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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 5 avril 2011, n° 10-05874

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cometik (SARL)

Défendeur :

Poujol-Rost

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Olivier

Conseillers :

Mmes Neve de Mevergnies, Valay-Brière

Avoués :

SCP Deleforge, Franchi, Me Quignon

Avocats :

Mes Delfly, Debrabant

T. com. Lille, prés., du 29 juill. 2010

29 juillet 2010

La société Cometik est une agence de conseils en communication spécialisée dans la création de sites Internet.

Considérant qu'elle est victime d'attaques mettant en cause sa réputation et son image de la part de Monsieur Mathias Poujol-Rost, auteur de blogs, elle a saisi le président du Tribunal de commerce de Lille statuant en matière de référés, sur le fondement de l' article 873 du Code de procédure civile, qui, par ordonnance contradictoire du 29 juillet 2010, après avoir constaté l'existence de contestations sérieuses, a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, a dit n'y avoir lieu à référé et a condamné la SARL Cometik aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 9 août 2010 par la SARL Cometik ;

Vu les conclusions déposées le 11 octobre 2010 pour cette dernière ;

Vu les conclusions déposées le 14 décembre 2010 pour Monsieur Mathias Poujol-Rost ;

La SARL Cometik a interjeté appel aux fins de réformation de l'ordonnance entreprise, condamnation de Monsieur Mathias Poujol-Rost sous astreinte à cesser toute campagne d'informations, appel à témoins, dénigrement, publication en ligne d'un communiqué et retrait de la dénomination Cometik des blogs dont il est l'auteur dans les termes du dispositif de ses conclusions, ainsi qu'à lui payer une provision de 10 000 euro et 5 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, enfin la publication en ligne de la décision à intervenir.

Elle soutient pour l'essentiel que l'intimé est commerçant et qu'il a commis des actes de concurrence déloyale par dénigrement à l'origine d'un trouble manifestement illicite.

Monsieur Mathias Poujol-Rost sollicite la réformation de l'ordonnance en ce que le Tribunal de commerce de Lille aurait dû se déclarer incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Lille mais sa confirmation en ce qu'elle a retenu l'existence d'une contestation sérieuse, la constatation de ce que la société Cometik ne démontre pas l'existence d'un dommage imminent dont elle serait victime ou d'un trouble manifestement illicite, en conséquence de dire que la présente procédure ne relève pas de la compétence du juge des référés et la renvoyer devant la juridiction du fond, ordonner la publication de la décision à intervenir sous astreinte le cas échéant, la condamnation de la SARL Cometik à lui payer 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre 6 000 euro pour la couverture de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Il conteste avoir la qualité de commerçant et invoque le principe de la liberté d'expression pour justifier ses publications sur le net dénonçant les pratiques de la société Cometik. Il ajoute que le juge des référés est incompétent pour trancher le litige qui vise à atteindre le principe de la liberté d'expression garanti constitutionnellement ; que ce débat constitue une contestation sérieuse qui fait obstacle à la compétence du juge des référés ; qu'en outre la société Cometik ne démontre ni l'existence d'un dommage imminent ni celle d'un trouble manifestement illicite. Il explique, enfin, qu'il n'est pas en concurrence avec la SARL Cometik et qu'il n'a commis aucune faute dans la mesure où il ne fait que relater de manière strictement objective les pratiques commerciales auxquelles se livrent certaines agences web dont la société Cometik.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé de leurs moyens, selon ce qu'autorise l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce

1- Sur la compétence

Le premier juge a indiqué dans sa motivation, mais non dans le dispositif de sa décision, que l'exception d'incompétence soulevée par Monsieur Poujol-Rost était irrecevable faute pour ce dernier d'avoir précisé la juridiction dont il revendiquait la compétence.

A hauteur d'appel, il corrige cette erreur en demandant à la cour de constater que le Tribunal de commerce de Lille aurait du se déclarer incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Lille et sollicite au visa de l'article 79 alinéa 1 du Code de procédure civile, le renvoi devant la juridiction du fond.

La SARL Cometik soutient que la juridiction commerciale des référés était compétente pour statuer sur ce litige, Monsieur Poujol-Rost étant inscrit en qualité d'auto-entrepreneur, l'absence de réalisation de chiffre d'affaires contre son gré ne lui retirant pas sa qualité de commerçant.

Au contraire Monsieur Poujol-Rost prétend qu'il ne peut être qualifié de commerçant faute d'être inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés et d'avoir accompli le moindre acte de commerce.

Aux termes de l'article L. 121-1 du Code de commerce, sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle.

Le droit français ne fait pas reposer la qualité de commerçant sur une inscription sur un registre ou sur une déclaration.

Comme pour l'immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés, le statut d'auto-entrepreneur est impuissant à lui seul à conférer la qualité de commerçant à celui qui ne la revendique pas.

Monsieur Mathias Poujol-Rost, qui n'est pas inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés, bénéficie du statut d'auto-entrepreneur depuis le 1er juillet 2009 pour une activité de programmation informatique.

Sur l'assignation à comparaître devant le président du Tribunal de commerce de Lille qu'il a commenté en ligne, il a indiqué " Officiellement je propose mes services. Officieusement, je n'ai pas eu un seul client et 0 CA ".

L'attestation du contrôleur des impôts en date du 13 juillet 2010 qu'il produit témoigne de ce qu'il n'a déclaré aucun revenu au titre de cette activité depuis sa création.

Au vu de ces seuls éléments, la société Cometik ne rapporte pas la preuve de ce que Monsieur Poujol-Rost accomplit à titre habituel les actes de commerce par nature listés aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce voire tout autre acte de commerce.

Par suite, le Président du Tribunal de commerce de Lille était incompétent pour trancher le litige entre une société et une personne physique non commerçante mais c'est à juste titre qu'il a rejeté l'exception soulevée en l'absence de désignation par Monsieur Poujol-Rost de la juridiction devant laquelle il demandait que l'affaire soit portée conformément aux dispositions de l'article 75 du Code de procédure civile.

La demande de la SARL Cometik relevait de la compétence du président du Tribunal de grande instance de Lille, statuant en matière de référés. La présente cour étant également juridiction d'appel de cette juridiction est compétente pour trancher le litige dans la limite des pouvoirs de celle-ci.

2- Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite

Le premier juge a méconnu sa saisine car alors que la demande était fondée sur la base d'un trouble manifestement illicite, il s'est déclaré incompétent considérant que les reproches formulés par la SARL Cometik constituaient une contestation sérieuse.

Cependant, dès lors qu'elle ne portait pas sur l'existence même du trouble ou sur son caractère manifestement illicite, celle-ci ne faisait pas obstacle aux pouvoirs du juge des référés de prescrire les mesures propres à faire cesser un trouble manifestement illicite ou à prévenir un dommage imminent par application de l'article 809 alinéa 1 du Code de procédure civile.

Ainsi la contestation par Monsieur Poujol-Rost portant sur le caractère exact et donc non fautif de ses déclarations sur le net n'empêche pas le juge des référés de se prononcer sur les faits de concurrence déloyale par voie de dénigrement allégués par la SARL Cometik.

Le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur la personne, l'entreprise ou les produits ou services d'un concurrent en répandant dans le public des informations malveillantes.

Cependant la concurrence entre les parties n'est pas une condition de l'action fondée sur l'article 1382 du Code civil.

Il ressort des pages extraites du " Mathias's micro-blog " en date du 18 mai 2010 ainsi que d'une enquête datée du 24 mai 2010 intitulée " clients surpris par Cometik, contactez-moi " que l'intimé s'est lancé dans une " recherche de clients mécontents de Cometik " ou de " clients surpris par Cometik ", afin de pouvoir " avertir les autorités compétentes " sous-entendant ainsi d'une part que ces clients existent et d'autre part que la société Cometik a recours à des pratiques illicites.

Il cite par ailleurs la SARL Cometik dans un blog intitulé " Agences web surprenantes " lui reprochant d'utiliser la méthode dite " one-shot " pour inviter un client potentiel à signer un contrat sans le lire et ainsi le surprendre, de ne pas remettre au cocontractant un dossier complet contenant un procès-verbal de réception du produit, de ne pas justifier d'un agrément au titre de sa qualité de centre de formation, de communiquer sur l'éthique sans justifier d'actions concrètes en la matière, de donner une fausse image des créateurs de site, de ne pas respecter ses engagements contractuels. Il précise qu'il sait " nuire à ceux qui lui en veulent " et détaille une méthode destinée à aider " à se battre contre votre prestataire-arnaqueur ".

Ses articles sont repris sur le site " prestataires web " de Twitter, sur lequel est précisé en date du 24 mai 2010, " si vous connaissez des victimes, j'ai un contact avec un journaliste mulhousien. Contactez-moi via [email protected] " ainsi que sur " un site gratuit pour 200 euro par mois sur 48 mois ça vous dit " de Facebook qui est présenté comme un groupe servant de relais d'information sur plusieurs affaires de vente de sites web considérées comme abusives, pendant du blog " Agences web douteuses " et du compte Twitter " Prestataires louches ".

Il se déduit de ces éléments que la société Cometik est désignée comme une société aux pratiques commerciales illicites qui trompe ses clients.

Ces propos, antérieurs à l'assignation devant le président du Tribunal de commerce de Lille, qui excédent la libre critique et le droit d'expression de tout citoyen, jettent un discrédit sur la société Cometik dans l'intention évidente de lui nuire et portent atteinte au libre jeu de la concurrence.

Au demeurant, les attaques de Monsieur Poujol-Rost ont augmenté après la délivrance de l'assignation et l'ordonnance du 29 juillet 2010 comme le démontrent ses commentaires publiés en ligne sur l'exploit d'huissier et le courriel adressé à Monsieur Zannier le 28 juin 2010.

Le trouble manifestement illicite est constitué.

Il convient dans ces conditions de faire droit à la demande tendant à faire cesser ces actes de dénigrement, à l'exception de celle surabondante relative à la publication d'un communiqué, conformément aux termes du dispositif ci-après.

En revanche, la SARL Cometik qui ne démontre pas l'existence du manque à gagner invoqué résultant de cette campagne et d'un préjudice autre que celui qui sera réparé par les publications sera déboutée de sa demande de provision.

L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a retenu l'incompétence du Président du Tribunal de commerce de Lille et infirmée pour le surplus.

Monsieur Poujol-Rost qui succombe sera condamné aux dépens et débouté de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la SARL Cometik les frais exposés par elle en cause d'appel et non compris dans les dépens ; il lui sera alloué la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe, Confirme l'ordonnance déférée en ce que le président du Tribunal de commerce de Lille s'est déclaré incompétent ; La réforme pour le surplus, Dit que le Président du Tribunal de grande instance de Lille, statuant en matière de référés, était compétent pour trancher le litige ; Evoquant, Condamne Monsieur Mathias Poujol-Rost, dans les 48 heures à compter de la signification de la présente décision et sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 200 euros par jour de retard, pendant une durée de 2 mois à l'issue de laquelle une nouvelle astreinte devra être fixée, à : cesser toute campagne d'informations, quelle qu'en soit la dénomination et appel à témoin portant sur la pratique commerciale " one-shot ", ou tout équivalent, mettant en cause directement ou indirectement la SARL Cometik, cesser l'emploi de termes susceptibles de jeter le discrédit sur la SARL Cometik, retirer la dénomination " Cometik " de l'intégralité des blogs dont il est l'auteur, Ordonne la publication en ligne pendant trois mois sur les blogs intitulés " Agences web surprenantes " et " Agences web douteuses ", dont Monsieur Mathias Poujol-Rost est l'auteur, dans les mêmes délais et sous la même astreinte, du dispositif du présent arrêt ; Déboute la SARL Cometik de ses demandes de publication d'un communiqué et de provision ; Y ajoutant, Condamne Monsieur Mathias Poujol-Rost à payer à la SARL Cometik la somme de 2 000 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel ; Le déboute de ses demandes en paiement de dommages et intérêts et d'une indemnité procédurale ; Condamne Monsieur Mathias Poujol-Rost aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.