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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 7 avril 2011, n° 08-05074

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sempa (SA)

Défendeur :

Altaripa (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

M. Bernaud, Mme Pages

Avocats :

Mes Durand, Grandgonnet, Balestas

Président de chambre :

M. Muller

Avoués :

SCP Grimaud, SCP Calas

T. com. Grenoble, du 28 nov. 2008

28 novembre 2008

Selon contrat d'exploitation conclu le 8 février 2005 pour une durée indéterminée la société Sempa a confié à la société Altaripa la distribution et l'exploitation exclusives de ses matériels à presser les agrumes sur un territoire composé des départements de la Haute-Garonne et du Tarn.

La société Altaripa s'est engagée à faire l'acquisition d'un minimum de 10 machines au titre de la première commande et de 15 machines au titre de chacune des trois premières années du contrat.

Le 16 février 2005 la société Altaripa a procédé à l'achat de 10 machines pour le prix de 32 411,60 euro TTC.

Elle n'est pas parvenue toutefois à louer ou à revendre ces machines et a appris qu'une autre société distribuait les mêmes matériels dans le secteur concédé à des tarifs largement inférieurs.

Le 26 mars 2007 elle a mis en demeure la société Sempa de lui rembourser le prix payé contre restitution du matériel, mais s'est heurtée au refus du concédant, qui s'est opposé à la rupture du contrat au motif que l'exclusivité aurait été respectée.

Par acte d'huissier du 26 octobre 2007 la société Altaripa a fait assigner la société Sempa à l'effet d'entendre prononcer la résolution judiciaire du contrat pour violation de l'exclusivité concédée, et condamner la défenderesse au remboursement de la somme de 32 411,60 euro, outre dommages et intérêts pour préjudice commercial.

Par jugement du 28 novembre 2008 le Tribunal de commerce de Grenoble a prononcé la résolution du contrat, a condamné la société Sempa au paiement des sommes de 32 411,60 euro, de 503,58 euro et de 45 031 euro à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal capitalisés et indemnité de procédure de 1 600 euro, et a condamné la société Sempa à faire publier le jugement dans la revue Franchise magazine et à procéder à la rectification de l'annonce sur son site Internet.

La société Sempa a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 8 décembre 2008.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 15 février 2011 par la SAS Sempa qui demande à la cour, par voie de réformation, de débouter la société Altaripa de l'ensemble de ses demandes, de la condamner reconventionnellement au paiement de la somme de 31 500 euro au titre de sa marge commerciale perdue et de lui allouer les sommes de 2 500 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile aux motifs :

- que si elle est le distributeur exclusif de la société Zumex, qui fabrique les machines litigieuses, elle ne développe pas avec celle-ci une politique commerciale commune et a même obtenu à l'encontre de cette dernière un jugement de condamnation du Tribunal de grande instance de Paris pour violation de sa propre exclusivité,

- qu'elle n'est donc pas responsable des agissements de la société Zumex, qui aurait créé un réseau de distribution sur les départements concédés à la société Altaripa,

- qu'étant totalement étrangère aux pratiques commerciales de la société Zumex, dont elle est indépendante, elle n'a commis aucune manœuvre dolosive au préjudice de la société Altaripa et ne s'est rendue coupable d'aucune concurrence déloyale,

- qu'en toute hypothèse le préjudice allégué est excessif alors que seule la perte d'une chance de réaliser un chiffre d'affaires est indemnisable et que la prétendue concurrence déloyale ne concernerait qu'un seul des deux départements concédés,

- que l'engagement d'achat de 45 machines n'ayant pas été exécuté, elle subit à ce jour une perte commerciale de 31 500 euro.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 11 février 2011 par la SARL Altaripa qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire du contrat et condamné la société Sempa à lui payer les sommes de 32 411,60 euro et de 503,58 euro, outre intérêts, qui par voie d'appel incident demande à la cour de condamner la société Sempa à lui payer les sommes de 67 831 euro au titre de sa perte commerciale et de 70 200 euro à titre de dommages et intérêts supplémentaires et qui en tout état de cause prétend obtenir une nouvelle indemnité de 1 600 euro pour frais irrépétibles ainsi que la publication de l'arrêt à intervenir dans la revue Franchise magazine et la rectification de l'annonce sur le site Internet de la société Sempa aux motifs :

- que la société Sempa commercialise sous sa marque les machines fabriquées par la société Zumex, laquelle distribue les mêmes machines dans les départements qui lui ont été réservés par l'intermédiaire d'une société Damatic, ce qui lui a été délibérément caché,

- qu'elle a donc été trompée par la société Sempa, qui contrairement à ses affirmations a développé une politique commerciale commune avec le fabricant, ce que démontre le jugement du Tribunal de grande instance de Paris,

- qu'il appartenait à tout le moins à sa cocontractante de l'informer de la présence de concurrents potentiels sur son secteur,

- qu'en lui faisant croire qu'elle était la fabricante des machines et qu'elle disposait d'une exclusivité de commercialisation sur les deux départements litigieux la société Sempa s'est rendue coupable de manœuvres dolosives et a en tout état de cause manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat,

- que de la même façon la société Sempa s'est rendue complice des faits de concurrence déloyale commis par la société Damatic et a gravement manqué à ses obligations contractuelles, ce qui fonde la demande de résolution judiciaire du contrat en application de l'article 1184 du Code civil,

- que la résolution du contrat doit entraîner le remboursement du prix d'achat des machines et le paiement de dommages et intérêts pour perte de résultat et manque-à-gagner,

- qu'en violation de l'article L. 121-1 du Code de commerce la société Sempa s'attribue sur son site Internet la qualité de fabricant, ce qui doit être rectifié.

Motifs de l'arrêt

Par conclusions du 15/02/11 la société Altaripa a demandé que soient écartées des débats les conclusions déposées le jour même de la clôture de l'instruction par l'appelante.

Cette fin de non-recevoir sera rejetée alors que la société Sempa s'est bornée à répondre aux ultimes conclusions de la société Altaripa, signifiées trois jours seulement avant la clôture, mais sans développer de moyens nouveaux ni former de demandes nouvelles, en sorte qu'il n'a pas été porté atteinte au principe du contradictoire.

Sur la demande principale

Il est constant que la société Sempa commercialise sur le territoire français les machines à presser les agrumes fabriquées par la société de droit espagnol Zumex en exécution d'un contrat de distribution exclusive du 1er janvier 1994, renouvelé le 24 février 1997 et reconduit tacitement à compter du 26 février 2002.

Il est par ailleurs établi par les plaquettes publicitaires et le constat d'huissier du 2 février 2010 que les machines sont distribuées en France par la société Sempa à la fois sous ses propres signes distinctifs et sous la marque " Zumex ".

Le " contrat d'exploitation " régularisé entre les parties le 8 février 2005 crée une exclusivité réciproque, la société Sempa étant désignée comme fournisseur exclusif et la société Altaripa étant qualifiée de distributeur exclusif pour les départements de la Haute-Garonne et du Tarn.

Malgré l'exclusivité qui lui était ainsi reconnue la société Altaripa a toutefois subi sur le secteur concédé la concurrence de la société Damatic, dont le gérant a attesté qu'il distribuait les mêmes machines achetées directement auprès de la société espagnole Zumex.

Pour tenter d'échapper à toute responsabilité à l'égard de son propre distributeur, la société Sempa prétend en substance qu'elle ne développe pas avec le fabricant une politique commerciale commune et qu'elle est totalement étrangère aux pratiques commerciales de ce dernier, dont elle est indépendante et à l'encontre duquel elle a même obtenu un jugement de condamnation.

Dans l'instance judiciaire ayant opposé la société Zumex à la société Sempa le Tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 7 mai 2010, après avoir rejeté l'action en contrefaçon de la marque " Zumex ", a notamment prononcé la résiliation du contrat de distribution exclusive aux torts des deux parties, la société Sempa pour avoir utilisé des pratiques trompeuses notamment sur l'origine des produits et pour violation de son obligation de fourniture exclusive, la société Zumex pour avoir vendu directement en France au cours des années 2004 à 2008 124 machines en violation de l'exclusivité concédée au distributeur.

Pour retenir la responsabilité du fabricant le tribunal s'est notamment fondé sur le rapport de l'expert judiciaire Gourgue, désigné par ordonnance de référé du 24 février 2009 à la demande de la société Sempa.

Il résulte en outre du jugement que la société Sempa a approuvé le nouvel accord de collaboration que lui avait adressé le 22 juillet 2005 la société Zumex, laquelle a soutenu dans l'instance que dès l'année 2002 elle avait informé son partenaire commercial de son souhait de rechercher de nouveaux distributeurs en France (le tribunal a relevé que le projet d'accord consacrant la nouvelle politique commerciale du fabricant et prévoyant la prospection et la vente depuis le siège de celui-ci a été signé par le représentant légal de la société Sempa).

Le 22 juillet 2005 au plus tard la société Sempa a donc consenti à ce qu'il fût mis fin à son exclusivité sur le territoire français.

Si en l'état des pièces produites aux débats il n'est pas possible d'affirmer qu'au jour de l'accord de distribution conclu avec la société Altaripa (8 février 2005) la société Sempa avait une connaissance effective de la violation par le fabricant de sa propre exclusivité territoriale, ni par voie de conséquence de retenir à sa charge une réticence dolosive, il est néanmoins certain que dès le 22 juillet 2005 elle ne pouvait ignorer l'atteinte portée à son exclusivité, puisqu'à cette date elle avait approuvé le nouvel accord de collaboration autorisant la société Zumex à créer un réseau de distribution concurrent.

En ne révélant pas immédiatement à la société Altaripa l'existence de cet accord, qui entraînait nécessairement la perte de son exclusivité territoriale et l'exposait à la concurrence d'un autre distributeur sur les départements concédés dans des conditions économiques nécessairement désavantageuses, puisque que le réseau direct mis en place par le fabricant ne comportait pas d'intermédiaire, la société Sempa a manqué à ses obligations contractuelles.

Il lui appartenait en effet de garantir l'exclusivité concédée pendant toute la durée de la relation contractuelle, l'obligation de fourniture exclusive contractée par la société Altaripa ayant nécessairement pour contrepartie le monopole de la distribution sur le territoire réservé.

Elle a fait preuve en outre de mauvaise foi, alors qu'en réponse aux doléances écrites répétées de la société Altaripa à compter du 7 novembre 2006 elle s'est bornée à soutenir qu'elle n'avait pas elle-même porté atteinte à l'exclusivité concédée, sans révéler l'autorisation expresse donnée au fabricant de commercialiser directement ses produits sur le territoire français.

Ces manquements graves, qui ont directement contribué à l'échec commercial subi par la société Altaripa, dont les prix étaient supérieurs à ceux offerts par la société Damatic, sont de nature à fonder la demande en résolution judiciaire du contrat de distribution aux torts de la société Sempa, ainsi qu'en a justement décidé le tribunal.

La résolution corrélative de la première commande de 10 machines contenue dans le contrat du 8 février 2005 sera également prononcée, avec pour conséquence l'obligation pour la société Sempa de rembourser les sommes facturées les 16 février 2005 et 29 mars 2005 de 32 411,60 euro et de 503,58 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 mars 2007 capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil à compter de la demande en justice par assignation du 26 octobre 2007.

Il sera donné acte à la société Altaripa de son offre de restituer en contrepartie les cinq machines en sa possession. À cet effet la cour observe d'une part que la venderesse n'a à aucun moment contesté l'affirmation de l'acquéreur, contenue dans sa lettre du 7 novembre 2006, selon laquelle il n'avait pu prendre livraison que de cinq machines, et d'autre part que l'huissier Szot n'a dénombré le 2 février 2010 que cinq machines au siège de la société Altaripa.

Outre le remboursement du prix des 10 machines acquises, qu'elle a tenté en vain de commercialiser, la société Altaripa sollicite à juste titre une indemnisation au titre de son manque à gagner.

Sauf à être doublement indemnisée, elle ne saurait toutefois réclamer à la fois sa perte de marge, estimée à 390 euro par machine et par mois, et son déficit comptable pour la période du 1/07/2005 au 30/06/2006. En outre il n'est pas démontré que la concurrence de la société Damatic, qui est implantée dans le département de la Haute-Garonne, s'est exercée également dans le département du Tarn. Rien ne permet enfin d'affirmer, en l'absence de toute étude de marché émanant de la société Sempa, que la revente ou la location de la totalité des machines, faisant l'objet de l'engagement d'achat, était garantie.

Sur la base du calcul de marge versé au dossier, qui n'est pas techniquement contesté, et compte tenu de ces éléments d'appréciation, le préjudice subi par la société Altaripa au cours des 20 mois d'exploitation totalement infructueuse sera par conséquent évalué à la somme de 39 000 euro (390 X 5 machines X 20 mois).

Le dol n'ayant pas été retenu, il ne sera pas fait droit à la demande de dommages-intérêts supplémentaires pour " perte de confiance dans les rapports commerciaux et altération de l'esprit d'entreprise ".

Ne souffrant pas personnellement de la mention erronée de l'origine des produits figurant sur le site Internet de la société Sempa, la société Altaripa sera également déboutée de sa demande de rectification de cette annonce.

Enfin l'indemnité précédemment allouée étant de nature à réparer intégralement le préjudice subi, il n'apparaît pas nécessaire d'ordonner la publication du présent arrêt dans une revue professionnelle.

L'équité commande de faire à nouveau application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société intimée.

Sur la demande reconventionnelle

La résolution du contrat de distribution étant prononcée à ses torts, la société Sempa sera déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement du prix des machines que la société Altaripa s'était engagée à acheter.

Pour la même raison il n'y a pas lieu à dommages et intérêts pour procédure abusive, ni à application à son profit de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare recevables les conclusions signifiées par la société Sempa le jour de la clôture de l'instruction, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de distribution, condamné la SAS Sempa à payer à la SARL Altaripa les sommes de 32 411,60 euro et de 503,58 euro, outre intérêts capitalisés, en remboursement du prix des 10 machines acquises, sauf à fixer au 26 mars 2007 le point de départ des intérêts moratoires au taux légal et au 26 octobre 2007 la date à laquelle la capitalisation de ces intérêts prendra effet dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, et alloué à la société demanderesse une indemnité de procédure de 1 600 euro, Réforme le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau en y ajoutant : - condamne la SAS Sempa à payer à la SARL Altaripa la somme de 39 000 euro à titre de dommages et intérêts, - déboute la SARL Altaripa de sa demande de dommages et intérêts supplémentaires, - déboute la SARL Altaripa de ses demandes de rectification du site Internet de la société Sempa et de publication du présent arrêt dans une revue professionnelle, - donne acte à la SARL Altaripa de ce qu'elle tient à la disposition de la société Sempa les cinq machines en sa possession et dit que la récupération de ces matériels se fera aux frais de cette dernière, - condamne la SAS Sempa à payer à la SARL Altaripa une nouvelle indemnité de 1 600 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, - déboute la SAS Sempa de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, Condamne la SAS Sempa aux entiers dépens de première instance et d'appel.