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Décisions

CA Aix-en-Provence, 9e ch. C, 31 mars 2009, n° 08-03044

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

NMA (SAS)

Défendeur :

Guezennec

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Deroubaix

Conseillers :

MM. Djiknavorian, André

Avocats :

Mes Troegeler, Capoano, Roue

Cons. prud'h. Arles, du 28 janv. 2008

28 janvier 2008

Faits, procédure et prétentions des parties

Yves Guezennec a été embauché par la société SARL Pampus-Fluorplast en qualité de rédacteur par contrat conclu le 4 juin 1984 le contrat à durée indéterminée était transféré à la société NMA qui, par délégation de pouvoirs et de responsabilité en date du 26 juillet 2000, chargeait le salarié d'assurer les fonctions de responsable de l'établissement NMA, situé à Plan d'Orgon; un nouveau contrat de travail était conclu le 19 février 2003 entre Yves Guezennec et la société NMA qui confirmait que le salarié, dont l'ancienneté lui restait acquise au 4 juin 1984, occupait les fonctions de responsable du site de Plan d'Orgon, avec le statut de cadre, coefficient 550 de la convention collective nationale des industries chimiques applicable dans les relations de travail entre les parties.

Son salaire annuel brut était fixé à 46 850 euro payable en 13 mois.

Dans l'accord passé, était stipulée une clause de non-concurrence avec possibilité pour la société de libérer le salarié de l'interdiction de concurrence, de se dégager du paiement de l'indemnité compensatrice prévue sous réserve que sa décision fût notifiée dans un délai de 30 jours à compter de la réception de la notification de la rupture.

Par courrier du 23 janvier 2006, Yves Guezennec démissionnait dans les termes suivants:

"Je vous informe par la présente de ma décision de démissionner du poste que j'occupe dans votre entreprise à compter de ce jour".

Antérieurement, Yves Guezennec avait été recruté par la société Maceplast en qualité de directeur commercial par contrat à durée indéterminée du 20 janvier 2006, prenant effet le 18 avril 2006.

Dans la lettre de rupture, Yves Guezennec avait demandé à son employeur de préciser quelle était sa position concernant la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail.

La société l'avisait par courrier qu'elle entendait actionner cette clause.

Par la suite, le salarié étant revenu sur sa décision de démissionner en avril 2006, la société NMA ayant refusé cette rétractation de démission, la société Maceplast ayant procédé à son licenciement en mai 2006, Yves Guezennec, qui se retrouvait sans emploi en août 2006, saisissait le 14 septembre 2006 le Conseil de prud'hommes d'Arles pour obtenir la nullité de la clause de non-concurrence, le paiement des dommages et intérêts au titre de cette nullité et la condamnation de la société à lui verser des rappels de primes de fin d'année (2003, 2004 et 2005).

Estimant la clause parfaitement valable et n'avoir commis aucune faute susceptible de justifier l'allocation de dommages et intérêts à Yves Guezennec, la société NMA concluait au rejet des demandes de son ancien salarié et à sa condamnation à lui verser une somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale et celle de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La juridiction prud'homale a rendu sa décision le 28 janvier 2008.

Par pli recommandé posté le 13 février 2008, la société NMA SAS a interjeté appel du jugement rendu par le Conseil de prud'hommes qui a considéré que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail était nulle, qui a rejeté ses demandes et qui l'a, par contre, condamnée au paiement des sommes suivantes:

- 33 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- 10 000 euro au titre du préjudice moral,

- 1 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Dans ses écritures réitérées oralement, suivant des moyens qui seront précisés et examinés dans le cadre de la motivation de la décision, la société sollicite :

- la réformation du jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la clause de non-concurrence et l'a condamnée à verser à Yves Guezennec des dommages et intérêts, maintenant que la clause prévue dans le contrat de travail était régulière,

- la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande du salarié en paiement des primes d'objectifs.

A titre subsidiaire, la société NMA fait valoir que le salarié ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre la nullité de la clause et un quelconque préjudice subi par lui.

Par ailleurs, la société NMA SAS demande à titre reconventionnelle la condamnation de son ancien salarié au paiement de la somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts pour non respect de la clause de non-concurrence et acte de concurrence déloyale.

Elle chiffre à 3 000 euro ses frais irrépétibles.

En réplique, développant des moyens qui seront analysés dans la suite de l'arrêt, Yves Guezennec sollicite la confirmation de la décision entreprise qui a notamment prononcé la nullité de la clause de non-concurrence et condamné la société au paiement de la somme de 10 000 euro au titre du préjudice moral.

En revanche, le salarié sollicite l'infirmation de la décision pour le surplus.

Il demande, en effet, la condamnation de la société NMA SAS au paiement des sommes suivantes :

- 163 086,69 euro à titre de dommages et intérêts pour nullité de la clause,

- 2 000 euro au titre de la prime d'objectifs pour 2003,

- 2 933,82 euro au titre de la prime d'objectifs pour 2004,

- 9 115,26 euro au titre de la prime d'objectifs pour 2005.

Sollicitant la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, il souhaite, d'autre part, voir écarter des débats les pièces communiquées par la société NMA le 19 février 2009.

Enfin, Yves Guezennec conclut au rejet de la demande reconventionnelle présentée par la NMA SAS.

Motifs de l'arrêt

- Sur la demande tendant à écarter des pièces communiquées par la société NMA

Yves Guezennec demande tout d'abord que soit écartée la pièce n° 5 de la partie adverse, c'est-à-dire une lettre adressée au salarié par la société NMA portant la date du 6 février 2006, sur laquelle figure la mention " lettre recommandé + AR " et par laquelle, selon l'employeur, il aurait précisé les limites de la clause de non-concurrence (une durée de 2 ans sur un produit dit semi-produit en matière fluorée).

Il convient de confirmer la décision des premiers juges qui ont relevé avec pertinence que ce courrier dont Yves Guezennec conteste la réalité, n'était ni signé, ni accompagné de l'avis de réception justifiant sa distribution.

Par ailleurs, concernant les pièces communiquées par la société le 19 février 2009, l'intimé sollicite le rejet des attestations des consorts Duval, Corcilius, Descamps, Henninquin, Lacroix et Nanteuil, ainsi que le courrier de la société Maceplast daté du 7 avril 2008 pour les raisons suivantes :

- le caractère tardif de la communication et le non-respect du calendrier de procédure

- la violation des règles édictées par l'article 202 du Code de procédure civile qui précisent les mentions que les attestations doivent mentionner.

Concernant les attestations produites de témoins, il y a lieu de constater qu'elles sont conformes aux prescriptions visées par l'article 202 du Code de procédure civile ; de surcroît, les dispositions de l'article 202 ne sont pas prescrites à peine de nullité et Yves Guezennec ne justifie pas en quoi l'irrégularité éventuelle lui ferait grief et serait une inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

Concernant le courrier de la société Maceplast daté du 7 avril 2008, il ne s'agit pas d'une attestation et n'a pas à être soumis aux dispositions de l'article 202.

La procédure prud'homale étant orale, aucun délai ne peut interdire à l'une des parties de communiquer des conclusions ou des pièces dans la mesure où le débat reste loyal et que chaque partie a été mise en capacité d'organiser sa défense ; Yves Guezennec ne démontre pas une atteinte à ses droits et une violation manifeste du principe du contradictoire.

Partant, la demande du salarié tendant à écarter les pièces communiquées par l'employeur le 19 février 2009 sera écartée.

- Sur la nullité de la clause de non-concurrence

La clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail daté du 19 février 2003 est rédigée comme suit :

"La clause reprise sera celle de la convention collective. Monsieur Guezennec et la société conviennent expressément du droit que la société se réserve de libérer Monsieur Guezennec de l'interdiction de concurrence et de ce fait de se dégager du paiement de l'indemnité compensatrice prévue sous condition que cette décision soit notifiée dans un délai limité à 30 jours suivant la date de réception de la notification de la rupture".

Force est de noter que la clause ne prévoit aucune disposition concernant le versement et les modalités de la contrepartie financière et ses limites dans l'espace et le temps, se limitant à un renvoi, pour l'ensemble des conditions de validité, aux dispositions de la convention collective applicable.

Ce renvoi à la convention collective était possible, mais à certaines conditions.

Or la convention collective applicable, dans son avenant conclu pour régler la relation de travail des cadres et ingénieurs avec leur entreprise, prévoit, certes, l'existence d'une clause de non- concurrence mais l'article 6 ne fixe qu'un cadre avec une durée maximale "en principe de 2 ans", laisse des options en ce qui concerne la contrepartie financière, à savoir un tiers ou deux tiers des appointements mensuels en fonction du nombre de produits ou de techniques de fabrications concernés par l'interdiction et ne donne, en tout cas, aucun élément sur son application dans l'espace.

Les courriers envoyés par la SAS NMA, qui voulait donner des précisions sur les modalités d'application de la clause de non-concurrence, ne peuvent en aucun cas pallier, à posteriori, aux carences de la rédaction de la clause telle qu'insérée dans le contrat signé par Yves Guezennec et son employeur dans la mesure où les conditions proposées par ce dernier nécessitaient, pour une application régulière, l'accord expressément donné par son salarié.

Ainsi, en l'absence de précisions quant à délimitation dans l'espace et dans le temps et sur les modalités d'attribution de la contrepartie financière, c'est à bon droit que les premiers juges ont prononcé la nullité de la clause.

Dans ses conditions, la nullité de la clause produisant en faveur d'Yves Guezennec les effets de l'absence de toute clause dans ce domaine, il ne peut être tenu à la respecter et ne peut être condamné pour une éventuelle violation.

En revanche, Yves Guezennec est en droit de réclamer des dommages et intérêts à son ancien employeur en raison d'un préjudice subi.

Il n'est pas contestable que ses difficultés avec son nouvel employeur, qui l'a finalement licencié en invoquant la clause de non-concurrence le liant à la société NMA SAS, constituent un préjudice directement lié à l'action de cette dernière qui se prévalait d'une clause nulle et qui avait, pourtant, reçu par écrit les réserves de son salarié sur la validité de cette clause qu'elle voulait lui imposer.

Le préjudice subi par le salarié ayant été apprécié avec faiblesse par les premiers juges, il convient de confirmer le principe de la condamnation de la société au paiement d'une somme à titre de dommages et intérêt mais d'en modifier le montant qui doit être évalué à 40 000 euro.

- Sur le préjudice moral

M. Guezennec demande que l'employeur soit condamné au paiement de la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Il explique ses prétentions par la mise en cause de ses qualités professionnelles et de sa loyauté à l'égard de son employeur par la société NMA.

Néanmoins, il n'est pas établi l'existence de circonstances caractérisant un abus de la part de l'employeur de défendre ses positions devant les juridictions prud'homales, ayant entraîné pour le salarié un préjudice distinct du préjudice déjà indemnisé et découlant de la nullité de la clause.

Partant, il convient de réformer la décision des premiers juges sur ce point et de rejeter la demande formulée par M. Guezennec.

- Sur les primes d'objectifs

Le contrat de travail conclu le 19 février 2003 par le salarié précisait : "vous recevrez également un bonus sur objectifs selon les modalités établies chaque année avec votre responsable hiérarchique et suivant la politique définie par la Direction".

Il ressort de la formulation de la clause que le salarié devait bénéficier d'un droit au versement de cette prime sur objectifs.

Contrairement à ce que soutient la société NMA dans ses conclusions, il ne s'agissait pas d'une prime facultative et le salarié était en droit de prétendre au versement de ces primes.

Il appartenait donc à la NMA de fixer chaque année les modalités d'attribution de ces primes en concertation avec le salarié.

L'entreprise ne conteste pas ne pas avoir fixé les modalités de versement de ces primes pour les années 2003, 2004, et 2005 et n'avoir rien payé à ce titre à Yves Guezennec.

Il incombait au Conseil de Prud'hommes, en l'état de la carence de l'employeur sur ce point et de l'absence d'accord entre les parties, de déterminer le montant de cette rémunération variable.

Eu égards aux pièces fournies, la société devra verser à Yves Guezennec pour chacune des années sur lesquelles portent les demandes de primes, la somme de 2 000 euro, soit globalement 6 000 euro.

La décision déférée sera infirmée.

- Sur la demande reconventionnelle de la SAS NMA

Conformément à la décision des premiers juges, il convient de rejeter la demande reconventionnelle présentée par la SAS NMA.

En effet, la cour constate que la société ne rapporte nullement la preuve que le salarié ait manqué à son obligation de loyauté durant l'exécution de son contrat de travail. Les attestations produites par la société à l'appui de ses prétentions ne sont pas suffisamment circonstanciées pour démontrer la déloyauté du salarié durant l'exécution de son contrat.

Par ailleurs, compte tenu de la nullité de la clause de non-concurrence, il n'y a pas lieu de se prononcer sur les actes de concurrence déloyale prétendument exercés par le salarié postérieurement à sa démission.

La décision déférée sera donc confirmée sur ce point.

- Sur les frais irrépétibles

La société NMA qui succombe devra verser à Yves Guezennec la somme de 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et sera condamnée aux entiers dépens.

Sa demande au titre des frais irrépétibles

Par ces motifs, LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale, Reçoit l'appel régulier en la forme, Confirme le jugement entrepris rendu le 28 janvier 2008 par le Conseil de Prud'hommes d'Arles en ce qu'il a : - prononcé la nullité de la clause de non-concurrence figurant dans le contrat de travail conclu entre Yves Guezennec et la société NMA SAS, - condamné la société NMA SAS au paiement de la somme de 1 000 euro au titre des frais irrépétibles, Le réforme pour le surplus, Et statuant de nouveau, Condamne la société NMA SAS à payer à Yves Guezennec les sommes suivantes : - 40 000 euro au titre de dommages et intérêts résultant de la nullité de la clause de non-concurrence, - 6 000 euro globalement au titre des primes des années 2003, 2004 et 2005, Déboute les parties de leurs demandes respectives, plus amples ou contraires, Déboute la société NMA SAS de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles, Condamne la société NMA SAS à payer à Yves Guezennec la somme de 1 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société NMA SAS aux entiers dépens.