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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 18 février 2010, n° 08-05452

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Micropole Univers (SA)

Défendeur :

Bravo, Elypsia (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP Maynard-Simoni, SCP Liberas-Buvat-Michotey

Avocats :

Mes Lani, Vinent

T. com. Marseille, du 14 févr. 2008

14 février 2008

Faits, procédure et prétentions des parties

Monsieur Robert Bravo a été salarié de la SA Micropole Univers, société SSII spécialisée dans les services informatiques (ingénierie et conseil) depuis 1998 et a occupé en dernier lieu et depuis le 1er janvier 2001 la fonction de directeur de l'agence de la SA Micropole Univers à Aix-en-Provence, il a quitté son emploi salarié, ensuite de son licenciement prononcé, le 20 mars 2006, suivi d'une transaction signée, le 6 avril 2006, le déliant de sa clause de non-concurrence et le dispensant de l'exécution de tout préavis. Monsieur Robert Bravo est devenu administrateur de la société Nextec Systems qui a une activité dans le domaine des services liés à l'informatique (sécurité des systèmes informatiques). La SA Elypsia, ayant également une activité similaire à celle exercée par la SA Micropole Univers, a été créée, le 10 février 2006, par Monsieur Sylvain Scire et commencé son activité le 12 janvier 2006. Monsieur Robert Bravo est devenu le PDG de la SA Elypsia, en fin d'année 2007.

Par jugement contradictoire en date du 14 février 2008, le Tribunal de commerce de Marseille a débouté la SA Micropole Univers de sa demande de communication de pièces formée contre la SA Elypsia à savoir les offres de services faites à six clients de la SA Micropole Univers au cours des années 2006/2007 et de sa demande indemnitaire en concurrence déloyale fondée sur des agissements de débauchage massif de personnels salariés, de détournement de clientèle et de désorganisation de l'entreprise et a condamné la SA Micropole Univers à payer à la SA Elypsia la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SA Micropole Univers a régulièrement fait appel de ce jugement dans les formes et délais légaux.

Par ordonnance rendue le 7 juillet 9009 le juge chargé de la mise en état de la 1re chambre du Tribunal de grande instance de Marseille, statuant sur l'action en concurrence déloyale dirigée par la SA Micropole Univers contre Monsieur Robert Bravo, a fait droit à l'exception de connexité soulevée par Monsieur Robert Bravo et a renvoyé l'examen de l'affaire devant la 2e chambre de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. Une ordonnance de jonction d'instances a été rendue, le 17 septembre 2009, par le conseiller chargé de la mise en état de ladite chambre.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 en date du 28 décembre 1998.

Vu les conclusions "d'appel aux fins d'infirmation après jonction" de la SA Micropole Univers en date du 25 novembre 2009 tendant à faire juger:

- qu'il convient avant dire droit au fond d'accueillir sa demande en communications de pièces dirigée contre la SA Elypsia relativement aux propositions de services et autres documents commerciaux annexes en rapport avec des contrats de prestation de services conclus depuis janvier 2006 avec sept sociétés dont la société Nextec Systems et autres clients de la SA Micropole Univers afin d'établir le "plagiat" réalisé par la SA Elypsia, son refus de les communiquer étant illégitime,

- qu'à "titre principal", il convient de retenir la réalité des agissements de concurrence déloyale commis par la SA Elypsia et par Monsieur Robert Bravo qui ne peuvent opposer la liberté du commerce et de l'industrie, ces actes consistant à * débaucher massivement 8 ingénieurs salariés de l'agence de la SA Micropole Univers à Aix-en-Provence avec augmentation de salaires et reprise de la clientèle qui les était affectée, sans que de prétendues difficultés sociales au sein de la SA Micropole Univers et l'absence de clause de non-concurrence dans les contrats de travail desdits salariés puissent être invoquées, à * désorganiser le fonctionnement de l'agence d'Aix-en-Provence et à *détourner la clientèle (six clients dits institutionnels) par une pratique de prix abusivement bas et de démarchage systématique par le biais des anciens salariés qui leur étaient habituellement affectés.

- que Monsieur Robert Bravo a "mis sous surveillance" et dénigré la SA Micropole Univers,

- que le préjudice découlant de l'ensemble des faits de concurrence déloyale s'établit à 812 881,23 euro se décomposant en "pertes de gains" pour 4 clients, en surcoût pour l'embauche de nouveaux salariés, en perte de chiffre d'affaires (déficit d'attractivité) et en préjudice moral,

- subsidiairement, que Monsieur Robert Bravo devra être condamné à rembourser le montant de l'indemnité transactionnelle (32 284 euro) qu'il a reçue dès lors qu'il a violé les obligations de loyauté, de confidentialité et de neutralité qu'il avait souscrites dans la transaction qui sera résolue;

Vu les conclusions récapitulatives de la SA Elypsia et de Monsieur Robert Bravo en date du 16 décembre 2009 tendant à faire juger :

- que les éléments de preuve dont la communication est sollicitée, avaient fait l'objet d'une ordonnance du requête prescrivant leur communication, cette ordonnance a été rétractée par voie d'ordonnance de référé si bien qu'accueillir une telle demande contredirait l'ordonnance en référé de rétractation, de plus la demande tend en réalité à obtenir des informations de nature commerciale et confidentielle sur l'activité de la SA Elypsia,

- au fond, que la liberté du commerce et de l'industrie, comme la liberté du travail s'opposent à l'admission de la demande indemnitaire fondée sur la concurrence déloyale,

- qu'aucune fraude ou manœuvres déloyales (tel l'octroi de salaires anormalement élevés...) n'ont accompagné l'embauche par la SA Elypsia de 8 anciens salariés de la SA Micropole Univers libres de tous engagements sur 30 départs imputables au mauvais climat social au sein de la SA Micropole Univers,

- qu'aucune désorganisation n'a été générée au sein de la SA Micropole Univers par suite du mouvement de personnels entre les deux entreprises,

- que le démarchage de la clientèle de la SA Micropole Univers n'est pas fautif comme non systématique et le transfert de clientèle est au demeurant limité en nombre et même en valeur absolue (7 détournements déloyaux sont imputés par la SA Micropole Univers),

- qu'aucun dénigrement n'est établi à l'encontre de Monsieur Robert Bravo, notamment dans une attestation destinée à être produite dans une instance prud'homale, et qu'aucune pratique tendant à "une mise sous surveillance" de la SA Micropole Univers n'est également établie,

- subsidiairement, que l'évaluation faite par la SA Micropole Univers de son préjudice est exagérée,

- que Monsieur Robert Bravo n'a pas enfreint l'obligation de loyauté et de confidentialité souscrite envers son ancien employeur, dans 10 transactions mettant fin au procès prud'homal,

- que par contre la SA Micropole Univers devra être condamnée à des dommages et intérêts pour des actes de dénigrement "ouvert" et "d'intimidation" envers la SA Elypsia et Monsieur Robert Bravo ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 18 décembre 2009.

Motifs et décision

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'enjoindre la SA Elypsia de produire à la SA Micropole Univers des documents commerciaux (bons de commandes, factures avoirs, courriers...) concernant 7 prospects ou partenaires commerciaux et " l'ensemble des propositions de services " (offres commerciales détaillées) faites par la SA Elypsia au cours des années 2006/2007 à ces prospects précisément dénommés ; que d'une part, la SA Elypsia a communiqué au débat un certain nombre de pièces afférentes aux relations commerciales qu'elle a eues avec les sociétés désignées, que d'autre part, il existe un empêchement légitime pour la SA Elypsia à produire de tels documents contenant des renseignements confidentiels (" avancées techniques " et informations commerciales) qui ne peuvent être communiqués à une société concurrente ; que la SA Micropole Univers n'articule pas suffisamment d'indices précis concernant des agissements déloyaux circonscrits, ce qui pourrait rendre admissible une demande " ciblée " de communication de pièces dans le cadre de l'administration de la preuve ; que la demande de communication de pièces concernant l'évaluation du préjudice pourrait être accueillie, le cas échéant, par une décision judiciaire mixte qui retiendrait préalablement des agissements de concurrence déloyale à l'encontre de la SA Elypsia et/ou de Monsieur Robert Bravo ;

Attendu que le mouvement de salariés d'une entreprise vers une autre, accompagné du transfert de clients constituent des agissements de concurrence déloyale lorsque ils sont le résultat de pratiques déloyales objectivement mises en œuvre par l'entreprise qui en bénéficie; qu'il appartient à la SA Micropole Univers de démontrer des agissements personnels de la SA Elypsia et de Monsieur Robert Bravo qui sont contraires à la loyauté devant présider à l'activité commerciale d'entreprises en situation concurrentielle ; qu'il n'est pas démontré que la migration de 8 salariés (plus Monsieur Robert Bravo) durant un laps de temps relativement court (l'année 2006) de la SA Micropole Univers au sein de la SA Elypsia nouvellement créée, en février 2006 avec début d'activité, le 12 janvier 2006, provient d'une pratique de " débauchage massive " conduite par la SA Elypsia ou/et par Monsieur Robert Bravo ; qu'aucun élément probant n'est fourni à cet égard sur des manœuvres caractérisées dont ils se seraient rendus coupables ; qu'ainsi, il apparaît que certains salariés perçoivent dans leur nouvel emploi une rémunération plus faible qu'auparavant et que le climat social perturbé et démobilisateur au sein de la SA Micropole Univers explique les départs en nombre de salariés; que la SA Micropole Univers ne peut contester qu'il existait un " turn-over " important au sein de son agence d'Aix-en-Provence (30 départs en 2006/2007) alors qu'elle indique que l'effectif de salariés se situerait entre 15 et 18 (la SA Elypsia par le biais d'anciens salaries attestant l'estime, elle, à 40) ; que sept salariés démissionnaires de la SA Micropole Univers autres que les huit embauchés par la SA Elypsia attestent de manière circonstanciée et précise du climat social dégradé existant au sein de la SA Micropole Univers (problèmes de politique salariale, de choix économique, de management au niveau de la société avec répercussions sur l'agence d'Aix-en-Provence...) qui les a conduits à quitter leur emploi ; que la SA Micropole Univers invoque abusivement, pour établir le bon climat social en son sein, le message d'usage adressé par Monsieur Robert Bravo au moment de son départ de la SA Micropole Univers pour remercier les salariés alors que Monsieur Robert Bravo faisait l'objet d'un licenciement disciplinaire avec indemnités, qui a donné lieu à une transaction allouant à Monsieur Robert Bravo une indemnité supérieure aux indemnités conventionnelles de rupture ; que le supérieur hiérarchique de Monsieur Robert Bravo a fait également l'objet d'un licenciement contesté judiciairement ; que tous ces éléments contredisent l'affirmation de l'existence d'un climat social serein; qu'il n'est pas démontré que le départ des 8 salariés de la SA Micropole Univers et leur recrutement par la SA Elypsia proviennent d'une action concertée et organisée de la part de la SA Elypsia afin de s'attacher leur compétences, leurs connaissances et leur savoir-faire ; que la SA Elypsia pouvait affecter les anciens salariés de la SA Micropole Univers, libres de toute clause de non-concurrence, à des clients avec lesquels ils avaient déjà été en relation dans le cadre de leur fonction au sein de la SA Micropole Univers ; que la SA Micropole Univers ne démontre pas qu'il y a eu une utilisation excessive par la SA Elypsia des connaissances et informations de toute nature que lesdits salariés avaient acquises dans leur ancien emploi;

Attendu que la SA Micropole Univers ne démontre pas que le transfert d'une partie de sa clientèle au profit de la SA Elypsia (au demeurant clientèle mobile dans le temps comme traitant ultérieurement de nouveau avec la SA Micropole Univers ou avec d'autres sociétés de services en ingénierie informatique) résulte de manœuvres déloyales caractérisées ; que la SA Micropole Univers considère que son préjudice est constitué principalement par la perte de quatre clients destinataires d'offres de services à un prix anormalement bas (elle soutient que le détournement de ces quatre clients a permis le développement commercial très rapide de la SA Elypsia et le "décollage " de son chiffre d'affaires) ; que pour trois d'entre eux (le ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, bureau des pensions, la société Diffusion Tourisme Vacances Bleues et l'Office du Tourisme et des Congrès de Marseille) les marchés ont été conclus après mise en concurrence ou appels d'offre, sans démonstration que les règles de la concurrence ont été faussées ; qu'en ce qui concerne le Comité Départemental du Tourisme des Bouches du Rhône, la SA Micropole Univers ne fait pas la preuve que Monsieur Robert Bravo a, début d'année 2006, alors qu'il était encore directeur de l'agence de la SA Micropole Univers à Aix-en-Provence, fait une proposition commerciale audit comité au nom de la SA Elypsia (proposition d'un montant de 10 000 euro HT alors qu'il en avait fait une au nom de son employeur à 14 000 euro HT) ; que cette preuve ne saurait résulter d'un bon de commande émis, le 8 février 2006, par le Comité Départemental du Tourisme des Bouches du Rhône et destiné à la SA Elypsia portant la mention " Devis ELYRB20060105001 ", Ely pour la SA Elypsia, RB pour les initiales du rédacteur du devis Monsieur Robert Bravo, établi en 2006, 01 pour janvier, 05 pour le cinq du mois, 001 pour le numéro du devis (le premier de l'année et de l'activité débutante de la SA Elypsia) ; que ce document a été établi par le Comité Départemental du Tourisme des Bouches du Rhône et ne suffit pas à établir que Monsieur Robert Bravo avait bien adressé auparavant un devis pour le compte de la SA Elypsia ; qu'il appartenait à la SA Micropole Univers de faire préciser au Comité Départemental du Tourisme des Bouches du Rhône dans quelles conditions il a été amené à faire figurer cette mention sur le bon de commande litigieux au vu d'une proposition de service réellement adressée par Monsieur Robert Bravo au nom de la SA Elypsia ou par reproduction erronée de mentions figurant sur des bons de commandes adressés à la SA Micropole Univers pour des années antérieures...) ;

Attendu que les faits de " mise sous surveillance " de la SA Micropole Univers et de dénigrement de la part de Monsieur Robert Bravo ne sont pas caractérisés ; que l'attestation de Monsieur Druelle rapportant les propos de Monsieur Robert Bravo selon lesquels il avait des "amis" au sein de la SA Micropole Univers est inopérante en ce sens qu'elle est le pur constat d'une situation connue de la SA Micropole Univers, à savoir : la concubine de Monsieur Robert Bravo est salariée de la SA Micropole Univers ; que Monsieur Robert Bravo a établi une attestation " article 202 du Code de procédure civile " au profit de son supérieur hiérarchique licencié par la SA Micropole Univers ; que la teneur de cette attestation n'est pas dénigrante, Monsieur Robert Bravo se borne à donner, sans aucun excès de formulation, son avis sur le climat social de l'entreprise et se livre, sans aucun excès, à une libre critique de la conduite de l'entreprise et de son mode de fonctionnement ; qu'au demeurant, ce document destiné à être produit en justice, n'a pas le caractère public et pouvait faire l'objet d'une procédure en faux témoignage ;

Attendu que Monsieur Robert Bravo n'a pas souscrit dans la transaction du 6 avril 2006 d'engagements de non-concurrence ; que précisément la transaction le déliait de la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail et se bornait à lui rappeler l'obligation (incombant à chacun, ex-salarié ou non) de ne pas "entreprendre d'action pouvant être assimilée à une concurrence déloyale, en particulier auprès de certains clients de la SA Micropole Univers" ; qu'une telle clause de mise en garde est sans réelle portée juridique ; que la SA Micropole Univers devra être déboutée de sa demande formée à titre subsidiaire tendant à la résolution de la transaction ; que même en cas de faits avérés de concurrence déloyale, la SA Micropole Univers ne pourrait obtenir la résolution d'une telle transaction réglant les conséquences du licenciement de Monsieur Robert Bravo, comme elle l'avait d'ailleurs fort bien admis en indiquant dans la transaction elle-même qu'en cas de violation, elle demanderait réparation (la résiliation de plein droit ou judiciaire de la transaction n'étant pas prévue);

Attendu que le jugement mérite confirmation pour les motifs exposés ci-dessus et ceux non contraires des premiers juges ;

Attendu que la SA Elypsia et Monsieur Robert Bravo ne font pas la preuve que la SA Micropole Univers a agi de manière déloyale par dénigrement auprès de la clientèle " commune " ou a usé de mesures d'intimidation (recours à des procédures judiciaires " longues et infondées ") tendant à "l'anéantissement" de la SA Elypsia ; que l'exercice de la voies de droit par la SA Micropole Univers n'a pas dégénéré en abus dès lors qu'il n'a pas révélé de sa part une intention manifeste de nuire ou qu'il n'a pas procédé d'une erreur grossière équivalente au dol ; qu'il n'existe aucun abus pour la SA Micropole Univers, en l'état des circonstances de fait à faire valoir ses droits en justice et à recourir aux procédures légalement organisées en matière de recherche de preuves ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que les parties seront déboutées de leur demande faite à ce titre ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant suivant arrêt contradictoire par sa mise à la disposition des parties au greffe de la cour d'appel, Déclare recevable l'appel interjeté par la SA Micropole Univers. Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Condamne la SA Micropole Univers aux dépens dont distraction au profit de la SCP d'avoués Sylvie Maynard & Corine Simoni qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.