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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 5, 3 mars 2011, n° 09-05602

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sohm (ès qual.), Marine Consulting (SAS)

Défendeur :

Lallement, AGS CGEA IDF Est

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Froment

Conseillers :

Mme Oppelt-Reveneau, M. Senel

Avocats :

SCP Placktor Saint Hardouin Lesec, Mes Guérin, Feraud, Gourdain, Malavialle

Cons. prud'h. Créteil, du 23 avr. 2009

23 avril 2009

Monsieur Jean Lallement a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée en date du 8 mai 1988, en qualité d'ingénieur d'application, par la SARL Alciade. Il est ensuite devenu ingénieur d'affaire par avenant à son contrat de travail du 23 mars 1999, cet avenant contenant en outre une clause de non-concurrence.

L'employeur ayant changé plusieurs fois de dénomination, Monsieur Lallement était en dernier lieu salarié de la SAS Marine Consulting qui était une société de service informatique possédant plus de 10 salariés et qui a été mise en redressement judiciaire le 21 avril 2004, puis a bénéficié d'un plan de continuation selon le jugement du Tribunal de commerce de Créteil du 26 janvier 2006, ce plan ayant été résolu et la liquidation judiciaire prononcée par jugement du Tribunal de commerce de Créteil en date du 8 juillet 2009.

La convention collective applicable à la SAS Marine Consulting était la convention Syntec.

Le salarié a, par lettre datée du 25 janvier 2007, été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a, par lettre datée du 19 février 2007, été licencié pour faute grave.

Contestant notamment son licenciement, Monsieur Lallement a saisi le Conseil de prud'hommes de Créteil le 26 juin 2007, lequel, en sa formation de départage a statué le 23 avril 2009 dans les termes suivants:

- Annule le protocole transactionnel signé par les parties

- En conséquence condamne la SAS Marine Consulting à payer à M. Jean Lallement les sommes suivantes :

- 2 981,07 euro au titre du solde restant dû sur l'indemnité de congés payés;

- 1 509,18 euro pour les congés payés afférents;

- 11 891,01 euro à titre d'indemnité de préavis, outre 1 189,10 euro pour les congés payés afférents;

- 24 387,58 euro à titre d'indemnité de licenciement;

Lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter de la convocation adressée à l'employeur devant le bureau de conciliation;

- 50 000 euro de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour;

- Dit que les sommes versées en exécution du protocole transactionnel annulé se compenseront avec les condamnations susmentionnées;

- Ordonne l'exécution provisoire en son entier du présent jugement;

- Rejette pour le surplus toutes demandes contraires ou plus amples;

- Condamne également la société défenderesse aux dépens;

Représenté par son conseil, Me Sohm, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la société, a lors de l'audience du 21 janvier 2011, développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles il sollicite de la cour qu'elle :

- Infirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Créteil du 23 avril 2009 en toutes ses dispositions, sauf, à titre subsidiaire, en ce qu'il a dit et jugé que les demandes de Monsieur Jean Lallement au titre de la procédure de licenciement et de la clause de non-concurrence étaient irrecevables;

- Constate que les demandes de Monsieur Jean Lallement se heurtent à l'autorité de la chose jugée en dernier ressort du fait de la conclusion d'un protocole transactionnel le 27 février 2007;

- Dise que les demandes de Monsieur Jean Lallement au titre du protocole transactionnel sont irrecevables;

- Constate, à titre subsidiaire, que le licenciement pour faute grave du salarié est justifié et fondé;

- Dise le salarié irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes, fins et prétentions et l'en débouter;

- Constate, à titre très subsidiaire, que le licenciement du salarié est fondé sur une cause réelle et sérieuse et le déboute de l'ensemble de ses demandes.

- Condamne Monsieur Lallement au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance;

Monsieur Jean Lallement assisté de son conseil, a lors de l'audience du 21 janvier 2011, développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles il sollicite de la cour de :

- Confirmer, en toutes ses dispositions sauf celles relatives à la clause de non-concurrence et au montant de l'indemnité pour licenciement abusif, le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Créteil le 23 avril 2009;

- Sautant à nouveau:

- Fixer à 70 000 euro le montant des dommages-intérêts pour licenciement abusif dus à Monsieur Jean Lallement et, compte tenu de la somme versée en exécution du jugement de première instance, condamner Maître Jim Sohm ès qualité, à lui payer à ce titre un solde de 20 000 euro;

- Dire nulle la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail de Monsieur Jean

Lallement;

- Condamner Maître Jim Sohm ès qualité de mandataire liquidateur de la SAS Marine

Consulting à payer à Monsieur Jean Lallement la somme de 47 564, 04 euro à titre de

dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette clause de non-concurrence;

- Dire que ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal depuis la saisine du Conseil de prud'hommes, le 26 juin 2007;

- En toute hypothèse,

- Condamner Maître Jim Sohm ès qualité de mandataire liquidateur de la SAS Marine Consulting aux entiers dépens et à payer à Monsieur Jean Lallement la somme de 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Condamner Maître Jim Sohm ès qualité de mandataire liquidateur de la SAS Marine Consulting à payer à Monsieur Jean Lallement la somme de 3 963,67 euro pour non-respect de la procédure de licenciement;

- Admettre l'ensemble des condamnations prononcées au passif de la SAS Marine Consulting;

- Dire l'Unedic délégation AGS IDF tenue à garantir les condamnations prononcées;

L'AGS CGEA IDF Est représentée par son conseil, a lors de l'audience du 21 janvier 2011, développé oralement ses conclusions, visées le jour même par le greffier, aux termes desquelles elle sollicite de la cour qu'elle:

- Confirme le jugement concernant le paiement des indemnités de rupture;

- Infirme le jugement pour le surplus et en conséquence:

- A titre principal : déboute Monsieur Lallement de ses demandes d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse en vertu du protocole d'accord signé par les parties;

- A titre subsidiaire : réduise le montant de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le déboute de ses autres demandes;

- Dise et juge que la garantie de l'AGS intervient dans la limite du plafond 6 et que l'article 700 du NCPC n'est pas garanti par l'AGS;

Motif et décision de la cour

Considérant, sur la recevabilité des demandes, que la transaction ayant pour objet de mettre fin au litige résultant d'un licenciement ne peut être valablement conclue qu'une fois la rupture devenue définitive par la réception par le salarié de la lettre de licenciement dans les conditions requises par l'article L. 1232-6 du Code du travail;

Considérant qu'en l'espèce, le protocole d'accord transactionnel ne comporte aucune date ; que l'employeur n'établit pas, alors que le salarié soutient que cette transaction a été signée le 29 janvier 2007, donc avant l'envoi de la lettre de licenciement, par d'autres moyens que ce protocole serait postérieur à la date de notification du licenciement par lettre recommandée avec avis de réception; que la date mentionnée sur le chèque de règlement des sommes figurant dans le protocole, ne peut, en effet, à elle seule établir la date de la transaction, ce chèque ayant pu être établi bien postérieurement à la date de la transaction ; qu'il s'ensuit que la transaction doit être déclarée nulle, peu important qu'elle ait, ou non, contenu des concessions réciproques;

Considérant en conséquence que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a annulé le protocole et déclaré recevable les demandes du salarié;

Considérant, sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail, que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur; qu'il appartient à ce dernier, qui s'est placé sur le terrain disciplinaire, de prouver les faits fautifs invoqués dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, et de démontrer en quoi ils rendaient immédiatement impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Considérant que la lettre de licenciement était ainsi rédigée :

" Refus d'effectuer une mission à Strasbourg et ce malgré la clause de mobilité figurant dans votre contrat de travail signé le 5 septembre 1988.

Votre comportement, surtout dans le contexte concurrentiel actuel, est inadmissible et cause un préjudice grave à la société, tant sur le plan de son image, qu'au plan financier.

Nous considérons ces faits constitutifs, dans leur ensemble, d'une faute grave, rendant impossible la poursuite de votre contrat de travail ainsi que votre maintien, même temporaire dans l'entreprise.

Votre licenciement sera en conséquence effectif à la date de la première présentation de cette lettre sans préavis ni indemnité de rupture. "

Considérant qu'il est reproché à Jean Lallement le non-respect de la clause de son contrat de travail qui précisait que son lieu de travail était celui du client;

Considérant qu'en l'absence de définition précise de sa zone géographique d'application, la clause de mobilité était nulle ; que, de surcroît, l'affectation de Jean Lallement chez un client déterminé à Strasbourg pour une prestation non précisée et pour une durée qu'aucun élément ne permet de déterminer, portait, alors que ce dernier toujours exercé ses fonctions en région parisienne à laquelle d'ailleurs était limitée la clause de non-concurrence, une atteinte à son droit à une vie personnelle et familiale, alors que rien ne permet de retenir que cette atteinte était justifiée par la tâche à accomplir ou était proportionnée au but recherché, même si Jean Lallement était en situation d'inter contrat;

Considérant que le non-respect, dans ces conditions, d'une clause nulle par un salarié ne saurait légitimer un licenciement pour cause réelle et sérieuse et à fortiori encore moins pour faute grave;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il avait déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il avait alloué les sommes suivantes à Monsieur Jean Lallement:

- 11 891,01 euro à titre d'indemnité de préavis, outre 1 189,10 euro pour les congés payés afférents;

- 24 387,58 euro à titre d'indemnité de licenciement;

Considérant, sur le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu'au regard notamment de l'ancienneté du salarié au moment de la rupture, de la rémunération qui était la sienne et de la situation de chômage qu'il a connue avant de prendre sa retraite à l'âge de 60 ans, il y a lieu de lui allouer en réparation de son préjudice la somme de 70 000 euro;

Considérant que les indemnités précitées et les indemnités pour irrégularité de procédure ne se cumulent pas, qu'en conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu'il n'a pas accordé à Monsieur Jean Lallement d'indemnités pour irrégularité de procédure;

Considérant, sur la licéité de la clause de non-concurrence, qu'elle est rédigée comme suit dans l'avenant au contrat de travail du salarié du 2 mai 1988:

" Que la société pourra exiger de chaque collaborateur qui quittera la société qu'il n'effectue à Paris ou dans la région parisienne pendant une période de deux ans aucun travail pour son compte ou pour le compte d'une entreprise concurrente dans les domaines d'études ou activités particulières qui étaient les siens. En contrepartie, la société s'engage à lui verser en vingt quatre mensualités à compter de la fin de son contrat une indemnité de non-concurrence. Cette indemnité sera égale à 6 fois la moyenne des traitements mensuels perçus par le collaborateur dans les deux années précédent son départ. La société pourra demander l'application de cette clause d'interdiction par lettre recommandée avec accusé de réception dans les 15 jours suivants la fin effective du travail. La société pourra se libérer à tout moment du versement de cette indemnité en libérant le collaborateur concomitamment du respect de la clause de non-concurrence.

Si le collaborateur était amené à être muté, la clause serait revue en adéquation avec le secteur géographique correspondant à sa nouvelle situation. Un avenant serait établi entre les deux parties.

Dans le cas où le salarié ne respecterait pas la clause de non-concurrence définie ci-dessus et sans préjudice des dommages et intérêts qui pourront lui être réclamés pour concurrence déloyale, le collaborateur devra verser dans les 30 jours à la société une indemnité égale au total de la rémunération brute qu'il aura perçue au cours des douze derniers mois de présence dans la société. "

Considérant d'une part, que le salarié ne pouvant être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler, la clause incluse dans un contrat de travail aux termes de laquelle l'employeur se réserve la faculté après la rupture, qui fixe les droits des parties, d'imposer au salarié une obligation de non-concurrence, est nulle car possédant un caractère purement potestatif et contraire à l'article 1174 du Code civil ; d'autre part que, la clause par laquelle l'employeur se réserve la faculté, après la rupture, de renoncer à la clause de non-concurrence à tout moment au cours de l'exécution de celle-ci doit être réputée non écrite;

Considérant en l'espèce que d'une part ladite clause permettait à l'employeur, d'en demander l'application dans les 15 jours suivant la fin effective du travail ; que d'autre part, l'employeur se réservait la faculté de mettre fin à la clause à tout moment pendant son exécution ; qu'ainsi la clause de non-concurrence devait être déclarée nulle et ce à double titre;

Considérant qu'en conséquence, la cour infirme le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef;

Considérant qu'une clause de non-concurrence nulle cause nécessairement un préjudice au salarié, que ce préjudice est évalué souverainement par les juges du fond; qu'au regard des éléments de l'espèce, il convient d'allouer à M. Jean Lallement une somme de 25 000 euro à titre d'indemnité en réparation du préjudice lié à la présence, dans son contrat de travail d'une clause de non-concurrence nulle dont il ne pouvait connaître si l'employeur en ferait usage et ce qui a porté atteinte par conséquent à sa liberté de rechercher du travail, peu important que l'employeur n'ait pas, en définitive, fait usage de cette clause;

Considérant qu'au vu des éléments du dossier, il apparaît qu'à la rupture de son contrat de travail, le salarié était créancier des sommes suivantes 2 981,07 euro (soit 19,64 jours) au titre du solde restant dû sur ses congés payés et 1 509,18 euro (soit 10 jours) au titre des RTT;

Qu'en conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu'il avait fixé cette créance de salaire aux sommes susvisées au titre des congés payés et RTT;

Considérant qu'il y a lieu de déclarer la présente décision opposable à l'AGS, le plafond de garantie étant le plafond 6;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et les dommages-intérêts au titre de la clause de non-concurrence; Statuant à nouveau de ce chef : - Dit la clause de non-concurrence nulle; - Fixe la créance de Monsieur Jean Lallement à l'encontre de la SAS Marine Consulting a : - la somme de 70 000 euro au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse; - la somme de 25 000 euro à titre de dommages-intérêts pour clause de non-concurrence nulle; Dit que les sommes versées au titre de la transaction annulée viendront en déduction des sommes allouées; - Déclare la présente décision opposable à l'AGS et dit que cet organisme sera tenu à garantie des sommes allouées dans la limite des textes et plafonds réglementaires applicables, soit en l'espèce le plafond 6; - Dit que les dépens seront supportés par la SAS Marine Consulting et employés en frais privilégiées de procédure collective.