Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 13 avril 2011, n° 10-07020

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bianchi & Fils (SARL)

Défendeur :

Gonzalès, Ledda

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP Ermeneux-Champly-Levaique, SCP Blanc-Cherfils

Avocats :

Mes Pinel, Genard, Berenger

T. com. Marseille, du 16 mars 2010

16 mars 2010

La SARL Bianchi & Fils, ayant une activité de vente de vêtements et accessoires de " surplus militaire et stock américain ", sous l'enseigne commerciale " le Casque Bleu " a commandé à Monsieur Serge Gonzalès, graphiste-Web Designer, la création, le référencement et la mise à jour d'un site Web suivant " contrat de commercialisation de produits sur Internet " en date du 4 juin 2008 d'une durée de trois années, moyennant une rémunération correspondant à une commission de 10 % sur le chiffre d'affaires généré par les ventes en ligne sur Internet.

Monsieur Serge Gonzalès a réalisé un site Web pour le compte de Monsieur Grégory Ledda, exerçant à Gémenos (13) à compter du 19 septembre 2009 en nom personnel sous le statut d'auto-entrepreneur et à l'enseigne commerciale " Projet. 13 ", une activité semblable à celle de la SARL Bianchi & Fils.

Par jugement contradictoire en date du 16 mars 2010, le Tribunal de commerce de Marseille a, après avoir retenu des faits de concurrence déloyale à la charge de Monsieur Grégory Ledda, débouté la SARL Bianchi & Fils de sa demande de dommages et intérêts en raison de l'absence de préjudice démontré, a débouté la SARL Bianchi & Fils de sa demande dirigée contre Monsieur Serge Gonzalès en violation de ses obligations contractuelles et en dommages et intérêts et a condamné la SARL Bianchi & Fils à payer à Monsieur Serge Gonzalès la somme de 1 480,10 euro au titre des commissions pour le mois de novembre 2009, outre une somme de 500 euro au titre de l' article 700 du Code de procédure civile, le jugement étant assorti de l'exécution provisoire pour l'ensemble de ses dispositions.

La SARL Bianchi & Fils a régulièrement fait appel de ce jugement dans les formes et délais légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 en date du 28 décembre 1998.

Vu les conclusions récapitulatives et en réponse de la SARL Bianchi & Fils en date du 14 février 2011 tendant à faire juger :

- que Monsieur Grégory Ledda a commis des actes de concurrence déloyale dès lors qu'en tapant le mot-clé " stock militaire " sur le moteur de recherche Google, apparaît le site Web de Monsieur Grégory Ledda grâce au lien commercial " Le Casque Bleu ", le préjudice en résultant devant être évalué à 50 000 euro,

- que Monsieur Serge Gonzalès a commis une violation à son obligation contractuelle de discrétion en réalisant pour Monsieur Grégory Ledda un site Internet reprenant le canevas du site Internet de la SARL Bianchi & Fils (textes et liens commerciaux), le préjudice en résultant devant être apprécié à la somme de 10 000 euro, outre la somme de 33 015,06 euro à titre d'indemnité contractuelle pour dénonciation anticipée du contrat de commercialisation, et la résiliation dudit contrat devra être prononcée avec versement d'une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour " concurrence déloyale contractuelle ",

- que Monsieur Serge Gonzalès ne peut prétendre à l'exécution du contrat de commercialisation qui sera résilié à ses torts exclusifs ;

Vu les conclusions de Monsieur Serge Gonzalès en date du 30 novembre 2010 tendant à faire juger :

- que son intérêt économique était que le site Web de la SARL Bianchi & Fils génère un chiffre d'affaires important,

- qu'il n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la SARL Bianchi & Fils en employant dans la confection d'un site Web concurrent l'expression " Casque Bleu ", Monsieur Grégory Ledda ayant choisi de privilégier ce lien commercial faisant positionner son site en " tête de liste ", l'utilisation du mot-clef Casque Bleu n'a pas généré de préjudice,

- qu'il n'a pas commis de manquements à ses obligations contractuelles relativement à la propriété des contenus du site Web de la SARL Bianchi & Fils, les deux sites concurrents ne présentant pas de similitudes marquantes et le travail de graphisme et rédactionnel restant la propriété du concepteur du site,

- qu'il n'a pas commis de manquements à son obligation de confidentialité en révélant à Monsieur Grégory Ledda le nom des clients, celui des fournisseurs et les prix pratiqués par la SARL Bianchi & Fils et qu'au demeurant la baisse d'activité alléguée par la SARL Bianchi & Fils, qui serait consécutive à la concurrence réalisée par le site Web de Monsieur Grégory Ledda, n'est pas démontrée,

- que la SARL Bianchi & Fils a résilié à ses torts exclusifs le contrat de commercialisation en cessant de payer les redevances à compter du mois de novembre 2009, aucune mise à jour de site Web de la SARL Bianchi & Fils n'étant plus faite à compter du 12 mai 2010, les indemnités contractuelle de rupture de 11 072,07 euro et 33 216,21 euro étant dues par la SARL Bianchi & Fils,

- que la SARL Bianchi & Fils a réutilisé indûment des textes et des contenus tirés du site Web créé par Monsieur Serge Gonzalès et qui étaient restés sa propriété si bien qu'il conviendra de condamner la SARL Bianchi & Fils à les retirer et à payer des dommages et intérêts (11 933,05 euro) réparant le préjudice découlant de l'utilisation desdits éléments ;

Vu les conclusions en réponse de Monsieur Grégory Ledda en date du 3 février 2011 tendant à faire juger :

- que l'utilisation de l'expression Casque Bleu dans le titre de son site Internet n'est pas fautive, s'agissant d'une expression consacrée employée couramment dans la profession et que les pages d'accueil respectives des deux sites Internet ne prêtent pas à confusion,

- qu'au demeurant la mise en ligne du site Internet en novembre 2009 n'a pas porté préjudice à la SARL Bianchi & Fils, la baisse constatée provenant exclusivement de la conjoncture économique défavorable ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 18 février 2011.

Attendu que Monsieur Serge Gonzalès chargé par la SARL Bianchi & Fils de concevoir, créer et " héberger " un site Web permettant de vendre ses produits à une clientèle connectée à Internet a conçu et réalisé pour le compte de Monsieur Grégory Ledda exerçant la même activité que la SARL Bianchi & Fils un site Web dédié aux mêmes fins ; que Monsieur Serge Gonzalès était également chargé par la SARL Bianchi & Fils de la mise à jour du site Web créé : cf " présentation du catalogue, mise en place du paiement en ligne par carte bleue, intégration des informations concernant les produits de la SARL Bianchi & Fils " et était rémunéré par un pourcentage (10 %) sur " le chiffre d'affaires réalisé par la SARL Bianchi & Fils sur le site de vente en ligne de ses produits " ; que Monsieur Serge Gonzalès selon " le contrat de commercialisation de produits sur Internet " était astreint à une obligation de confidentialité vis-à-vis des informations obtenues de la SARL Bianchi & Fils et devait " considérer comme strictement confidentiels tous les renseignements fournis, tous les documents confiés " ;

Attendu que Monsieur Serge Gonzalès a manqué à cette obligation contractuelle ainsi qu'à l'obligation de loyauté devant présider aux relations entre commerçants en concevant et créant, pour le compte de Monsieur Grégory Ledda, avec lequel il avait des relations privilégiés (l'épouse de Monsieur Serge Gonzalès exerçant une autre activité de vente en ligne domiciliée chez Monsieur Grégory Ledda), un site web qui avait un référencement qui favorisait le détournement de la clientèle d'internautes ; que lorsqu'il était effectué une recherche sur le moteur de recherche Google à partir du mot-clé " stock militaire ", apparaissait de manière privilégiée le site Web de Monsieur Grégory Ledda, grâce à son référencement " stock le Casque Bleu " alors que l'expression " le Casque Bleu " est le nom commercial sous lequel la SARL Bianchi & Fils exerce son activité ; que Monsieur Serge Gonzalès avait réservé, en exécution du " contrat de commercialisation de produits sur Internet ", le nom de domaine " lecasquebleu.com " pour le compte de la SARL Bianchi & Fils ; que nonobstant cette réservation et le fait que Monsieur Serge Gonzalès n'ignorait pas que la SARL Bianchi & Fils exerçait sous le nom commercial " le Casque Bleu ", celui-ci a confectionné pour le compte de Monsieur Grégory Ledda, un site Web auquel l'internaute accédait à partir du mot-clef : " stock militaire " ; que le nom de domaine réservé également par Monsieur Serge Gonzalès pour le compte de Monsieur Grégory Ledda était "projet13.com " et que Monsieur Grégory Ledda n'exerçait pas sous l'enseigne commerciale ou le nom commercial " le Casque Bleu " ; qu'il s'ensuit qu'aucun motif ne conduisait à inclure l'expression " Casque Bleu " dans le titre du site Web de Monsieur Grégory Ledda ; que ce seul fait constitue à la charge de Monsieur Grégory Ledda et de Monsieur Serge Gonzalès un acte de concurrence déloyale au détriment de la SARL Bianchi & Fils ; que la " référence " " Casque Bleu " a été choisie à dessein pour orienter une clientèle d'internautes sur le site Web de Monsieur Grégory Ledda ; que cette référence arbitraire ou fantaisiste figurant dans le titre du site web de Monsieur Grégory Ledda qui n'est expliquée par aucune considération, ne peut pas être considérée comme désignant génériquement l'activité de vente de vêtements et accessoires de " surplus militaire et stock américain " et comme pouvant être utilisée librement par tout professionnel du secteur d'activité ;

Attendu que, de la commission d'actes de concurrence déloyale s'infère nécessairement un préjudice, fût-il simplement moral ou de trouble commercial ; qu'au vu des éléments versés au débat sur l'étendue du préjudice, il y a lieu de fixer le montant de la réparation revenant à la SARL Bianchi & Fils à la somme de 3 000 euro, tous chefs de préjudice confondus eu égard à la brièveté de la période durant laquelle le site web de Monsieur Grégory Ledda, était accessible grâce à l'expression " Casque Bleu ", Monsieur Grégory Ledda, ayant remédié rapidement à cet agissement de mauvaise foi ;

Attendu que l'action en résiliation du " contrat de commercialisation de produits sur Internet " intentée par la SARL Bianchi & Fils et reposant sur la violation par Monsieur Serge Gonzalès de la clause de confidentialité est fondée ; que la violation par Monsieur Serge Gonzalès de son obligation de confidentialité, outre sa faute quasi-délictuelle pour des agissements contraires à la loyauté du commerce, sont avérées ; qu'il convient de prononcer la résiliation du contrat à effet au jour de l'introduction de l'instance visant à cette fin, soit le 23 décembre 2009 ; que le " contrat de commercialisation de produits sur Internet " prévoyait en son article 8 au cas de résiliation pour manquement d'une partie à ses obligations que celle-ci réglerait à l'autre une indemnité forfaitaire égale au montant des commissions des six derniers mois avant la rupture x 3, soit 33 015,06 euro, selon la SARL Bianchi & Fils ; qu'il s'agit d'une clause pénale manifestement excessive ; que la SARL Bianchi & Fils ne justifie que très peu du préjudice allégué à hauteur de 50 000 euro, outre la clause pénale (elle allègue des " frais liés à la rupture et à la mise en place d'un nouveau site ") ; que seule est versée au débat une fiche mentionnant le nouveau nom de domaine que la SARL Bianchi & Fils a fait enregistrer (encore que la date d'enregistrement mentionnée soit le 27 juin 2008) ; qu'il convient de réduire à 3 000 euro le montant de l'indemnité contractuelle de rupture ; que la SARL Bianchi & Fils ne peut obtenir des dommages et intérêts supplémentaires pour un préjudice déjà indemnisé et par ailleurs très modestement justifié ;

Attendu que Monsieur Serge Gonzalès ne peut prétendre qu'aux commissions exigibles avant la résiliation du " contrat de commercialisation de produits sur Internet ", soit celles du mois de décembre 2009 à concurrence de 1 896,97 euro ; qu'il reconnaît avoir perçu les commissions pour le mois de novembre 2009, qui lui avaient été justement allouées par les premiers juges ;

Attendu que Monsieur Serge Gonzalès ne peut prétendre de la part de la SARL Bianchi & Fils à des dommages et intérêts pour l'utilisation " des éléments " du site Web qu'il avait conçu et créé ; que si aux termes du " contrat de commercialisation de produits sur Internet ", le " travail rédactionnel et graphique " que Monsieur Serge Gonzalès, le prestataire de services avait réalisé, reste sa propriété, celui-ci ne démontre pas que le nouveau site Web de la SARL Bianchi & Fils a emprunté des éléments rédactionnels et graphiques lui appartenant ; que Monsieur Serge Gonzalès n'a aucune propriété sur le logo " le Casque Bleu " qu'il revendique pourtant, celui-ci étant le nom commercial de la SARL Bianchi & Fils ; que les reprises de texte ou de police de caractère du premier site Web en faveur du second, qui sont dénoncées par Monsieur Serge Gonzalès, ne sont pas avérées ;

Attendu qu'en application de la clause de confidentialité à la portée limitée et n'interdisant pas l'exercice par Monsieur Serge Gonzalès d'une activité concurrente, il ne peut être fait interdiction à Monsieur Serge Gonzalès d'exercer une activité de vente sur Internet de vêtements et accessoires de " surplus militaire et stock américain ", sauf pour Monsieur Serge Gonzalès à respecter les termes de la clause de confidentialité ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que les parties tenues in solidum aux dépens devront payer à la SARL Bianchi & Fils une somme de 2 400 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Déclare recevable l'appel interjeté par la SARL Bianchi & Fils. Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf celle ayant alloué à Monsieur Serge Gonzalès les commissions du mois de novembre 2007. Statuant à nouveau, condamne in solidum Monsieur Grégory Ledda et Monsieur Serge Gonzalès à porter et payer à la SARL Bianchi & Fils la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement frappé d'appel et celle de 2 400 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne Monsieur Serge Gonzalès à porter et payer à la SARL Bianchi & Fils la somme de 3 000 euro au titre de l'indemnité de rupture avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement frappé d'appel. Condamne la SARL Bianchi & Fils à porter et payer à Monsieur Serge Gonzalès la somme de 1 896,97 euro au titre des commissions pour le mois de décembre 2009, avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice. Condamne in solidum Monsieur Grégory Ledda, et Monsieur Serge Gonzalès aux dépens dont distraction au profit de la SCP d'avoués associés Agnès Ermeneux-Champly & Laurence Levaique qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.