Cass. com., 27 avril 2011, n° 09-14.098
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Tiso (SAS)
Défendeur :
Alary, Rastoul, Lebel (Epoux), Pimpaud, Ronchin, Guilhem Deschamps, Gaillard, Pontault, AG3 (SARL), Martine Pimpaud (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Pezard
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Richard
LA COUR : - Met hors de cause, sur leur demande, la société Mas et Bastides de Cocagne, MM. Rastoul, Lebel, Deschamps et Mme Lebel ; - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Cabinet de transactions immobilières du Sud-Ouest que sur le pourvoi incident relevé par la société Mas et Bastides de Cocagne, MM. Rastoul, Lebel, Deschamps et Mme Lebel ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 mars 2009), que M. Alary a cédé à la société Cabinet de transactions immobilières du Sud-Ouest (société Tiso) la totalité des parts d'une société exploitant un fonds de commerce d'agence immobilière avec transfert des contrats de collaboration de MM. Rastoul, Deschamps, Mmes Pimpaud, Lebel, Gaillard et Pontault, agents commerciaux, et de MM. Lebel et Ronchi, salariés, et stipulation d'une clause de non-concurrence de deux ans à sa charge et d'une clause d'interdiction de débauchage de ses anciens collaborateurs durant cinq ans ; que la société Tiso a engagé M. Alary, qui exerçait une activité d'expertise immobilière, en qualité de directeur du développement ; que, se plaignant de la création de deux sociétés concurrentes "Mas et Bastides de Cocagne" et "Martine Pimpaud", de la démission de collaborateurs et d'actes déloyaux, la société Tiso a assigné ces différents collaborateurs et sociétés en paiement de dommages-intérêts ; que M. Alary a formé une demande reconventionnelle en indemnisation du préjudice subi du fait du comportement de la société Tiso ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident : - Attendu que la société Mas et Bastides de Cocagne, MM. Rastoul, Lebel, Deschamps et Mme Lebel font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à la société Tiso la somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal ; qu'en se bornant à relever que la société Mas et Bastides de Cocagne avait démarché la clientèle de la société Tiso, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'acte de concurrence déloyale qu'elle a retenu à son encontre, a privé sa décision légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'en se bornant, pour décider que la société Mas et Bastides de Cocagne avait commis un acte de concurrence déloyale, à relever que les "prévisionnels d'activité" qu'elle avait élaborés l'avaient été à l'aide du logiciel de gestion de la société Tiso, sans rechercher, comme elle y était invitée et comme les premiers juges l'avaient retenu, si ce logiciel de gestion n'était pas propre à la société Tiso, mais extrêmement répandu dans les agences immobilières, ce dont il résultait que la société Mas et Bastides de Cocagne n'avaient pas eu recours à des éléments propres à la société Tiso, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que les sociétés Mas et bastides de Cocagne et Martine Pimpaud ont commencé leurs activités respectives en utilisant une trentaine de dossiers actifs de fiches relatives à des clients inscrits dans le registre de mandats de la société Tiso, certaines fiches provenant d'ailleurs de fiches cédées par M. Alary à cette société ; qu'il relève que ces fiches ont été apportées à chacune des sociétés nouvelles par leurs initiateurs alors tenus par leurs contrats de travail ou d'agents commerciaux de la société Tiso au respect des acquis de cette société, et non par les clients eux-mêmes ; que la cour d'appel, qui en a déduit qu'en acceptant d'utiliser ces fiches et en se constituant ainsi une clientèle détournée de la société Tiso, les deux sociétés, dirigées par d'anciens salariés de cette société, dont ils connaissaient les bases, avaient commis un acte de concurrence déloyale à son encontre, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen du même pourvoi : - Attendu que M. et Mme Lebel, MM. Deschamps et Rastoul font grief à l'arrêt de les condamner in solidum avec la société Mas et Bastides de Cocagne, M. Alary, Mme Pimpaud, M. Ronchi, Mmes Gaillard et Pontault et la société AG3, venant aux droits de la société Martine Pimpaud, à payer à la société Tiso la somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts ; 1°) que le juge ne peut laisser le fondement juridique de sa décision incertain ; qu'en condamnant M. Rastoul, M. Lebel, M. Deschamps et Mme Lebel au paiement de dommages-intérêts, sans indiquer si elle retenait leur responsabilité contractuelle, pour violation d'une obligation de non-concurrence, ou leur responsabilité quasi délictuelle, au titre d'un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de sa décision, a violé l'article 12 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le seul fait de démarcher la clientèle d'un concurrent ne constitue pas un acte de concurrence déloyale, quand bien même celui qui se livre à ce démarchage aurait-il travaillé auparavant pour son concurrent ; qu'en se bornant, pour décider que M. Rastoul, M. Lebel, M. Deschamps et Mme Lebel avaient commis une faute, à relever qu'ils s'étaient attachés des clients qui étaient auparavant des clients de la société Tiso, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la faute qu'elle a retenue, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu que les intéressés avaient détourné une partie de la clientèle de la société Tiso au bénéfice de deux sociétés concurrentes, que ces faits suffisaient à établir une opération de concurrence déloyale à l'égard de cette société et qu'ils avaient préjudicié à la société Tiso, la cour d'appel, qui a ainsi précisé le fondement juridique de la condamnation prononcée et caractérisé la faute retenue, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches réunies : - Vu les articles 455 et 458 du Code de procédure civile ; - Attendu qu'après avoir relevé que le manque à gagner relatif à la disparition des expertises amiables ne saurait constituer un poste de préjudice, que l'ensemble des dossiers a été restitué les 20 et 27 octobre 2005 par huissier et que M. Alary ne démontre pas qu'il manquait des documents, l'arrêt retient que reste seulement la disparition effective des dossiers de clients amiables avec la perte d'une telle clientèle distincte de celle transférée et que la réparation du préjudice de M. Alary en relation directe avec les disparitions du fait de la société Tiso peut s'élever à 80 000 euro, à l'exclusion de tout autre poste infondé ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs contradictoires, la cour d'appel a méconnu les exigences des textes susvisés ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la Société de transactions immobilières du Sud-Ouest à payer à M. Alary une somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 3 mars 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Toulouse, autrement composée.