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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 avril 2011, n° 08-21750

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Merhi

Défendeur :

Société Presse Paris Services (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Le Fèvre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Blin, SCP Naboudet-Hatet

Avocats :

Mes Rosenblatt, Choisel de Monti

T. com. Paris, du 27 oct. 2008

27 octobre 2008

LA COUR,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 octobre 2008 qui a débouté M. Bassam Merhi de ses demandes notamment de dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, formulées à l'encontre de la SNC Société Presse Paris Services, ci-après SPPS, et a accordé à cette dernière 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu l'appel de M. Bassam Merhi et ses conclusions du 3 janvier 2011 par lesquelles il demande à la cour d'infirmer le jugement; condamner la SPPS à lui payer 70 000 euro de dommages et intérêts et 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les conclusions du 9 août 2010 de la SPPS qui demande la confirmation du jugement; de débouter M. Merhi et 3 000 euro supplémentaires au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant qu'il est constant que M. Merhi exploite un kiosque à journaux 70, avenue Kléber à Paris 16e ; qu'il a, en 2005, projeté d'exploiter un autre kiosque avenue Aristide Briand à Levallois-Perret et conclu à cet effet une convention de cession de fonds de commerce avec l'exploitant M. El Hayek ; que l'opération n'a pu être menée à son terme car la SPPS, filiale à 100 % de la société Presstalis, anciennement Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne-NMPP, subordonnait l'agrément et l'approvisionnement de M. Merhi pour le point de vente de Levallois à la signature d'un contrat-type stipulant que l'agrément était personnel et révocable ad nutum avec un préavis de 48 heures (indépendamment de la durée des relations) ; que M. Merhi a refusé de signer ce contrat ; qu'il estime cette condition et les clauses du contrat abusives au regard du droit de la concurrence;

Considérant que le tribunal a débouté M. Merhi en se référant à la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 et à un protocole d'accord signé entre les NMPP et des syndicats de diffuseurs de presse le 10 mars 1982 ;

Mais considérant que ni cet accord, ni les prétendus " usages " ne peuvent prévaloir sur la loi ; qu'il n'est ni démontré ni même clairement allégué que le fait d'imposer un contrat stipulant une révocation ad nutum du distributeur avec un délai de préavis de 48 h soit une conséquence nécessaire de la loi de 1947, et ce d'autant moins que ceci n'est pas imposé aux distributeurs exploitant des points de vente à Paris intra-muros, comme M. Merhi pour son point de vente de l'avenue Kléber ; que la SPPS ne donne aucune explication économiquement rationnelle et satisfaisante à cette discrimination manifeste;

Considérant que le protocole d'accord du 10 juin 1982 n'a pas valeur législative et ne saurait prévaloir sur la législation, surtout postérieure, résultant notamment de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ultérieurement codifiée, spécialement les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ;

Considérant que la SPPS est en situation d'exclusivité ; qu'elle est en fait seule à approvisionner les points de vente, qui ne peuvent fonctionner sans être approvisionnés par elle ; que le tribunal a justement constaté sa position dominante ;

Considérant que les clauses du contrat-type imposant la révocabilité ad nutum sous 48 h sont manifestement abusives, notamment au regard de l'article L. 442-6-I-2° et 5° du Code de commerce, même si il est indiqué que l'abus peut donner droit à une indemnité, ce qui n'est qu'un rappel du droit commun ; qu'elles ont pour effet de rendre le distributeur autre que parisien, sans que cette discrimination soit justifiée, comme dit ci-dessus - totalement dépendant de la SPPS sans contrepartie clairement identifiable ; que l'article 10 du contrat stipule que le diffuseur ne peut mettre fin au contrat que dans des cas spécifiés, renonciation à la vente de journaux, vente ou transfert du fonds de commerce avec préavis d'un mois et obligation de présentation, en cas de cession, du candidat à la succession un mois avant la réalisation de la vente ; qu'il y a déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ; que la SPPS a refusé d'approvisionner M. Merhi, de son propre aveu judiciaire procédant ainsi à un refus de vente, au seul motif que celui-ci refusait de signer un contrat contenant des clauses abusives et illicites et donc des conditions commerciales injustifiées ;

Considérant que le droit de la consommation a pour objet de protéger le consommateur final, ainsi que les intervenants économiques en concurrence ; que le marché pertinent est avant tout celui du consommateur final ; que la SPPS ne peut valablement prétendre que du fait de sa situation d'exclusivité, le marché n'existe pas ; que ceci reviendrait à admettre que lorsque une entreprise est en situation de monopole de fait, elle ne peut tomber sous le coup de droit de la concurrence, dès lors qu'elle a supprimé celle-ci et par voie de conséquence le marché ce qui va directement à l'encontre de l'essence même du droit de la concurrence ; que l'exclusivité, en fait le monopole de SPPS ne résulte pas de la loi, ni d'une situation ou de mécanismes économiques qui la rendraient inévitable ; qu'il existe bien un marché au moins potentiel des distributeurs de presse que la SPPS, par ses pratiques, empêche de se développer ; qu'au surplus, il existe un marché des consommateurs, acheteurs de journaux et périodiques ; qu'en plaçant les distributeurs autres que ceux de Paris intra-muros dans une situation de totale dépendance résultant du fait de subordonner l'approvisionnement à la signature d'un contrat stipulant une révocation ad nutum et quasiment sans préavis, la SPPS s'arroge le droit de répartir à sa guise les sources d'approvisionnement des consommateurs en journaux et périodiques;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SPPS a violé les articles L. 420-2, 1er et second alinéas, et L. 420-1 1° et 4° du Code de commerce;

Considérant que ceci a entraîné pour M. Merhi la perte d'une chance d'obtenir des gains du fait de l'exploitation du point de vente de Levallois ; que cette chance était importante puisqu'il y avait eu un accord entre M. El Hayek et M. Merhi, matérialisé par une promesse de vente du 19 septembre 2005 ; qu'il n'y a été renoncé qu'en février 2006, après le refus de l'approvisionnement qui devait avoir lieu le 29 novembre ; que les reports de date de signature à l'automne 2009 s'expliquent par les négociations alors en cours ; qu'en tous cas aucun motif autre que le refus de vente ne peut expliquer rationnellement la renonciation ; qu'il importe peu que le motif de celle-ci ne soit pas indiqué dans l'acte la matérialisant ni que le fonds ait été vendu à une société Presse Star Charbel le 17 septembre 2006 ; que ce dernier fait confirme la volonté de M. El Hayek de vendre ; qu'il n'a pu le faire que plus de 8 mois après la renonciation de M. Merhi, ce qui implique qu'à l'automne 2005, ce dernier était le seul acquéreur potentiel ; que le lien de causalité entre la faute de SPPS et le dommage de M. Merhi est suffisamment établi;

Considérant que le total des commissions annulées de M. El Hayek pour 2005 à la fin avant 2005, soit 8 mois, était de 15 475,776 euro; qu'eu égard à l'ensemble des éléments du litige, la cour évalue à 25 000 euro le préjudice de M. Merhi ; qu'il est équitable de lui accorder 3 000 euro pour ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris. Constate la violation, au préjudice de M. Bassam Merhi, des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce par la Société Presse Paris Services. Condamne cette dernière à payer à M. Merhi les sommes de 25 000 euro de dommages et intérêts et 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.