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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc. A, 8 février 2011, n° 10-02463

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Decs (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Castagnède

Conseillers :

Mme Duval-Arnould, M. Tcherkez

Avocats :

Mes Bénichou, Chelly Szulman

Cons. prud'h. Périgueux, sect. com., du …

12 avril 2010

Exposé du litige

Madame X qui a signé le 8 février 2005 un contrat de commissionnaire-affilié avec la société Decs, a pris acte de la rupture de ce contrat le 31 août 2009 et a saisi le Conseil de prud'hommes de Bordeaux d'une demande de requalification dudit contrat en contrat de travail en application de l'article L. 7321-2 du Code du travail au motif qu'elle vendait sous la marque " Soleil Sucré " de la lingerie qui lui était procurée par la société Decs, dans un local agréé par cette société, aux conditions et prix préconisées par elle.

Par jugement du 12 avril 2010, le conseil de prud'hommes, constatant que la demanderesse était inscrite au registre du commerce, qu'elle accomplissait des actes de commerce à titre de profession habituelle, qu'elle tenait une comptabilité commerciale et, cotisait au régime social des travailleurs indépendants, a estimé inapplicable le texte du Code du travail susvisé et s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce.

Madame X a formé le 15 avril 2010, un contredit à l'encontre de cette décision.

Dans ses conclusions déposées le 30 novembre 2010 et développées à la barre, Geneviève X soulève l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence comme tardive. Au fond, elle revendique le bénéfice des dispositions du Code du travail sur le fondement de l'article L. 7321-2 dudit code, ce qui justifie la compétence du conseil de prud'hommes ; elle demande à la cour d'évoquer le fond du litige, de requalifier le contrat de commissionnaire-affilié en contrat de travail, de dire que la rupture du contrat s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences que cela entraîne. En outre, elle sollicite un rappel de salaire et le remboursement du droit d'entrée de 12 000 euro versé à la société Decs. Oralement elle demande à la cour d'écarter des débats les pièces et les conclusions communiquées par l'intimée le jour de l'audience.

La société Decs a développé à l'audience des conclusions déposées le même jour tendant à la confirmation du jugement. Subsidiairement, elle s'oppose à l'évocation et demande le renvoi devant le Conseil de prud'hommes de Périgueux. Plus subsidiairement, elle sollicite le rejet des attestations de complaisance produites par l'appelante, celui de sa demande de rappel de salaire, l'analyse de la prise d'acte de rupture comme une démission pure et simple et le débouté de Madame X outre sa condamnation à lui payer la somme de 37 744,82 euro au titre du chiffre d'affaires perçu après la rupture du contrat et de l'écart de stock constaté, celle de 5 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 12 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs

Le contredit est recevable comme régulier en la forme.

Sur la recevabilité des conclusions et des pièces

Les pièces 61 à 68 communiquées par la société Decs le jour de l'audience doivent être écartées des débats pour respecter le principe de la contradiction que cette communication viole alors que la société Decs est informée depuis le 10 août 2010 de la fixation de l'affaire, laquelle a subi deux renvois le 7 septembre et le 31 octobre 2010. En revanche, les conclusions déposées le même jour qui ne contiennent aucun moyen nouveau et seulement une augmentation de la demande reconventionnelle seront déclarées recevables.

Sur l'exception d'incompétence

Il résulte des notes d'audience du 8 février 2010 que le conseil de la société Decs a soulevé l'incompétence du conseil de prud'hommes avant d'avoir donné une quelconque explication sur le fond du litige. L'exception d'incompétence doit donc être jugée recevable.

L'appelante invoque à son profit les dispositions de l'article L. 7321-2-2°-a du Code du travail. En effet, les personnes qui remplissent les conditions prévues par ce texte, bénéficient des dispositions du Code du travail et le litige qui les oppose à leur employeur relatif à l'application dudit code, relève de la compétence du conseil de prud'hommes. La décision sur la compétence impose donc de rechercher si Madame X répond aux exigences du texte susvisé à savoir :

- vendre des marchandises fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise,

- dans un local fourni ou agréé par cette entreprise,

- aux conditions et prix imposées par cette entreprise.

Il ressort du contrat de commissionnaire-affilié signé par les parties le 8 février 2005 :

- article 4-2-7 : que le commissionnaire-affilié accepte de vendre en son propre nom mais pour le compte et profit de la société Decs les marchandises qui sont mises à sa disposition par cette dernière dans le cadre d'une consignation ; que la société Decs s'engage à mettre à la disposition du commissionnaire-affilié un stock de départ et à renouveler ce stock au fur et à mesure des ventes et des saisons au moyen de trois approvisionnements par mois et que le commissionnaire-affilié ne peut commercialiser dans sa boutique aucun autre produit que ceux de la marque Soleil Sucré ;

- article 4-1-1: que le commissionnaire-affilié fera établir par l'architecte du réseau Soleil Sucré un métré de son local et un plan d'implantation du concept Soleil Sucré, que l'architecte de Soleil Sucré établira la demande de permis de construire et les autorisations nécessaires, le coût de son intervention restant à la charge du commissionnaire-affilié ; que le commissionnaire-affilié fera ensuite réaliser les travaux de gros œuvre tels que définis par le cahier des charges de Soleil Sucré, la société Decs intervenant ensuite pour réaliser des travaux d'aménagement qui intégreront notamment le mobilier spécifique au réseau Soleil Sucré ; que le coût des travaux ainsi réalisés sera facturé au commissionnaire-affilié ;

- article 4-2-5 : que le commissionnaire-affilié recevra de la société Decs la marchandise pré-étiquetée au prix de vente au public qu'il devra respecter ; que toute réduction de prix accordée à la clientèle restera à la charge du commissionnaire-affilié ;

- article 4-2-7-2 : que le service commercial de la société Decs pourra aussi imposer au commissionnaire-affilié, et cela à tout moment, la baisse du prix de vente d'articles pour en éviter le retour à son entrepôt.

Si la société Decs a pu faire constater que Madame X commercialisait des produits d'une autre marque, force est de constater que cette constatation est postérieure à la lettre de rupture du 31 août 2009. Madame X vendait pour le compte de la société Decs des produits de lingerie placés en dépôt dans son magasin mais qui demeuraient la propriété du fournisseur et dont le paiement était enregistré directement dans la comptabilité dudit fournisseur.

Il résulte de l'attestation établie par l'agent immobilier ayant négocié la cession du droit au bail du local dans lequel a été installé le magasin, que cette négociation a été menée par la responsable du développement de la franchise Soleil Sucré. Il n'existe aucun motif d'écarter cette attestation établie par un professionnel. La société Decs ne peut donc valablement faire valoir que Madame X disposait de son local avant de s'engager dans la relation avec elle et que les dispositions contractuelles n'auraient pas été respectées. Il apparaît en conséquence que le local a bien été agréé conformément aux exigences du texte du Code du travail.

Il ressort clairement des termes du contrat que la commissionnaire devait respecter les prix que la société Decs faisait figurer sur la marchandise livrée, même s'il n'y avait pas une impossibilité totale de les modifier ; qu'à l'initiative de société Decs ces prix pouvaient à tout moment être baissés.

S'agissant des conditions d'exécution du contrat, force est de constater que la comptabilité était directement tenue par la société puisque les encaissements réalisés au magasin étaient directement versés sur son compte, que c'est elle qui décidait des périodes de promotions et qu'elle contrôlait très précisément l'aménagement de la boutique. La dernière condition prévue à l'article L. 7321-2-2°-a se trouve donc également remplie.

Il apparaît en conséquence que les conditions prévues à l'article du Code du travail susvisé se trouvent réunies et qu'il importe peu que Madame X ait été inscrite au registre du commerce et des sociétés de Périgueux à compter du 6 janvier 2005 ; qu'elle bénéficie en conséquence des dispositions du Code du travail dont elle peut solliciter l'application devant le conseil de prud'hommes.

Sur l'évocation

En vertu des dispositions des articles 89 et 568 du Code de procédure civile, il y a lieu d'évoquer le fond pour donner à l'affaire une solution définitive. La société Decs qui a soulevé l'incompétence du conseil de prud'hommes est malvenue à prétendre que cette juridiction serait particulièrement apte à trancher les litiges qui opposent les gérants de succursales à leur fournisseur.

Sur le fond

Madame X ne saurait valablement soutenir être soumise à un lien de subordination juridique alors que les diverses contraintes imposées par la société Decs ne résultent que des relations commerciales les liant qui ne correspondent qu'à une certaine dépendance économique. Il ne sera donc pas fait droit à la demande de requalification dudit contrat en contrat de travail et à la demande d'indemnité de requalification.

Néanmoins en vertu des dispositions des articles L. 7321-1 et L. 7321-2, Madame X bénéficie des dispositions du Code du travail.

Dans sa lettre du 31 août 2009 par laquelle Madame X prend acte de la rupture du contrat dit de commissionnaire-affilié aux torts du fournisseur, elle réclame le remboursement du droit d'entrée, de la caution sur stock et des frais d'agencement et de mobilier toutes dépenses exposées à l'ouverture du contrat ainsi qu'un complément de salaire tenant compte des heures supplémentaires effectuées.

Le différend relatif au droit d'entrée, à la caution et aux frais d'agencement et de mobilier relève des relations commerciales entre les parties et ne peut permettre d'obtenir du conseil de prud'hommes la reconnaissance d'une rupture du contrat imputable à la société Decs.

Il résulte des articles 4-2 et suivants du contrat de commission-affiliation que le commissionnaire assure avec le personnel de son choix l'exploitation de la boutique, qu'il conserve la pleine et entière liberté de gestion de la boutique et à ce titre déterminera librement les heures d'ouverture et les périodes de fermeture, procédera seul à l'embauchage et au licenciement de son personnel. En présence de pareilles dispositions, dont il n'est pas démontré qu'elles auraient pu ne pas être respectées, Madame X ne peut réclamer le paiement d'heures supplémentaires qui ne lui ont pas été imposées par la société Decs.

Dans la lettre de rupture, il n'était nullement fait état d'un paiement tardif des commissions ni d'un manquement à l'obligation d'approvisionnement régulier du magasin. En effet, le contentieux relatif aux retards de paiement des commissions avait cessé depuis une année puisque, en infraction aux dispositions contractuelles, Madame X avait, depuis l'été 2008, appréhendé directement le produit des ventes qu'elle réalisait qui était initialement directement versé sur le compte de la société Decs, laquelle, en réaction, et pour faire pression avait, dans le courant de l'année 2009, limité les approvisionnements. Quant aux erreurs alléguées sur les bordereaux de livraison, elles ne présentent pas une gravité suffisante pour justifier une rupture du contrat, pas plus que l'omission de déclaration de Madame X aux organismes sociaux dans un pareil contexte alors que celle-ci n'a jamais formulé la moindre réclamation à cet égard.

Enfin s'agissant d'une insuffisance de rémunération, il ressort les explications données par la société Decs, que la comparaison des sommes perçues par Madame X et de la rémunération à laquelle aurait pu prétendre en application de la convention collective applicable à la société, augmentée des frais que Madame X a dû prendre en charge dans le cadre de sa propre activité, démontre que cette dernière a été parfaitement remplie de ses droits.

En conséquence de quoi les griefs formulés par l'appelante s'avèrent inopérants et la rupture doit s'analyser comme une démission. Madame X sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts, de préavis et d'indemnité de licenciement.

S'agissant du droit d'entrée de 12 000 euro, il trouve sa cause dans le contrat de commission-affiliation. La demande de remboursement doit donc être écartée.

Sur la demande reconventionnelle

La société Decs réclame la condamnation de Madame X à lui verser le chiffre d'affaires réalisé au mois de septembre 2009 pour 16 462 euro ainsi qu'une somme de 21 282 euro au titre d'un écart de stock, prétentions rejetées par l'appelante. Pour tenter de justifier du bien-fondé de sa réclamation, la société ne verse aux débats qu'une facture établie par elle-même et une citation directe devant le Tribunal correctionnel de Périgueux à l'encontre de Madame X pour abus de confiance dont les suites demeurent ignorées bien que l'audience ait été fixée au 17 février 2010. Ces seules pièces n'établissent pas le bien-fondé de sa demande qui doit donc être rejetée alors au demeurant que les inventaires n'ont jamais été contradictoires et que la variation de stock demeure en conséquence théorique.

La société Decs ne s'expliquant pas sur le préjudice qui lui aurait été occasionné par cette procédure qu'elle qualifie d'abusive, il ne sera pas fait droit à sa demande de dommages-intérêts.

L'appelante qui succombe dans ses prétentions devra supporter les dépens et contribuer par le versement d'une somme de 2 000 euro aux frais non taxables exposés par l'intimée.

Par ces motifs, LA COUR, Ecarte des débats les pièces 61 à 68 communiquées par la société Decs, Infirme le jugement déféré, Dit que Madame X exerçait son activité dans les conditions prévues par l'article L. 7321-2-2°-a du Code du travail, Dit que le Conseil de prud'hommes de Périgueux était compétent pour statuer sur ses demandes, Evoquant, déboute Madame X de sa demande tendant à voir juger que la rupture du contrat qui la liait à la société Decs serait imputable à cette société et de toutes ses autres demandes, Dit que la rupture s'analyse en une démission, Déboute la société Decs de ses demandes reconventionnelles, Condamne Madame X à payer à la société Decs la somme de 2 000 euro (deux mille euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Madame X aux dépens tant de première instance que d'appel.