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Décisions

CA Dijon, ch. soc., 24 février 2011, n° 10-00428

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Distribution Casino France (SAS)

Défendeur :

Balontrade (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roux

Conseillers :

MM. Hoyet, Vignard

Avocats :

Mes Chaput-Dumas, Bonfils

Cons. prud'h. Dijon, du 26 mars 2010

26 mars 2010

Faits et procédure

Le 16 septembre 2003, Monsieur et Madame Balontrade ont signé avec la SAS Distribution Casino France un contrat de co-gérance aux termes duquel il leur était donné mandat d'exploiter la supérette d'Auxonne.

A compter du 29 août 2007, Nathalie Balontrade a été en congé maladie.

Par lettres distinctes du 26 décembre 2007, SAS Distribution Casino France a notifié à Monsieur et à Madame Balontrade la résiliation du contrat de co-gérance.

Le 9 janvier 2008, une transaction a été signée entre Monsieur et Madame Balontrade et la SAS Distribution Casino France portant sur l'indemnisation du préjudice résultant pour eux de la résiliation du contrat de co-gérance.

Par une nouvelle lettre du 27 avril 2009, la SAS Distribution Casino France a notifié à Nathalie Balontrade la résiliation de son contrat de co-gérance.

Le 2 juillet 2009, Monsieur et Madame Balontrade ont saisi le conseil de prud'hommes d'une demande d'annulation du protocole transactionnel signé le 27 avril 2009, d'une demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'une demande indemnitaire au titre de la clause de non-concurrence.

Par jugement en date du 26 mars 2010, le conseil de prud'hommes a :

- annulé la transaction signée entre les parties le 9 janvier 2008,

- dit que le licenciement de Laurent Balontrade est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS Distribution Casino France à payer à Laurent Balontrade les sommes suivantes :

- 25 000 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 840,17 euro à titre de rappel d'indemnité de licenciement et de salaires,

- 15 000 euro à titre de dommages-intérêts pour respect de la clause de non-concurrence,

- 450 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit que le licenciement de Nathalie Balontrade est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS Distribution Casino France à payer à Nathalie Balontrade les sommes suivantes :

- 25 000 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 432,20 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 450 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit que les condamnations prononcées porteront intérêts à compter du 3 juillet 2009.

La SAS Distribution Casino France a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses écritures reprises à l'audience, elle demande à la cour :

- de déclarer Laurent Balontrade irrecevable à agir à son encontre eu égard à la transaction signée,

- à titre subsidiaire, de dire que la rupture du contrat de co-gérance de Laurent Balontrade est intervenue pour un motif réel et sérieux et le débouter de toutes ses demandes,

- de dire que la rupture du contrat de co-gérance de Nathalie Balontrade est intervenue en raison de son inaptitude médicalement constatée et la débouter de toutes ses demandes,

- de débouter Monsieur et Madame Balontrade de leur demande de requalification en un contrat de salariat et de leurs demandes en résultant,

- de condamner solidairement Monsieur et Madame Balontrade à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions également reprises à l'audience, Monsieur et Madame Balontrade demandent à la cour :

- de déclarer nulle la transaction signée le 9 janvier 2008,

Concernant Laurent Balontrade :

- de dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- de condamner la SAS Distribution Casino France à lui payer la somme de 25 200 euro au titre de la clause de non-concurrence,

- de requalifier le contrat en contrat salarié

- de condamner la SAS Distribution Casino France à lui payer la somme de 53 714,31 euro net à titre de rappel de salaires,

- à titre subsidiaire, de condamner la SAS Distribution Casino France à lui payer la somme de 3 041,58 euro à titre de rappel de commissions,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts ayant couru depuis la saisine du conseil de prud'hommes.

Concernant Nathalie Balontrade :

- de dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la SAS Distribution Casino France à lui payer la somme de 80 000 euro en réparation de ses préjudices,

- de requalifier le contrat en contrat salarié,

- de condamner la SAS Distribution Casino France à payer à Nathalie Balontrade la somme de 75 021,65 euro à titre de rappel de salaires,

- subsidiairement, de condamner la SAS Distribution Casino France à lui payer la somme de 5 864,40 euro à titre de rappel de commissions,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts ayant couru sur les sommes dues depuis la saisine du conseil de prud'hommes,

- de condamner la SAS Distribution Casino France à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur la validité de la transaction

Attendu que la validité d'une transaction est conditionnée par l'existence de concessions réciproques ;

Que la SAS Distribution Casino France soutient que le motif de la rupture du contrat de co-gérance étant réel et sérieux, en indemnisant à hauteur de 2 000 euro le préjudice subi par les co-gérants, du fait de cette rupture, elle a fait une réelle concession ;

Attendu que par deux lettres séparées en date du 26 décembre 2007 ayant fait suite à une convocation unique à un entretien préalable à la rupture fixé au 21 décembre 2007, la SAS Distribution Casino France a rompu le contrat de co-gérance vis-à-vis de Monsieur et Madame Balontrade ;

Que cette rupture du contrat de co-gérance à laquelle fait référence le protocole transactionnel, signé par les deux co-gérants, est donc intervenue le 26 décembre 2007, ce qui rendait d'ailleurs sans objet, la nouvelle rupture du contrat de co-gérance notifiée à Nathalie Balontrade le 27 avril 2009, mais rendait possible la conclusion de cette transaction ;

Mais attendu qu'à la date du 26 décembre 2007, Nathalie Balontrade était en arrêt de travail pour maladie depuis le 19 aout 2007 et que son contrat était donc suspendu ;

Que, par suite, eu égard aux règles de protection des salariés malades, applicables, et au préjudice résultant pour les deux co-gérants, de la rupture, dans ces conditions, du contrat de co-gérance, la somme de 2 000 euro au paiement de laquelle la SAS Distribution Casino France s'engageait à titre d'indemnisation du préjudice subi par Monsieur et Madame Balontrade était manifestement dérisoire et ne constituait pas une concession de sa part ;

Que, par suite, la transaction signée par les parties le 9 janvier 2008 doit être annulée ;

Sur la requalification du contrat de co-gérance

Attendu que Monsieur et Madame Balontrade font valoir que leur subordination juridique à la SAS Distribution Casino France découle des clauses contractuelles illicites relatives aux livraisons, au pouvoir disciplinaire dont elle dispose vis-à-vis de ses gérants et de sa maîtrise totale de l'organisation des conditions de travail, stockage, mise en rayon, service, animations commerciales, fixation des horaires, contrôlées par des managers ;

Qu'il leur appartient d'établir cette subordination ;

Or, attendu que les différents témoignages versés aux débats établis par d'autres gérants de succursales casino n'ont aucun caractère probant dans le cadre du présent litige, la situation d'autres co-gérants n'étant pas nécessairement identique à celle de Monsieur et Madame Balontrade ;

Que par ailleurs, il ne résulte d'aucune des dispositions du contrat de co-gérance relatives, notamment, à l'organisation des rapports commerciaux entre les co-gérants et la SAS Distribution Casino France, la preuve d'un lien de subordination entre ceux-ci et la société ;

Que, notamment, en ce qui concerne les horaires d'ouverture et de fermeture du magasin, il leur était seulement demandé de se soumettre aux usages locaux ; que s'il a été contesté par la SAS Distribution Casino France à Monsieur et Madame Balontrade, la possibilité de fermer certaines demi-journées dans la semaine, il ne peut en être déduit un lien de subordination, la régularité de l'ouverture des succursales exigée par la SAS Distribution Casino France s'inscrivant dans un objectif de protection de l'image de l'enseigne à laquelle chaque succursale doit participer ;

Qu'il n'est pas non plus, pour la SAS Distribution Casino France, contraire à l'indépendance des co-gérants, de sanctionner leurs agissements fautifs, qui sont préjudiciables à la société, ni de contrôler la gestion des supérettes, ce qui est conforme aux dispositions de l'article 22 de l'accord collectif national des maisons d'alimentation à succursale du 11 juillet 1963 modifié le 20 mars 2007 ;

Qu'il n'est pas démontré par ailleurs que la faculté d'embaucher, prévue par le contrat de co-gérance, ait été uniquement théorique ;

Qu'ainsi Monsieur et Madame Balontrade ne justifient d'aucune injonction précise que leur aurait faite la SAS Distribution Casino France ;

Qu'il n'est, dans ces conditions, pas établi que Monsieur et Madame Balontrade aient été dans un lien de subordination vis-à-vis de la SAS Distribution Casino France ;

Qu'ils doivent en conséquence être déboutés de leur demande de requalification du contrat de co-gérant en contrat de travail et de toutes leurs demandes pécuniaires en résultant ;

Sur la rupture du contrat de co-gérance

Attendu que selon l'article 15 du contrat de co-gérance signé le 16 septembre 2003 par Monsieur et Madame Balontrade, l'indivisibilité du mandat donné par l'entreprise et la solidarité des deux co-gérants constitue un élément essentiel du contrat dont il résulte que si le contrat prend fin pour l'un des co-gérants pour quelque cause que ce soit, il se trouve résilié de plein droit pour l'autre ;

Que, par suite, s'agissant d'un contrat unique, la régularité de sa rupture doit s'apprécier au regard de la situation des deux co-gérants au moment de cette rupture ;

Attendu que la rupture du contrat de co-gérance est intervenue par deux lettres distinctes adressées le 26 décembre 2007 à Monsieur et Madame Balontrade ;

Qu'à compter du 29 août 2007, Nathalie Balontrade a été en arrêt de maladie ;

Que si cette maladie, non consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, ne mettait pas obstacle à la rupture du contrat de co-gérance, en revanche, étaient applicables à Nathalie Balontrade les dispositions de l'article L. 1132-1 du Code du travail interdisant le licenciement d'un salarié en raison de sa maladie sauf, pour l'employeur à démontrer que son absence prolongée ou ses absences répétées constituaient un motif réel et sérieux de licenciement en raison de la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement serait perturbé, l'obligeant à pourvoir à son remplacement définitif ;

Que dans cette hypothèse, il appartient à l'employeur, outre d'établir les perturbations entraînées par l'absence de la salariée dans le fonctionnement de l'entreprise et la nécessité de procéder à son remplacement compte tenu de ces perturbations, de les mentionner dans la lettre de rupture ;

Or, attendu que la lettre de rupture adressée le 26 décembre 2007 à Nathalie Balontrade ne mentionnait ni l'existence de ces perturbations, ni la nécessité de procéder à son remplacement définitif, ce que d'ailleurs aucun élément du dossier ne justifie ; que la rupture du contrat de co-gérance est sans cause réelle et sérieuse ;

Que, par suite, s'agissant d'un contrat unique, sa rupture est, vis-à-vis des deux co-gérants, sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que le préjudice résultant pour Monsieur et Madame Balontrade de la rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat de co-gérance dont il ont, l'un et l'autre, fait l'objet, doit, au vu des éléments du dossier, être chiffré à la somme de 12 000 euro en ce qui concerne Laurent Balontrade et à la somme de 6 000 euro en ce qui concerne Nathalie Balontrade ;

Sur la clause de non-concurrence en ce qui concerne Laurent Balontrade

Attendu que le contrat de co-gérance comporte, en son article 18, une clause de non-concurrence pendant une période de trois années dans un rayon géographique déterminé en fonction de l'importance de la localité ;

Que pour n'être pas assortie d'une contrepartie financière, cette clause est nulle ;

Que le fait pour Laurent Balontrade d'avoir respecté une clause de non-concurrence nulle, lui a occasionné un préjudice que la cour chiffre à la somme de 8 000 euro.

Sur les autres demandes

Attendu que les sommes réclamées au titre des rappels de commissions ne sont pas justifiées par des éléments probants ; que Monsieur et Madame Balontrade doivent être déboutés de leur demande à ce titre ;

Qu'une somme de 1 432,20 euro doit être allouée à Nathalie Balontrade au titre de l'indemnité de préavis.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme partiellement le jugement déféré, Annule la transaction signée par les parties le 9 janvier 2008, Déboute Monsieur et Madame Balontrade de leur demande de requalification du contrat de travail et des demandes pécuniaires en résultant, Dit que la rupture du contrat de co-gérance est, à l'égard des deux co-gérants, sans cause réelle et sérieuse, Condamne la SAS Distribution Casino France à payer à Laurent Balontrade la somme de 12 000 euro et à Nathalie Balontrade la somme de 6 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse, Annule la clause de non-concurrence, Condamne la SAS Distribution Casino France à payer à Laurent Balontrade la somme de 8 000 euro à titre de dommages-intérêts compte tenu de son respect de la clause de non-concurrence annulée, Condamne la SAS Distribution Casino France à payer à Nathalie Balontrade la somme de 1 432,20 euro à titre d'indemnité de préavis, Déboute Monsieur et Madame Balontrade de toutes leurs autres demandes, Condamne la SAS Distribution Casino France à payer à Monsieur et Madame Balontrade, à chacun d'eux la somme de 2 000 euro au titre de leurs frais irrépétibles engagés en première instance et en cause d'appel, Condamne la SAS Distribution Casino France aux dépens de première instance et d'appel.