, au titre du secret des affaires, et elle a préparé une version non confidentielle de ces documents; Qu'en décidant néanmoins " qu'il n'en demeure pas moins qu'elle a formellement sollicité pour le surplus des messageries de ses employés une demande de protection au titre du secret des affaires ", la cour d'appel a dénaturé la lettre claire et précise du conseil de Vediorbis, et violé l'article 1134 du Code civil ; 4°) qu'il résulte de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des principes généraux du droit communautaire que les droits de la défense de l'entreprise poursuivie, ensemble le principe du contradictoire, doivent en tout état de cause être respectés ; qu'en conséquence, lorsqu'une messagerie électronique saisie a été assimilée à une pièce unique insécable lors du classement en annexe confidentielle, l'autorité de poursuite, qui ne peut se fonder que sur des pièces soumises au contradictoire des parties, ne peut se fonder sur cette messagerie, que si elle a soumis cette pièce unique au contradictoire des parties; qu'en l'espèce, à supposer que le Président du Conseil de la concurrence ait pu classer globalement les messageries électroniques en annexe confidentielle, motif pris de leur caractère insécable, la cour d'appel, qui a constaté que chaque messagerie saisie a été assimilée à une pièce unique et que les sociétés Manpower n'ont pas eu un accès intégral à cette pièce unique sur laquelle s'est fondé le rapporteur, aurait dû en déduire que le principe du contradictoire avait été méconnu ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait pas condamner les sociétés Manpower, sur le fondement d'éléments extraits desdites messageries, sans violer les articles 6 § 1 de la convention européenne des Droits de l'Homme et les principes généraux du droit communautaire ;

Mais attendu que l'arrêt relève que s'il est vrai que la société VediorBis a, dans un premier temps, préparé une version non confidentielle de plusieurs documents saisis lors de la phase d'enquête, qui a été versée au dossier ouvert à la consultation des parties, il n'en demeure pas moins qu'elle a formellement sollicité, pour le surplus des messageries de ses employés, une demande de protection au titre du secret des affaires qui a été suivie par une demande identique de la société Adecco et que c'est dans ces conditions, qu'en vertu de décisions du Président du Conseil, les messageries des deux entreprises concernées ont été régulièrement retirées du dossier et classées globalement, dès lors qu'elles étaient assimilées à des pièces uniques, dans une annexe confidentielle; qu'il précise ensuite que le rapporteur a obtenu, ultérieurement, la communication de certaines pièces classées dans cette annexe, dans la mesure où il les estimait nécessaires à la procédure; qu'il relève encore que ces pièces ont été soumises à la contradiction des requérantes ; que l'arrêt constate enfin que, de leur côté, les sociétés Manpower, qui affirment avoir contesté le traitement réservé aux messageries, n'ont cependant pas usé de la faculté qui leur était offerte par le second alinéa de l'article R. 463-15 du Code de commerce, équivalente à celle qui est ouverte au rapporteur, de demander le déclassement des messageries ainsi classées en annexe confidentielle, en arguant de ce que ces documents étaient nécessaires à l'exercice de leurs droits; qu'en l'état de ces constatations et observations dont il ressort que les sociétés Manpower n'ont pas demandé le déclassement des messageries ou de certains messages contenus dans celles-ci qu'elles estimaient nécessaires à l'exercice de leurs droits, sans qu'il soit démontré qu'une telle demande eût été vouée à l'échec, la cour d'appel qui n'a pas dénaturé la lettre du 28 novembre 2006, a exactement retenu que le défaut de communication des pièces en cause n'a pas constitué une atteinte à l'égalité des armes et que le déclassement de certains éléments des messageries pouvait être ordonné, bien qu'elles constituent chacune une pièce unique; que le moyen n'est pas fondé;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 10-12.913, pris en sa première branche : - Attendu que les sociétés Manpower font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : qu'en vertu de l'article L. 464-2 III du Code de commerce, le choix d'une entreprise poursuivie pour entente, de ne pas contester les griefs ne vaut pas aveu de l'entente; que dès lors, en l'espèce, en décidant que la concertation entre les entreprises qui n'ont pas contesté les griefs était acquise, et que le Conseil avait seulement à établir la participation des sociétés Manpower à ladite concertation, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 464-2 III du Code de commerce, et 81 § 1 du traité de Rome (devenu 101 § 1 du traité de fonctionnement de l'Union européenne TFUE) ;

Mais attendu qu'ayant relevé que les sociétés Adia, Adecco, Groupe Vedior France et VediorBis n'avaient pas contesté les griefs qui leur étaient notifiés et n'avaient ainsi remis en cause ni la matérialité des faits, ni leur qualification juridique au regard du droit de la concurrence, ni leur imputabilité, c'est à bon droit que la cour d'appel a jugé que le Conseil avait justement décidé qu'en conséquence seule la question de la participation des sociétés Manpower aux pratiques anticoncurrentielles reprochées devait être discutée; que le moyen n'est pas fondé;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 10-12.913, pris en ses deuxième et troisième branches et sur le moyen unique du pourvoi n° 10-13.686, pris en sa quatrième branche, réunis : - Attendu que les sociétés Manpower et Randstad, anciennement dénommée VediorBis, font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'en vertu de l'article L. 464-2 1 alinéa 3 du Code de commerce, les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées notamment à la gravité des faits reprochés à l'entreprise, au dommage à l'économie, et à la situation de l'entreprise en cause; que l'existence d'une situation de crise aigue du marché du travail temporaire peut être prise en compte pour minimiser les sanctions ; qu'en décidant que les éventuelles difficultés du secteur concerné par les pratiques ne figurent pas parmi les critères énumérés par l'article L. 464-2 du Code de commerce, et que seules les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises peuvent être prises en compte, la cour d'appel a violé le texte susvisé; 2°) que de toute façon, en vertu de l'article L. 464-2 1 alinéa 3 du Code de commerce, les sanctions sont pécuniaires doivent être proportionnées notamment à la gravité des faits reprochés à l'entreprise, au dommage à l'économie, et à la situation de l'entreprise en cause; qu'en conditionnant la prise en compte de l'existence d'une situation de crise aigue du marché du travail temporaire pour minimiser les sanctions, à la fourniture de pièces comptables montrant que les capacités contributives sont atteintes, la cour d'appel a ajouté au texte une condition qu'il ne pose pas et a violé le texte susvisé; 3°) qu'en refusant de tenir compte de la situation de crise profonde du secteur du travail temporaire et en la subordonnant à la production de pièces comptables montrant que les capacités contributives des entreprises étaient atteintes, la cour d'appel a en réalité refusé d'individualiser la sanction et a de ce fait violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'ayant exactement retenu que les éventuelles difficultés du secteur concerné par les pratiques ne figurent pas parmi les critères énumérés par l'article L. 464-2 du Code de commerce et que seules les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises peuvent être prises en compte dans le calcul de la sanction, la cour d'appel, après avoir constaté que les sociétés Manpower et Randstad n'apportaient pas la preuve de leurs difficultés contributives, a, sans ajouter au texte une condition qu'il ne contient pas, ni refuser d'individualiser la sanction, pu statuer comme elle a fait; que le grief n'est pas fondé;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 10-13.686, pris en sa deuxième branche : - Attendu que la société Randstad fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'une entente locale et limitée à un secteur d'activité ne peut servir de premier terme pour sanctionner une entente nationale et sans limites quant aux branches d'activité ; qu'en se fondant sur une première décision du Conseil de la concurrence qui avait concerné les entreprises de construction pour les travaux d'aménagement du site olympique d'Albertville pour en déduire que les présentes pratiques étaient une réitération, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce;

Mais attendu qu'après avoir relevé que la société Bis France, aux droits de laquelle vient la société Randstad, avait fait l'objet d'une décision du Conseil en 1997, par laquelle avait été retenue sa participation à une pratique d'entente, que cette décision était intervenue avant la commission des nouvelles pratiques de cette société et était devenue définitive à la date à laquelle le Conseil a statué, c'est à bon droit que la cour d'appel relevant que ces conditions étant réunies, ces nouvelles pratiques, identiques par leur nature et leur objet aux précédentes, constituaient une réitération, sans avoir à procéder à une analyse des circonstances précises dans lesquelles les pratiques précédemment sanctionnées avaient été mises en œuvre; que le grief n'est pas fondé;

Et attendu que les deuxième et troisième moyens du pourvoi n° 10-12.913, pris en leurs seconde et première branches respectives, ainsi que le moyen unique du pourvoi n° 10-13.686, pris en ses première et troisième branches, ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.