CA Rennes, 2e ch. com., 12 janvier 2010, n° 08-06530
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dubois Beyer
Défendeur :
H3M (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
Mme Cocchiello, M. Christien
Avoués :
SCP Gauvain & Demidoff, SCP Guillou & Renaudin
Avocats :
Mes Menage, Laurent
Exposé du litige
Le 24 juin 2002, la société H3M, qui a pour activité la commercialisation de vêtements et accessoires pour jeunes enfants distribués sous la marque "La compagnie des petits" au travers d'un réseau de franchise, a conclu avec Liliane Dubois Beyer, en vue de l'ouverture et de l'exploitation d'un magasin à Saint-Malo, un contrat de franchise que le franchisé a résilié le 21 mai 2006.
Faisant grief à Madame Dubois Beyer d'avoir laissé impayées diverses factures de redevances et de fourniture de services et de marchandises, la société H3M l'a assignée, par acte du 12 juillet 2006, devant le Tribunal de commerce de Saint-Malo.
Mais, par acte du 15 mai 2007, Madame Dubois Beyer a corrélativement assigné la société H3M devant la même juridiction en annulation du contrat de franchise pour insuffisance de l'information légale précontractuelle.
Les deux procédures ayant été jointes, le Tribunal de commerce de Saint-Malo a, par un même jugement du 17 juin 2008, statué en ces termes :
" Condamne Madame Dubois Beyer à payer à la société H3M la somme de 102 939,55 euro augmentée des intérêts au taux de 1,5 fois le taux légal à l'issue du délai de 60 jours à compter de chaque facture ;
Condamne Madame Dubois Beyer à payer à la société H3M la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Condamne Madame Dubois Beyer à payer à la société H3M la somme de 150 euro au titre des frais de nantissement ;
Condamne Madame Dubois Beyer à payer à la société H3M la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne Madame Dubois Beyer aux dépens (...) ;
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision ".
Madame Dubois Beyer a relevé appel de cette décision en demandant à la cour de :
" Dire et juger, à titre principal, que le contrat de franchise doit être annulé sur la base de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 et sur le fondement de l'erreur ;
Subsidiairement, dire et juger que la société H3M a engagé sa responsabilité délictuelle ;
Encore plus subsidiairement, dire et juger que la société H3M a engagé sa responsabilité contractuelle en n'exécutant pas le contrat de franchise de bonne foi ;
Condamner, en tout état de cause, la société H3M à payer à Madame Dubois Beyer les sommes suivantes :
- frais et droit d'installation, 100 335,77 euro
- perte d'exploitation, 77 580 euro
- royalties, 19 418,08 euro
- redevance publicitaire et publicité sur lieu de vente, 29 416,18 euro
- marge commerciale non perçue sur la base des prévisionnels annoncés, 139 531,20 euro ;
Débouter la société H3M de ses demandes au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture ;
Condamner la société H3M au paiement d'une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ".
La société H3M conclut quant à elle à la confirmation de la décision attaquée, sollicitant en outre l'allocation de sommes de :
- 12 396,52 euro au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture,
- 3 000 euro à titre de dommages-intérêts pour appel abusif,
- 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour Madame Dubois Beyer le 20 octobre 2009, et pour la société H3M le 5 novembre 2009.
Exposé des motifs
Sur l'incident de communication de pièce
Par conclusions de procédure du 17 novembre 2009, Madame Dubois Beyer demande à la cour de rejeter des débats, pour défaut de communication, le document intitulé " État du marché local " cité dans les écritures adverses comme annexé au document d'information préalable (pièce n° 18).
La société H3M a toutefois admis à l'audience qu'il n'existait pas de document intitulé " État du marché local " annexé à la pièce n° 18.
Il n'y a donc pas lieu de statuer sur l'incident, les conséquences à tirer de l'absence de ce document relevant par ailleurs de la discussion au fond.
Sur les demandes formées par Madame Dubois Beyer
La société H3M prétend à tort que Madame Dubois Beyer ne serait plus recevable à agir en annulation du contrat de franchise, dès lors qu'elle a antérieurement pris l'initiative de le résilier.
Il sera en effet observé que la résiliation du contrat ne résulte pas d'une décision judiciaire à laquelle s'attacherait l'autorité de chose jugée, mais seulement d'un courrier du franchisé, qui tirait ainsi les conséquences du caractère durablement déficitaire de l'exploitation, accepté par franchiseur.
Le comportement du franchisé, consistant à mettre un terme à l'exécution du contrat afin de limiter les pertes avant d'agir en annulation du contrat, n'est donc, en soi, ni fautif, ni contradictoire, étant de surcroît précisé que la poursuite de l'exécution du contrat de franchise n'est pas une condition de recevabilité de l'action en nullité de celui-ci.
Il résulte d'autre part des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce que la société H3M, dont le contrat de franchise comporte des clauses de concession de marque et d'exclusivité d'approvisionnement, était tenue d'adresser à Madame Dubois Beyer, préalablement à la signature du contrat, un document donnant diverses informations sur le réseau de franchise ainsi que sur l'état général et local du marché et les perspectives de développement de celui-ci.
Or, si le document d'information précontractuelle du 22 avril 2002 comporte bien une présentation de la société H3M, de ses dirigeants, de la marque, du réseau (liste nominative des franchisés et des succursalistes en France et à l'étranger) ainsi que des données générales, quantitatives et qualitatives, sur l'état du marché des vêtements pour enfants (courbe des naissances, évolution de la consommation des ménages sur ces produits, répartition du marché par circuits de distribution), les renseignements relatifs à l'état du marché local ne portent que sur les données du recensement de la population de Saint-Malo en 1982 et 1990.
Ces informations relatives à l'état du marché local sont donc notablement insuffisantes, mais ce manquement du franchiseur à son obligation d'information précontractuelle ne saurait entraîner l'annulation du contrat que s'il a eu pour effet de vicier le consentement du franchisé.
À cet égard, Madame Dubois Beyer suggère que l'absence d'étude du marché local l'aurait conduite à commettre une erreur sur le choix d'un emplacement commercial qui s'est avéré, selon elle, inapproprié.
Toutefois, les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ne mettaient pas à la charge de la société H3M l'obligation de fournir une étude substantielle du marché local, mais seulement des renseignement relatifs à l'état de celui-ci, ce qui n'incluait nullement la réalisation d'une analyse précise des habitudes de consommation de la clientèle potentielle et de l'attractivité d'un emplacement commercial, une telle étude devant être menée par le franchisé dont l'absence d'expérience ne le dispensait pas d'accomplir lui-même les diligences nécessaires à la réussite de son entreprise commerciale.
Dès lors, rien ne démontre que l'indigence des données du document d'information précontractuelle relatives à l'état du marché local ait vicié le consentement de Madame Dubois Beyer.
L'appelante fait d'autre part grief à la société H3M de lui avoir fourni, bien qu'elle n'y était pas légalement tenue, un document prévisionnel basé sur la réalisation d'un chiffre d'affaires notablement surévalué au regard de celui qu'elle a effectivement pu réaliser.
Cependant, ni l'attestation de l'expert-comptable de Madame Dubois Beyer, ni les autres indices invoquées par l'appelante ne suffisent à démontrer que ce document a bien été établi par le franchiseur, qui le conteste, dans le but de s'acquitter de son obligation d'information précontractuelle, alors que cette étude prévisionnelle ne comporte aucune date, et que la lettre d'accompagnement du dossier de présentation du réseau du 11 avril 2002 et le document d'information précontractuelle du 22 avril 2002 n'y font aucunement référence.
En outre, l'expert-comptable déclare avoir reçu divers documents, dont le document d'information précontractuelle, un " prévisionnel sur 3 ans " et le contrat de franchise, sans spécifier si le document prévisionnel lui a été communiqué avec le document d'information précontractuelle, antérieurement à la signature du contrat de franchise.
Au surplus, le caractère fantaisiste des bases sur lesquelles ce document prévisionnel a été établi ne saurait résulter du seul écart, fût-il important, entre le chiffre d'affaires prévu et celui effectivement réalisé, ce dernier pouvant, même en l'absence d'erreurs de gestion du franchisé, résulter de bien d'autres facteurs non imputables au franchiseur.
Il n'existe donc pas de preuve suffisante que la société H3M ait établi, avant la conclusion du contrat de franchise, un document prévisionnel basé sur une réalisation d'un chiffre d'affaires fantaisiste de nature à vicier le consentement du franchisé.
Madame Dubois Beyer ne peut davantage fonder sa demande de restitution des sommes versées en exécution du contrat de franchise sur le terrain de la responsabilité délictuelle, alors que l'information précontractuelle dont l'étendue et la sincérité sont mises en cause a abouti à la conclusion d'une relation contractuelle entre les parties.
Par d'exacts motifs que la cour adopte, les premiers juges ont par ailleurs pertinemment relevé que la société H3M n'avait commis aucune faute dans l'exécution du contrat de franchise.
Madame Dubois Beyer, qui a pu bénéficier, conformément au contrat de franchise, de la notoriété de la marque, des collections de produits originaux créés par le franchiseur, du savoir-faire et de l'assistance commerciale de celui-ci, et des actions de publicité menées par le réseau, n'a en effet jamais émis, au cours de l'exécution du contrat, de remarques sur de prétendus manquements de la société H3M à ses obligations.
L'appelante ne peut ainsi raisonnablement se plaindre de s'être vu imposer un stock de vêtements trop important, alors que, si le contrat lui faisait obligation de maintenir dans son magasin un stock minimum afin de satisfaire la clientèle et de respecter l'image de l'enseigne, elle demeurait maîtresse de son réapprovisionnement en étant libre d'accepter ou de modifier les propositions d'implantation et de réassortiment de collections transmises par la société H3M sur la base du chiffre d'affaires communiqué annuellement par le franchisé.
Au demeurant, Madame Dubois Beyer ne peut sérieusement prétendre que le franchiseur aurait exécuté le contrat de mauvaise foi et n'aurait pas fait les efforts nécessaires à la réussite de son activité, alors qu'elle expose elle-même que celui-ci lui consentait en fin de saison de multiples avoirs sur reprise de marchandises, que face aux difficultés de son franchisé la société H3M a consenti à Madame Dubois Beyer des conditions de reprises de marchandises plus favorables que celles prévues au contrat ainsi que des délais de paiement, puis que, lors de la résiliation, elle lui a vainement offert de négocier un protocole transactionnel de sortie de contrat.
Il ne peut davantage être reproché à l'intimée ne pas avoir pris l'initiative de mettre un terme à la relation contractuelle, alors que le franchisé est un commerçant indépendant responsable des moyens humains et financiers qu'il engage et que, si le contrat de franchise comportait une clause d'assistance commerciale, celle-ci ne saurait s'interpréter comme faisant peser sur le franchiseur une obligation de conseil portant sur la gestion économique, comptable et financière de l'entreprise du franchisé.
Sur les demandes formées par la société H3M
Il n'est pas discuté que Madame Dubois Beyer a laissé impayé diverses factures de redevances et de fourniture de services et de marchandises, dues en vertu des dispositions du contrat de franchise, pour un montant total de 102 939,55 euro toutes taxes comprises.
Il résulte en outre du contrat que cette somme doit produire intérêts au taux conventionnel de 1,5 fois le taux légal à expiration d'un délai de 60 jours après chaque facture.
De même, il n'est pas discuté que la société H3M a exposé des frais de nantissement à concurrence de 150 euro, et la condamnation au paiement d'une somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts n'a fait l'objet d'aucune contestation.
Le jugement attaqué sera donc confirmé en tous points.
La société H3M réclame d'autre part, pour la première fois en cause d'appel, le paiement d'une indemnité contractuelle de rupture due, selon les dispositions de l'article 18 du contrat de franchise, en cas de résiliation anticipée aux torts du franchisé.
Il sera toutefois observé que le contrat a été résilié amiablement par un courrier du franchisé accepté par le franchiseur, lequel n'avait jusqu'alors agi qu'en paiement de diverses factures de redevances et de fourniture de services et de marchandises sans jamais solliciter devant les premiers juges la résiliation judiciaire du contrat aux torts de Madame Dubois Beyer, ni former la moindre demande en lien avec la rupture contractuelle.
Il en résulte que la demande d'indemnité de rupture ne peut être regardée comme tendant aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges, ni comme en constituant l'accessoire, la conséquence ou le complément, et que, partant, il s'agit d'une prétention nouvelle irrecevable devant la cour en application de l'article 564 du Code de procédure civile.
La société H3M n'établit pas davantage que l'appel de Madame Dubois Beyer, qui découle du principe du double degré de juridiction, revêtait en l'espèce un caractère abusif.
Sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif sera donc rejetée.
Il serait en revanche inéquitable de laisser à sa charge l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Dit n'y avoir lieu à statuer sur l'incident de communication de pièce ; Confirme le jugement rendu le 17 juin 2008 par le Tribunal de commerce de Saint-Malo en toutes ses dispositions ; Déclare la demande en paiement d'une indemnité de rupture irrecevable ; Rejette la demande en dommages-intérêts pour appel abusif; Condamne Madame Dubois Beyer à payer à la société H3M une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne Madame Dubois Beyer aux dépens d'appel; Accorde à la société civile professionnelle Guillou et Renaudin, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.