Livv
Décisions

Cass. com., 15 mars 2011, n° 09-17.055

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Guy Joubert (SA)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Président de l'Autorité de la concurrence, Procureur général, Etablissements A. Mathe (SA), Etablissements Allin (SAS), Jean Thébault (SAS), Plysorol (SAS), Rougier Panneaux (SAS), Dutour (ès qual.), FHB (Selarl), Beuzeboc (Selarl), Lize (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Jenny

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner

Cass. com. n° 09-17.055

15 mars 2011

LA COUR : - Donne acte à la société Etablissements Guy Joubert de son désistement partiel à l'encontre des sociétés Etablissements A. Mathe, Etablissements Allin, Jean Thébault, Plysorol, Rougier Panneaux, de M. Dutour, ès qualités, de la société FHB, prise en la personne de M. Hess, ès qualités, la société Beuzeboc, prise en sa qualité de co-mandataire-liquidateur de la société Plysorol, de M. Lize, ès qualités ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris 29 septembre 2009), que les fabricants français de contreplaqué à base d'okoumé se sont regroupés dans un syndicat professionnel, qui a pris en 1999 le nom d'Union des fabricants de contreplaqué, dite UFC ; que le Conseil de la concurrence a reçu une demande de clémence émanant de la société UPM Kymmene et de sa filiale française la SA UPM Kymmene Wood, qui dénonçaient des concertations pour l'établissement d'une structure tarifaire commune et pour des hausses coordonnées entre fabricants français de contreplaqué, au sein d'abord de l'ancien syndicat des fabricants de panneaux de contreplaqué puis de l'UFC ; que s'étant saisi d'office le Conseil de la concurrence, a condamné sept sociétés pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et leur a infligé des sanctions pécuniaires ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Etablissements Guy Joubert fait grief à l'arrêt d'avoir, à son égard, confirmé la décision n° 08-D-22 du Conseil de la concurrence, qui avait dit qu'elle avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et lui avait infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euro, alors, selon le moyen : 1°) que l'infraction continue est celle dont l'élément matériel ne peut s'exécuter en un trait de temps, mais implique un fait d'action ou d'abstention s'exerçant dans la durée ; que ne saurait, dès lors, caractériser une infraction unique et continue la répétition dans le temps de pratiques anticoncurrentielles de même nature ayant chacune instantanément épuisé leurs effets, peu important que telles pratiques aient participé d'un même dessein anticoncurrentiel ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations mêmes du Conseil de la concurrence et de la Cour d'appel de Paris qu'il était reproché à la société Joubert d'avoir participé, aux côtés de plusieurs concurrents, à des réunions qui s'étaient échelonnées entre novembre 1995 et mai 2004, au cours desquels il aurait été décidé, tantôt de hausses de prix concertées, tantôt de modifications d'une grille tarifaire commune ; que pour rejeter le moyen tiré de la prescription des faits antérieurs au 7 mai 2001, invoqué par la société Joubert, la cour d'appel a énoncé que le renouvellement de ces réunions était de nature à démontrer une volonté commune persistante de fausser le jeu de la concurrence et qu'ainsi, les faits litigieux devaient s'analyser en une infraction unique et continue qui s'était "progressivement concrétisée" tant par des accords que par des pratiques ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la nature même des faits reprochés aux entreprises commandait de les analyser comme autant d'infractions instantanées ayant, chacune, épuisé ses effets lors de la mise en œuvre de la hausse tarifaire prétendument convenue, la cour d'appel a violé l'article L. 462-7 du Code de commerce ; 2°) que si plusieurs pratiques anticoncurrentielles peuvent revêtir le caractère d'une infraction unique et continue, c'est à la condition qu'elles viennent, par leur interaction, concourir à la réalisation d'objectifs définis par leurs auteurs dans le cadre d'un plan d'ensemble ; qu'en se bornant à induire du renouvellement régulier de réunions entre les entreprises de la filière du contreplaqué l'affirmation selon laquelle de telles pratiques se seraient inscrites dans le contexte d'"une politique d'élaboration des prix ayant perduré pendant plusieurs années sans présenter d'interruptions significatives" caractérisant une "volonté commune persistante" de fausser le jeu de la concurrence, sans préciser en quoi chacune des hausses tarifaires prétendument décidées lors de ces réunions successives aurait constitué la simple exécution de décisions concertées prises antérieurement, ni expliquer en quoi la participation des entreprises aux réunions les plus anciennes aurait nécessairement impliqué l'obligation pour chacune d'elles de poursuivre indéfiniment une telle concertation et l'abdication corrélative de son autonomie tarifaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 462-7 du Code de commerce ; 3°) que la cour d'appel qui déduit l'existence d'une infraction continue de l'affirmation suivant laquelle les faits en cause n'étaient pas des actes isolés mais régulièrement renouvelés, tout en constatant, s'agissant de la société Joubert "qu'aucun élément du dossier ne permet de relever qu'elle aurait mis en œuvre les hausses de mai 1998 et de mai 2000" (décision du Conseil, § 260), ne tire pas les conséquences de ses propres constatations et viole l'article L. 462-7 du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'une pratique anticoncurrentielle revêt un caractère instantané lorsqu'elle est réalisée en un trait de temps, dès la commission des faits qui la constituent et qu'elle revêt au contraire un caractère continu lorsque l'état délictuel se prolonge dans le temps par la réitération constante ou par la persistance de la volonté anticoncurrentielle après l'acte initial sans qu'un acte matériel ait nécessairement à la renouveler dans le temps ; que l'arrêt relève que les fabricants de contreplaqué se sont réunis une ou plusieurs fois par an dans le cadre de leur organisation professionnelle sur la période de novembre 1995 à mai 2004 pour décider en commun un taux et une date de hausse des prix ensuite appliquées dans les tarifs communiqués à leurs clients et actualiser une grille tarifaire élaborée en 1968 dans le cadre syndical permettant, à partir de la base 100 attribuée à un article de référence et de coefficients attribués aux autres articles, de calculer tous les prix de la même façon pour tous les fabricants ; que l'arrêt relève encore que la société Joubert a participé à toutes les réunions de concertation et a appliqué à ses tarifs les hausses de prix convenus sauf pour les hausses de mai 1998 et mai 2000 ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, faisant ressortir que la société Joubert avait participé à des concertations qui procédaient d'une volonté commune persistante des membres de l'organisation professionnelle de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché des produits contreplaqués à base de bois exotiques, la cour d'appel a exactement retenu que la prescription ne commençait à courir qu'à compter de la cessation de la pratique ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Etablissements Guy Joubert fait grief à l'arrêt d'avoir, à son égard, confirmé la décision n° 08-D-22 du Conseil de la concurrence, qui avait dit qu'elle avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et lui avait infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euro, alors, selon le moyen, que les sanctions pécuniaires encourues doivent être fixées à proportion du dommage que les pratiques anticoncurrentielles relevées ont causé à l'économie ; qu'une telle appréciation implique, de la part d'organe répressif, la délimitation préalable du marché de référence affecté par les pratiques relevées, la dimension de celui-ci ne concordant pas nécessairement avec le cadre géographique restreint dans lequel ces pratiques se sont inscrites ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était indéniable que les entreprises mises en cause, fabricants de contreplaqués exotiques à base d'okoumé, subissaient la concurrence de producteurs de produits substituables et de fabricants non seulement européens mais également du monde entier, ce dont il s'évinçait que le marché de référence affecté par les pratiques relevées était de dimension mondiale ; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'y avait aucune raison de se placer dans un autre cadre que celui -purement national- dans lequel les pratiques relevées s'étaient déroulées, pour apprécier leurs effets dommageables, la cour d'appel, qui a par là refusé de tirer les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé les articles L. 420-1 et L. 464-2 du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les entreprises mises en cause, fabricants français de contreplaqués exotiques à base d'okoumé, subissaient sur le territoire national la concurrence de producteurs de produits en bois exotiques substituables et de fabricants étrangers et qu'en 2004, les ventes des producteurs français de contreplaqué à base d'okoumé sur le territoire national ont représenté 60 % en volume et 69,8 % en valeur des ventes totales de contreplaqué à base de bois exotiques, le reste étant couvert par des importations ; que la cour d'appel en a exactement déduit qu'il y avait lieu d'apprécier les effets dommageables des pratiques relevées sur le marché national, ouvert à la concurrence internationale, des produits contreplaqués à base de bois exotiques ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que le deuxième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.