CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 4 février 2010, n° 06-06672
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Rex Rotary (SAS)
Défendeur :
Konica Minolta Business Solutions KMBS (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maron
Conseillers :
Mmes Brylinski, Beauvois
Avoués :
SCP Jullien, Lecharny, Rol, Fertier, SCP Fievet-Lafon
Avocats :
Me Angely-Manceau, Selafa Clifford Chance
Faits et procédure :
La société anonyme Rex Rotary (Rex Rotary) a pour activité principale la vente de photocopieurs. Elle est implantée dans toute la France et dispose notamment d'agences à Annecy (Haute-Savoie) et à Grenoble (Isère). Elle emploie essentiellement des vendeurs bénéficiant du statut de VRP liés à leur employeur par une clause de non-concurrence.
Au motif que cinq de ses salariés avaient donné leur démission et étaient entrés au service respectivement des agences d'Annecy et de Grenoble de la société Minolta/KMBS (Minolta), la société Rex Rotary a, dans un premier temps, sollicité et obtenu trois ordonnances du président du Tribunal de commerce de Versailles, désignant des huissiers de justice afin qu'il soit procédé à des opérations de constat au siège de la société Minolta/KMBS à Carrières-sur-Seine ainsi que dans ses deux agences d'Annecy et de Grenoble. Ces opérations ont été diligentées début novembre 1998.
Saisi d'une demande de rétractation de ces ordonnances sur requête, le président du tribunal de commerce de Versailles, statuant par ordonnance de référé du 16 novembre 1998, a :
- ordonné à la société Minolta/KMBS, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée, d'interdire aux cinq salariés qu'elle venait d'embaucher toute intervention auprès des clients qu'ils avaient connus au cours de leur période d'activité au sein de la société Rex Rotary ;
- ordonné à la société Minolta/KMBS, sous la même astreinte, d'interdire aux cinq salariés concernés toute intervention dans leur ancien secteur de prospection;
- débouté la société Minolta/KMBS de sa demande de rétractation des ordonnances ;
- ordonné à la société Rex Rotary la restitution aux huissiers concernés des documents saisis ;
- ordonné la mise sous séquestre des documents saisis par les huissiers concernés ;
- débouté la société Rex Rotary de sa demande provisionnelle;
- autorisé la société Rex Rotary à assigner la société Minolta/KMBS à bref délai.
C'est dans ces circonstances que Rex Rotary a, par acte du 10 juin 1999 (procédure inscrite sous le n° 1999 F 01282), assigné à bref délai Minolta/KMBS aux fins de mainlevée des séquestres ordonnés par la décision susvisée et de dommages-intérêts pour complicité de violation de la clause de non-concurrence et actes de concurrence déloyale.
Par jugement avant dire droit du 2 mai 2001, le Tribunal de commerce de Versailles a fait injonction aux parties de produire avant le 13 juin 2001 :
- les contrats de travail, et leurs avenants, de Messieurs Betemps, Carcenac, Levet, Manno et Moine, conclus avec leur ancien et leur nouvel employeur, les sociétés Rex Rotary et Minolta ;
- les documents relatifs aux prises de commandes de Messieurs Betemps, Carcenac, Levet, Manno et Moine, pour le compte de leur nouvel employeur, la société Minolta, au cours des six mois ayant suivi leur cessation de fonction dans la société Rex Rotary.
Par acte du 13 avril 2005 (procédure inscrite sous le n° 2005 F 02263), la société Rex Rotary a assigné aux mêmes fins la société Minolta/KMBS, sollicitant la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 750 000 euro à titre de dommages-intérêts pour complicité de violation de la clause de non-concurrence et actes de concurrence déloyale.
Par jugement du 21 septembre 2005, le Tribunal de commerce de Versailles a constaté que l'instance inscrite sous le n° 1999 F 01282 est éteinte par l'effet de la péremption, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, et condamné Rex Rotary aux dépens.
Par jugement du même jour, cette juridiction a :
- dit que l'instance inscrite sous le n° 1999 F 01282 est éteinte par l'effet de la péremption ;
- dit que l'instance inscrite sous le n° 2005 F 02263 est recevable ;
- condamné Konica Minolta Business Solutions (KMBS) à payer à Rex Rotary la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts ;
- ordonné aux trois huissiers désignés, la SCP Sarlat & Sarfati, la SCP Coulon Laurent Augustin et la SCP Brun Montoya de restituer l'ensemble de la documentation et des informations qu'ils ont recueillies auprès de Minolta/KMBS et dont ils ont été nommés séquestres par ordonnance du 16 novembre 1998 ;
- débouté Minolta/KMBS de sa demande reconventionnelle;
- condamné Minolta/KMBS au paiement de la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Rex Rotary a interjeté appel de ces deux décisions.
Elle faisait valoir que sa demande formulée aux termes de l'assignation délivrée le 13 avril 2005 était parfaitement recevable, dès lors que le placement de cet acte avait entraîné la création d'une instance autonome.
Elle soutenait que le débauchage par Minolta/KMBS sur une très courte période des cinq salariés commerciaux les plus performants des agences concernées avait totalement désorganisé la société appelante, puisque ces salariés représentaient à eux seuls une partie importante du chiffre d'affaires réalisé par les agences d'Annecy et de Grenoble.
Elle observait que, dûment informée que ses ex-salariés étaient liés par une clause de non-concurrence, au titre de laquelle ils avaient perçu une indemnité pendant six mois, la société intimée avait monté un stratagème consistant à intervertir les secteurs de certains salariés.
Elle relevait que son préjudice découlant des actes de concurrence déloyale était constitué d'une part par les frais exposés par elle pour reconstituer la force de vente qui avait été anéantie, d'autre part par le manque à gagner correspondant à la perte de marge sur les ventes machines et les services après-vente.
Elle indiquait s'opposer à la demande de sursis à statuer, présentée par la partie adverse deux jours avant la clôture, ce dans l'attente de la décision du juge prud'homal déjà saisi par la société appelante, dès lors que la clause de non-concurrence n'est manifestement pas nulle, et dès lors en outre que le fondement de la présente demande est extra-contractuel.
Elle précisait s'opposer à la demande reconventionnelle dont Minolta KMBS avait été déboutée en première instance, et elle ajoutait que, dans la mesure où les huissiers chargés de l'établissement des constats n'avaient pris aucun original, les copies annexées à leurs constats faisaient partie intégrante de ces derniers et ne sauraient donc être extraits sans que soient remises en cause les ordonnances sur requête ayant commis ces huissiers.
Par voie de conséquence, elle sollicitait la confirmation du second jugement entrepris en ce qu'il avait :
- dit valable la clause de non-concurrence insérée dans les contrats de travail litigieux ;
- énoncé que la partie adverse a commis une faute au sens des dispositions de l'article 1382 du Code civil en ne veillant pas au respect de cette interdiction de concurrence que les salariés débauchés lui avaient signalée ;
- alloué en première instance à la société Rex Rotary la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et débouté la société KMBS de ses demandes de dommages-intérêts.
Elle demandait à la cour de réformer pour le surplus cette décision, et, statuant à nouveau, de condamner Minolta/KMBS à lui verser la somme de 750 000 euro à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
Elle concluait au débouté de la partie adverse de sa demande reconventionnelle, et elle réclamait en cause d'appel la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société par actions simplifiée Konica Minolta Business Solutions (anciennement dénommée Minolta France) soulevait l'irrecevabilité des demandes formulées par Rex Rotary dans le cadre de l'instance n° 2005 F 02263, en raison de leur caractère identique à celles présentées dans le cadre de l'appel du jugement ayant déclaré ces demandes irrecevables pour cause de péremption.
Elle faisait valoir que, dans la mesure où la partie adverse avait introduit des procédures à l'encontre de ses anciens salariés devant les conseils de prud'hommes de Grenoble et d'Annecy afin d'obtenir le remboursement de l'indemnité compensatrice de clause de non-concurrence et le paiement de la clause pénale, il appartiendrait à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision des juridictions prud'homales sur la validité de la clause de non-concurrence insérée aux contrats de travail des cinq salariés concernés.
Elle alléguait que la circonstance que la société appelante ait découvert que cinq de ses anciens salariés étaient entrés au service d'une société concurrente n'était pas en soi constitutive d'une violation de la clause de non-concurrence, en l'absence de preuve que ces salariés étaient intervenus sur les secteurs et catégories de clients qu'ils étaient chargés de visiter au moment de la notification de la rupture du contrat.
Elle en déduisait qu'à supposer qu'il soit jugé que lesdits salariés étaient liés par la clause de non-concurrence telle que prévue par la convention collective des VRP, celle-ci avait été parfaitement respectée.
Elle exposait que, dès lors qu'elle n'avait commis aucun acte fautif en embauchant les salariés de sa concurrente, le grief de débauchage fautif de nature à justifier la demande d'indemnisation du chef de concurrence déloyale ne pouvait prospérer.
Elle précisait que la partie adverse n'établissait l'existence, ni d'un quelconque préjudice par la démonstration d'un infléchissement des ventes, ni du lien de causalité entre la faute invoquée et le dommage prétendument subi par elle.
Par voie de conséquence, elle concluait à titre principal à l'irrecevabilité de l'assignation délivrée par Rex Rotary sur et aux fins de celle du 10 juin 1999, et, en toute hypothèse, au sursis à statuer dans l'attente de la décision du juge prud'homal déjà saisi par cette dernière.
A titre subsidiaire, se portant incidemment appelante de ce second jugement, elle demandait à la cour de constater que la clause de non-concurrence applicable aux salariés concernés avait bien été respectée, et de débouter Rex Rotary de l'ensemble de ses prétentions.
Elle sollicitait la confirmation du jugement déféré en ce qu'il avait ordonné aux trois huissiers désignés de restituer l'ensemble de la documentation et des informations qu'ils ont recueillies auprès d'elle et dont ils avaient été nommés séquestres par ordonnance du 16 novembre 1998 .
Elle réclamait en outre la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts, celle de 10 000 euro pour procédure abusive, et celle de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par arrêt en date du 27 septembre 2007, la cour de ce siège a déclaré recevable la nouvelle instance introduite par Rex Rotary, et inscrite sous le n° 2005 F 02263 et ordonné pour le surplus la réouverture des débats, invitant les parties à la renseigner, avec justifications à l'appui, sur l'existence ou non d'une instance encore pendante devant les juridictions prud'homales, et à s'expliquer sur les conséquences juridiques susceptibles d'en être tirées.
Ensuite de cet arrêt, les parties ont déposé de nouvelles pièces et de nouveau conclu.
Sur ce, LA COUR,
Vu l'article 455 du Code de procédure civile et les conclusions de Rex Rotary en date du 19 novembre 2009 et de Konica Minolta Business Solutions en date du 2 décembre 2009,
Attendu, sur le grief de débauchage massif, constitutif de concurrence déloyale, qu'il est constant que cinq VRP de Rex Rotary ont démissionné de cette société et ont été embauchés par Konika; que la première démission est intervenue le 13 mai 1998 et la dernière le 7 octobre de la même année ;
Attendu cependant que Konica justifie, par la production des offres d'emploi qu'elle a fait paraître dans la presse que, dès mars 1998, elle recherchait des attachés commerciaux (annonce " l'express " du 12 mars 1998) sur différents secteurs du territoire national, et notamment ceux de Grenoble et Annecy; qu'elle faisait paraître à nouveau cette annonce dans le numéro du même hebdomadaire du 4 avril 1998 ; qu'elle faisait encore paraître une annonce semblable dans le numéro du 7 mai 1998, dans celui du 11 juin et dans celui du 23 juillet;
Attendu par ailleurs que la lettre de démission du premier démissionnaire de Rex Rotary est motivée par un mécontentement des conditions de travail explicité de façon très circonstanciée; que cette société ne conteste pas l'exactitude des griefs faits par le démissionnaire; que de même, le troisième démissionnaire donne le motif de son départ et que celui-ci n'est pas contesté par Rex Rotary;
Attendu enfin que Rex Rotary n'allègue aucun fait précis de débauchage de ses salariés; qu'il justifie seulement de leur embauche, postérieure à leur départ volontaire;
Attendu qu'il est loisible à une entreprise d'embaucher d'anciens salariés d'une entreprise concurrente dès lors que, comme en l'espèce, cette embauche ne résulte pas de manœuvres destinées à inciter ces salariés à démissionner de leur actuel employeur non plus que d'une volonté de désorganiser l'entreprise concurrente;
Attendu, sur la complicité des violations des clauses de non-concurrence, commise notamment par l'interversion des secteurs de prospection des salariés liés par les clauses, que Konica fait valoir en premier lieu que les clauses invoquées seraient nulles comme plus contraignantes que ne l'est l'interdiction de concurrence portée à la convention collective des VRP;
Attendu que si les conseils de prud'hommes saisis par Rex Rotary ont estimé les clauses invoquées légales, ces décisions ne s'imposent pas à la cour, dès lors que les parties au litige ne sont pas les mêmes;
Attendu que l'article 17 de la convention collective interprofessionnelle des représentants de commerce, dont Rex Rotary ne conteste pas qu'elle soit applicable aux cinq salariés qui ont démissionné de ses effectifs pour rejoindre Konica prévoit que " l'interdiction contractuelle de concurrence après la rupture du contrat de travail n'est valable que pendant une durée maximum de deux ans à compter de cette rupture et qu'en ce qui concerne les secteurs et catégories de clients que le représentant de commerce était chargé de visiter au moment de la notification de la rupture du contrat ";
Attendu que les clauses dont se prévaut Rex Rotary prévoient qu'en " cas de rupture du contrat (...) vous vous interdisez, pendant une durée de six mois à compter de la date de cessation de vos fonctions (ou de cessation de votre préavis si elle est postérieure) de vous intéresser directement ou indirectement, notamment en tant que salarié (ayant ou non le statut de VRP) (...) à toute activité ayant pour nature ou objet direct ou indirect la prospection et le démarchage de produits et/ou services concurrents des nôtres dans le territoire de la succursale dans laquelle vous exerciez vos fonctions au moment de notification de la rupture du contrat, sauf option de notre société, en cas de changement de succursale ou de clientèle datant de moins de six mois (...) ";
Attendu que, comme cela résulte de la propre pièce 1 de Rex Rotary, le territoire de la succursale dans laquelle exerçaient les cinq salariés dont il est argué que Konica se serait rendue complice de la violation de leur clause de non-concurrence était beaucoup plus étendu que ne l'étaient leurs secteurs d'activité, voire leurs secteurs d'activité et d'intéressement; que dans ces conditions, les clauses invoquées étant nulles, les moyens invoqués par Rex Rotary relativement à leur violation alléguée sont sans portée;
Attendu surabondamment que Rex Rotary fait valoir que les violations auraient, en fait consisté, en une interversion partielle, plus ou moins importante, des secteurs d'activités des VRP, le VRP A ayant dans le secteur qui lui a été attribué par Konica la plupart des zones attribuées au VRP B lorsqu'il travaillait pour Rex Rotary, et vice versa;
Attendu cependant qu'à supposer les clauses de non-concurrence valides, une telle façon de procéder, qui respecte les limites de la clause elle-même, ne saurait être, par elle-même, constitutive de fraude; qu'en décider autrement conduirait, à donner aux clauses de non-concurrence une portée supérieure à celle convenue entre les parties; que faute de faire valoir de quelconques éléments permettant de considérer que cette façon d'opérer serait effectivement frauduleuse, le moyen soulevé par Rex Rotary ne peut qu'être écarté;
Attendu, sur la demande reconventionnelle de Konica, qu'il est justifié que Rex Rotary a obtenu, par requête, diverses mesures au détriment du secret des affaires de Konica, qui lui ont permis d'obtenir des documents notamment sur la structure commerciale locale de sa concurrente directe;
Attendu qu'il résulte des éléments qui précèdent que la demande de Rex Rotary ne repose sur aucune justification et est abusive;
Attendu que ces procédures et cette demande ont causé un préjudice à Konica, les premières, qui peut être évalué à 10 000 euro et la présente procédure, un préjudice qui doit être évalué à 3 000 euro;
Attendu que l'équité conduit à condamnation de Rex Rotary à payer à Konica la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Déboute Rex Rotary de ses demandes, La condamne à payer à Konica Minolta Business Solutions la somme de 10 000 euro de dommages intérêts et celle de 3 000 euro pour procédure abusive ainsi que celle de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne aux dépens, Admet la SCP Fievet-Lafon, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.