CJUE, 1re ch., 7 avril 2011, n° C-291/09
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Francesco Guarnieri & Cie
Défendeur :
Vandevelde Eddy VOF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Tizzano
Avocat général :
Mme Sharpston
Juges :
MM. Kasel, Borg Barthet, Levits, Safjan (rapporteur)
LA COUR (première chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 28 CE à 30 CE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Francesco Guarnieri & Cie (ci-après "Guarnieri"), société de droit monégasque établie à Monaco, à Vandevelde Eddy VOF (ci-après "Vandevelde"), dont le siège social est en Belgique, au sujet de la livraison de marchandises diverses et du paiement de celles-ci.
Le cadre juridique
Le Code des douanes communautaire
3 L'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) n° 2913-92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le Code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1), désormais remplacé par l'article 3, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 450-2008 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, établissant le Code des douanes communautaire (JO L 145, p. 1), prévoit:
"Compte tenu des conventions et traités qui leur sont applicables, et bien qu'ils soient situés hors du territoire des États membres, sont également considérés comme faisant partie du territoire douanier de la Communauté les territoires suivants:
[...]
b) France
Le territoire de la principauté de Monaco, tel qu'il est défini par la convention douanière signée à Paris le 18 mai 1963 (Journal officiel de la République française du 27 septembre 1963, p. 8679)".
Le droit belge
4 L'article 851 du Code judiciaire belge (ci-après le "Code judiciaire") dispose:
"Sauf le cas de conventions par lesquelles des États auraient stipulé pour leurs ressortissants la dispense de la cautio judicatum solvi, tous étrangers, demandeurs principaux ou intervenants, sont tenus, si le défendeur belge le requiert avant toute exception, de fournir caution, de payer les frais et dommages-intérêts résultant du procès, auxquels ils peuvent être condamnés. Le défendeur peut requérir que caution soit fournie, même pour la première fois, en cause d'appel, s'il est intimé".
5 Il ne ressort pas du dossier qu'il existe une convention permettant aux sociétés de droit monégasque d'être dispensées du versement de la cautio judicatum solvi.
Le litige au principal et la question préjudicielle
6 La société anonyme Fourcroy avait commandé à Vandevelde 21 000 "twister-glazen" (verres) ainsi que 100 000 bougies chauffe-plats et accessoires aux fins d'une action de promotion de la vente de bouteilles de "Mandarine Napoléon". Vandevelde avait sous-traité cette commande à Guarnieri.
7 D'après Vandevelde, Guarnieri ne s'est pas correctement acquittée de son obligation de livraison. En effet, selon elle, non seulement la livraison est intervenue tardivement, mais encore elle n'était pas conforme à la commande, dès lors que 65 % des "twister-glazen" étaient cassés, que les verres intacts étaient souillés, que les emballages plastiques étaient cassés (3 000 pièces) et que l'autocollant publicitaire était apposé du mauvais côté. Aussi Vandevelde a-t-elle refusé de s'acquitter de son obligation de paiement.
8 En conséquence, Guarnieri a introduit un recours devant le rechtbank van koophandel te Brussel (tribunal de commerce de Bruxelles), ayant essentiellement pour objet la condamnation de Vandevelde au paiement des arriérés de factures, augmentés des intérêts de retard. Par une demande reconventionnelle, Vandevelde a conclu à la condamnation de Guarnieri au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice matériel et le manque à gagner qu'elle estime avoir subis, augmentés des intérêts moratoires.
9 Au cours de la procédure devant la juridiction de renvoi, Vandevelde a soulevé, in limine litis, l'exception de la cautio judicatum solvi, prévue à l'article 851 du Code judiciaire, afin que Guarnieri soit condamnée à déposer une caution de 2 500 euros pour les frais résultant du procès auxquels celle-ci pourrait être condamnée.
10 Guarnieri ayant fait valoir que sa condamnation au paiement d'une caution viole les articles 28 CE à 30 CE, relatifs à la libre circulation des marchandises, le rechtbank van koophandel te Brussel a estimé nécessaire, afin de pouvoir apprécier la compatibilité de l'article 851 du Code judiciaire avec le droit de l'Union, de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Les articles [28 CE, 29 CE et 30 CE] s'opposent-ils à ce qu'un demandeur de nationalité monégasque qui introduit en Belgique une action en justice en paiement de factures émises pour la livraison de verres 'twister' et de bougies chauffe-plats et accessoires soit contraint, à la demande d'un défendeur de nationalité belge, de fournir une caution pour le paiement des frais et des dommages et intérêts résultant du procès auxquels il peut être condamné"?
Sur la question préjudicielle
11 Il convient d'emblée de préciser qu'il ressort de l'exposé des faits par la juridiction de renvoi que les courants d'exportation ne sont pas en cause dans la présente affaire, laquelle porte seulement sur le commerce de marchandises à destination de la Belgique. Dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner la question de l'interprétation de l'article 35 TFUE.
12 S'agissant de l'appréciation du mécanisme de cautio judicatum solvi au regard des articles 34 TFUE et 36 TFUE, il importe, au préalable, de se prononcer sur l'applicabilité des dispositions relatives à la libre circulation des marchandises dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, qui concerne l'importation dans un État membre de biens originaires de Monaco par une société monégasque.
13 À cet égard, il convient, certes, de rappeler que les articles 52 TUE et 355 TFUE n'incluent pas dans le "champ d'application territoriale des traités" le territoire de la Principauté de Monaco et que, en outre, l'exclusion du territoire douanier de l'Union entraîne l'inapplicabilité des règles du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Royaume-Uni, C-30-01, Rec. p. I-9481, point 60).
14 Cependant, en vertu de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 2913-92, le territoire de la Principauté de Monaco est considéré comme faisant partie du territoire douanier de l'Union. Aucun droit de douane ou aucune taxe d'effet équivalent ne pouvant, en conséquence, être appliqué aux échanges entre Monaco et les États membres, les marchandises originaires de Monaco, exportées directement vers un État membre, doivent être traitées comme si elles étaient originaires desdits États. Il résulte de cette assimilation aux produits originaires des États membres que les marchandises originaires de Monaco bénéficient des règles du traité en matière de libre circulation des marchandises (voir, par analogie, arrêts du 15 décembre 1976, Donckerwolcke et Schou, 41-76, Rec. p. 1921, points 17 et 18, ainsi que Commission/Royaume-Uni, précité, point 54).
15 S'agissant du point de savoir si une disposition d'un État membre, qui oblige tout ressortissant étranger, tels les ressortissants monégasques, à constituer une cautio judicatum solvi lorsqu'il entend agir en justice à l'encontre d'un ressortissant de cet État membre, alors qu'une telle exigence n'est pas imposée aux ressortissants de ce dernier, constitue une entrave à la liberté de circulation des marchandises, il y a lieu de rappeler que toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5, et du 9 décembre 2010, Humanplasma, C-421-09, non encore publié au Recueil, point 26).
16 Or, ainsi que Mme l'Avocat général l'a relevé au point 46 de ses conclusions, une réglementation nationale, telle que l'exception de la cautio judicatum solvi prévue à l'article 851 du Code judiciaire, est de nature purement procédurale et n'a pas pour objet de régir les échanges de marchandises. En outre, son application dépend non pas de l'origine du produit en cause, mais de deux conditions cumulatives, à savoir, d'une part, l'existence d'un litige qui doit survenir à la suite de la conclusion d'un contrat et conduire à une action devant les juridictions belges et, d'autre part, le fait que le défendeur dans une telle action doit être un ressortissant belge qui choisit de se prévaloir de la disposition en question.
17 Certes, une mesure de ce type aboutit à soumettre les opérateurs économiques qui souhaitent intenter une action en justice à un régime procédural différent selon qu'ils ont ou non la nationalité de l'État membre concerné. Néanmoins, ainsi que Mme l'Avocat général l'a relevé aux points 46 et 47 de ses conclusions, la circonstance que les ressortissants d'autres États membres hésiteraient de ce fait à vendre des marchandises à des acheteurs établis dans ledit État membre et en possédant la nationalité est trop aléatoire et indirecte pour qu'une telle mesure nationale puisse être regardée comme étant de nature à entraver le commerce intracommunautaire (voir, par analogie, arrêts du 7 mars 1990, Krantz, C-69-88, Rec. p. I-583, point 11; du 14 juillet 1994, Peralta, C-379-92, Rec. p. I-3453, point 24; du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto, C-96-94, Rec. p. I-2883, point 41, et du 22 juin 1999, ED, C-412-97, Rec. p. I-3845, point 11). Le lien de causalité entre l'altération éventuelle du commerce intracommunautaire et la différence de traitement en cause ne saurait ainsi être considéré comme établi.
18 L'article 34 TFUE ne s'oppose donc pas à une mesure nationale telle que celle instituée par l'article 851 du Code judiciaire.
19 Cela étant, il convient de préciser, comme le rappelle la Commission des Communautés européennes, que la Cour a déjà jugé qu'une disposition nationale telle que celle en cause dans le litige au principal, si elle n'opère pas de distinction selon l'origine des produits, comporte néanmoins, au regard des ressortissants d'autres États membres, une discrimination directe fondée sur la nationalité du requérant, dans la mesure où elle n'exige pas de caution des ressortissants nationaux (arrêts du 26 septembre 1996, Data Delecta et Forsberg, C-43-95, Rec. p. I-4661, point 17 et 22, ainsi que du 20 mars 1997, Hayes, C-323-95, Rec. p. I-1711, point 19).
20 Une telle discrimination, interdite par l'article 18, premier alinéa, TFUE, ne saurait toutefois être constatée à l'égard d'une société monégasque, telle que la requérante au principal, dans la mesure où cette dernière ne peut pas utilement revendiquer le bénéfice de ladite disposition du traité (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 1997, Saldanha et MTS, C-122-96, Rec. p. I-5325, point 15; voir aussi, en matière de liberté de circulation des personnes, arrêt du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C-22-08 et C-23-08, Rec. p. I-4585, point 52).
21 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l'article 34 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que la législation d'un État membre exige le versement d'une cautio judicatum solvi par un demandeur de nationalité monégasque, qui a introduit devant l'une des juridictions civiles de cet État une action en justice à l'encontre d'un ressortissant de ce dernier afin d'obtenir le paiement des factures émises pour la livraison de marchandises assimilées à des marchandises communautaires, alors qu'une telle exigence n'est pas imposée aux ressortissants de cet État membre.
Sur les dépens
22 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
L'article 34 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que la législation d'un État membre exige le versement d'une cautio judicatum solvi par un demandeur de nationalité monégasque, qui a introduit devant l'une des juridictions civiles de cet État une action en justice à l'encontre d'un ressortissant de ce dernier afin d'obtenir le paiement des factures émises pour la livraison de marchandises assimilées à des marchandises communautaires, alors qu'une telle exigence n'est pas imposée aux ressortissants de cet État membre.