CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 avril 2011, n° 09-28913
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Eurauchan (SAS)
Défendeur :
Moyrand (ès qual.), Panda Trade (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Touzery-Champion, Pomonti
Avoués :
SCP Petit Lesenechal, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Deschryver, Gorre-Duteil
La SAS Panda Trade a pour activité l'importation et la vente de biens du domaine électrique.
Panda Trade a signé en 2002 avec la société Eurauchan une convention d'utilisation du processus " cagnotte " concernant une opération commerciale qui s'est déroulée du 27 novembre au 3 décembre 2002 ; plusieurs conventions similaires ont été signées pour des ventes effectuées en 2003 et 2004;
Par ailleurs un premier accord de coopération commerciale a été signé entre les deux sociétés le 31 décembre 2003 pour être renouvelé le 21 décembre 2004.
Le 20 mars 2006 de nouvelles conditions générales de référencement seront régularisées entre les parties en 2006.
Le 19 décembre 2006, le Tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SAS Panda Trade, procédure qui a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 27 novembre 2008;
En 2007, Eurauchan mettait quasiment fin aux relations commerciales avec Panda Trade puisque le chiffre d'affaires se trouvait réduit à 1 463 euro.
La société Panda estimant avoir été victime d'une rupture abusive et brutale des relations commerciales, a, par acte du 25 février 2008, assigné la SAS Eurauchan en réparation de son préjudice.
Par jugement du 3 novembre 2009, le Tribunal de commerce de Bobigny a:
- donné acte à Maître Moyrand de son intervention volontaire et dit l'action de Maître Moyrand ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Panda Trade recevable et partiellement bien fondée, y fait droit partiellement,
- condamné Eurauchan à payer à Maître Moyrand ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Panda Trade la somme de 305 000 euro, à titre de dommages et intérêts pour rupture sans préavis de relations commerciales établies, le déboutant pour le surplus de sa demande,
- débouté Maître Moyrand ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Panda Trade de sa demande d'intérêts de retard et de publication du présent jugement,
reçu Eurauchan dans des demandes reconventionnelles et l'en déboute,
- condamné Eurauchan à payer à Maître Moyrand ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Panda Trade la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné Eurauchan aux dépens.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté le 29 décembre 2009 par la SAS Eurauchan.
Vu les conclusions signifiées le 29 avril 2010 par lesquelles la SAS Eurauchan demande à la cour de:
- réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bobigny sauf à le confirmer en ses dispositions favorables relatives à l'absence de condamnations aux intérêts de retard et à la publication de la décision,
- débouter Panda Trade et Maître Moyrand de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
Reconventionnellement, les condamner au paiement d'une indemnité de 17 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
- les condamner au paiement d'une somme de 20 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers frais et dépens.
Vu les conclusions signifiées le 17 février 2011 par lesquelles la SCP Moyrand Bally et Maître Moyrand demandent à la cour de:
- dire et juger recevables les demandes de SCP Moyrand Bally prise en la personne de Maître Moyrand à l'encontre de la société Eurauchan et fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit et jugé qu'une relation commerciale établie existait entre la société Panda Trade et la société Eurauchan,
- dit et jugé que la société Eurauchan était à l'origine de la rupture brutale de cette relation,
- condamné la société Eurauchan à indemniser la société Panda Trade prise en la personne de son liquidateur du préjudice subi à la suite de cette rupture,
- fixé à 8 mois la durée du préavis,
- condamné la société Eurauchan au paiement de la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Eurauchan aux entiers dépens,
Par conséquent,
- dire et juger que l'appel interjeté par la société Eurauchan est mal fondé,
- débouter la société Eurauchan de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:
- évalué à 305 000 euro le préjudice de la société Panda Trade,
- dit et jugé que cette somme ne pourrait porter intérêts,
- débouté Maître Moyrand de sa demande de publication de jugement,
Par conséquent,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Eurauchan à payer à Maître Moyrand, ès qualité, la somme de 566 383,40 euro HT à titre de dommages et intérêts pour réparer l'absence de préavis et le préjudice qui s'en est suivi,
- dire et juger que cette condamnation sera assortie des intérêts au taux légal qui commenceront à courir depuis l'introduction de la présente instance,
- dire et juger y avoir lieu à capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,
- ordonner la publication de la présente décision, condamnant Eurauchan, dans trois journaux au choix de Maître Moyrand, ès qualité, dans la limite d'une demi page pour chaque publication, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5 000 euro HT, soit la somme de 15 000 euro HT et ce, aux frais de la société Eurauchan,
Y ajoutant,
- condamner la société Eurauchan à payer à la SCP Moyrand Bally en la personne de Maître Moyrand ès qualité, la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Eurauchan aux entiers dépens.
Sur ce
Sur la fin de non-recevoir
Considérant que la SAS Eurauchan fait valoir que la clause d'un contrat, instituant une procédure de médiation obligatoire et préalable à la saisine du juge, constitue une fin de non-recevoir et que conformément aux dispositions des articles 122 et suivants du Code de procédure civile, le tribunal de commerce aurait dû déclarer Panda Trade irrecevable en sa demande;
Considérant que la demande SAS Panda Trade est fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6-5e du Code de commerce, que ces dispositions visent à sanctionner un délit civil et relèvent, par conséquent, d'un régime de responsabilité civile de nature délictuelle et non de nature contractuelle et qu'en conséquence, les clauses figurant aux contrats liant les sociétés Panda Trade et Eurauchan ne trouvent pas à s'appliquer;
Considérant qu'il y a lieu de rejeter cette fin de non-recevoir.
Sur les relations commerciales entre les parties
Considérant que si des conventions écrites intitulées " convention d'utilisation du processus cagnotte " sont intervenues entre les parties en 2002 et 2003 pour organiser des opérations ponctuelles, les relations d'affaires ont généré dès 2002 un chiffre d'affaires de :
1 792 964 euro en 2002
2 548 574 euro en 2003
Que ces chiffres significatifs démontrent que les relations commerciales ont dès 2002 dépassé le cadre d'opérations promotionnelles ponctuelles sans pour autant avoir donné lieu alors à un contrat écrit ;
Que cette relation d'affaires a conduit à la conclusion du premier accord de référencement le 21 décembre 2003, le chiffre d'affaire poursuivant sa progression pour atteindre :
3 683 512 euro en 2004
2 654 009 euro en 2005
Que le premier contrat de référencement le 11 décembre 2003 a été renouvelé, puis a été suivi d'un nouveau contrat conclu le 20 mars 2006;
Qu'il s'ensuit que les parties ont entretenu un courant d'affaires stable depuis 2002 ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties.
Sur l'auteur de la rupture des relations commerciales
Considérant que la SAS Eurauchan soutient que Panda Trade a été totalement défaillante, vraisemblablement en raison d'une conjoncture difficile pour elle et/ou d'une réorganisation de son activité en période d'observation ; et que, pour qu'elle puisse assurer le référencement des offres de produits de Panda Trade, elle devait être destinataire de ces offres de produits, que, faute de produits transmis pour référencement au cours de l'année 2007, les membres d'Eurauchan ne pouvaient connaître des conditions dans lesquelles passer commande auprès de Panda Trade et qu'en conséquence, Panda Trade est l'auteur de la rupture des relations commerciales ce que cette dernière conteste ;
Considérant que les conditions particulières convenues par les parties le 20 mars 2006 stipulent que "le présent contrat pourra faire l'objet, en cours d'application, d'avenants pour notamment intégrer la fourniture de nouveaux services ou pour permettre le référencement d'un nouveau produit" ; que les parties étant en relations d'affaires suivies depuis plusieurs années, un certain nombre de produits étaient alors référencés ; qu'il n'est pas argué de l'existence d'une nouvelle gamme de produits et d'avenants ;
Considérant que, de plus, la SAS Eurauchan disposait des tarifs 2007 qui ne pouvaient en conséquence que concerner ces produits permanents;
Que, si dans son jugement du 31 août 2007 le tribunal de commerce rappelle que " l'activité grande distribution génératrice de faible marge serait confiée à FMDistribution plus professionnelle sur ce marché ", il ne s'agit que d'une hypothèse envisagée alors que les relations commerciales avec Eurauchan avaient déjà cessé ; qu'en effet les commandes ont diminué de moitié dès 2006 par rapport à 2005, se situant même à un niveau inférieur à celui de l'année 2002 pourtant qualifiée par Eurauchan d'une année de relations ponctuelles et se réduisant à 1 463 euro en 2007 soit une baisse du chiffre d'affaire intervenu entre 2006 et 2007 à hauteur de 99 % ;
Qu'en conséquence la transmission par Eurauchan le 20 décembre 2006 d'une nouvelle version des accords 2007 avec les conditions 2007 annexées et l'absence de retour de celle-ci signée, ne démontre pas une rupture par Panda, celle-ci ayant adressé ses tarifs 2007 et la SAS Eurauchan la questionnant sur ses disponibilités concernant des enrouleurs et prolongateurs en mars 2007; que les pièces produites démontrent qu'au cours de leurs relations commerciales, la société Panda n'a pas toujours retourné signées les conventions qui lui étaient envoyées par la société Eurauchan ;
Considérant en revanche qu'il est établi que la société Panda a vu ses commandes chuter dès la fin de l'année 2006 pour cesser quasi complètement en 2007 sans aucun préavis ; que se trouve ainsi caractérisée une brusque rupture des relations commerciales de la part de la société Eurauchan ;
Considérant que si la SAS Eurauchan fait valoir que la société Panda n'avait qu'une activité d'intermédiaire et non de producteur, cette circonstance est indifférente ;
Que l'article L. 442-6-5 du Code de commerce dispose " qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages commerciaux, par des accords professionnels ;
Considérant que si la société Eurauchan fait valoir qu'elle ne prenait aucun engagement d'achats, elle a signé les contrats de référencement et elle était le seul interlocuteur de la société Panda ; que l'activité de cette dernière dépendait étroitement de l'exécution par la SAS Eurauchan de ses obligations résultant des conventions de référencement aux termes desquelles Eurauchan devait assurer la diffusion des produits proposés par la société Panda ; que dès lors c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu sa responsabilité dans la rupture des relations commerciales.
Sur le préjudice de Me Moyrand ès qualités
Considérant que les relations commerciales ont duré 5 ans avec une progression du chiffre d'affaires entre les parties tel que celui-ci a constitué, en 2004 plus de 31 % et en 2005 près de 28,50 % du chiffre d'affaires de la société Panda;
Considérant que si la société Panda n'était pas producteur, elle fournissait au groupe Eurauchan des produits permanents ce qui nécessitait la constitution de stocks ;
Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont fixé à 8 mois le préavis utile et ont, au regard des éléments comptables produits, retenu une marge brute de 33 % ;
Considérant en revanche que le chiffre d'affaires moyen au cours des trois dernières années, comprenant l'année 2006 au cours de laquelle celui-ci a connu une baisse significative, est de 2 574 470 euro soit 214 539,16 euro par mois ; qu'il y a lieu en conséquence d'allouer à Me Moyrand ès qualités une somme de 566 383,40 euro.
Sur la publication
Considérant que la société Panda a fait l'objet d'une liquidation judiciaire et a donc cessé son activité ; que dès lors c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de publication de la décision à intervenir.
Sur les intérêts
Considérant que la décision entreprise mérite confirmation sauf à dire que la somme allouée de 566 383,40 euro portera intérêts à compter de l'assignation et qu'il y a lieu à capitalisation dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil.
Sur la demande de la société Eurauchan pour procédure abusive
Considérant que la société Eurauchan est appelante d'un jugement que la cour confirme ; qu'il y a lieu de rejeter sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Et considérant que Me Jacques Moyrand ès qualités a engagé des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif et de rejeter la demande de la société Eurauchan à ce titre.
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf à fixer à 568 383,40 euro la somme allouée au titre du préavis et à dire qu'elle portera intérêts au taux légal à compter du 25 février 2008 avec capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, Et y ajoutant, Condamne la société Eurauchan à payer la somme de 10 000 euro à Me Jacques Moyrand ès qualités au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, fins ou conclusions, Condamne la société Eurauchan aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.