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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 25 novembre 2010, n° 09-06500

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Industrielle de Publicité 19 (SAS)

Défendeur :

Scoreo Publicom (SARL), Vandekerkhove

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maron

Conseillers :

Mmes Brylinski, Beauvois

Avoués :

Me Treynet, SCP Tuset-Chouteau

Avocats :

Mes Truong, Goehrs

T. com. Versailles, 1re ch., du 24 juin …

24 juin 2009

Faits et procédure :

Monique Gassin, alias Monique Vandekerkhove a été embauchée par la société SIP 19 dont le siège social est situé à Torcy (77), comme représentant multicarte. Selon elle cette embauche est intervenue en 1991 et selon SIP 19 en 1994.

SIP 19 indique que, par contrat en date du 3 janvier 2005, elle a ensuite été engagée en qualité de VRP à carte unique, étant ainsi chargée de la représentation de la vente pour le compte exclusif de celle-ci de tous les produits qu'elle commercialise et que la salariée déclarait connaître ainsi que du suivi des dossiers clients dans le secteur géographique défini en annexe.

De son côté, Monique Vandekerkhove fait valoir qu'il n a jamais été régularisé de contrat de travail entre SIP 19 et elle-même.

En juillet 2007, Monique Vandekerkhove a démissionné de ses fonctions.

Peu après, elle a créé sa propre société, la SARL Scoreo Publicom, dont le siège social est situé à Coignières (78).

Estimant que cette société et Monique Vandekerkhove, se rendaient coupables, à son égard, de concurrence déloyale, SIP 19 a obtenu l'autorisation de faire réaliser un constat d'huissier au siège de Scoreo Publicom, constat qu'elle a fait effectuer le 26 novembre 2007.

Elle a ensuite assigné Scoreo Publicom devant le Tribunal de commerce de Versailles, pour demander sa condamnation à lui verser 500 000 euro de dommages-intérêts.

Monique Vandekerkhove est intervenue volontairement dans la procédure, et a déposé des conclusions conjointes avec la SARL Scoreo Publicom, sollicitant outre le débouté de la SIP 19, sa condamnation à leur verser à Scoreo Publicom la somme de 500 000 euro de dommages et intérêts et 50 000 euro pour procédure abusive et à Monique Vandekerkhove à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, la somme de 20 000 euro.

Parallèlement, SIP 19 a également saisi le Conseil des prud'hommes de Meaux pour solliciter la condamnation de Monique Vandekerkhove, à lui payer 50 000 euro de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale, manquements à l'obligation de loyauté et violation de la clause de confidentialité.

Par le jugement déféré, en date du 24 juin 2009, le Tribunal de commerce de Versailles a débouté SIP 19 de l'ensemble de ses demandes, déclaré irrecevable Monique Vandekerkhove et Scoreo Publicom en leur demande de dommages et intérêts pour faux et usage de faux par SIP 19, et les a renvoyées à mieux se pourvoir. Il a par ailleurs condamné SIP 19 à verser à Scoreo Publicom la somme de 10 000 euro de dommages-intérêts et prononcé condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

SIP 19 a interjeté appel de cette décision.

Sur ce, LA COUR,

Vu l'article 455 du Code de procédure civile et les conclusions de SIP 19 en date du 26 novembre 2009 et de Monique Vandekerkhove et Scoreo Publicom en date du 30 mars 2010,

Attendu que, pour obtenir condamnation de Scoreo Publicom, SIP 19 fait valoir que celle-ci s'est appropriée sa documentation confidentielle et l'a sciemment utilisée pour s'approprier ses clients et qu'elle a, par ailleurs, utilisé ses bons de commande pour établir des propositions de devis; qu'elle souligne par ailleurs qu'elle n'effectue de démarches commerciales qu'en la seule direction de ses clients;

Attendu que Scoreo Publicom et Monique Vandekerkhove font valoir de leur côté que, s'il est exact que la première nommée a démarché une clientèle auprès de laquelle intervenait SIP 19, c'est parce que cette clientèle était une clientèle propre à la seconde nommée, qui n'a travaillé pour SIP 19 qu'en qualité de représentant multicartes, propriétaire de son fichier clientèle qu'elle était en conséquence libre d'utiliser ou de transférer, après qu'elle eût démissionné d'auprès de SIP 19; qu'elle conteste en revanche avoir utilisé un fichier clientèle qui aurait été autre que celui de Monique Vandekerkhove; que, s'agissant de l'utilisation d'autres documents de SIP 19, elle indique que la possession de bons de commande, de la part de Monique Vandekerkhove, était naturelle, eu égard à ses fonctions et à l'organisation de SIP 19; qu'au demeurant, ces documents permettaient un contrôle de son commissionnement; que, s'agissant des copies de factures et bons de commandes, ils ne comportent aucune indication confidentielle;

Attendu que les intimées ajoutent que Scoreo Publicom n'avait dans ses locaux que des versions papier de logos de clients, lesquels ne peuvent être utilisables que " vectorisés sous des formats Illustrator ou EPS "; que par ailleurs, ce sont les clients eux mêmes qui les lui avaient remis; que s'agissant de l'utilisation de devis qui auraient été subtilisés à SIP 19, ils n'avaient aucune utilité; que par ailleurs, elle n'a pas cherché à travailler à des tarifs inférieurs à ceux de SIP 19, comme en témoigne, notamment, son devis " T-shirts " en bichromie;

Attendu qu'il résulte notamment des pièces 12 et 32 des intimées que Monique Vandekerkhove a commencé à travailler comme VRP pour SIP 19 en septembre 1991; qu'il n'est pas contesté que, jusqu'en 2005, elle avait le statut de VRP multicartes;

Attendu que SIP 19 verse aux débats un contrat de travail, daté du 3 janvier 2005; que les intimées ne contestent pas la signature, par Monique Vandekerkhove, d'une seule page d'un projet de contrat dans des conditions qui, si le terme n'est pas employé dans leurs écritures, évoquent un vice du consentement;

Attendu qu'il appartient à Monique Vandekerkhove, devant ce document, de prouver l'inexistence d'un contrat de travail ;

Attendu que s'il ne saurait être retenu aucun vice du consentement, à défaut d'éléments permettant de caractériser l'un d'entre eux, le document versé aux débats comporte huit pages, dont seule la sixième est signée (les septième et huitième étant la première une " annexe 2 " et la seconde une " annexe 1 ");

Attendu par ailleurs d'une part qu'il n'est pas d'usage de signer ou d'émarger chacune des pages d'un contrat de travail et d'autre part que Monique Vandekerkhove a elle-même indiqué, dans une requête aux fins d'obtenir du président du Tribunal de grande instance de Meaux une autorisation de constat dans les locaux de SIP 19 (p. 4 in fine de ladite requête) que c'était " elle-même, sur l'ordinateur qu'elle utilisait chez SIP 19, qui a(vait) dactylographié son contrat de travail "; que dans ces conditions, et alors qu'il n'est pas allégué que les pages qui précèdent la page signée auraient, dans le document produit, été substituées à celles qui ont été dactylographiées par Monique Vandekerkhove elle-même, il y a lieu de dire que les parties sont convenues de soumettre leurs relations - le cas échéant rétroactivement - aux stipulations du contrat de travail daté du 3 janvier 2005;

Attendu que ce contrat - dont il est indifférent dans le cadre du présent litige de rechercher si sa signature est intervenue le 3 janvier 2005 ou postérieurement, les parties ayant clairement entendu l'appliquer à compter de cette date - stipule notamment (article 3) que " le représentant s'engage à consacrer toute son activité à la société et s'interdit de représenter toute autre maison concurrente ou non de la société ou de réaliser la moindre opération commerciale pour son propre compte "; que l'article 4 prévoit de son côté que " d'une manière générale, dans l'exercice des missions qui lui sont confiées, Madame Vandekerkhove Monique aura accès à des informations concernant les marchés, les produits, les clients, les projets en cours ou à venir, tous les projets de développement futurs et aura connaissance des procédés commerciaux, spécification, méthodologie, procédures développées au sein de l'entreprise et en association avec les prestataires de services, les consultants de la société " et ajoute que " il est convenu que l'obligation de confidentialité du salarié s'étend à toutes ces informations, quel qu'en soit le mode de divulgation, par écrit, fichiers, photos, films, prototymes et aux éléments tels que codes d'accès informatiques, sauvegardes, archivages " et que " Madame Vandekerkhove Monique reconnaît que les informations communiquées par la direction, ont une valeur stratégique et commerciale et qu'un manquement à leur conservation confidentielle ou leur utilisation à des fins personnelles ou dans un cadre étranger à l'exécution du contrat de travail, engagerait sa responsabilité personnelle. Les obligations de confidentialité et de non-utilisation des informations incombant à Madame Vandekerkhove Monique, s'imposent à elle pendant toute la durée d'exécution du contrat de travail et subsistent à sa charge pendant une période de deux ans à partir de la fin du contrat ";

Attendu qu'il est par ailleurs produit aux débats deux bulletins de salaire différents, l'un par l'appelante, l'autre par les intimées, en ce qui concerne les paiements effectués, pour le mois de juin 2007, par SIP 19 à Monique Vandekerkhove;

Attendu qu'il n'est pas contesté que le bulletin versé aux débats par Monique Vandekerkhove et Scoreo Publicom est bien celui qui a été remis à la première nommée; que SIP 19 fait valoir que celui qu'elle produit serait un bulletin rectificatif;

Attendu cependant que SIP 19 ne justifie pas avoir envoyé ce bulletin rectificatif à Monique Vandekerkhove; que ce bulletin n'indique pas, non plus la nature qui serait la sienne de bulletin rectificatif; que dans ces conditions, sans qu'il n'y ait lieu, au demeurant, pour la cour de se prononcer sur le caractère allégué de faux du bulletin de salaire produit par SIP 19, il échet de considérer que seul le bulletin versé par les intimées fait preuve de son contenu;

Attendu que si ce bulletin ne fait pas état du versement de sommes au titre d'un " rachat de clientèle ", pourtant prévu à l'annexe 2 du contrat daté du 3 janvier 2005, cette absence ne saurait remettre en cause ni la validité dudit contrat, ni le fait que Monique Vandekerkhove n'avait pas, après sa démission, le droit d'exploiter elle-même ou de faire exploiter le fichier à partir duquel elle travaillait préalablement au bénéfice de SIP 19;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le 12 juillet 2007, à la date de sa démission de SIP 19, Monique Vandekerkhove était, comme le fait valoir SIP 19, liée à cette société par le contrat daté du 3 janvier 2005 et tenue aux obligations qui y sont stipulées ainsi qu'à celles qui sont légalement édictées pour ce type de contrat;

Attendu qu'ayant donné sa démission le 12 juillet 2007, Monique Vandekerkhove était, en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, débitrice d'un préavis de trois mois; que dès lors, en constituant, durant cette période, une agence conseil en publicité dont elle était co-gérante, et en commençant à travailler au bénéfice de celle-ci Monique Vandekerkhove a méconnu ses obligations issues de son contrat de travail; que la société Scoreo Publicom en était nécessairement informée, Monique Vandekerkhove étant l'un de ses dirigeants sociaux;

Attendu par ailleurs qu'il résulte du constat établi par l'huissier de justice autorisé à se rendre au siège de Scoreo Publicom que cette société détenait les bons de commande de SIP 19 de janvier 2004 à juillet 2007 ainsi que des logos appartenant à la clientèle de SIP 19;

Attendu que la détention, par Scoreo Publicom, des factures et des bons de commande de SIP 19 ne saurait être justifiée par les allégations que Monique Vandekerkhove et elle fournissent, allégations dont il n'est pas apporté la preuve de l'exactitude qui sont même démenties par l'attestation de Chantal Morales et qui, en toute hypothèse, ne justifieraient la détention des bons de commande que de la part de Monique Vandekerkhove et non par Scoreo Publicom; que, de même, les allégations sur la détention des logos, selon lesquelles " les logos des clients doivent être vectorisés sous des formats " Illustrator " ou " EPS " " pour pouvoir être utilisés sont dénuées de tout support probatoire; qu'en toute hypothèse, elles n'expliquent pas pour quel motif Scoreo Publicom aurait détenu de tels documents ne lui appartenant pas et qui auraient été, selon ses dires, inutiles pour elle;

Attendu que les factures établies par Scoreo Publicom annexées au procès-verbal de constat montrent que, contrairement à ses allégations, Scoreo Publicom exploitait la clientèle de SIP 19, dont elle détenait les fichiers; que ces factures montrent par ailleurs que Scoreo Publicom a utilisé les éléments confidentiels de SIP 19 connus de Monique Vandekerkhove;

Attendu que détournement de clientèle est notamment caractérisé par l'exploitation des données techniques soustraites à SIP 19 tels les logos; que par ailleurs, et comme le souligne cette société, une activité parasitaire, à son détriment et de la part de Scoreo Publicom est également matérialisée et résulte de la reprise des chiffrages de coût et de marge de SIP, ceux-ci étant utilisés à la seule fin de présenter des devis moins disants que ceux habituellement négociés par ce prestataire des clients ciblés par Scoreo Publicom; que ce faisant, Scoreo Publicom a seulement l'économie de la recherche de clients ainsi que celle de tout réel travail de détermination de chiffrage de coût de revient (sic);

Attendu, sur le préjudice, que SIP 19 fait valoir que celui-ci ne saurait être évalué à un montant inférieur à 500 000 euro si on prend en considération la triple circonstance que Monique Vandekerkhove réalisait au sein de la société SIP 19 un chiffre annuel de 400 000 euro, qu'elle a tiré profit non seulement de sa présence dans l'entreprise pour accéder aux informations relatives à la clientèle dont la gestion lui a été confiée, mais également, comme la mesure de saisie l'a démontré, s'est livrée au détournement de l'ensemble des informations confidentielles relatives à l'activité de la société et que la société Scoreo Publicom a été créée à l'instigation de Monique Vandekerkhove et son activité construite exclusivement sur des agissements parasitaires constitutifs de concurrence déloyale;

Attendu cependant que SIP 19 ne justifie, par aucune pièce, d'un préjudice supérieur à la somme de 1 euro; que les déductions qu'elle croit pouvoir faire des trois éléments qu'elle met en avant n'apportent pas la preuve d'un préjudice outre ce montant;

Attendu que SIP 19 demande encore la cessation de tout acte de concurrence déloyale sous astreinte de 500 euro par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir;

Attendu cependant que SIP 19 ne précisant pas de quels actes de concurrence déloyale elle demande cessation, et alors au surplus que les documents détournés par Monique Vandekerkhove lui ont été restitués, il ne saurait être fait droit à sa demande;

Attendu que SIP 19 demande encore condamnation des intimées à lui payer 100 000 euro en réparation du préjudice distinct du retard subi dans l'indemnisation du préjudice subi par elle, notamment du fait des diverses ordonnances afin de constat obtenues par une présentation tronquée des faits;

Attendu que les constats effectués au siège de SIP 19 - et notamment celui afférent au contrat de travail -, alors qu'elle était au surplus victime d'actes de concurrence déloyale de la part de Scoreo Publicom lui ont causé un préjudice spécifique qui doit être évalué à la somme de 40 000 euro; qu'il y a lieu de faire droit, à cette hauteur, à sa demande formée de ce chef;

Attendu, sur la demande reconventionnelle de Scoreo Publicom - Monique Vandekerkhove ne relevant pas appel incident de la décision déférée -, que si le contrat de travail versé aux débats par SIP 19 n'est pas retenu comme apportant la preuve de ce qu'il contient, la cour ne considère pas pour autant qu'il s'agirait d'une fausse pièce; qu'il y a lieu, dès lors, de rejeter tant la demande de voir déclarer faux le bulletin de paye versé aux débats par SIP 19 que la demande de dommages-intérêts de Scoreo Publicom;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de Scoreo Publicom à payer à SIP 19 la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Condamne Scoreo Publicom à payer à SIP 19 la somme de 1 euro de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire, Déboute SIP 19 de sa demande de cessation des actes de concurrence déloyale, Condamne Scoreo Publicom à payer à SIP 19 la somme de 40 000 euro de dommages-intérêts pour son préjudice résultant des constats, Déboute Scoreo Publicom de ses demandes, La condamne à payer à SIP 19 la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne aux dépens, Admet Me Treynet, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.