CA Paris, Pôle 6 ch. 9, 6 avril 2011, n° 10-10413
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Heytens France (SAS)
Défendeur :
Bouvier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lambling
Conseillers :
Mme Desmure, M. Holleaux
Avocats :
Mes Jacquet, Roy-Mahieu, Landry
Vu le jugement réputé contradictoire du Conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges du 15 mai 2008 ayant:
- requalifié la relation entre les parties en un contrat de travail, dit applicable la Convention Collective Nationale du Négoce de l'Ameublement et que M. Sylvain Bouvier relève de la catégorie conventionnelle de cadre/groupe 7.
- condamné la SAS Heytens France à régler à M. Sylvain Bouvier les sommes suivantes:
* 15 724,74 euro d'indemnité compensatrice de préavis et 1 572,47 euro d'incidence congés payés;
* 6 814,05 euro d'indemnité de licenciement;
* 53 000 euro à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamné la SAS Heytens France aux entiers dépens.
Vu la déclaration d'appel de la SAS Heytens France reçue au greffe de la cour le 26 mai 2008.
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 2 mars 2011 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la SAS Heytens France qui demande à la cour d'annuler le jugement, l'infirmer en toute hypothèse en déboutant M. Sylvain Bouvier de ses demandes, et reconventionnellement le condamner à lui verser la somme de 11 435,30 euro après compensation du dépôt de garantie, ainsi que celle de 3 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 2 mars 2011 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de M. Sylvain Bouvier qui demande à la cour de:
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié le contrat de gérance-mandataire en un contrat de travail, et considéré injustifié son licenciement
- l'infirmer pour le surplus en appliquant la Convention Collective Nationale de l'Ameublement et condamner la SAS Heytens France à lui régler à titre principal les sommes suivantes :
* 40 349,25 euro d'indemnité conventionnelle de licenciement;
* 20 430 euro d'indemnité compensatrice de préavis et 2 043 euro d'incidence congés payés;
* 63 000 euro de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- subsidiairement, en l'absence de requalification en un contrat de travail, condamner la SAS Heytens France à lui verser les sommes suivantes (demandes nouvelles):
* 8 966,73 euro d'indemnité légale de licenciement;
* 13 620 euro d'indemnité compensatrice de préavis et 1362 euro de congés payés afférents;
* 63 000 euro de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de gérant-mandataire " salarié ".
En tout état de cause, condamner la SAS Heytens France à lui payer la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Motifs de la cour
Sur la nullité du jugement
Au soutien de sa demande en nullité, la SAS Heytens France rappelle que l'affaire a été appelée à l'audience du bureau de jugement du 29 novembre 2007 qui ne s'est pas tenue en raison d'un mouvement de grève des fonctionnaires, que tout renvoi ultérieur n'était pas possible en l'absence d'audience ce jour-là de sorte que le Conseil de prud'hommes n'était pas valablement saisi à l'audience sur renvoi du 11 décembre suivant, et qu'étant absente à cette même audience du 29 novembre, qui n'a pas eu lieu, la fixation d'une audience de renvoi le 11 décembre, à laquelle elle était ni présente ni représentée, s'est faite non contradictoirement en violation de l'article R. 1454-19 du Code du travail.
M. Sylvain Bouvier ne développe aucun moyen opposant sur ce point.
Contrairement à ce que prétend l'appelante, le conseil de prud'hommes s'est trouvé valablement saisi dès sa réception le 21 mars 2007 d'un courrier du conseil de M. Sylvain Bouvier sollicitant la convocation des parties en bureau de conciliation.
Il est produit par la SAS Heytens France un courrier émanant des services du greffe, daté du 30 novembre 2007, qui l'informe qu' "en raison du mouvement de grève des fonctionnaires du Conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges, l'audience du bureau de jugement qui devait se tenir ce jeudi 29 novembre 2007, n'a pas pu se tenir et l'affaire - renvoyée à l'audience du mardi 11 décembre 2007 - le présent courrier vaut convocation ".
Par ce même courrier, la juridiction prud'homale a ainsi pris la décision de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure, fixée au 11 décembre 2007, ce dont a été régulièrement informée la SAS Heytens France.
Cette décision de renvoi constitue une simple mesure d'administration judicaire, elle n'a en rien porté atteinte au principe du contradictoire et pas davantage aux prescriptions de l'article R. 1454-19 du Code du travail, dès lors que les deux parties ont été régulièrement convoquées pour l'audience du 11 décembre 2007 et que la juridiction prud'homale, saisie d'une demande de report à l'initiative de la SAS Heytens France par télécopie du 7 décembre 2007, usant de son pouvoir discrétionnaire, l'a rejetée sans qu'il ait été porté atteinte à leur droit à un débat oral.
La SAS Heytens France sera en conséquence déboutée de sa demande en nullité du jugement déféré.
Sur la demande de M. Bouvier de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail
La société CDVH Ile-de-France, aux droits de laquelle se trouve la SAS Heytens France, a conclu le 3 décembre 2001 avec M. Sylvain Bouvier un contrat de mandataire-gérant, "statut de gérance seule ", portant sur la gestion d'un magasin situé à Villiers-sur-Marne (articles de décoration et d'aménagement de l'habitat), avec en contrepartie la perception d'une commission brute mensuelle de 625 euro plus 2 % du chiffre d'affaires TTC déclaré (bulletin de commission).
Pour s'opposer à la requalification du contrat de mandataire-gérant en un contrat de travail, la SAS Heytens France renvoie aux articles L.7321-1 et suivants du Code du travail, en rappelant que les gérants de succursale exercent leur activité sans lien de subordination juridique et ne relèvent pas de la législation du travail dès lors, ce qui était le cas de M. Sylvain Bouvier, qu'ils bénéficient d'une autonomie dans l'organisation du magasin (fixation des jours et horaires d'ouverture ainsi que des conditions de travail, gestion du personnel et notamment des congés) et qu'il ne leur est pas imposé une exploitation à des conditions tarifaires prédéterminées avec un contrôle permanent sur la gestion économique et le chiffre d'affaires généré par cette activité.
En réponse, M. Sylvain Bouvier précise qu'il exerçait de fait des fonctions de directeur de magasin en tant que salarié de droit commun placé sous la subordination d'un employeur, la SAS Heytens France, en ce qu'il était chargé de vendre les produits Heytens dans un local imposé par celle-ci, aux conditions tarifaires qu'elle lui fixait, et sans aucune liberté dans la gestion du magasin puisqu'il était soumis à des instructions strictes sous contrôle permanent de ses résultats commerciaux.
En application des articles L. 7321-1 à L. 7321-4 du Code du travail revendiqués par l'intimé, bien que théoriquement non soumis à un rapport de subordination juridique avec le propriétaire du magasin qu'ils exploitent, les gérants de succursales sont susceptibles de bénéficier de la législation du travail en se voyant reconnaitre le statut de gérant salarié, dès lors qu'ils sont liés exclusivement ou quasi-exclusivement à une entreprise industrielle ou commerciale et exercent leur activité dans des conditions que celle-ci leur impose, notamment, en matière tarifaire et de mise à disposition d'un local, ce qui les place de fait dans une situation de dépendance économique.
M. Sylvain Bouvier se contente de produire des pièces intéressant l'instauration par la SAS Heytens France d'une pratique d'inventaire des stocks à intervalles réguliers, des exemplaires de l'" info hebdo " élaboré en interne sur les techniques de soldes et de déstockage des marchandises, les possibilités de présentation et de décoration des locaux, le suivi des résultats commerciaux du magasin en termes d'évolution du chiffre d'affaires, ainsi que des témoignages de salariés sur leurs conditions de travail.
Ces quelques éléments sont insuffisants en eux-mêmes pour, sur le fondement des textes précités, reconnaître à M. Sylvain Bouvier le statut de gérant salarié de succursale en ce que, si la SAS Heytens France a adopté une politique de suivi des résultats de ses magasins en cherchant à optimiser son chiffre d'affaires global, rien ne démontre qu'elle ait mis M. Sylvain Bouvier dans la situation d'exploiter le magasin de Villiers-sur-Marne en cherchant à lui imposer une politique tarifaire ou de prix sans marge de manœuvre possible, ce qui caractériserait dans cette seule hypothèse le lien de dépendance économique exigé.
La relation contractuelle applicable restant celle d'un gérant-mandataire non salarié de succursale, il n'y a pas lieu, par une interprétation a contrario des articles L. 7321-1 et L. 7321-3 du Code du travail, de prendre en compte les dispositions de la convention collective dont relève la SAS Heytens France.
Le jugement entrepris sera ainsi infirmé en ce qu'il a requalifié le contrat de mandataire-gérant de succursale ayant lié les parties en un contrat de travail, dit que le contrat requalifié est soumis à la Convention Collective Nationale du Négoce de l'Ameublement, reconnu à M. Sylvain Bouvier la catégorie conventionnelle de cadre/groupe 7 et condamné la SAS Heytens France à lui payer des indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis + incidence congés payés, indemnité de licenciement) et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que M. Sylvain Bouvier sera débouté de toutes ses demandes à ce titre.
Sur la rupture de la relation contractuelle
C'est à tort que subsidiairement M. Sylvain Bouvier, en l'absence de requalification du contrat de gérant-mandataire en contrat de travail, sollicite le paiement d'une indemnité légale de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis avec incidence congés payés, ainsi que de dommages-intérêts pour rupture injustifiée, dès lors que doivent s'appliquer les règles du mandat qui est révocable "ad nutum ", à la différence du contrat de travail ne pouvant être résilié brusquement ou de manière abusive.
La SAS Heytens France a procédé à la résiliation du contrat de mandat qui la liait à M. Sylvain Bouvier par lettre du 22 février 2007 pour mauvaise gestion du magasin de Villiers-sur-Marne et carences dans le suivi des stocks, en application de l'article 11 de la convention interne Heytens (anciennement CVDH Ile-de-France).
Il en résulte que M. Sylvain Bouvier sera débouté de ses demandes indemnitaires nouvelles s'y rapportant.
Sur la demande reconventionnelle de la SAS Heytens France
L'appelante réclame à M. Sylvain Bouvier le paiement de la somme de 11 435,30 euro correspondant à un solde négatif d'inventaire, déduction faite du dépôt de garantie (- 2 300 euro), ce qu'il conteste.
La SAS Heytens ne verse aucune pièce exploitable susceptible de faire droit à sa demande de ce chef à concurrence de la somme de 11 435,30 euro, de sorte qu'elle en sera déboutée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens
Aucune circonstance d'équité ne commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel et M. Sylvain Bouvier sera condamné aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe. Déboute la SAS Heytens France de sa demande en nullité du jugement. Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions Statuant à nouveau et y ajoutant ; Déboute M. Sylvain Bouvier de toutes ses demandes. Déboute la SA Heytens France de sa demande reconventionnelle; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Sylvain Bouvier aux entiers dépens de première instance et d'appel.