Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-16.100
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
BT Construction (SARL), Boulineau
Défendeur :
Climbfi (SAS), SBC Bat (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
M. Carre-Pierrat
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Gatineau, Fattaccini
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 février 2010), que par un protocole du 7 août 2003, Mme Boulineau et MM. Loppin et Spanoghe ont cédé à la société Climbfi les parts qu'ils détenaient à hauteur de 75 % dans la société SBC Bat, société exerçant des activités dans le bâtiment ; que ce protocole prévoyait un certain nombre d'engagements des cédants notamment en ce qui concerne l'interdiction de démarcher la clientèle de la société SBC Bat et de débaucher son personnel ; que le 9 mars 2006 M. et Mme Boulineau ont créé la société BT Construction qui exerce des activités dans le même domaine; que les sociétés Climbfi et SBC Bat, estimant que Mme Boulineau et la société BT Construction avaient démarché du personnel et de la clientèle de la société SBC Bat, les ont assignées aux fins de les voir condamner au paiement de diverses sommes ;
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches : - Attendu que Mme Boulineau et la société BT Construction font grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement, sauf sur le montant des dommages-intérêts et de les avoir condamnées in solidum à payer à la société Climbfi la somme de 70 000 euro pour violation de la clause de non-démarchage de la clientèle contenue dans le protocole du 7 août 2003, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article 03.4 de l'acte du 7 août 2003, Mme Boulineau s'était engagée à ne pas démarcher pour son compte ou celui de tiers, et sous une forme quelconque, la clientèle de la société SBC Bat et même des entreprises avec lesquelles une proposition de services aurait déjà été formulée dans le délai d'un an qui aura précédé la cession de ses droits sociaux ; qu'en se bornant, après avoir constaté que la société Thalès avait attesté qu'elle avait contacté M. et Mme Boulineau en raison d'une carence des entreprises locales à la suite d'un appel d'offres, à affirmer qu'il était invraisemblable que, sans démarchage, cette société ait, de son propre chef, pris contact avec la société BT Construction et qu'une démarche active avait été nécessaire de la part de cette société, pour en déduire que l'engagement précité avait été méconnu, sans relever aucun acte de démarchage en direction de la société Thalès, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 2°) qu'en tout état de cause, le simple fait de conclure des marchés avec le client d'un concurrent n'est pas fautif ; qu'en statuant de la sorte sans relever aucune manœuvre de démarchage de la société Thalès par la société BT Construction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le démarchage de la société Thalès est induit par les explications données par cette société dans une lettre à la société BT Construction par laquelle elle indique lui avoir écrit en juin 2006 après avoir appris que les époux Boulineau avaient repris leur précédente activité ; qu'il relève encore que compte tenu des contraintes "secret défense" et des référencements exigés pour travailler avec la société Thalès, une démarche active de la part de la société BT Construction, représentée par Mme Boulineau, avait été nécessaire ; qu'il en déduit que, sans démarchage, la société Thalès, qui était un important client de la société SBC Bat, ne pouvait, de son propre chef, imaginer que M. et Mme Boulineau, installés en Touraine, avaient recréé une société de même type que la précédente, retrouver leur trace et intervenir, dès la création de la société BT Construction, pour lui confier un volume d'affaires représentant les deux tiers de son chiffre d'affaires ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations dont il ressort que Mme Boulineau a, au mépris de l'engagement qu'elle avait souscrit le 7 août 2003, démarché un client de la société SBC Bat, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé, par motifs adoptés, que la société BT Construction, créée par M. et Mme Boulineau et dont cette dernière est cogérante, avait indiqué à la société Climbfi, par lettre du 10 mai 2006, qu'elle connaissait parfaitement les obligations de Mme Boulineau, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que le moyen, pris en ses première et troisième branches, ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Sur la recevabilité du moyen, contesté par la défense : - Attendu que les sociétés Climbfi et SBC Bat soulèvent l'irrecevabilité du moyen en raison de sa nouveauté ;
Mais attendu que dans ses conclusions devant la cour d'appel, la société BT Construction et Mme Boulineau s'étaient prévalues du caractère irrégulier des enregistrements ; que le moyen, qui était dans le débat, est recevable ;
Et sur le moyen : - Vu les articles 9 du Code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - Attendu que pour dire que Mme Boulineau était intervenue dans le démarchage de MM. Almeida, Noveli et Ribeiro et condamner in solidum Mme Boulineau et la société BT Construction à payer à la société Climbfi la somme de 76 904 euro à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-démarchage du personnel, l'arrêt retient que cette intervention est prouvée par les enregistrements des entretiens de fin de contrats entre M. de Garsignies de la société Climbfi et MM. Ribeiro et Novelli retranscrits, à la demande des sociétés Climbfi et SBC Bat, par M. Okermann, huissier de justice, dans son procès-verbal de constat dressé le 21 juin 2006 ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans rechercher, comme il lui était demandé, si ces enregistrements de conversations privées n'avaient pas été réalisés à l'insu de MM. Ribeiro et Novelli afin de conduire les sociétés Climbfi et SBC Bat à les faire retranscrire dans un constat d'huissier de justice produit à titre d'élément de preuve, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum Mme Boulineau et la société BT Construction à payer à la société Climbfi la somme de 76 904 euro pour violation de la clause de non-démarchage du personnel figurant dans le protocole du 7 août 2003, l'arrêt rendu le 2 février 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.