Cass. crim., 9 mars 2011, n° 10-81.746
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
DNECCRF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Canivet-Beuzit
Avocat général :
M. Lucazeau
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, SCP Peignot, Garreau
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la Direction nationale des enquêtes, de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, contre l'ordonnance du premier Président de la Cour d'appel de Versailles, en date du 19 février 2010, qui a annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé des opérations de visite et de saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a annulé l'ordonnance rendue le 30 juin 2006 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre ;
"aux motifs qu'aux termes de l'article L. 450-4, alinéa 2, du Code de commerce, le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; que cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que des indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée " ; qu'en l'occurrence, le juge des libertés et de la détention relève que les pratiques illicites, " qui auraient débuté en 2001, se seraient au moins poursuivies jusqu'en février 2006, date à laquelle la DGCCRF a procédé à des visites et saisies sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers par autorisation du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre des 31 janvier 2006 et 2 février 2006 ; qu'il n 'est pas exclu que ces agissements perdurent dans le secteur des produits d'hygiène et du soin du corps nonobstant les investigations déjà réalisées dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers " ; que toutefois, au regard de cette motivation, il n'existe aucun élément de nature à laisser supposer que ces pratiques illicites se seraient poursuivies au-delà du 3 février 2006, soit durant les quatre mois ayant précédé le prononcé de l'ordonnance entreprise, dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, et a fortiori dans celui des produits d'hygiène et de soins du corps, qui est l'objet de cette ordonnance ; que, dans la mesure où rien n'autorise à conclure que des infractions auraient été commises dans l'intervalle, ou que des pratiques illicites auraient perduré notamment depuis les premières investigations effectuées le 3 février 2006 dans le secteur parallèle des produits d'entretien et des insecticides ménagers, le premier juge ne pouvait valablement autoriser les opérations de visite et saisie litigieuses sur la base de simples indices permettant de présumer l'existence des pratiques dont la preuve était recherchée ; qu'au demeurant, les indices retenus par le premier juge pour fonder sa décision reposent pour l'essentiel sur les premières mesures d'enquête ayant fait suite aux opérations de visite et saisie du 3 février 2006 dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, lesquelles " semblent montrer que l'ILEC et PBMO Corporate pourraient avoir outrepassé leur rôle d'expertise également dans le secteur des produits d'hygiène et du soin du corps, en donnant la possibilité aux entreprises fournissant la grande distribution d'échanger des informations confidentielles leur permettant d'avoir une connaissance globale de l'état de discussions entre distributeurs et fournisseurs et d'adapter en conséquence leur politique commerciale " ; que toutefois, il ne peut se déduire, ni des conclusions incertaines de ces premières mesures d'enquête, ni des tableaux comparatifs des chiffres d'affaires présentés en annexe 3 à la note des rapporteurs, l'existence de pratiques anticoncurrentielles prohibées auxquelles la société appelante aurait participé ; qu'au surplus, l'allégation suivant laquelle la société Beiersdorf apparaît, avec d'autres fournisseurs, au coeur des pratiques relevées dans le secteur des produits d'hygiène et de soins du corps du fait de sa participation aux réunions " Les Amis " et " Team PCP " ne peut constituer une présomption suffisante que cette société se livrerait à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81-1 du traité instituant la Communauté européenne ; qu'en toute hypothèse, ainsi que le fait justement observer la société Beiersdorf, les pièces annexées à la requête présentée au premier juge ne font pas état des premières mesures d'enquête susvisées, sur lesquelles la décision de première instance s'est fondée pour autoriser les opérations de visite et saisie, de telle sorte que le magistrat n'a pas été mis à même de procéder à l'examen concret des éléments de preuve que l'administration avait apparemment en sa possession ; qu'au regard de ce qui précède, il s'avère que le juge des libertés et de la détention ne disposait pas, au sens de l'article L. 450-4, alinéa 2, du Code de commerce, d'éléments suffisants d'information de nature à justifier la visite des locaux de la société Beiersdorf, ce qui vicie l'ordonnance dont celle-ci a interjeté appel ;
"alors que la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée, dès lors que la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du Code de commerce en train de se commettre ; qu'ainsi, l'existence d'une demande de clémence présentée par une société dénonçant une entente, et la note des rapporteurs qui en rend compte et contient en annexe des pièces relatives aux sociétés du secteur soupçonnées de participer à l'entente, justifient que le juge autorise les visites et saisies à l'encontre des entreprises soupçonnées ; qu'en l'espèce, pour infirmer l'autorisation de visites et saisies dans les locaux de la société Beiersdorf, le premier président de la cour d'appel a jugé qu'il n'existait aucun élément de nature à laisser supposer que les pratiques illicites se seraient poursuivies au-delà du 3 février 2006 ni que la société Beiersdorf y aurait participé ; qu'en statuant ainsi, tandis que le procès-verbal de réception de la demande de clémence faisant état de pratiques prohibées datait du 28 février 2006, que la note des rapporteurs explicitant les pratiques des entreprises du secteur en vigueur depuis plusieurs années datait du 23 juin 2006 et qu'y étaient jointes des annexes impliquant la société Beiersdorf, le premier président a privé sa décision de base légale" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure que l'une des sociétés dans les locaux de laquelle avaient été effectuées, le 3 février 2006, des visites et saisies en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, a présenté auprès du Conseil de la concurrence, une demande de clémence pour sa participation à de telles pratiques dans le domaine des produits d'hygiène et de soins du corps ; que, sur requête, en date du 29 juin 2006, de la direction nationale des enquêtes de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre, a, par ordonnance du 30 juin 2006, autorisé des visites et saisies, notamment dans les locaux de la société Beiersdorf, pour rechercher la preuve desdites pratiques ;
Attendu que, pour infirmer cette décision, sur l'appel de la société Beiersdorf, et annuler la mesure litigieuse, l'ordonnance énonce qu'aucun élément ne laisse supposer que les pratiques illicites se seraient poursuivies au-delà du 3 février 2006 et que le premier juge ne pouvait, en conséquence, autoriser les visites et saisies sur la base de simples indices faisant présumer l'existence des agissements dénoncés ; que le premier président ajoute que celle-ci ne pouvait se déduire, ni des conclusions incertaines des premières investigations effectuées en matière de pratiques illicites dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers ni des tableaux annexés à la note des rapporteurs ; qu'il relève encore que la participation de la société Beiersdorf aux réunions "Les amis" et "Team PCP" ne pouvait faire présumer son implication dans les pratiques supposées ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs contradictoires, et alors qu'il résultait de ses propres constatations, d'une part, que l'autorisation de visite et de saisie requise se fondait sur une demande de clémence reçue le 28 février 2006 par le Conseil de la concurrence, dénonçant des faits ayant débuté en octobre 2003 et encore en cours à l'époque de leur dénonciation, d'autre part, que la société Beiersdorf avait participé à des réunions dénommées "Les amis" et "Team PCP" durant lesquelles, selon le demandeur de clémence, des informations confidentielles étaient échangées par les entreprises en vue d'adapter les pratiques et la position, sur le marché, des divers concurrents, le premier président de la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier Président de la Cour d'appel de Versailles, en date du 19 février 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant le premier Président de la Cour d'appel de Paris, à ce désigné par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.