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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 16 mars 2011, n° 10-15573

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Lamy

Défendeur :

Antelco Pty Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP Jourdan-Wattecamps, SCP Maynard-Simoni

Avocats :

Mes Pesseguier-Pallincourt, Delplanque, Zeglin

T. com. Aix-en-Provence, du 29 juill. 20…

29 juillet 2010

Exposé du litige

Bernard J. Lamy a été l'agent commercial pour l'Europe depuis 1992 de la société de droit italien Antelco Pty Ltd distribuant du matériel d'arrosage pour parcs et jardins.

Aucun mandat écrit n'a été établi. Par courrier recommandé du 9 septembre 2008 la société Antelco Pty Ltd y a mis un terme sans préavis en invoquant différents griefs à l'encontre de Bernard J. Lamy que ce dernier a immédiatement contestés par courrier en réponse du 30 septembre 2008. Le 20 mars 2009, il a saisi le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence aux fins d'obtenir paiement d'un solde de commissions et des indemnités de préavis et de rupture prévues aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce. Par jugement contradictoire du 29 juillet 2010, le tribunal a fait droit partiellement à la demande en allouant à Bernard J. Lamy les sommes de 27 782,15 euro à titre d'indemnité de préavis et de 32 650 euro à titre de solde de commissions tout en rejetant la demande au titre de l'indemnité de rupture aux motifs que Bernard J. Lamy s'était opposé à souscrire un contrat écrit et vendu des produits concurrents.

Ce dernier ainsi que la société Antelco Pty Ltd ont relevé appel du jugement selon déclarations respectives des 16 août et 18 septembre 2010. Le 26 août 2010, Bernard J. Lamy a été autorisé à assigner la société Antelco Pty Ltd à jour fixe. L'assignation a été délivrée le 7 décembre 2010 au siège de la société Antelco Pty Ltd.

Dans ses conclusions du 10 septembre 2010 Bernard J. Lamy fait valoir que:

- les commissions étant payées en France, la loi française est applicable;

- la société Antelco a procédé après 15 ans à une rupture brutale du mandat sans régler un solde de commissions ni offrir de préavis alors qu'il avait engagé des frais importants pour le salon de Bologne de septembre 2008;

- l'absence d'écrit ne prive pas l'agent commercial du statut d'ordre public mis en œuvre par la loi du 25 juin 1991 ;

- la société Antelco n'établit aucune faute grave à son encontre, la baisse du chiffre d'affaires alléguée étant dûe à la création par un ancien ingénieur d'Antelco Pty Ltd de la société Teco en Italie et la société Antelco n'ignorait pas qu'il distribuait des produits complémentaires;

- en tout état de cause, les faits reprochés datant de plus de trois ans ne peuvent servir de fondement à la résiliation du mandat;

- la société Antelco utilise, hors de son contexte, un incident qui l'a opposé à son représentant à l'occasion du salon de Bologne;

- il n'a pas refusé de signer le mandat écrit proposé par la société Antelco sous réserve que soit ôtée la clause d'arbitrage au profit des juridictions australiennes, et qu'il demeure soumis à la loi française;

- en écrivant aux 47 clients qu'il avait constitués en Europe, la société Antelco a porté atteinte à sa réputation et son image.

Bernard J. Lamy conclut à l'infirmation partielle du jugement et au paiement des sommes complémentaires de 219 320 euro pour indemnité de rupture, de 150 000 euro pour préjudice de réputation et de 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes d'écritures en réplique du 11 février 2011, la société Antelco explique pour sa part que:

- Bernard J. Lamy ne justifie d'aucun péril pouvant autoriser une procédure à jour fixe;

- il ne peut plaider que sur les termes de sa requête et ses conclusions du 10 septembre sont irrecevables;

- il était titulaire d'un mandat exclusif et la loi française ne s'applique qu'aux prestations réalisées en France, celles réalisées dans les autres pays européens demeurant soumises à la loi de ces Etats;

- le tribunal de commerce a admis l'existence d'une faute grave en rejetant la demande en paiement d'une indemnité de rupture;

- les relations se sont dégradées depuis 2007 compte tenu des manquements répétés de Bernard J. Lamy dénoncés au travers de multiples courriers et courriels auxquels il n'a jamais répondu, et notamment la représentation de produits concurrents ignorée d'Antelco, l'exclusivité consentie à certains clients sans autorisation, l'absence d'informations sur ses activités et le refus de souscrire un contrat écrit;

- la demande en paiement d'un solde de commissions ne repose sur aucun décompte précis et bons de commande et n'a jamais été formulée avant la procédure;

- la société Antelco a subi une baisse significative de son chiffre d'affaires suite à la vente de produits concurrents par Bernard J. Lamy;

- l'information de la clientèle de la résiliation du mandat n'est pas fautive en l'absence de propos dénigrants ou vexatoires.

La société Antelco demande à la cour d'enjoindre à Bernard J. Lamy de produire ses comptes, de déclarer irrecevables ses conclusions du 10 septembre 2010, de le débouter de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à payer les sommes de 483 495 euro à titre de dommages-intérêts et de 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Subsidiairement la société Antelco conclut à l'organisation d'une expertise.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 février 2011.

Discussion

Sur la procédure :

Au soutien de sa requête en assignation à jour fixe, Bernard J. Lamy a produit une attestation de son expert-comptable et d'une ancienne salariée licenciée pour cause économique. C'est souverainement que le premier président de cette cour a apprécié au vu de ces pièces la situation économique du requérant et autorisé la procédure à jour fixe.

La société Antelco ne peut pas plus critiquer le dépôt de conclusions le 10 septembre 2010 qui contrairement à ses dires ne constituent pas des écritures nouvelles puisqu'elles sont strictement identiques à celles figurant à la requête de Bernard J. Lamy et dont la société Antelco a eu connaissance (en même temps que des pièces 1 à 27) au jour de l'assignation à jour fixe. Il a donc été satisfait aux exigences de l'article 918 du Code de procédure civile, Bernard J. Lamy ayant fait valoir son argumentaire au fond dès le dépôt de sa requête. Pour faire reste de droit à la société Antelco, les deux pièces complémentaires n° 28 et 29 communiquées le 15 février 2011 seront écartées des débats, tout comme les écritures de Bernard J. Lamy notifiées le même jour.

S'agissant de la loi applicable, l'agent commercial est domicilié en France où sont aussi réglées l'ensemble des commissions dues par la société Antelco. Celle-ci explique que l'activité de Bernard J. Lamy s'exerçant dans plusieurs pays européens, la loi de chaque pays est applicable pour les prestations réalisées dans chacun d'eux et elle admet ainsi que " la loi française s'applique aux prestations d'agent commercial exécutées en France " (cf. conclusions pages 18/19). C'est donc à bon droit que Bernard J. Lamy revendique le statut d'ordre public des agents commerciaux tel que figurant aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce. D'ailleurs en lui reprochant une faute grave au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce et en sollicitant la confirmation de ce chef de jugement, la société Antelco admet incontestablement que la loi française régit le présent litige.

Sur la résiliation du contrat :

Bernard J. Lamy plaide utilement que l'absence d'écrit est sans influence sur la validité du mandat. Les articles L. 134-12 et L. 134-13 précités édictent que seule une faute grave, c'est-à-dire un acte ou une omission portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendant impossible le maintien du lien contractuel, justifie une rupture immédiate sans indemnité ni préavis.

Dans son courrier de résiliation du 9 septembre 2006 et ses conclusions postérieures, la société Antelco vise un ensemble de faits qu'il convient d'examiner successivement aux fins de vérifier s'ils peuvent être qualifiés de faute grave:

- le refus de souscrire le mandat écrit proposé par la société Antelco n'est pas fautif et ce d'autant que Bernard J. Lamy n'entendait pas acquiescer à une clause de compétence au profit des juridictions australiennes et renoncer au statut des agents commerciaux tels qu'évoqué ci-dessus;

- la baisse sensible du chiffre d'affaires, qui n'est pas en soi constitutive d'une faute grave, est largement expliquée par la création en 2005 de la société Teco en Italie par un ex-ingénieur de la société Antelco et distribuant des produits directement concurrents à des tarifs moindres de 14 % minimum; dans un courriel du 24 janvier 2005, la société Antelco a expressément reconnu que " le catalogue (Teco) est clairement une copie de celui d'Antelco de la saison 2002 "; Bernard J. Lamy a pour sa part communiqué à son mandant et sur sa demande le 20 octobre 2006 une analyse comparative de prix pratiqués par Antelco et Teco de telle sorte que la société Antelco était parfaitement informée de la situation créée par l'intervention de la société Teco sur le marché; enfin elle ne contredit aucunement les écritures de Bernard J. Lamy selon lesquelles treize clients importants ont rejoint la société Teco;

- l'agent commercial étant libre d'organiser son activité, le recrutement de sous-agents n'est pas interdit; il n'est pas établi au demeurant puisqu'en l'état de l'opposition de la société Antelco, Bernard J. Lamy n'a finalement concédé aucune exclusivité à des revendeurs européens; il faut cependant observer que cette éventualité avait été envisagée, d'accord parties, avec la société Rain-Bird pour développer une nouvelle gamme de produits; enfin dans sa lettre de rupture précitée du 9 septembre 2006, la société Antelco ne vise que des " tentatives de nommer un sous-agent ";

- c'est donc avec beaucoup de mauvaise foi qu'elle prétend ne pas avoir été informée par Bernard J. Lamy puisqu'il ressort des courriels échangés en 2005 et 2006 (et évoqués ci-dessus) que ce dernier lui a communiqué tous renseignements utiles sur l'intervention de la société Teco;

- de même elle ne peut sérieusement prétendre avoir ignoré la représentation par Bernard J. Lamy de produits similaires et/ou complémentaires dont A. Wassel ou Micro Mist alors que la revue Irrigazette, spécialisée en la matière, mais aussi les stands occupés par Bernard J. Lamy sur différentes foires et manifestations commerciales l'ont toujours présenté comme un agent multi-marques; Madame Lori Cirefice, ex-salariée de Bernard J. Lamy et licenciée pour cause économique, atteste aussi que la société Antelco a pu aisément se convaincre de cette représentation multiple à l'occasion des visites en France de ses représentants dans les locaux professionnels de Bernard J. Lamy; enfin, la société Antelco ne peut se fonder sur le projet de contrat visant une représentation exclusive puisque celui-ci n'a jamais été adopté par Bernard J. Lamy;

- si un incident - verbal - l'a opposé au représentant de la société Antelco à l'occasion de la foire de Bologne le 15 novembre 2006, cet incident est unique et visiblement la société Antelco n'en a tiré aucune conséquence puisque dès le 21 février 2007, elle réitérait sa proposition de mandat écrit;

- les mauvaises relations avec le personnel de la société Antelco relèvent de la pétition de principe puisqu'il ressort des différents courriers et courriels produits que Bernard J. Lamy était uniquement en relation avec la direction (B. Antel) et principalement avec le directeur des ventes A. White qui au demeurant faisait la tournée des clients démarchés par Bernard J. Lamy en Europe sans l'en informer.

Aucun des faits et circonstances ainsi exposés ne caractérise l'existence d'une faute grave de telle sorte que Bernard J. Lamy est fondé à prétendre au paiement des indemnités de préavis et de rupture.

Le montant retenu par le tribunal au titre de l'indemnité de préavis excède la moyenne des commissions perçues et est critiqué à juste titre par la société Antelco.

En effet, le propre compte présenté par Bernard J. Lamy sous la pièce n° 4 retient une moyenne annuelle de 73 106,84 euro de telle sorte que l'indemnité ne saurait être calculée sur les seules ventes du dernier trimestre qualifiées par la société Antelco des " plus fructueux en termes de commandes ". En considération de ces éléments, l'indemnité allouée doit être ramenée à la somme de 18 500 euro.

S'agissant de l'indemnité de rupture, la durée des relations contractuelles, soit seize ans, et les développements ci-dessus permettent de l'arrêter à la somme de 150 000 euro correspondant à deux années de commissionnement.

Sur l'apurement des comptes :

Bernard J. Lamy prétend à un solde de commissions sur des ventes effectuées à Abu Dhabi et donc hors du secteur européen concédé. La société Antelco fait justement observer que ce chef de demande n'a jamais été formulé antérieurement à la procédure, qu'il est curieux que Bernard J. Lamy se soit ainsi désintéressé de commissions datant de cinq ans et surtout qu'il ne produit aucun bon de commande dont il serait à l'origine. Enfin, la société Antelco produit une attestation de l'acquéreur prétendu Aridland opposant un démenti quant à l'achat de ses produits.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Dans son courrier du 9 septembre 2008, la société Antelco a informé ses clients européens de la résiliation du mandat la liant à Bernard J. Lamy et les a invités à s'adresser désormais directement à A. White. Il s'agit d'un courrier de stricte information ne contenant aucun élément sur les circonstances de la résiliation.

C'est donc à tort que Bernard J. Lamy prétend que cette information ait pu porter atteinte à sa réputation.

Sa demande en paiement de dommages intérêts à hauteur de 150 000 euro est rejetée.

Dès lors que la société Antelco a été dûment informée des conséquences de l'intervention de la société Teco sur le marché de l'arrosage et de la représentation d'autres marques par son agent, elle ne peut lui imputer la baisse de son chiffre d'affaires en Europe et lui réclamer une quelconque indemnité à ce titre.

Sa demande reconventionnelle est rejetée.

Aucune circonstance économique ou d'équité ne conduit la cour à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamnée à paiement, la société Antelco supportera les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Reçoit les appels; Déclare irrecevables les conclusions et pièces n° 28 et 29 produites le 15 février 2011 par Bernard J. Lamy; Confirme le jugement déféré rendu par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en ce qu'il a statué sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens. L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau : Dit que la résiliation du contrat d'agent commercial est imputable à la seule société Antelco et la condamne à payer à Bernard J. Lamy les sommes de : - 18 500 euro (dix huit mille cinq cents euro) à titre d'indemnité de préavis; - 150 000 (cent cinquante mille euro) à titre d'indemnité de rupture; Dit que les montants alloués produiront intérêts au taux légal à compter de l'assignation; Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives; Condamne la société Antelco Pty Ltd à payer à Bernard J. Lamy la somme de 4 000 euro (quatre mille euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; La condamne aux dépens et autorise la SCP Jourdan-Wattecamps, avoués, à les recouvrer au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.