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Décisions

ADLC, 12 mai 2011, n° 11-MC-01

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la demande de mesures conservatoires présentée par les sociétés Kiala France et Kiala SA dans le secteur de la livraison de colis

ADLC n° 11-MC-01

12 mai 2011

L'Autorité de la concurrence (section V),

Vu la lettre enregistrée le 27 septembre 2010, sous le numéro 10/0088 F, par laquelle le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre sur le marché de la livraison de colis aux consommateurs et plus particulièrement en points de retrait ; Vu la lettre enregistrée le 28 octobre 2010, sous le numéro 10/0097 F, par laquelle les sociétés Kiala France et Kiala SA ont saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le groupe La Poste sur le marché de la livraison de colis ; Vu la décision du 17 novembre 2010 du rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence de joindre l'instruction des affaires n° 10/0088 F et 10/0097 F ; Vu la lettre enregistrée le 13 janvier 2011, sous le numéro 11/0004 M, par laquelle les sociétés Kiala France et Kiala SA ont sollicité, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, le prononcé de mesures conservatoires ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu l'avis n° 2011-0195 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 8 mars 2011 rendu sur le fondement des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Kiala France et Kiala SA, Mondial Relay et le groupe La Poste ; Vu les décisions de secret des affaires n° 11-DSA-19, n° 11-DSA-20, n° 11-DSA-21, n° 11-DSA-23 du 27 janvier 2011 ; n° 11-DSA-49 et n° 11-DSA-50 du 4 février 2011, n° 11-DSA-53 du 7 février 2011 ; n° 11-DECR-01, n° 11-DECR-02 du 9 février 2011 ; n° 11-DSA-57 du 17 février 2011 ; n° 11-DSA-62 du 23 février 2011, n° 11-DSA-64, n° 11-DSA-65, n° 11-DSA-66, n° 11-DSADEC-05 du 24 février 2011 ; n° 11-DSA-69 du 28 février 2011, n° 11-DSA-80 du 4 mars 2011 ; n° 11-DEC-14 du 9 mars 2011 ; n° 11-DSA-84 du 10 mars 2011 ; n° 11-DSA-91 du 23 mars 2011 ; n° 11-DSA-94, n° 11-DSADEC-06 du 24 mars 2011 ; n° 11-DSA-96 du 29 mars 2011 ; n° 11-DSA-98 et n° 11-DECR-03 du 30 mars 2011 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Kiala France et Kiala SA, de la société Mondial Relay et du groupe La Poste entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 5 avril 2011 ;

Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 27 septembre 2010, sous le numéro 10/0088 F, le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés La Poste et Mondial Relay dans le secteur de la livraison de colis aux consommateurs, notamment en points de retrait. C'est la première fois que le ministre utilise la faculté qui lui est offerte par l'article L. 462-5 du Code de commerce, issue de sa rédaction de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, de saisir l'Autorité " de faits susceptibles " de constituer une pratique anticoncurrentielle.

2. Par lettre enregistrée le 28 octobre 2010, sous le numéro 10/0097 F, les sociétés Kiala France et Kiala SA (ci-après, ensemble, " Kiala ") ont saisi l'Autorité de pratiques mises en œuvre par La Poste dans le même secteur.

3. Par décision du 17 novembre 2010 du rapporteur général adjoint, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure.

4. Par lettre enregistrée le 13 janvier 2011, sous le numéro 11/0004 M, Kiala a sollicité, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, accessoirement à sa saisine au fond, le prononcé de mesures conservatoires.

5. Consultée sur le fondement des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après " Arcep ") a rendu son avis n° 2011-0195, le 8 mars 2011.

B. LE SECTEUR CONCERNÉ

1. RAPPEL DU CADRE JURIDIQUE RÉGISSANT L'OUVERTURE DU SECTEUR POSTAL À LA CONCURRENCE

6. Autrefois monopole public en France et considéré comme un service d'intérêt économique général au sein de l'Union européenne, le secteur des services postaux fait l'objet depuis plusieurs années d'une ouverture à la concurrence dans le but, d'une part, de parachever la réalisation du marché unique des services postaux et, d'autre part, de garantir un service universel postal de qualité dans le cadre du programme de Lisbonne (2).

7. Cette ouverture progressive à la concurrence s'effectue sur la base du cadre réglementaire défini par les directives postales du Parlement européen et du Conseil, à savoir la directive 97-67-CE, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service (JOUE 1998, L 15, p. 14), modifiée par les directives 2002-39-CE du 10 juin 2002 (JOUE 2002, L 176, p. 21), et 2008-6-CE du 20 février 2008 (JOUE 2008, L 52, p. 3), en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté (ci-après, ensemble, la " directive 97-67 modifiée ").

8. Conformément à la directive 2008-06-CE du 20 février 2008 précitée, le marché des services postaux est totalement ouvert à la concurrence depuis le 31 décembre 2010, date de l'échéance fixée pour la transposition de la directive 97-67 modifiée en droit national, notamment en France, qui a bénéficié d'un délai supplémentaire d'une année pour opérer cette transposition.

9. Les dispositions de la directive 97-67 modifiée ont été transposées en France, en dernier lieu, par la loi n° 2010-123, du 9 février 2010, relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales (JORF n°34, p. 2321).

10. Selon la directive 97-67 modifiée, les services postaux consistent en la levée, le tri, l'acheminement et la distribution des envois postaux.

11. La directive prévoit l'obligation pour les États membres de supprimer tous les domaines dits " réservés ", c'est-à-dire les prestations de services qui jusqu'alors étaient confiées à titre exclusif aux prestataires du service universel et, partant, exclues du champ de la libre concurrence.

12. Les États membres conservent néanmoins la faculté de désigner un ou plusieurs prestataires du service universel. Les prestataires de services postaux ainsi désignés, qu'ils soient publics ou privés, sont chargés d'assurer la totalité ou une partie du service universel postal dans un État membre qui correspond à " une offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs " (3). En particulier, la directive 97-67 modifiée précise que " les prix sont orientés sur les coûts et fournissent des incitations à une prestation efficace du service universel " et permet, lorsque des raisons liées à l'intérêt public l'imposent, d'appliquer un tarif uniforme sur l'ensemble du territoire national ou au courrier transfrontière (4).

13. À ce titre, en France, l'article L. 2 du Code des postes et des communications électroniques (ci-après le " CPCE ") désigne La Poste en tant que seul prestataire du service universel postal pour une durée de quinze ans à compter du 1er janvier 2011.

14. Les conditions du service universel sont fixées par la directive 97-67 modifiée. Elles imposent notamment que la densité de points de contact et d'accès tienne compte des besoins des utilisateurs et que le service soit garanti au moins cinq jours ouvrables par semaine sauf circonstances exceptionnelles et comprenne au minimum une levée et une distribution au domicile de chaque destinataire ou, par dérogation, dans des installations appropriées (5).

15. Ces conditions concernent également les prestations qui doivent, au minimum, être fournies par le ou les prestataires désignés (6). Ainsi, transposant les dispositions de la directive 97-67 modifiée, l'article L. 1 du CPCE précise que le service universel postal comprend " des offres de services nationaux et transfrontières d'envois postaux d'un poids inférieur ou égal à 2 kilogrammes, de colis postaux jusqu'à 20 kilogrammes, d'envois recommandés et d'envois à valeur déclarée ".

16. Du fait de la complète ouverture à la concurrence du secteur postal, les prestations en question peuvent désormais être assurées également par d'autres opérateurs postaux, sous réserve de l'obtention d'une autorisation délivrée par l'Arcep (7). Afin de permettre au prestataire du service universel d'assumer ses obligations particulières, qui concourent à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire (8), et conformément à la directive 97-67 modifiée (9), le CPCE prévoit que les prestataires de services postaux contribuent à un fonds destiné à compenser les coûts nets liés aux obligations de service universel, au prorata du nombre d'envois postaux qu'ils acheminent dans le champ du service universel (10).

17. Le coût net du service universel (11), et donc le montant de la compensation versée au prestataire assurant ce service, est déterminé sur la base d'une comptabilité analytique que ce prestataire doit tenir, conformément à ce que prévoit la directive 97-67 modifiée. Cette comptabilité doit permettre d'établir une nette distinction entre, d'une part, les services et produits qui relèvent du service universel et, d'autre part, ceux qui n'en font pas partie. Elle est vérifiée par un organe compétent indépendant du prestataire (12).

18. À cet égard, le CPCE précise que l'Arcep reçoit communication des résultats des vérifications des commissaires aux comptes et rend publics les conclusions de l'audit (13) ainsi que le coût net du service universel (14).

19. Quant aux dispositions applicables aux services d'envois de colis postaux pesant au plus 20 kg, en envoi ordinaire ou recommandé, il découle des dispositions du CPCE qu'ils ne relèvent du champ du service universel que dans la mesure où ils sont offerts au public à l'unité. En effet, l'article R. 1, d), du CPCE précise qu'en sont exclus les services d'envois offerts à des entreprises en exécution de contrats portant sur plusieurs envois.

20. Partant, dans le cadre des contrats de cette nature, les envois de colis réalisés par des entreprises de livraison, pour le compte d'entreprises et à destination des particuliers personnes physiques, ne relèvent pas du champ du service universel. Outre que ces envois peuvent être effectués par tout opérateur sans autorisation préalable de l'Arcep, il n'existe à leur égard aucune obligation de financement du fonds de compensation du service universel postal. En conséquence, les tarifs appliqués à ces envois par les différents opérateurs, notamment par le prestataire du service universel, ne sont pas soumis à l'avis consultatif préalable de l'Arcep (15).

2. LE SECTEUR DE LA LIVRAISON DE COLIS AUX PARTICULIERS

21. La présente affaire concerne le secteur de la livraison de colis d'entreprise à particulier (en anglais " business to consumer ", ci-après " B2C "). L'essentiel des flux de livraison de colis " B2C " est généré par les entreprises de vente à distance, notamment les sites de vente par Internet (ou " e-commerçants ") qui connaissent depuis les années 2000 un succès important. La Fédération du e-commerce et de la vente à distance (ci-après la " FEVAD ") estime ainsi à 300 millions le nombre de colis expédiés en 2009 par ces entreprises.

22. La livraison de colis repose sur un processus de plusieurs étapes : la collecte chez l'entreprise (ou " client-chargeur ") ou le dépôt par le client, le tri, l'acheminement (en principe, dans le cadre d'une desserte quotidienne) et la remise ou la distribution au destinataire. Selon les cas, l'une ou plusieurs de ces étapes peut être confiée à un prestataire extérieur, comme l'acheminement qui peut être accompli par une ou plusieurs entreprises de transport.

a) La livraison à domicile comme mode traditionnel de remise de colis

23. La livraison à domicile est le mode traditionnel de remise de colis aux consommateurs. Ce mode de livraison est le premier à être apparu sur le marché français et les consommateurs y sont habitués. Encore aujourd'hui, environ 80 % des colis expédiés par les entreprises de vente à distance le sont au domicile des consommateurs (16).

24. En sa qualité d'opérateur public et compte tenu de son activité historique de livraison de courrier, La Poste était et reste le prestataire privilégié des entreprises de vente à distance pour l'acheminement de leurs colis vers le domicile des consommateurs. Elle est la seule à pouvoir offrir une prestation de livraison de colis aux domiciles des consommateurs assise sur une tournée quotidienne de ses facteurs, sur l'ensemble du territoire français. L'ouverture progressive du secteur à la concurrence a cependant favorisé l'émergence de nouveaux opérateurs, comme Adrexo, opérateur postal spécialisé dans la distribution d'imprimés publicitaires et de livraison de colis.

25. Si la livraison à domicile reste un service important pour les consommateurs, de nouveaux modes de livraison de colis sont néanmoins apparus ces dernières années. Il en est ainsi de la livraison en points de retrait et la remise en consigne.

b) La livraison en points de retrait

Généralités

26. Développée par Sogep (en 1983) et Mondial Relay (en 1993), la livraison de colis en points de retrait consiste à acheminer le colis vers un commerce de proximité auprès duquel le destinataire viendra le récupérer, le commerçant se chargeant alors de le lui remettre, tout en étant rémunéré par le prestataire de livraison pour cette activité. Ce mode de livraison inclut en complément de cet acheminement " aller ", un acheminement " retour " qui permet au consommateur de renvoyer si besoin son colis au client-chargeur (produit non conforme...).

27. Sogep et Mondial Relay sont les filiales respectives des groupes de vente par correspondance Redcats (La Redoute) et 3 Suisses International (ci-après " 3SI "). Ces deux groupes avaient à l'époque souhaité disposer d'une solution de livraison alternative en cas de mouvements sociaux à La Poste.

28. Sogep (Relais Colis) et Mondial Relay (Point Relais) exploitent et animent chacune un réseau de points de retrait comprenant environ 4 000 commerces répartis sur l'ensemble du territoire national.

29. A l'origine, ces réseaux n'étaient destinés qu'à acheminer les colis provenant de leurs propres clients internes. Mais, depuis la fin des années 1990, Sogep et Mondial Relay proposent aux tiers une offre de livraison de colis en points de retrait " B2C ". Ainsi, en 2003, Mondial Relay a noué un partenariat avec la société Kiala qui s'est spécialisée dans la mise en place de ce mode de livraison pour les entreprises de vente par Internet (cf. §§ 79-90).

30. Si l'activité de livraison en points de retrait n'est pas nouvelle à proprement parler, elle connaît depuis les années 2000 un fort développement lié à l'essor de la vente par Internet. A cet égard, les données publiées par la FEVAD montrent que la vente à distance connaît actuellement une croissance à deux chiffres (+ 17 % en 2009). Par ailleurs, la part des ventes réalisées par Internet a augmenté de manière régulière depuis les quatre dernières années pour atteindre 82 % des ventes à distance de biens et de services en 2009. L'intérêt des entreprises de vente en ligne ou " clients-chargeurs " d'avoir recours à une offre de livraison en points de retrait réside en la possibilité d'offrir une meilleure qualité de services à leur clientèle en lui proposant une solution de livraison supplémentaire et, donc, d'augmenter, de facto, leurs ventes. Selon La Poste, la livraison en points de retrait répond à une évolution des modes de vie des consommateurs, " plus mobiles et donc moins souvent présents à leur domicile pour réceptionner leurs colis " (17) et moins disposés à patienter dans les bureaux de poste pour la remise de leurs colis (18).

31. La part de colis livrés en points de retrait par rapport à ceux livrés à domicile est donc elle aussi en augmentation régulière. Elle atteindrait aujourd'hui un pourcentage compris entre 15 % et 20 % des colis livrés des entreprises vers les particuliers, soit environ 50 millions de colis par an, dont 20 millions pour des entreprises de e-commerce, auxquels s'ajoutent les 30 millions traités par Sogep et Mondial Relay, en autoproduction, pour les enseignes de leur groupe respectif. Les entreprises présentes dans ce secteur d'activité ont elles aussi vu leur chiffre d'affaires progresser, notamment Kiala, dont le chiffre d'affaires a augmenté de 32 % en 2009 et de 40 % en 2010 (19).

Les caractéristiques de l'offre

32. Actuellement, l'offre des opérateurs de livraison de colis en points de retrait est organisée autour de deux grandes catégories d'opérateurs :

- d'une part, les opérateurs qui maîtrisent leur production d'un bout à l'autre de la chaîne, c'est-à-dire de la collecte du colis chez le client-chargeur (l'entreprise de vente à distance), avec lequel ils sont en relation commerciale, à sa remise au destinataire dans un point de retrait, au besoin en recourant à la sous-traitance pour une part plus ou moins importante de cette prestation, généralement pour le transport des colis et la gestion informatique des flux. C'est le cas de Sogep, de Mondial Relay et, depuis juin 2010, de La Poste, via ses filiales Exapaq et Pickup Services ;

- d'autre part, les opérateurs qui n'opèrent que sur une partie de cette chaîne de production. Il s'agit de Kiala qui propose, " facialement ", une solution complète de livraison de colis de l'entreprise vers les particuliers en points de retrait aux clients-chargeurs, avec lesquels elle a établi des relations commerciales, mais qui utilise pour la réalisation de ses prestations les moyens logistiques et de transport d'entreprises disposant d'un réseau de points de retrait tels que Mondial Relay et Presstalis (acteur de la distribution de la presse et de sa commercialisation) (20). Il s'agit également d'Altadis, qui met à la disposition de transporteurs son réseau de points de retrait " A2Pas " et laisse donc à la charge de ces derniers le soin d'établir des relations commerciales avec des clients-chargeurs et d'acheminer les colis jusqu'aux points de retrait de son réseau.

33. Une autre caractéristique de l'offre est de se structurer autour de partenariats entre opérateurs. En effet, l'activité de livraison standard de colis " B2C " repose sur la mise en place d'infrastructures logistiques, notamment de transport, constituant, pour une part significative, un coût fixe, que les entreprises présentes sur ce secteur cherchent à mutualiser, soit avec des entreprises concurrentes, soit avec des opérateurs situés sur d'autres marchés, en amont, en aval ou adjacent(s).

34. A titre d'illustration, peuvent être mentionnés les accords entre Mondial Relay et Kiala, ainsi qu'entre Kiala et Presstalis. L'accord suspendu entre La Poste et Mondial Relay en cause dans la présente affaire participe de cette même logique, Mondial Relay cherchant notamment à rentabiliser les coûts fixes associés à la gestion de son réseau de points de retrait dans un contexte de diminution des volumes de colis livrés provenant de la vente par correspondance.

Les caractéristiques de la demande

35. Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, du côté des clients-chargeurs, l'intérêt de proposer à leur clientèle une offre de livraison en points de retrait réside en la possibilité d'offrir à celle-ci une meilleure qualité de services en lui soumettant une solution de livraison supplémentaire et, donc, d'augmenter, de facto, leurs ventes ou de vendre ces services de livraison à un prix accru puisque leur variété correspond mieux aux préférences des consommateurs.

36. Si le prix des prestations constitue un élément de choix pour les clients-chargeurs, ces derniers cherchent également à proposer à leurs clients le réseau de points de retrait le plus dense. En effet, parmi les caractéristiques mises en avant par les consommateurs finaux, la proximité géographique des points de retrait apparaît comme la plus importante et donc la plus susceptible d'avoir une influence sur l'acte d'achat (cote 2520). Ainsi, l'attractivité d'un prestataire de livraison croît avec l'étendue de son réseau de points de retrait car plus un site Internet est à même de proposer un point de livraison proche du consommateur, plus la probabilité qu'il concrétise l'acte d'achat est importante.

37. Pour offrir un nombre maximum de points de retrait, les clients-chargeurs peuvent agréger plusieurs réseaux de livraison et présenter simultanément sur leur site Internet. Néanmoins, l'intérêt de procéder de la sorte paraît amoindri par plusieurs facteurs dénoncés par les sociétés Vente-privée.com et Amazon lors de leur audition (21). En effet, tout d'abord, le référencement de plusieurs réseaux n'est intéressant que si ceux-ci sont complémentaires sur le plan de la localisation géographique de leurs points de retrait. Ensuite, il ne faut pas que la présentation des différentes offres de livraison ait pour conséquence de compliquer l'acte d'achat avec le risque que le consommateur final renonce finalement à son acquisition. Enfin, dans la mesure où les tarifs appliqués par les opérateurs de livraison de colis sont généralement fonction des volumes qui leur sont confiés, soit que ces tarifs sont dégressifs en fonction des volumes, soit qu'une remise est accordée lorsque certains objectifs de volumes sont atteints, les clients-chargeurs prennent également en compte le risque d'atomisation des volumes confiés à ces différents opérateurs qu'induit une offre multiple de réseaux de points de retrait au consommateur.

c) La remise en consigne

38. Ce mode de livraison consiste à mettre à la disposition des consommateurs des consignes automatiques, disponibles 24h/24, auxquelles ils pourront venir retirer leur colis. En France, La Poste offre ce service gratuitement aux consommateurs sur inscription, sous la marque "Cityssimo".

39. Le colis mis à disposition par les entreprises de vente à distance est pris en charge par La Poste comme s'il s'agissait d'une livraison à domicile, à la différence que le destinataire ayant indiqué son numéro d'abonné "Cytissimo" comme adresse, son colis lui sera remis par ce moyen.

40. L'offre mise en place par La Poste n'a pas pour le moment connu en France un fort développement puisqu'elle se limite à une trentaine de points de consigne dans cinq villes de France (Paris, Lyon, Marseille, Lille et Nantes).

C. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. LA POSTE

41. La Poste est depuis le 23 mars 2010 une société anonyme à capitaux publics. Avec ses filiales, elle constitue le deuxième opérateur postal européen.

42. Son activité de livraison de colis est ainsi organisée :

- d'une part, Chronopost et Exapaq, filiales de Geopost, elle-même filiale de La Poste, assurent la livraison express de colis entre entreprises et de l'entreprise vers les particuliers ;

- d'autre part, Coliposte, division de La Poste, assure la livraison standard de colis de l'entreprise vers les particuliers et entre particuliers.

43. Si Chronopost et Exapaq ont lancé une offre express de livraison de colis en points de retrait (" Chrono Relais ") en s'appuyant sur le réseau A2Pas, constitué par Altadis, Coliposte n'a longtemps proposé que des services de livraison à domicile :

- le " Coliéco ", offre nationale de livraison économique de colis standard de La Poste ;

- le " Colissimo entreprise ", qui se décline lui-même en plusieurs offres (22).

44. En 2010, Coliposte a acheminé environ [200-250] millions de colis de l'entreprise vers les particuliers et [20-50] millions dans le cadre d'une livraison entre particuliers. Son chiffre d'affaire a été de [1 300-1 500] millions d'euro, dont [800-1 000] millions au titre de la livraison de l'entreprise vers les particuliers.

45. Comme indiqué ci-dessus, en 2006, Coliposte a créé une solution de livraison en consignes automatisées dénommée " Cityssimo ", disponible sur abonnement et permettant le retrait de colis 24h/24.

46. Pour compléter son offre, Coliposte a décidé en 2008 de lancer un service de livraison en points de retrait dans des commerces de proximité.

47. A cette fin, La Poste a commencé par publier, le 17 décembre 2008, un avis de marché destiné à la mise en place d'un service de mise à disposition et de dépôt de colis pour les particuliers, hors domicile dans un réseau de points de contacts de proximité, impliquant l'établissement d'un accord-cadre avec plusieurs opérateurs choisis à l'issue d'une procédure négociée avec mise en concurrence (23). A l'issue de cette procédure, La Poste a sélectionné l'une de ses filiales, Exapaq (24), qui utilisait alors le réseau de points de retrait A2Pas d'Altadis, ainsi que Mondial Relay (25).

48. Si le partenariat conclu avec Exapaq est entré en vigueur et permet d'ores et déjà à La Poste de proposer un service de livraison en points de retrait, celui convenu avec Mondial Relay a été unilatéralement suspendu par La Poste dans l'attente de la décision de l'Autorité de la concurrence (voir § 98).

49. En novembre 2009, La Poste a ensuite acquis, par le biais de sa filiale Geopost, 80 % du capital de la société Pickup Services, estimant que le système d'information développé par cette dernière et utilisé alors par le réseau de points de retrait A2Pas était facile à combiner avec celui de La Poste et que la capacité d'animation et de supervision de Pickup Services vis-à-vis du réseau A2Pas correspondait également aux attentes de Coliposte. Pickup Services a depuis constitué son propre réseau dans le courant de l'année 2010 et Exapaq utilise aujourd'hui ce réseau constitué d'environ 3 000 points de retrait, notamment dans le cadre de la mise en œuvre de l'accord conclu à la suite de la procédure de marché initiée en décembre 2008.

50. Enfin, le 24 juin 2010, La Poste a lancé une offre dénommée "So Colissimo" par laquelle elle propose aux entreprises de vente à distance par Internet d'assurer la livraison de leurs colis adressés à leurs clients particuliers selon le mode de livraison que ces derniers choisissent parmi cinq solutions différentes :

- Livraison à domicile (avec ou sans signature) ;

- Livraison à domicile sur rendez-vous, après 17 heures (26) ;

- Remise en consigne Cytissimo (27) ;

- Remise en bureau de poste ;

- Remise en point de retrait.

51. Cette offre s'accompagne d'une offre d'intégration technique selon trois niveaux possibles, appelés " Liberté ", " Flexibilité " et " Simplicité ", qui permet aux vendeurs à distance par Internet d'adapter, plus ou moins, l'offre "So Colissimo" à l'architecture de leur site. Ainsi, la solution informatique " Liberté " permet au client de La Poste d'intégrer l'offre So Colissimo d'une façon totalement personnalisée, La Poste fournissant seulement les données nécessaires à l'information du consommateur final, comme celles relatives à la géo-localisation des points de retrait. Cette solution oblige néanmoins le site à prévoir des développements informatiques significatifs. A l'inverse, la solution " Simplicité " consiste, lors du choix du mode de livraison par le consommateur final, en un simple renvoi du consommateur vers une page Internet hébergée par La Poste et mise à la disposition du vendeur à distance. Dans le cadre de cette solution, les développements informatiques se limitent à prévoir un lien renvoyant vers le site Internet dédié de La Poste.

52. L'offre "So Colissimo" est proposée à l'ensemble des sites de vente à distance par Internet à un tarif unique quel que soit le mode de livraison retenu par le consommateur final et qui est celui pratiqué par La Poste pour la livraison de colis de l'entreprise vers les particuliers à domicile. A l'instar de ses concurrents, dans le cadre de l'offre So Colissimo, La Poste facture ses clients à la prestation fournie.

53. Cette offre n'a pour le moment rencontré qu'un succès limité pour ce qui est de la livraison hors domicile, puisqu'au 8 février 2011, sur environ [5-10] millions de colis acheminés dans le cadre de So Colissimo, seulement [200 000-700 000] auraient été adressés hors domicile (cote 817). Selon La Poste, cela pourrait s'expliquer par la stratégie tarifaire qu'elle a adoptée, à savoir vendre les prestations de livraison hors domicile aux clients-chargeurs au même prix que celles de la livraison domicile alors que les coûts associés sont significativement inférieurs dans le premier cas, ainsi que par le fait que le réseau de Mondial Relay n'a pas encore pu être exploité dans le cadre de l'offre So Colissimo, et que Kiala lui livre une concurrence importante auprès des consommateurs, notamment par le biais du site Vente-Privée.com qui référence encore actuellement les prestations de livraison de Kiala.

2. KIALA SA ET KIALA FRANCE

54. Créée en 2001, Kiala SA est une société de droit belge spécialisée dans la mise en place de services de livraison de colis, principalement des entreprises vers les particuliers, de biens et de produits via des points de livraison situés chez des commerçants (buralistes, fleuristes, boulangeries, etc.).

55. Créée en 2002, Kiala France SAS est une filiale de Kiala SA. Elle est en charge des activités du groupe Kiala sur le marché français.

56. Le groupe Kiala a réalisé un chiffre d'affaires de 33,6 millions d'euro en 2009, dont [17-33] millions d'euro sur le marché français (soit plus de [50-100 %] de son chiffre d'affaires) et environ 47 millions en 2010, soit une croissance d'approximativement 40 % par rapport à 2009. Le groupe est actif en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, en France et cherche à s'implanter également au Royaume-Uni (28).

57. Kiala a acheminé, en 2010, environ [8-13] millions de colis (aller et retour), pour l'essentiel via le réseau de points de retrait mis à sa disposition par Mondial Relay.

58. Pour les besoins de son activité, Kiala a développé une technologie informatique destinée à optimiser la gestion des flux de colis et des points de retrait des réseaux qu'elle exploite.

59. En Europe, le réseau de points de retrait exploité par Kiala compte un total d'environ 7 000 " Relais Kiala ", traitant ensemble jusqu'à 136 000 colis par jour pour plus de 300 clients actifs, parmi lesquels figurent certains acteurs majeurs de la vente à distance (Rue du Commerce, C-Discount, Pixmania, Yves Rocher, Vente-Privée, Amazon, H&M, Esprit, Nespresso, Spartoo, Sarenza,...) et des télécommunications (SFR, Orange, Free...).

60. Pour le recrutement des points de livraison, Kiala s'appuie, selon les pays, soit sur un réseau de points de retrait qu'elle recrute, en signant des contrats avec les commerçants participants, développe et exploite en propre ou par l'intermédiaire d'une filiale locale, soit sur un ou plusieurs réseaux de points de retrait développés et gérés par un partenaire contractuel tiers.

61. Optant pour la seconde solution lors de son implantation en France, Kiala a développé ses activités en ayant recours au réseau de points de retrait mis en place par le groupe 3SI, à l'origine pour les besoins des enseignes de vente par correspondance du groupe, et dont la gestion est confiée à sa filiale Mondial Relay, avec laquelle Kiala a conclu un partenariat en mai 2003 (29).

62. En octobre 2009, Kiala a également conclu un partenariat analogue avec Ocyto, filiale de Presstalis.

63. En France, le réseau dont dispose Kiala par l'entremise de ces opérateurs compte actuellement environ 6 000 " Point Relais Kiala ".

3. MONDIAL RELAY

64. Mondial Relay, réseau de distribution de 3SI, livre à domicile et en points de retrait. Comme il a été indiqué, elle est, avec Sogep, l'un des initiateurs de la livraison de colis en points de retrait en France. Outre son activité sur le territoire français, Mondial Relay a développé depuis quelques années une activité similaire en Espagne et en Belgique.

65. En France, Mondial Relay dispose d'un réseau d'environ 4 300 points de retrait actifs, principalement des commerces de proximité, dénommés " Points Relais " pour les besoins de son activité de livraison de colis.

66. Initialement constituée pour acheminer les colis adressés par les enseignes du groupe 3SI, Mondial Relay propose ses services à des clients-chargeurs extérieurs à son groupe depuis 1997, au nombre de [1-10] à l'époque. En 2003, elle a néanmoins cessé cette activité lorsqu'elle a conclu un partenariat avec Kiala et permis à cette dernière d'utiliser en exclusivité son réseau de points de retrait sous la dénomination " Points Relais Kiala ". Depuis janvier 2010 et [...] (cf. §§ 84 à 89), Mondial Relay (30) a de nouveau la faculté de proposer ses services à des clients-chargeurs extérieurs au groupe 3SI.

67. Mondial Relay réalise 60 % de son chiffre d'affaires avec les enseignes du groupe 3SI. Le reste provient de Kiala et des clients-chargeurs propres à Mondial Relay.

68. En 2010, Mondial Relay a acheminé environ 40 millions de colis, dont environ [18-28] millions en points de retrait (environ [10-15] millions pour les enseignes du groupe 3SI ou ses clients extérieurs et environ [8-13] millions pour Kiala). Elle a également effectué environ [0,5-1,9] million de livraisons à domicile et remis, après les avoir collectés et triés, environ [10-20] millions de colis à La Poste aux fins d'une livraison à domicile.

69. Depuis le début de l'année 2011, Mondial Relay propose également une offre de livraison de colis C2C (" C pour toi ").

4. LES AUTRES OPÉRATEURS

a) Sogep

70. Filiale du groupe Redcats, appartenant au groupe PPR, Sogep assure la distribution de colis, en livraison à domicile ainsi qu'en points de retrait. Pour les besoins de cette dernière, Sogep dispose d'un réseau de [3000-4000] commerces de proximité dénommés " Relais Colis ".

71. Si, historiquement, Sogep intervenait uniquement pour les enseignes du groupe Redcats, comme par exemple La Redoute, elle intervient désormais, depuis environ deux ans, pour des clients-chargeurs extérieurs et notamment des sites de vente à distance par Internet.

72. Sogep n'est présente que sur le territoire français où elle a réalisé [50-150] millions d'euro de chiffre d'affaires en 2009. Elle achemine 25 millions de colis par an, essentiellement pour les enseignes du groupe Redcats (environ [50 %-100 %] ; le reste pour des enseignes de e-commerces), dont [75 %-100 %] vers les points de retrait de son réseau (le reste étant acheminé vers le domicile ou vers les magasins du groupe). Initialement active sur le segment de la livraison de colis de l'entreprise vers les particuliers, Sogep a également développé une activité de livraison de colis entre particuliers depuis début 2011 (31).

b) Altadis

73. Altadis Distribution France, qui assure notamment la distribution des commandes de tabac pour l'ensemble des 29 000 buralistes répartis sur le territoire français, a développé une activité de livraison de colis en points de retrait afin d'augmenter la fréquentation dans ses bureaux de tabac et susciter ainsi l'achat de produits qu'elle commercialise. A cette fin, elle a constitué un réseau de 3 000 buralistes participants, dénommé " A2Pas ".

74. N'offrant pas de solution de transport, Altadis met son réseau de points de retrait à la disposition de transporteurs comme Chronopost ou Geodis, afin que ces derniers y acheminent les colis confiés par leurs clients-chargeurs.

75. Si Altadis a traité 4,5 millions de colis entre octobre 2008 et septembre 2009, puis 3,8 millions entre octobre 2009 et septembre 2010, l'essentiel de ces volumes provient de Chronopost (65 % en 2008/2009 et 97 % en 2009/2010). Or, le contrat avec cette dernière arrive à échéance en juin 2011 et ne sera pas renouvelé. Le reste des volumes traités provient de Geodis et de ses filiales France Express et Ciblex (environ 3 % des volumes de colis en 2009/2010) (32).

c) Presstalis

76. Presstalis a pour principale activité la distribution de la presse en dépôt-vente et l'animation d'un réseau de 30 000 détaillants.

77. Active sur le secteur de la livraison de colis en points de retrait par l'intermédiaire de sa filiale Ocyto, qui a conclu un partenariat avec Kiala, le 30 octobre 2009, Presstalis met ses moyens à la disposition de sa filiale et achemine notamment les colis jusqu'aux dépositaires de presse indépendants qui ont accepté de prendre part à cette activité ainsi qu'aux dépositaires qu'elle contrôle. Chaque dépositaire concerné délivre alors les colis aux points de retrait situés dans son secteur géographique, c'est-à-dire aux détaillants-vendeurs de presse ayant choisi d'être affiliés au réseau.

78. Le réseau constitué par Presstalis compte actuellement environ [1 400-1 700] points de retrait. Dans le cadre du partenariat avec Kiala, Presstalis s'était engagée à constituer un réseau de [2 800-3 400] points de retrait à échéance [de 2010]. Ne pouvant atteindre cet objectif, Presstalis s'est désormais engagé à y parvenir [en 2011], avec un objectif intermédiaire de [1 700-2 800] points de retrait [en 2011]. En 2010, sa première année d'activité, Presstalis a traité [200 000-700 000] colis (33).

5. HISTORIQUE DES RELATIONS CONTRACTUELLES ENTRE KIALA, MONDIAL RELAY ET LA POSTE

a) Le partenariat entre Kiala et Mondial Relay

Les accords de mai 2003

79. En mai 2003, Mondial Relay et Kiala ont conclu un partenariat d'une durée initiale de cinq ans, renouvelable deux fois par tacite reconduction, sous la forme d'un contrat de fourniture de services et d'un contrat de licence d'utilisation de logiciel informatique. Ces contrats sont entrés en vigueur le 1er janvier 2004.

80. Aux termes de leur partenariat, Mondial Relay s'engageait à mettre ses points de retrait à la disposition de Kiala (à l'époque environ 3 500 commerces de proximité indépendants) ainsi que sa capacité d'acheminement terminal des colis, à savoir leur transport depuis les 23 agences régionales de Mondial Relay jusqu'aux points de retrait, tant pour les flux allers que pour les flux retours.

81. Kiala, pour sa part, apportait à Mondial Relay son nouveau modèle de gestion d'un réseau de points de retrait, en se fondant en particulier sur sa plateforme technologique permettant d'automatiser les processus de gestion des colis, y compris pour les propres flux de colis de Mondial Relay. Afin de mieux servir les clients situés pour beaucoup en région parisienne, Kiala a, par ailleurs, créé une infrastructure logistique, comprenant un centre de tri de colis national en région parisienne, et des capacités de transport depuis ce centre de tri vers les 23 agences régionales de Mondial Relay.

82. Kiala s'engageait également à confier à Mondial Relay un volume minimum de [2-4] millions de colis par an pendant toute la durée du partenariat et à mettre à la disposition de Mondial Relay sa force de vente commerciale puisqu'en vertu du contrat de prestation de services, Mondial Relay ne pouvait pas vendre la solution de livraison en points de retrait directement sur le marché, sauf aux sociétés des groupes Otto et 3SI ainsi qu'à certains clients-chargeurs déjà en relation avec elle, et ce pendant toute la durée de l'accord, soit 15 ans.

83. Pour sa part, Kiala s'engageait, pour une durée initiale de cinq ans, à confier tous ses colis exclusivement au réseau Mondial Relay.

84. Ainsi, en vertu de leur accord, Kiala demeurait seule interlocutrice des clients-chargeurs (e-commerçants) tandis que Mondial Relay demeurait l'interlocuteur des points de retrait, qui opéraient tous alors sous la dénomination " Point Relais Kiala ".

La fin des relations contractuelles

85. Il ressort des éléments du dossier que les relations contractuelles entre Kiala et Mondial Relay ont été marquées par de nombreux différends.

86. Ainsi, le 14 décembre 2007, Kiala a notifié à Mondial Relay son intention de mettre un terme à l'exclusivité qui la liait, avec effet au 3l décembre 2008, et partant de livrer une partie de ses colis par le biais d'un autre opérateur de livraison de colis en points de retrait. A cette époque, alors que cette possibilité lui été offerte, Mondial Relay n'a pas exercé son droit de résiliation de leurs accords.

87. Le 30 octobre 2009, Kiala a conclu un contrat avec Ocyto, filiale de Presstalis, ayant pour objet le recrutement, l'animation et la gestion d'un réseau de points de retrait ([entre 1 400 et 3 500] points de retrait) ainsi que la mutualisation du transport des colis avec les articles de presse transportés par Presstalis depuis les dépôts régionaux de cette dernière jusqu'aux points de retrait individuels ainsi recrutés.

88. Le 10 décembre 2009, Mondial Relay a mis en demeure Kiala de mettre un terme à son partenariat avec Ocyto, estimant que celui-ci méconnaissait l'exclusivité dont elle bénéficiait aux termes du contrat de fourniture de services qu'elles avaient conclu en 2003. Dans le cas contraire, Mondial Relay annonçait son intention de résilier les contrats signés avec Kiala.

89. Kiala a alors assigné Mondial Relay en référé devant le Président du tribunal de commerce de Paris, afin de faire prononcer la suspension de la résiliation de leur partenariat.

90. [Paragraphe couvert pas le secret des affaires décrivant la façon dont Mondial Relay et Kiala ont mis fin à leurs différends].

b) L'accord entre La Poste et Mondial Relay

L'appel d'offres du 17 décembre 2008

91. Le 17 décembre 2008, La Poste a publié un avis de marché ayant pour objet " la mise en place d'un service de mise à disposition et de dépôt de colis pour les particuliers, hors domicile, dans un réseau de points de contacts de proximité " (cotes 327 à 334) et proposait un contrat d'une durée de trois ans.

92. Dans cet avis, La Poste donnait, à titre indicatif, les estimations de volumes suivantes :

- année 1 : 1,8 million de colis,

- année 2 : 5 millions de colis,

- années suivantes : jusqu'à 12 millions de colis.

93. Plusieurs entreprises ont répondu à l'appel d'offres lancé par La Poste, parmi lesquelles Kiala et Mondial Relay, qui se sont chacune portée candidate.

94. A l'issue de la procédure de mise en concurrence, La Poste a sélectionné sa filiale Exapaq qui utilisait alors le réseau de points de retrait A2Pas ainsi que Mondial Relay (cotes 327 à 334). Le 25 septembre 2009, La Poste a publié un avis d'attribution par lequel elle a porté ses deux choix à la connaissance du public.

L'accord avec Mondial Relay

95. Le 25 juin 2009, Mondial Relay a signé, pour sa part, le projet d'accord négocié avec La Poste (34).

96. Ce contrat précise les conditions dans lesquelles Mondial Relay assure un service de mise à disposition et de dépôt de colis pour les particuliers, en mettant en œuvre les moyens physiques et techniques ainsi que tous les services nécessaires pour en assurer la complète réalisation sous sa propre responsabilité (article 2).

97. Les caractéristiques de ce contrat sont les suivantes :

- il ne confère pas d'exclusivité à La Poste (article 2) ;

- il est conclu pour une durée de 36 mois, renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de 12 mois dans la limite de deux fois (donc, 5 ans au maximum), et est résiliable avec un préavis d'au moins 6 mois avant la fin de la période en cours (article 4) ;

- dans le cadre de la mise à disposition de colis, Mondial Relay s'engage, en cas de remise en plate-forme centralisée ou en plates-formes régionales, à prendre en charge les colis qui lui sont confiés par La Poste sur les points d'injection précisés au contrat, à trier ces colis par point de contact à livrer, à livrer ces colis dans le point de contact indiqué sur le colis et à mettre à disposition le colis et à le remettre contre signature au destinataire ou à son mandataire se présentant dans le point de contact et, en cas de remise directe dans les points de contact, uniquement à mettre à disposition le colis et le remettre contre signature au destinataire ou à son mandataire, se présentant dans le point de contact (article 5) ;

- Mondial Relay s'engage à réaliser ses prestations dans un délai de 15 jours à compter de la réception d'une lettre de La Poste l'informant du choix d'un client expéditeur d'intégrer dans son offre le réseau de points de contact de Mondial Relay. En cas de retard dans l'exécution des prestations, Mondial Relay encourt des pénalités prévues au contrat (article 6) ;

- si pour quelque motif Mondial Relay se trouvait dans l'impossibilité matérielle d'assurer tout ou partie des prestations, elle serait tenue d'avertir immédiatement La Poste. Dans cette hypothèse, La Poste pourra réaliser elle-même les prestations ou les faire exécuter par un autre partenaire de son choix. Dans ce cas, Mondial Relay sera dans l'obligation de prendre en charge la différence de tarifs entre cette prestation négociée en urgence et le prix négocié figurant au contrat (articles 7 et 8) ;

- en cas de retard ou de mauvaise exécution des prestations, Mondial Relay sera tenu de verser des pénalités (article 14) ;

- le cahier des charges établi aux fins du contrat précise les volumes prévisionnels, notamment en cas de remise de colis. Ces volumes prévisionnels sont conformes au projet initial et à répartir entre les deux prestataires sélectionnés (à savoir Mondial Relay et Exapaq), soit (annexe 1, cahier des charges, article 3) :

année 1 : 1,8 million de colis (avec une progression jusqu'à un volume moyen de 275 000 colis par mois en fin d'année),

année 2 : 5 millions de colis,

années suivantes : montée en charge jusqu'à 12 millions de colis ;

- Mondial Relay s'est engagée sur sa capacité de traitement, notamment pour la distribution de colis au niveau national (annexe 4) :

année 1 : 20 millions de colis,

année 2 : 30 millions de colis,

années suivantes : 40 millions de colis.

La suspension par La Poste de la signature de l'accord avec Mondial Relay

98. Par lettre du 12 janvier 2011 (35) adressée à la ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, ainsi qu'en copie au Président de l'Autorité de la concurrence, le Président directeur général de La Poste a indiqué que " La Poste a décidé de suspendre la signature du contrat avec Mondial Relay jusqu'à ce que l'Autorité de la concurrence ait statué. Elle n'entend, en effet, mettre en œuvre cet accord que si des conditions suffisantes de sécurité tant juridiques que commerciales et techniques sont réunies " (36).

D. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

99. Dans le cadre de sa saisine au fond, Kiala dénonce principalement cinq types de pratiques qui seraient, selon elle, contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE ainsi que, pour l'une d'entre elles, aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE. Ces pratiques sont exposées ci-après.

1. LES PRIX PRÉDATEURS

100. Kiala fait valoir que La Poste mettrait en œuvre une pratique de prix prédateurs, en offrant des prix de vente pour la livraison de colis inférieurs à ses coûts incrémentaux. En particulier, Kiala considère que Coliposte ne supporterait pas ou ne supporterait qu'insuffisamment certains coûts fixes, parmi lesquels : une quote-part des déficits annuels qu'a engendrés l'activité de colis à compter de l'année 2000, une quote-part du coût commun de l'intégralité du réseau postal ainsi que le coût des tournées de postiers dès lors qu'une partie de leur temps est affectée à la livraison de colis, une quote-part du coût d'acquisition et de renouvellement des parcs automobiles, une quote-part des coûts de rénovation du réseau des bureaux de poste, les 250 millions d'euro que le groupe La Poste indique avoir investis pour créer six plateformes industrielles pouvant traiter chacune 40 millions de colis et 70 centres de distribution, les budgets publicitaires de 100 000 euro que le groupe La Poste distribue aux clients afin qu'ils fassent la promotion de l'offre So Colissimo sur leurs sites Internet, l'ensemble des frais liés à la campagne promotionnelle de lancement de l'offre "So Colissimo" et enfin, le coût d'acquisition de Pickup Services et l'intégralité des coûts de fonctionnement de cette filiale. Selon Kiala, si les tarifs pratiqués par La Poste seraient supérieurs à ceux qu'elle-même pratique, ils ne le seraient que d'environ [5 %-10 %], ce qui serait, en tout état de cause, insuffisant pour couvrir le coût incrémental engendré par la livraison de colis à domicile.

2. L'ACCÈS À L'INFRASTRUCTURE DE LIVRAISON DE LA POSTE

101. Kiala soutient que l'infrastructure de livraison terminale de La Poste, c'est-à-dire l'association de ses 17 000 points de contact, y compris les éléments matériels et humains nécessaires à la livraison de colis à domicile sur l'ensemble du territoire français, n'est pas une infrastructure reproductible par un concurrent souhaitant exercer une activité de livraison de colis. Aussi, par lettre du 18 octobre 2010, Kiala a formulé auprès de La Poste une demande d'accès à son infrastructure. Cette lettre n'aurait cependant reçu aucune réponse de la part de La Poste. Kiala estime que ce silence doit s'interpréter comme un refus d'accès à une infrastructure essentielle au sens où la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence l'a définie.

102. Kiala fait encore valoir que, depuis plusieurs années, La Poste fait bénéficier les groupes 3Suisses et La Redoute du programme " Synergie Postale " en application duquel elle les autoriserait à adresser leurs colis directement dans ses agences régionales afin de pouvoir ensuite s'appuyer sur l'infrastructure de livraison terminale de La Poste pour les livraisons à domicile. Le fait pour La Poste de refuser à Kiala l'accès à son réseau alors qu'elle le proposerait à ses plus gros clients constituerait ainsi une pratique discriminatoire, constitutive d'un abus de position dominante.

3. L'INCITATION OU LA PARTICIPATION DE LA POSTE À LA RUPTURE PAR MONDIAL RELAY DE SON CONTRAT DE PARTENARIAT AVEC KIALA

103. Kiala soutient qu'en retenant Mondial Relay à l'issue de sa procédure d'appel d'offres et en promettant de lui confier des volumes de colis au moins égaux (et probablement supérieurs) à ceux injectés par Kiala dans son réseau, alors même qu'il était averti de ce que Mondial Relay était liée par une convention d'exclusivité avec Kiala, le groupe La Poste aurait commis un abus de position dominante. En effet, selon Kiala, Mondial Relay ne pouvait trouver un intérêt à rompre le contrat la liant à Kiala que pour contracter à la place avec un opérateur ultra-dominant qui, fort de sa part de marché de 70 % à 90 % et de ses 250 millions de colis sur le marché, pouvait lui promettre des volumes de colis bien supérieurs à tous ceux qu'une autre entreprise du secteur pourrait lui garantir.

104. Le calendrier des évènements illustrerait le lien particulièrement évident existant entre l'accord entre La Poste et Mondial Relay et la rupture par Mondial Relay de ses relations avec Kiala. A cet égard, cette dernière précise que :

- en mai 2003, Mondial Relay et Kiala ont signé un accord de partenariat de 15 ans ;

- le 14 décembre 2007, Kiala a notifié à Mondial Relay son intention de mettre un terme à l'exclusivité qui la liait à elle, avec effet au 31 décembre 2008. Mondial Relay n'a pas alors exercé son droit de résiliation ;

- en janvier 2009, La Poste lance son appel d'offres visant " un réseau pour la mise à disposition et le dépôt de colis aux particuliers hors domicile ", s'engageant à y injecter un volume de colis estimé à 1,8 millions de colis la première année, à 5 millions de colis la deuxième et à 12 millions de colis les années suivantes ;

- dans le courant de l'été 2009, Kiala ayant appris que Mondial Relay répondait à cet appel d'offres, aurait informé les deux groupes concernés de l'impossibilité juridique d'un accord entre Mondial Relay et La Poste (Mondial Relay étant contractuellement exclusivement liée à Kiala) ;

- en septembre 2009, le groupe La Poste a publié le résultat de son appel d'offres en indiquant avoir retenu comme partenaires une filiale de son groupe, à savoir Exapaq, et Mondial Relay ;

- le 30 octobre 2009, Kiala a conclu un contrat avec Presstalis ayant pour objet le recrutement, l'animation et la gestion d'un réseau complémentaire de points de retrait. La conclusion de ce contrat intervient pratiquement deux ans après que Kiala ait signifié à Mondial Relay la fin de son exclusivité et son intention de recruter un réseau complémentaire ;

- le 10 décembre 2009, Mondial Relay a signifié à Kiala son intention de rompre immédiatement avec préavis d'un mois ses relations avec Kiala, motif pris de ce que celle-ci aurait violé leur contrat en concluant un accord avec Presstalis ;

- Kiala, contrainte d'assigner Mondial Relay en référé afin de lui faire interdire de mettre fin au partenariat, et [secret des affaires].

105. Enfin, Kiala allègue qu'une " note de cadrage " de la directrice marketing de La Poste du printemps 2008 illustrerait avec clarté le véritable plan de préemption du marché qui aurait entraîné la rupture du partenariat entre Kiala et Mondial Relay. Ainsi, dans cette note, après avoir rappelé que 15 % du nombre d'acheteurs " préfèrent le relais à tout autre mode de livraison ", La Poste détaillerait sa stratégie commerciale consistant à " s'associer potentiellement à tous les réseaux constitués " à savoir, " tous les bureaux de poste, le réseau Sogep, le réseau Mondial Relay, A2PAS (bureaux de tabac) [...]. Ainsi, l'offre n'a théoriquement pas de limite et peut atteindre potentiellement 30 000 points Relais. Le réseau Relais devient un organisme vivant qui bouge au rythme des gens " (cotes 2656 et 2657).

4. L'ACCORD ENTRE LA POSTE ET MONDIAL RELAY

106. Kiala allègue qu'en concluant un accord avec Mondial Relay, La Poste aurait également abusé de sa position dominante. En effet, ledit accord serait un accord de coopération horizontale, puisque conclu entre deux concurrents, et serait restrictif de concurrence par objet ou, à tout le moins, par effet, et insusceptible, du simple fait de la position de La Poste sur le marché, de bénéficier d'une quelconque exemption dès lors qu'il associe un opérateur ultra-dominant sur le marché en cause et l'un de ses concurrents.

107. En particulier, Kiala soutient que, si l'accord en cause ne prévoit pas de clause de non concurrence ou d'exclusivité, il comporte néanmoins une clause de quota qui immobilise la capacité du réseau de Mondial Relay, qu'elle n'utilise pas pour ses propres colis, au profit de La Poste. En outre, Kiala invoque, du fait de cet accord, un partage des coûts communs entre les deux concurrents et le transfert d'informations sensibles. Partant, ce même accord aurait un effet collusif. Par ailleurs, Kiala estime que La Poste ne pouvait pas ignorer qu'en concluant un accord avec Mondial Relay, cette dernière ne pouvait pas offrir ses capacités disponibles à deux opérateurs tiers à la fois. Aussi, Kiala souligne l'effet d'éviction de l'accord en question à son égard en alléguant à nouveau la "note de cadrage" de la directrice marketing de La Poste du printemps 2008 citée ci-dessus qui démontrerait clairement le plan de préemption du marché mis en œuvre par La Poste par la biais de son accord avec Mondial Relay.

5. LA PRATIQUE DE VENTES LIÉES

108. Kiala soutient que l'offre "So Colissimo" proposée par La Poste depuis le 24 juin 2010 constitue une offre liée contraire aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, en ce qu'elle couplerait sur les plans commercial et technique différentes modalités de livraison de colis aux particuliers qui, bien que distinctes les unes des autres, seraient proposées de façon indissociable et indissociée aux clients.

109. Ainsi, sur le plan commercial, La Poste imposerait l'achat groupé des cinq prestations. Parmi celles-ci, figureraient des services extrêmement attractifs pour lesquels La Poste serait en position dominante, à savoir la livraison à domicile et, dans certaines zones, la livraison à domicile sur rendez-vous. Selon Kiala, cette offre reviendrait à obliger les web-marchands qui souhaiteraient bénéficier de cette nouvelle modalité de livraison à intégrer une offre de livraison en point de retrait, laquelle produira nécessairement un fort effet d'éviction sur les offres des concurrents et sur celle de Kiala en particulier. Sur le plan technique, l'interface Internet que proposerait La Poste ne permettrait pas de séparer les différents modes de livraisons, qui figureraient tous sur une seule et même page web.

110. Kiala souligne que la circonstance que Kiala, comme d'autres acteurs, se soit spécialisée dans la fourniture de la seule livraison en points de retrait, montrerait que les acheteurs de ce type de service sont enclins à conserver plusieurs fournisseurs. La liaison par La Poste des différentes modalités de livraison dans un ensemble présenté comme un tout indissociable et identifié par une marque unique amplifierait donc l'effet d'éviction que Kiala et ses concurrents vont subir, alors que cet effet est déjà renforcé par la présence au sein de l'offre de La Poste de services non reproductibles comme la livraison par postier à domicile.

II. Discussion

111. Seront successivement abordées :

- la procédure,

- l'applicabilité du droit de l'Union européenne,

- l'analyse concurrentielle des pratiques dénoncées,

- la demande de mesures conservatoires.

A. SUR LA PROCÉDURE

1. SUR LA SAISINE MINISTÉRIELLE

112. Dans ses observations, Mondial Relay soutient que la saisine du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie du 27 septembre 2010 doit être rejetée sur le fondement de l'article L. 462-8 du Code de commerce pour défaut d'éléments suffisamment probants. A cet égard, elle fait valoir que le ministre n'a procédé à aucune vérification minimale de la matérialité des faits allégués par Kiala. En particulier, les faits reprochés à Mondial Relay ne seraient accompagnés d'aucun élément concret et précis sur la nature et le caractère anticoncurrentiels par objet ou par effet du contrat projeté avec La Poste.

113. Mais il y a lieu de rappeler que l'article L. 462-5 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, prévoit désormais que l'Autorité de la concurrence peut être saisie par le ministre chargé de l'économie de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 du même Code mais également de " faits susceptibles de constituer une telle pratique ". Ce dernier cas vise des situations dans lesquelles le ministre n'accompagne pas sa saisine d'un rapport d'enquête effectué par ses services, mais saisit directement l'Autorité de la concurrence de pratiques susceptibles de porter atteinte à l'ordre public économique qu'il estime devoir faire l'objet d'une instruction par les rapporteurs de l'Autorité munis de pouvoirs d'investigations en vertu du titre V du livre IV du Code de commerce.

114. En l'espèce, la saisine ministérielle du 27 septembre 2010 s'insère dans ce cadre puisqu'elle indique saisir l'Autorité de la concurrence, " de faits susceptibles de constituer des pratiques mentionnées aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, sur le marché de la livraison de colis aux consommateurs et plus particulièrement en points de retrait ". Pour être recevable, la saisine du ministre ne doit donc pas, par conséquent, être accompagnée d'un rapport d'enquête.

115. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de préciser qu'aucun texte ni principe ne font obligation à la partie saisissante d'apporter au Conseil la preuve des agissements qu'elle dénonce. En revanche, il appartient à la partie saisissante d'assortir ses déclarations " d'indices crédibles ", permettant de présumer l'existence de pratiques illicites (décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004).

116. Au cas présent, dans sa saisine, la DGCCRF explique avoir été informée par Kiala de pratiques mises en œuvre par La Poste susceptibles d'être contraires aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce. Cette saisine est accompagnée d'une note d'analyse de plusieurs pages aux termes de laquelle la DGCCRF indique s'interroger sur la conformité avec les règles de la concurrence de l'accord conclu entre La Poste et Mondial Relay. A cet égard, elle relève que La Poste occupe une place prépondérante sur le marché de la livraison de colis à destination des consommateurs et que l'accord avec Mondial Relay pourrait relever d'une volonté d'éviction de Kiala, nouvel entrant dans le secteur. Par ailleurs, sont jointes à la saisine plusieurs pièces fournies par Kiala, notamment le contrat qu'elle a conclu avec Mondial Relay.

117. La saisine repose donc sur des indices suffisamment crédibles permettant de présumer l'existence de pratiques illicites.

118. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient Mondial Relay, la saisine déposée par le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie le 27 septembre 2010 est appuyée d'éléments suffisamment probants au sens de l'article L. 462-8 précité et ne saurait donc être rejetée. En tout état de cause, il convient de relever que l'Autorité de la concurrence a par ailleurs été régulièrement saisie par Kiala des mêmes comportements dénoncés par la saisine ministérielle et que les affaires ont été jointes par décision du rapporteur général adjoint du 17 novembre 2010.

2. SUR LES DROITS DE LA DÉFENSE DE MONDIAL RELAY

119. Mondial Relay relève que la saisine et la demande de mesures conservatoires de Kiala ont été déposées alors que le Président de Kiala, M. Denis Payre était encore membre du collège de l'Autorité de la concurrence. Plusieurs actes relatifs à l'instruction du dossier ont même été effectués avant la " mise en retrait " de M. Payre. Or, cette affaire mettrait en jeu des intérêts patrimoniaux directs et personnels de M. Payre. Mondial Relay indique donc se réserver le droit d'engager toute action utile, dans la mesure où une telle confusion lui paraîtrait avoir directement affecté ses droits de la défense.

120. Mais il convient de relever que le Code de commerce, ainsi que le règlement intérieur et la charte de déontologie de l'Autorité de la concurrence prévoient un ensemble de mécanismes destinés à prévenir tout risque de conflit d'intérêt. Ainsi, le règlement intérieur prévoit que " Lors de son entrée en fonctions, tout membre signe une déclaration sur l'honneur dans laquelle il prend l'engagement solennel d'exercer ses fonctions en pleine indépendance, en toute impartialité et en conscience, ainsi que de respecter le secret des délibérations. [...] tout membre communique au Président de l'Autorité, s'il y a lieu, la liste des intérêts qu'il détient, directement ou par personne interposée, et des fonctions qu'il exerce dans une activité économique à cette date, conformément au troisième alinéa de l'article L. 461-2 du Code de commerce, ainsi que la liste des fonctions qu'il a exercées, des mandats dont il a été titulaire au sein d'une personne morale et des intérêts qu'il a détenus au cours des cinq années précédant cette date " (articles 1 à 4).

121. En l'espèce, par un communiqué de presse daté du 27 janvier 2011, publié sur le site internet de l'Autorité, il est indiqué que " M. Denis Payre a volontairement pris l'initiative d'aller au-delà de cet ensemble complet de garanties, pour des raisons d'ordre personnel, en se mettant en retrait de l'institution pendant toute la durée de traitement [des affaires concernant Kiala] ".

122. Par cette mesure de retrait, l'impartialité de la formation de décision est assurée.

123. Le moyen soulevé par Mondial Relay doit donc être rejeté.

B. SUR L'APPLICABILITÉ DU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE

124. Les comportements des entreprises sont soumis aux règles du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après " TFUE ") prohibant les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante simultanément aux règles nationales, à la condition que les pratiques incriminées soient de nature à affecter sensiblement le commerce entre les États membres.

125. La Cour de justice des Communautés européennes a jugé que, lorsque le détenteur d'une position dominante barre l'accès au marché à des concurrents, il est indifférent que ce comportement n'ait lieu que sur le territoire d'un seul État membre, dès lors qu'il est susceptible d'avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché commun (voir arrêt du 9 novembre 1981, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, " Michelin I ", 322-81, Rec. p. 3461, point 103).

126. Dans ses lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JOUE 2004, C 101, p. 81), la Commission européenne a indiqué que " [l]es entraves abusives à l'entrée qui affectent la structure concurrentielle du marché à l'intérieur d'un État membre, par exemple en éliminant ou en menaçant d'éliminer un concurrent, peuvent [...] affecter le commerce entre États membres. En principe, si l'entreprise qui risque d'être éliminée n'opère que dans un seul État membre, le comportement abusif n'affectera pas le commerce entre États membres. En revanche, il risque de l'affecter si l'entreprise visée exporte vers ou importe depuis d'autres États membres, et aussi si elle opère dans d'autres États membres " (point 94).

127. S'agissant des accords couvrant un seul État membre, la Commission européenne a précisé, dans ses lignes directrices précitées, que " les ententes horizontales couvrant l'ensemble d'un État membre sont normalement susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Du reste, les juridictions communautaires considèrent souvent que l'entente qui s'étend à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité [...]. En principe, ces accords peuvent également, par leur nature même, affecter sensiblement le commerce entre États membres, compte tenu de la couverture de marché requise pour assurer l'efficacité de ces ententes " (points 78 et 79).

128. Enfin, pour l'appréciation du caractère sensible de l'affectation, la Commission européenne a indiqué qu'" il faut [...] tenir compte du fait que la présence de l'entreprise dominante couvrant l'ensemble d'un État membre est susceptible de rendre la pénétration du marché plus difficile. Toute pratique abusive qui rend plus difficile l'entrée sur le marché national doit donc être considérée comme affectant sensiblement le commerce. La conjonction de la position de marché de l'entreprise dominante et de la nature anticoncurrentielle de son comportement implique que, normalement, ces abus affectent sensiblement le commerce par leur nature " (point 96).

129. En l'espèce, les pratiques dénoncées concernent le marché des activités postales qui vient de s'ouvrir entièrement à la concurrence le 1er janvier 2011 à la suite de la transposition en droit interne de la directive 97-67 modifiée. Par ailleurs, ces pratiques couvrent l'ensemble du territoire national, partie substantielle du marché communautaire, et portent principalement sur des pratiques d'éviction mises en œuvre par La Poste, qui occupe sur le marché français de la livraison de colis d'entreprise à particulier une position prééminente. Ces pratiques viseraient plus particulièrement à exclure du marché l'opérateur belge Kiala qui offre des services de livraison de colis en points de retrait. De telles pratiques, si elles étaient avérées seraient donc de nature à modifier la structure de la concurrence sur le marché français de la livraison de colis d'entreprise à particulier. Plus généralement, elles seraient susceptibles d'élever des barrières à l'entrée à l'égard de tout opérateur concurrent, notamment ceux implantés dans les autres États membres de l'Union européenne.

130. Par ailleurs, il convient de relever que Kiala opère dans d'autres États membres de l'Union européenne et que sa part d'activité sur le marché français est prépondérante. Les pratiques concernées sont donc également susceptibles d'avoir des répercussions sur la structure de la concurrence existant sur les autres marchés européens de la livraison de colis d'entreprise à particulier.

131. Au surplus, doit être prise en compte la circonstance que les services de livraison de colis en points de retrait s'adressent aux entreprises pratiquant la vente à distance, en particulier par Internet. Or, certaines de ces entreprises opèrent sur le territoire français depuis d'autres État membres de l'Union européenne, comme le groupe Amazon qui est implanté au Luxembourg (cote 4263), de sorte que les pratiques dénoncées sont également susceptibles d'affecter indirectement l'activité de ces entreprises et, partant, le commerce entre États membres.

132. A ce stade de l'instruction, et sous réserve d'un examen au fond, les pratiques alléguées sont donc susceptibles d'affecter de manière sensible le commerce entre États membres et d'être qualifiées au regard des articles 101 et 102 du TFUE, ce que les parties ne contestent pas en l'espèce.

C. SUR L'ANALYSE CONCURRENTIELLE DES PRATIQUES DÉNONCÉES

133. L'article R. 464-1 du Code de commerce énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond de l'Autorité de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Partant, une demande de mesures conservatoires ne peut être examinée que pour autant que la saisine au fond est recevable et n'est pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

134. Dans un arrêt du 8 novembre 2005, la Cour de cassation a précisé que des mesures conservatoires peuvent être décidées " dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce ".

135. Il convient donc d'examiner si, à ce stade de l'instruction, les pratiques dénoncées par Kiala sont susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles. Dans ce cadre, seront successivement abordées :

- la définition du marché pertinent,

- la position de La Poste et des autres opérateurs sur le marché en cause,

- l'analyse des pratiques au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101, paragraphe 1, et 102 du TFUE.

1. SUR LA DÉFINITION DU MARCHÉ PERTINENT

136. L'Autorité de la concurrence a rappelé récemment, notamment dans sa décision n° 10-D-17 du 25 mai 2010 que " se situent sur un même marché les produits et services dont on peut raisonnablement penser que les acheteurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. Dans son rapport annuel pour 2001, le Conseil de la concurrence a précisé que la substituabilité entre différents biens ou services du point de vue de la demande constitue le critère déterminant pour la délimitation du marché pertinent ".

137. Le marché géographique, quant à lui, comprend le territoire sur lequel les entreprises sont engagées dans l'offre et la demande en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont homogènes.

a) Sur le marché de services

Sur le marché de la livraison standard de colis d'entreprise à particulier (" business to consumer " (37) ou " B2C ")

138. Dans sa décision n° 04-D-65, du 30 novembre 2004, relative à des pratiques mises en œuvre par La Poste dans le cadre de son contrat commercial, le Conseil de la concurrence a indiqué que " [l]e secteur du colis est traditionnellement segmenté selon les catégories d'envois : les monocolis, qui sont des colis de 0 à 30 kg traités individuellement, et les expéditions, pour lesquelles les envois sont traités par lots. L'acheminement en express est traditionnellement considéré comme un critère de segmentation car il exige des compétences spécifiques ". En outre, le Conseil a retenu que " [l]e marché du monocolis [...] serait lui-même segmenté en trois sous-marchés ", à savoir les envois inter-entreprises (" B2B "), les envois des entreprises vers les consommateurs (" B2C ") et les envois entre les consommateurs (" C2C ") (38).

139. En ce sens également, la Commission européenne a déjà considéré que la livraison de colis standard, par opposition à l'express, doit être segmentée selon que les services en cause s'adressent aux particuliers (" C2X ") ou aux entreprises (" B2X "). Au surplus, elle a estimé que la livraison de colis vers les entreprises (" B2B ") et celle destinée aux particuliers (" B2C ") constituaient des marchés distincts (décision du 21 avril 2009, Posten/Post Danmark, M.5152, point 63).

140. Si les parties ne remettent pas en cause cette définition du marché par les autorités de concurrence nationale et européenne, La Poste soutient néanmoins dans ses observations, que le marché de la livraison standard de colis d'entreprise à particuliers (" B2C ") devrait être segmenté en deux sous-marchés distincts comprenant, d'une part, le marché de la livraison à domicile, et d'autre part, celui de la livraison en points de retrait, qui serait le seul marché concerné par les pratiques.

Sur l'éventuelle segmentation en deux sous-marchés distincts : livraison de colis à domicile et livraison de colis en points de retrait

141. A l'appui de sa thèse, La Poste invoque tout d'abord la décision de l'Autorité de surveillance de l'Association européenne de libre-échange (AELE), du 14 juillet 2010, dans laquelle celle-ci aurait conclu que, sur le marché norvégien, la livraison de colis " B2C " en points de retrait et la livraison de colis " B2C " à domicile relevaient de deux marchés distincts (39). La Poste souligne ensuite que les clients-chargeurs, surtout les plus importants d'entre eux, référencent systématiquement à la fois une offre de livraison à domicile et une offre de livraison en points de retrait, aucun site de vente en ligne ne proposant que de la livraison en points de retrait. Par ailleurs, il existerait d'importants écarts de prix entre les deux modes de livraison, la livraison en points de retrait étant vendue aux sites de vente en ligne à un prix nettement inférieur à celui de la livraison de colis à domicile. Enfin, il existerait des différences importantes entre les coûts de chaque offre et leurs schémas logistiques, ce qui serait de nature à rendre une substitution de l'offre très improbable.

142. A titre liminaire, il est à noter que, si dans sa précédente décision n° 04-D-65, précitée, le Conseil de la concurrence n'a pas eu à répondre à la question de l'existence d'une éventuelle segmentation du marché de la livraison de colis " B2C " entre, d'une part, la livraison à domicile et, d'autre part, la livraison en points de retrait, il a néanmoins retenu que " [l]es principaux concurrents de LA POSTE sont des sociétés de VPC, comme La Redoute avec la SOGEP, les 3 Suisses avec Mondial Relay, et Yves Rocher avec Distrihome, qui ont développé des structures intégrées d'acheminement et de distribution via des points relais constitués par des commerces [...] ".

143. Par ailleurs, plusieurs éléments conduisent à établir que la substituabilité entre livraison à domicile et livraison hors domicile, incluant la livraison en points de retrait mais également tout autre mode de livraison hors domicile (consignes...), est suffisante pour considérer que ces différents modes de livraison de colis " B2C " constituent un seul et même marché pertinent.

144. Les services de livraison à domicile et hors domicile répondent tout d'abord à un besoin de nature identique, tant du point de vue des consommateurs finaux que de celui des clients-chargeurs. Ils sont également commercialisés à travers un même canal de vente (les sites de vente en ligne) et ils s'adressent, en outre, au même type de clientèle. Ainsi, les données publiées par la FEVAD, pour l'année 2009, montrent que, si 87 % des acheteurs en ligne ont choisi, au moins une fois dans l'année, d'être livrés à leur domicile, 45 % d'entre eux ont également opté, au moins une fois, pour la livraison en points de retrait.

145. Par ailleurs, il paraît improbable que le développement de la livraison en points de retrait, qui représente aujourd'hui 20 % des volumes totaux des colis délivrés, soit uniquement dû au report d'une demande spécifique qui ne pourrait pas être satisfaite par les services de livraison à domicile.

146. Les arguments invoqués par La Poste pour remettre en cause cette substituabilité appellent les observations suivantes.

147. S'agissant, tout d'abord, de la décision de l'Autorité de surveillance de l'AELE invoquée par La Poste, il convient de relever que celle-ci n'est pas pertinente en l'espèce. En effet, les caractéristiques du marché postal norvégien en cause dans cette affaire apparaissent très différentes de celles du marché français. Ainsi, loin d'être le mode de livraison prédominant comme c'est le cas en France, les services de livraison à domicile n'ont été lancés sur le marché norvégien qu'en 2000 et n'ont jamais pu représenter plus de 5 % du volume des colis traités. Aussi, dans sa décision, l'Autorité de surveillance de l'AELE a estimé que, pendant la période soumise à son analyse, la prestation de services de livraison à domicile n'avait pas pu constituer une contrainte significative sur le comportement des fournisseurs de services de livraison en points de retrait sur le marché (40). Au cas d'espèce, cette décision n'est donc pas de nature à remettre en cause la pression concurrentielle qu'est susceptible d'exercer la livraison à domicile sur la livraison hors domicile.

148. En ce qui concerne ensuite l'argument lié au choix des clients-chargeurs de référencer simultanément une offre de livraison à domicile et une offre de livraison en points de retrait, cette stratégie ne saurait suffire non plus à démontrer l'absence de substituabilité du point de vue de la demande des deux types de services en cause. En effet, le référencement simultané de produits différents par des vendeurs est couramment rencontré dans le secteur de la distribution, et notamment dans les grandes surfaces alimentaires ou spécialisées, sans qu'il puisse en être déduit que les produits proposés ne sont pas substituables dès lors qu'ils satisfont un même besoin. En choisissant de référencer plusieurs services substituables, les sites de vente en ligne essaient en effet de s'adapter le mieux possible à l'hétérogénéité des préférences de ses consommateurs afin de pouvoir leur vendre ces services à un prix plus élevé.

149. S'agissant des écarts de prix constatés entre les deux modes de livraison, il y a lieu de relever que ceux portés à la connaissance de l'Autorité (41) demeurent suffisamment modérés, en termes absolus, pour que la substituabilité des deux modes de livraison continue d'être envisagée, l'ensemble de la demande, du côté des clients-chargeurs comme du côté des consommateurs finaux, étant a priori en mesure de s'acquitter des prix demandés tant pour la livraison en points de retrait que pour la livraison à domicile. Contrairement à ce qu'avance La Poste dans ses observations, une différence de prix significative ne constitue en aucun cas une application du test du monopoleur hypothétique, celui-ci s'appuyant sur une variation du prix de 5 % du produit dont le pouvoir de marché est évalué, et non sur son écart de prix avec les produits potentiellement concurrents.

150. Dans ces conditions, dès lors qu'il est constaté une substituabilité suffisante du point de vue de la demande, il n'est pas nécessaire d'examiner les différences qui existeraient entre les conditions de chaque offre de livraison invoquées par La Poste. En effet, comme la Commission européenne l'a indiqué dans sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, la demande constitue, " d'un point de vue économique [...], le facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace vis-à-vis des fournisseurs d'un produit donné, en particulier en ce qui concerne leurs décisions en matière de fixation des prix ".

151. Les arguments avancés par La Poste ne sont donc pas de nature à remettre en cause l'existence d'un marché de la livraison standard de colis " B2C " incluant la livraison à domicile et la livraison hors domicile, existence établie par l'identité des besoins et des clients concernés ainsi que par des transferts de clientèle d'un mode de livraison à l'autre.

152. A ce stade de l'instruction, le marché pertinent est donc susceptible d'être défini comme celui des prestations de livraison standard de colis " B2C ".

b) Sur la dimension géographique du marché

153. Il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission européenne que les marchés de livraison de colis, et notamment celui de la livraison standard de colis " B2C ", sont de dimension nationale, les services en question étant proposés au niveau national (42).

154. En l'espèce, rien ne permet de remettre en cause l'analyse de la Commission européenne sur ce point.

155. La dimension géographique du marché de la livraison standard de colis " B2C " en cause est donc nationale.

2. SUR LA POSITION DE LA POSTE ET DES AUTRES OPÉRATEURS SUR LE MARCHÉ EN CAUSE

156. Selon La Poste, Coliposte aurait, en 2009, pris en charge [240-260] millions de colis sur le secteur de la livraison standard de colis pris dans son ensemble, ce qui, rapporté au total de colis livrés en France mentionné par l'Arecep, lui conférerait une part de marché de 68 % sur le secteur de la livraison de colis " B2C ", " B2B " et " C2C ". Pour La Poste, " sachant que Coliposte détient une position plus forte sur le marché de la livraison standard C2C que sur les autres marchés, on peut estimer à 60 % tout au plus sa part de marché sur la livraison standard de colis 'B2C' " (43).

157. Il ressort des éléments du dossier (44) que La Poste occupe une position dominante sur le marché de la livraison standard de colis " B2C ", puisqu'en 2009, elle aurait traité, plus de 70 % des volumes de colis, soit une part correspondante en chiffre d'affaires comprise entre 70 % et 80 %. En outre, selon les chiffres de la FEVAD pour l'année 2009, les entreprises de vente à distance auraient adressé 300 millions de colis, ce qui tendrait également à confirmer que la part de marché de La Poste se situe aux alentours de 70 %, et non de 60 % comme le prétend La Poste.

158. De plus, il est également pertinent, en l'espèce, de relever que La Poste dispose, notamment grâce à ses bureaux de poste, d'un réseau comprenant entre 10 000 et 17 000 points de contact, lui permettant de bénéficier potentiellement d'un maillage territorial largement supérieur à celui de ses concurrent. Enfin, La Poste étant l'opérateur historique, elle bénéficie d'une marque reconnue par les consommateurs et jouit toujours ainsi d'une notoriété supérieure à celle de ses concurrents, notamment ceux proposant la livraison de colis en points de retrait.

159. En tout état de cause, il suffit de constater que, même en tenant compte du pourcentage de part de marché avancé par La Poste, cette dernière resterait néanmoins en position dominante sur un marché qui se caractérise, d'une part, par sa concentration autour d'un nombre relativement peu important d'opérateurs et, d'autre part, par le fait qu'aucun des concurrents de La Poste ne détient, à ce jour, une part de marché supérieure à 10 %, parfois établie dans le cadre d'une activité en autoproduction, comme dans le cas de Sogep et Mondial Relay.

160. En conséquence, La Poste est susceptible, à ce stade de l'instruction, de se trouver en position dominante sur le marché de la livraison standard de colis " B2C ".

3. SUR L'ANALYSE DES PRATIQUES

a) Sur l'accord entre La Poste et Mondial Relay

Sur l'existence d'un accord de coopération horizontale

161. Il ressort des éléments du dossier qu'à plusieurs reprises, Mondial Relay a fait part de sa capacité et de sa volonté d'offrir directement aux clients-chargeurs des services de livraison de colis dans ses points de retrait et ainsi de concurrencer les opérateurs présents dans ce secteur d'activité. En effet, dès 2008, Mondial Relay a annoncé à Kiala son intention de démarcher des clients indépendants de son groupe et passer ainsi outre l'exclusivité de clientèle qui la liait à Kiala en vertu de leur contrat de partenariat signé en mai 2003 (cote 2318). Depuis [secret d'affaires] 2010, Mondial Relay a ainsi indiqué avoir contracté avec " [200-300] clients nouveaux [...] parmi lesquels des entreprises importantes de la vente à distance, extérieures au groupe 3 Suisses, notamment [...] " (cote 5209). Plus récemment, le 13 décembre 2010, Mondial Relay a également lancé une offre de livraison de colis de consommateurs à consommateurs (" C2C ") appelée " C. pour Toi ", concurrençant ainsi directement La Poste sur ce marché.

162. Dans ces circonstances, La Poste et Mondial Relay opérant toutes deux sur le marché de la livraison standard de colis " B2C " et étant de ce fait concurrentes, le projet d'accord qu'elle ont négocié en 2009, ayant pour objet l'instauration d'un service de mise à disposition et de dépôt de colis pour les particuliers, hors domicile, dans un réseau de points de retrait, constitue une coopération horizontale au sens des lignes directrices de la Commission européenne sur l'applicabilité de l'article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale (JOUE 2011, C 11, p. 1). Ces dernières précisent en effet qu'" une coopération est de 'nature horizontale' si elle fait l'objet d'un accord entre des concurrents existants ou potentiels " (point 1).

163. Parmi les accords de coopération horizontale analysés par la Commission européenne dans ses lignes directrices figurent notamment les " accords de production y compris des accords de sous-traitance " (point 5), étant entendu que ces lignes directrices s'appliquent aux accords concernant tant les biens que les services (point 8).

164. En l'espèce, l'accord entre La Poste et Mondial Relay est un accord de sous-traitance par lequel le donneur d'ordre, La Poste, charge son sous-traitant et, par ailleurs, concurrent, Mondial Relay, de lui assurer le transport d'une partie de ses colis des " points d'injection " aux points de retrait de son réseau et/ou leur remise aux consommateurs.

Sur l'analyse concurrentielle de l'accord litigieux

165. Les lignes directrices de la Commission européenne précitées, qui constituent un guide d'analyse utile pour l'Autorité, indiquent que les accords de coopération horizontale peuvent " entraîner des problèmes de concurrence. Tel est le cas, par exemple, [...] lorsque cette coopération permet aux parties de maintenir, de conquérir ou de renforcer un pouvoir de marché et est, de ce fait, susceptible de produire des effets négatifs sur le marché [...] " (point 3).

166. Toujours selon ces lignes directrices, " l'appréciation au regard de l'article 101 [TFUE] s'effectue en deux étapes. La première, au regard de l'article 101, paragraphe 1, [TFUE] consiste à déterminer si un accord entre entreprises, qui est susceptible d'affecter le commerce entre États membres, a un objet anticoncurrentiel ou des effets restrictifs réels ou potentiels sur la concurrence. La seconde étape, au regard de l'article 101, paragraphe 3, [TFUE] qui n'a lieu d'être que s'il est avéré qu'un accord restreint le jeu de la concurrence au sens de l'article 101, paragraphe 1, [TFUE] consiste à déterminer les effets favorables à la concurrence produits par cet accord et à évaluer si ces effets favorables à la concurrence l'emportent sur les effets restrictifs sur la concurrence [...] " (point 20).

Sur l'éventuel objet anticoncurrentiel de l'accord

167. La Poste allègue que l'accord en cause n'a pas d'objet anticoncurrentiel. A cet égard, elle souligne que Coliposte aurait besoin de points de retrait commerçants pour des motifs de complémentarité avec ses bureaux de poste en termes d'accessibilité horaire et d'habitude des consommateurs et afin de réduire ses propres coûts logistiques. Elle souligne également que le choix de Mondial Relay comme partenaire s'est effectué au terme d'une comparaison entre les offres déposées par les différents soumissionnaires à sa consultation lancée en 2008 et que parmi elles, l'offre de Mondial Relay présentait le meilleur rapport qualité-prix (45).

168. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes, pour déterminer si un accord a un objet anticoncurrentiel, il convient de s'attacher à la teneur de ses stipulations, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère (voir arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C-209-07, Rec. p. I-8637). En particulier, l'intention des parties ne constitue pas un élément pertinent pour déterminer si un accord a un objet anticoncurrentiel, même s'il peut, le cas échéant, être pris en compte dans l'analyse.

169. En l'espèce, s'il lie deux opérateurs concurrents l'un de l'autre et s'il vise à organiser la production conjointe d'un service rendu aux sites de vente sur Internet et à leurs clients, le projet d'accord entre Mondial Relay et La Poste ne prévoit pas la fixation de prix en commun, une limitation de la production ou une répartition de clients ou de marché, lesquelles sont susceptibles, sous certaines conditions, de constituer des restrictions de concurrence par objet (voir point 160 des lignes directrices de la Commission européenne précitées).

170. De surcroît, il y a lieu de relever que, comme il a été indiqué aux paragraphes 33 et 34 de la présente décision, dans le secteur de la livraison de colis, la conclusion de partenariats entre opérateurs est fréquente afin d'assurer notamment une meilleure mutualisation des infrastructures logistiques et donc des coûts.

171. En l'état actuel du dossier, l'accord entre La Poste et Mondial Relay ne contient donc pas de clauses anticoncurrentielles par objet susceptibles d'être contraires aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE. Il convient donc d'analyser les effets potentiels de l'accord litigieux.

Sur les effets anticoncurrentiels potentiels de l'accord

Rappel de la grille d'analyse

172. Selon les lignes directrices de la Commission européenne précitées, " pour qu'un accord ait des effets restrictifs sur la concurrence au sens de l'article 101, paragraphe 1, il doit avoir, ou être susceptible d'avoir, une incidence défavorable sensible sur au moins un des paramètres de la concurrence sur le marché, tels que le prix, la production, la qualité ou la diversité des produits, ou l'innovation. Les accords sont susceptibles d'avoir de tels effets lorsqu'ils diminuent sensiblement le jeu de la concurrence soit entre les parties à l'accord, soit entre l'une quelconque de ces parties et des tiers. Cela signifie que l'accord doit avoir pour effet de réduire l'autonomie décisionnelle des parties, soit du fait des obligations contenues dans l'accord qui régissent le comportement sur le marché d'au moins une des parties, soit en influant sur le comportement sur le marché d'au moins une des parties en modifiant ses incitations " (point 27). Les lignes directrices précisent que la probabilité d'occurrence de tels effets " dépendra de plusieurs facteurs tels que la nature et le contenu de l'accord, la mesure dans laquelle les parties, individuellement ou conjointement, possèdent ou obtiennent un certain pouvoir de marché et la mesure dans laquelle l'accord contribue à la création, au maintien ou au renforcement de ce pouvoir de marché ou permet aux parties de l'exploiter " (point 28).

173. Par ailleurs, les lignes directrices indiquent que lorsqu'" une entreprise disposant d'un pouvoir sur un des marchés coopère avec un nouvel arrivant potentiel, par exemple avec un fournisseur du même produit sur un marché géographique ou un marché de produits voisin, l'accord est susceptible d'accroître le pouvoir de marché de l'opérateur historique. Cela peut produire des effets restrictifs sur la concurrence si la concurrence existant sur le marché de l'opérateur historique est déjà faible et que la menace de nouvelle entrée est une source majeure de contrainte concurrentielle " (point 166).

174. La probabilité qu'un accord de production horizontale emporte des effets restrictifs de concurrence dépend donc, d'une part, du pouvoir de marché que pourraient détenir les parties à l'accord et, partant, de la structure du marché concerné et, d'autre part, de la nature et du fonctionnement de l'accord.

175. Cette méthode d'analyse a déjà été utilisée par le Conseil de la concurrence, notamment dans sa décision n° 09-D-06 du 5 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne, où il a indiqué que " l'appréciation du caractère anticoncurrentiel des accords de coopération (hors les accords contenant des 'clauses noires') dépend du pouvoir de marché des parties à l'accord et de l'objet de l'accord " (confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 23 février 2010). Dans sa décision précitée n° 09-D-06, le Conseil a souligné que " [l]a position des parties sur les marchés affectés par la coopération est déterminante ", étant précisé que, selon les lignes directrices de la Commission européenne précitées, " le degré de pouvoir de marché requis pour la constatation d'une infraction au regard de l'article 101, paragraphe 1, dans le cas d'accord ayant pour effet de restreindre le jeu de la concurrence est inférieur à celui qui est requis pour un constat de position dominante au regard de l'article 102 [...] " (point 42).

Sur le pouvoir de marché des parties à l'accord et la structure de marché du secteur concerné

176. A titre liminaire, il convient de souligner que le projet d'accord en cause intervient dans le secteur postal, lequel figure parmi les marchés en cours de libéralisation au niveau communautaire qui sont caractérisés par un état de " fragilité concurrentielle " ainsi que l'OCDE l'a souligné dans son rapport du 20 octobre 2009 (p. 10). L'OCDE y rappelle le rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2007 aux termes duquel il avait été constaté que libéraliser les grands secteurs de réseau autrefois organisés en monopoles légaux " n'a généralement pas suffi à transformer d'emblée ces anciens marchés monopolistiques en marchés concurrentiels. En effet, d'une part, ces marchés présentent souvent de fortes barrières à l'entrée qui empêchent ou freinent l'arrivée des nouvelles entreprises. D'autre part, sur ces marchés, l'opérateur historique conserve, au moins dans un premier temps, une position ultra-dominante, voire un monopole de fait, qu'il peut être tenté d'utiliser pour écarter la concurrence naissante " (p. 51).

177. Par ailleurs, comme l'Arcep l'a indiqué dans son avis, l'accord litigieux concerne l'activité de livraison de colis qui constitue, à ce jour, la principale source de pression concurrentielle pouvant s'exercer à l'encontre de La Poste. En dépit d'un volume de colis traités encore modeste, cette activité représente également un vecteur de concurrence important pour le marché postal qui vient de s'ouvrir entièrement à la concurrence le 1er janvier 2011.

Sur le pouvoir de marché des parties à l'accord

178. En l'espèce, l'accord de partenariat en cause lie, d'une part, l'ancien opérateur historique, La Poste, qui, à ce jour, opère principalement sur le segment de la livraison à domicile, et d'autre part, Mondial Relay qui dispose d'un réseau préexistant de 4 300 points de retrait pouvant lui permettre de devenir un acteur significatif de la livraison standard de colis hors domicile.

Sur le segment de la livraison à domicile :

179. La Poste réalise la quasi-totalité de son activité de livraison de colis sur le segment de la livraison à domicile (46). A ce jour, celui-ci demeure le mode de livraison préféré des consommateurs - entre 80 % et 85 % des colis demeurent livrés à domicile. Toutefois, La Poste n'y est encore confrontée qu'à la concurrence d'Adrexo, qui aurait livré 20 millions de colis à domicile en 2010, et, dans une part bien moindre, à celle de Sogep et Mondial Relay, qui ont livré au profit des enseignes de leur groupe, respectivement, [2-4] millions et [0,5-1,9] million(s) de colis à domicile.

Sur le segment de la livraison hors domicile :

180. Compte tenu des évolutions en cours sur ce segment de marché exposées ci-dessus (cf. 176-177), le pouvoir des opérateurs en cause doit être examiné au regard des volumes effectivement livrés en 2010 mais également de la densité de leur réseau de points de retrait afin d'évaluer leur capacité à animer le marché à court terme (47).

181. A ce jour, les parts de marché de La Poste en volumes de colis restent faibles puisque cette dernière ne s'est lancée dans cette activité qu'en 2010. Ainsi, entre juin 2010 et février 2011, La Poste n'a livré qu'environ [200 000-700 000] colis hors domicile.

182. Cependant, il convient de souligner que La Poste dispose, en propre, d'un réseau de points de retrait dont l'étendue, si elle demeure discutée par les parties, excède très largement celle de ses concurrents. Elle lui permettra donc de se développer rapidement et significativement sur le segment de marché de la livraison hors domicile. En effet, s'il paraît difficile de tenir compte, au titre des capacités de production de La Poste, de l'ensemble de ses bureaux de poste (soit 17 000 points de contact), il peut néanmoins être retenu un réseau d'environ 10 000 bureaux de poste, actuellement utilisés pour So Colissimo, et de 3 000 points de retrait commerçants, ainsi que La Poste l'a indiqué dans sa présentation commerciale de l'offre So Colissimo. En effet, La Poste se livre actuellement à un important programme de modernisation de ses bureaux de poste, comprenant notamment un élargissement des horaires d'ouverture et la création de guichets spécifiques au retrait de colis (cote 5070). Dans un questionnaire " Questions/Réponses " sur l'offre So Colissimo, La Poste indique également que, grâce à cette offre, le consommateur pourra désormais choisir le bureau de poste dans lequel il souhaite être livré : " lors de son choix le client prendra en compte la fréquentation du bureau et l'attente potentielle : par exemple, il pourra privilégier un bureau de poste à proximité de son lieu de travail, pour pouvoir aller récupérer son colis à une période creuse, ou choisir de se faire livrer dans un bureau de poste 'sur son trajet' afin de s'y rendre le matin de bonne heure. Un client qui viendra retirer son colis So Colissimo, aura nécessairement une vision positive du bureau, ce qui modifiera notamment sa perception de l'attente ". A la question " Est-ce que tous les bureaux de poste sont éligibles à l'offre bureau de poste choisi ? ", il est répondu : " L'essentiel des bureaux de poste (près de 10 000) gérés par des postiers [...] sont éligibles " (48). Enfin, dans un article du journal du net transmis par Kiala (cote 4447), la directrice marketing de Coliposte fournit des données intéressantes sur l'attractivité des bureaux de poste. Ainsi, selon ses termes, " pour 80 % de leurs achats (les consommateurs) préfèrent le domicile. Dans les 20 % du hors domicile, nous pensons que 70 % vont aller en bureau de poste. La raison principale est le maillage de toute finesse : 10 000 bureaux de poste participent " (49). La répartition des volumes de colis traités dans le cadre de l'offre "So Colissimo" tend à confirmer l'importance des bureaux de poste la livraison hors domicile. En effet, l'essentiel des colis acheminés hors domicile ont été remis en bureaux de poste [70 %-80 %] contre [10 %-20 %] retirés auprès d'un point commerçant Pickup Services et [0 %-10 %] en consignes "Cityssimo".

183. Dès lors, il peut être estimé que le réseau de La Poste susceptible d'être employé pour la livraison hors domicile regroupe, à ce jour et avant l'entrée en vigueur de son partenariat avec Mondial Relay, au moins 13 000 points de retrait, soit trois à quatre fois plus que ses principaux concurrents, avérés ou potentiels sur le marché (voir infra).

184. Le principal opérateur concurrençant La Poste sur le segment de la livraison de colis hors domicile est Kiala, qui offre des services de livraison en points de retrait depuis 2003, sur la base d'un partenariat conclu avec le réseau Mondial Relay. En 2010, Kiala a ainsi livré [8-13] millions de colis. Mais, si Kiala peut s'appuyer, jusqu'en [...], sur le réseau de Mondial Relay, elle n'en bénéficiera plus postérieurement à cette date. Il ne lui restera qu'un réseau de taille plus réduite, constitué à ce jour de [1 400-1 700] points de retrait du réseau Presstalis, dont le potentiel serait, à terme, de [2 800-3 500] points.

185. Enfin, les réseaux des opérateurs de la vente par correspondance, tels que Mondial Relay et Sogep, demeurent encore majoritairement dédiés aux groupes auxquels appartiennent ces filiales de distribution. Ainsi, en 2010, Mondial Relay a livré, outre les colis acheminés pour Kiala, [12-15] millions de colis, quasi-exclusivement pour les enseignes de son groupe 3SI. Un constat similaire prévaut pour Sogep, qui a acheminé [15-30] millions de colis, très majoritairement pour les enseignes du groupe Redcats dont elle est une filiale. Ainsi, les volumes livrés par Sogep pour les enseignes tierces représentent entre [5-10] millions de colis. Toutefois, ces opérateurs sont dotés de réseaux de tailles significatives, respectivement de 4 300 points pour Mondial Relay et de [environ 4 000] points pour Sogep.

186. L'activité de la livraison de colis hors domicile demeure donc encore concentrée autour de quelques opérateurs. Ainsi, d'une part, seulement cinq opérateurs ont constitué un réseau de points de retrait ouvert aux colis de clients-chargeurs extérieurs (Sogep, Mondial Relay, Altadis, La Poste et Presstalis), d'autre part, Kiala, Sogep et, dans une moindre mesure, Mondial Relay, traitent la majeure partie des volumes de colis acheminés vers les points de retrait (plus de 90 %). Enfin, les capacités de traitement de colis livrés hors domicile apparaissent elles aussi concentrées, La Poste détenant, au travers de son réseau de bureaux de poste et de Pickup Services, au moins 50 % des points de retrait en activité, Sogep et Mondial Relay, au plus 16 % chacun, Presstalis 6 % et Altadis, 12 %.

Sur les barrières à l'entrée sur le marché de la livraison standard de colis " B2C "

187. Dans son avis, l'Arcep fait observer qu'un opérateur actuel ou potentiel souhaitant acheminer des colis vers des points de retrait rencontre " un certain nombre d'obstacles ", qu'il s'appuie sur un réseau existant ou qu'il constitue un réseau en propre.

188. Dans le premier cas, l'opérateur est d'abord confronté au faible nombre de réseaux préexistants. Six réseaux constitués peuvent être recensés (50), mais seulement quatre, Mondial Relay, Sogep, A2Pas et Presstalis, paraissent susceptibles d'être ouverts à des tiers extérieurs à leur groupe. De plus, parmi ces derniers, A2Pas ne propose pas de prestation de transport, l'opérateur s'appuyant sur ce réseau devant donc disposer de sa propre solution de transport ou parvenir à s'associer avec un prestataire spécialisé, tandis que le réseau de Presstalis éprouve des difficultés à se constituer, certains dépositaires ne souhaitant pas exercer l'activité de point de retrait, si bien qu'il ne présente, à ce jour, qu'environ [1 400- 1 700] points de retrait inégalement répartis sur le territoire. De plus, comme le constate l'Arcep, le réseau préexistant doit être adapté à la livraison de colis, ce qui n'est pas toujours le cas, ainsi que le montrent les difficultés de La Poste avec A2Pas ou de Kiala avec Presstalis. Au final, les réseaux susceptibles d'être employés par un opérateur souhaitant pénétrer ce marché ou s'y développer sont Mondial Relay et Sogep (qui, toutefois, n'a pas encore ouvert son réseau à un tiers), et, dans une mesure qui demeure encore incertaine, A2Pas et Presstalis.

189. Dans le second cas, lorsque l'opérateur ne souhaite pas ou ne peut pas s'appuyer sur un réseau préexistant, les barrières à l'entrée sont alors de trois ordres. Tout d'abord, les volumes livrés par cet opérateur doivent être suffisamment importants pour lui permettre de rentabiliser la mise en place d'un réseau de transport chargé de livrer les colis des clients-chargeurs aux points de retrait.

190. Ensuite, comme le constate l'Arcep dans son avis, peut également constituer un obstacle à la création d'un réseau en propre, l'identification et la formation des commerçants adéquats, c'est-à-dire ayant des capacités de stockage suffisantes, une position géographique favorable et étant disposés à assumer les différentes charges associées à la fonction de point de retrait. A cet égard, dans son avis, l'Arcep a souligné que la maîtrise technologique constitue une barrière à l'entrée liée au fait qu'" un réseau nécessite un outil adapté pour gérer les flux et leur transport ". Par ailleurs, s'ajoutent les frais de constitution et d'animation du réseau (51).

191. Enfin, les obstacles énoncés ci-dessus sont d'autant plus significatifs que, contrairement à ce que soutient Mondial Relay (52), il semble nécessaire pour un opérateur de proposer, dès le départ de son activité, un réseau de points de retrait suffisamment dense et étendu d'une part, pour que les sites de vente en ligne acceptent de référencer ses services et d'autre part, pour qu'il soit en mesure de rentabiliser, par ses volumes, les infrastructures logistiques nécessaires à son activité. Il ne paraît donc pas envisageable qu'un opérateur puisse commencer une activité de livraison en points de retrait en s'appuyant sur un réseau de petite taille, dont il accroîtrait la densité au fur et à mesure de l'augmentation des volumes traités.

192. La Poste fait également valoir que des opérateurs sont parvenus à constituer des réseaux de points de retrait dans des délais raisonnables, comme le réseau A2Pas créé par Altadis entre 2005 et 2007 ou le réseau de Pickup Services ayant réuni 3 000 points de retrait en neuf mois avec un investissement de [2-7] millions d'euro (53). Mondial Relay, pour sa part, allègue que le coût de constitution de son propre réseau s'est élevé à [2-7] millions d'euro dont [700-1 200] euro par point de retrait, auquel s'ajoute un coût annuel de [1-4] millions d'euro pour l'animation du réseau (54). La Poste fait également observer que de nombreux commerces seraient disposés à offrir une activité de points de retrait, pour bénéficier tant des paiements associés à la mise à disposition des clients de leurs colis que de la clientèle supplémentaire qu'entraînerait cette activité. Elle indique qu'il existerait environ 45 000 commerces de type tabac et/ou presse en France, dont seulement 6 000 sont affiliés à des réseaux de points de retrait.

193. Toutefois, il convient d'observer qu'Altadis n'est qu'un sous-traitant de transporteurs tiers, qui ne dispose pas d'une solution de transport en propre et ne propose donc pas de services de livraison aux clients-chargeurs. Cette société n'a donc pas à rentabiliser des infrastructures de transport. Pour ce qui est de Pickup Services, à l'instar d'Altadis, elle n'assure ni la collecte, ni le transport des colis qui sont le fait d'Exapaq, titulaire du marché avec Coliposte, et de Chronopost, dans le cadre d'une sous-traitance pour Exapaq. Les infrastructures de transport employées par ce réseau de points de retrait sont donc partagées avec d'autres opérateurs. A l'inverse, pour un opérateur nouvel entrant, qui ne serait pas en mesure de partager des infrastructures logistiques avec des tiers, les investissements inhérents à l'activité de livraison de colis en points de retrait ne se limitent pas à la constitution et à l'animation d'un réseau de points de retrait. Au contraire, l'essentiel de ces investissements est lié aux opérations de collecte, de tri et de transport des colis (55) et ces infrastructures logistiques (transport, centres de collecte et de tri) ne peuvent être rentabilisées qu'avec un volume de colis suffisant. Au demeurant, en dépit de la croissance qu'a connue la livraison hors domicile et de la croissance du nombre de points de retrait (de 10 000 à 15 000 selon Mondial Relay (56)), aucun opérateur offrant ses prestations de livraisons aux clients chargeurs n'est entré sur le secteur sans s'appuyer soit sur un réseau préexistant disposant d'une solution de transport adéquate (comme Kiala), soit sur des infrastructures logistiques et une activité de livraison préexistantes (comme Mondial Relay, Sogep ou La Poste).

194. Enfin, à la supposer avérée, la disponibilité des commerces soulignée par La Poste ne suffit pas à surmonter la barrière à l'entrée causée par la nécessité de rentabiliser les flux de transport. De plus, il paraît peu probable que tous ces commerces disposent de la capacité de stockage nécessaire et de l'emplacement adéquat pour satisfaire un prestataire de livraison. Si tel était le cas, l'ensemble des points de contact de La Poste pourraient être comptabilisés pour apprécier l'étendue de son réseau.

195. Dans ce contexte, si la constitution d'un réseau ex nihilo ou le recrutement de points de retrait supplémentaires ne paraît pas impossible, les obstacles décrits ci-dessus laissent néanmoins à penser que l'entrée d'opérateurs de livraison hors domicile se fait dans la durée et nécessite un temps d'adaptation relativement long pour proposer une solution attractive auprès des sites de vente en ligne.

Conclusion sur le pouvoir de marché des parties à l'accord

196. Il résulte de ce qui précède que l'accord entre La Poste et Mondial Relay lierait un opérateur en position dominante à un concurrent existant, sinon potentiel, susceptible d'exercer une pression concurrentielle importante sur un marché en cause présentant déjà un degré de concentration élevé et des barrières à l'entrée significatives.

Sur la nature et le fonctionnement de l'accord

197. La Poste et Mondial Relay soutiennent que l'accord en cause ne comporterait aucun risque d'éviction ou de collusion.

198. A cet égard, les parties indiquent, premièrement, que le projet d'accord ne comporte pas d'exclusivité. Mondial Relay comme La Poste demeureraient ainsi libres de fournir leurs services à d'autres prestataires de livraison.

199. Deuxièmement, l'accord ne prévoirait aucun engagement de volume et n'aurait donc pas pour conséquence de saturer le réseau de Mondial Relay, laissant à cette dernière la faculté de proposer directement aux clients-chargeurs sa propre offre de livraison et/ou de proposer à d'autres concurrents l'accès à son réseau. A cet égard, le fait que Kiala ait, à l'époque de son partenariat avec Mondial Relay, choisi de participer à l'appel d'offres organisé par La Poste à partir du seul réseau Mondial Relay démontrerait que les volumes prévisionnels prévus par le contrat de partenariat permettent à Mondial Relay de conserver une capacité de traitement suffisante pour des opérateurs tiers. De la même manière, Mondial Relay indique que, dès 2008, avant même le lancement de l'appel d'offres de La Poste, elle était déjà à la recherche de volumes supplémentaires auprès des clients-chargeurs pour compenser la diminution des volumes de la vente par correspondance. En outre, selon Mondial Relay et Sogep (57), de nouveaux points de retrait pourraient être recrutés en cas d'accroissement structurel ou conjoncturel des volumes de colis. Enfin, les engagements de capacité souscrits par Mondial Relay, de 20 millions de colis la première année, de 30 millions de colis la seconde année et de 40 millions de colis l'année suivante (58), très significativement supérieurs aux volumes prévisionnels mentionnés dans le contrat, permettraient à Mondial Relay de disposer de capacités très excédentaires à celles exigées par La Poste et empêcheraient toute saturation de son réseau.

200. Enfin, La Poste et Mondial Relay font valoir que l'accord ne serait conclu que pour 36 mois, renouvelable ensuite par tacite reconduction pour des périodes de 12 mois dans la limite de deux fois (donc 5 ans au maximum) et résiliable avec un préavis d'au moins 6 mois avant la fin de la période en cours. Ainsi, un opérateur qui se serait suffisamment développé pour promettre à Mondial Relay un volume de colis suffisant par rapport à celui offert par La Poste serait à même de faire appel au réseau de Mondial Relay.

201. A ce stade de l'instruction, l'Autorité de la concurrence considère néanmoins que la mise en œuvre de l'accord entre La Poste et Mondial Relay est susceptible de marginaliser les opérateurs existants et d'entraîner la constitution d'une barrière à l'entrée sur le marché de la livraison standard de colis " B2C ". En effet, la conclusion du partenariat litigieux serait de nature, d'une part, à permettre à La Poste d'étendre son réseau de points de retrait de façon à lui octroyer un avantage compétitif décisif sur ses concurrents et, d'autre part, à dissuader Mondial Relay de nouer d'autres partenariats, tant avec des opérateurs déjà présents sur le secteur qu'avec de nouveaux entrants. Enfin, l'accord litigieux est également susceptible d'avoir pour effet d'atténuer la concurrence entre La Poste et Mondial Relay.

Sur l'avantage concurrentiel conféré à La Poste

202. En l'état actuel du dossier, il apparaît que l'accord entre La Poste et Mondial Relay pourrait conférer à La Poste un avantage compétitif déterminant dans la concurrence qui l'oppose aux autres prestataires de livraison standard de colis " B2C ".

203. En effet, par cet accord, La Poste va étendre son réseau à environ 17 300 points (59), alors même que les réseaux concurrents n'en comprendront, au moment où l'accord serait susceptible d'être mis en œuvre, qu'entre [1 500] et 4 300. Or, la proximité géographique d'un point de retrait constitue le premier critère de choix d'un mode de livraison par les consommateurs. Dès lors, plus un opérateur dispose d'un réseau dense, plus il se trouve en mesure de proposer un point de retrait proche de chacun des consommateurs achetant en ligne. C'est ainsi qu'en offrant un réseau de plus de 17 000 points de retrait, quatre à cinq fois plus étendu que ceux de ses concurrents, La Poste pourrait aisément obtenir d'être référencée par les sites de vente en ligne et d'être choisie par une proportion significative de consommateurs, sans avoir cependant à proposer aux sites de vente en ligne des offres tarifaires très attractives. A l'inverse, en l'absence de cet accord, la disproportion des réseaux serait moindre et une plus grande concurrence en prix entre les prestataires de livraison pourrait s'exercer, tant sur le segment de la livraison hors domicile qu'entre ce segment et celui de la livraison à domicile.

204. Il convient, pour appréhender la nature de l'avantage concurrentiel ainsi constitué, d'observer que La Poste explique elle-même le succès mitigé de son offre So Colissimo auprès des clients chargeurs par le fait qu'elle ne dispose pas encore d'un accès au réseau de Mondial Relay et que Kiala continue à la concurrencer, à ce jour, sur les sites de clients-chargeurs importants, tel vente-privée.com. Il convient également de relever que si les sites de vente en ligne, du moins les plus importants d'entre eux, ont, en théorie, la faculté de référencer plusieurs prestataires de livraison, en pratique, plusieurs facteurs peuvent s'opposer à une telle stratégie (60), comme la complexité accrue de l'acte d'achat qui peut en résulter, la perte de remises volumiques, des coûts logistiques accrus ou le souhait des clients-chargeurs d'instaurer une plus grande mise en concurrence des prestataires de livraison en indiquant que seul un nombre très limité d'entre eux seront référencés.

205. Les parties à l'accord en cause font également valoir la facilité avec laquelle leurs concurrents peuvent recruter des points de retrait supplémentaires pour étendre leur réseau et ainsi concurrencer La Poste. Toutefois, à supposer que tel soit effectivement le cas, la disproportion entre le réseau de La Poste et ceux de ses concurrents, obtenue par le biais d'un accord de coopération horizontale, pourrait cependant être de nature à dissuader ces concurrents d'étendre leur réseau ou à diminuer la rentabilité de ces efforts. En outre, dans une note de cadrage datée de 2008, La Poste fait état d'une orientation commerciale stratégique aux termes de laquelle elle explique vouloir s'adjoindre tous les réseaux constitués. En effet, après avoir rappelé que 15 % du nombre d'acheteurs " préfèrent le relais à tout autre mode de livraison ", La Poste propose " de s'associer potentiellement à tous les réseaux constitués " à savoir, " tous les bureaux de poste, le réseau Sogep, le réseau Mondial Relay, A2PAS (bureaux de tabac) ". Cet accroissement de l'étendue et de la densité du réseau de livraison hors domicile de La Poste est susceptible de participer d'une stratégie de long terme qui n'en soit encore qu'à un premier stade. Dans ce contexte, un opérateur ne disposant pas d'un réseau de points de retrait suffisamment attractif, tel Kiala, éprouverait des difficultés certaines à convaincre un concurrent, tel Sogep, de lui ouvrir son réseau plutôt que de nouer un partenariat avec La Poste. Au demeurant, un hypothétique partenariat entre Kiala et Sogep créerait un réseau dont le nombre de points serait compris entre [5 000 et 7 300] à comparer aux 17 300 points de retrait dont disposerait le réseau de La Poste si l'accord litigieux était mis en œuvre.

La conclusion du partenariat litigieux apparaît de nature à dissuader Mondial Relay de nouer d'autres partenariats

206. Avec 4 300 points de retrait, le réseau de Mondial Relay est l'un des principaux réseaux préexistant opérant sur le marché de la livraison standard de colis. Il présente également la particularité d'être adossé à une infrastructure logistique développée pour la vente par correspondance et d'avoir démontré son efficacité pour la livraison de colis en points de retrait. Sur le marché, seul Sogep dispose d'un réseau susceptible d'être ouvert à des tiers et présentant ces mêmes caractéristiques. Le réseau de La Poste n'est pas ouvert aux tiers, celui d'Altadis ne peut s'appuyer sur une infrastructure logistique dédiée et celui de Presstalis présente, à ce jour, d'importantes difficultés de recrutement de points individuels.

207. Le réseau de Mondial Relay traite annuellement [20-25] millions de colis, soit [15-25] de colis par jour ouvré et par point retrait (61). Il dispose, approximativement, d'une capacité de traitement d'environ [25-35] colis par jour et par point de retrait (62). Or, plusieurs éléments au dossier conduisent à considérer que le projet de partenariat, en sa forme actuelle, est de nature à dissuader Mondial Relay d'ouvrir son réseau à un troisième opérateur, en plus de La Poste et d'elle-même.

208. Plusieurs facteurs sont en effet susceptibles d'entraîner une progression des volumes transitant par le réseau de Mondial Relay. Premièrement, les consommateurs en ligne étant avant tout sensibles à la proximité géographique d'un point de retrait donné plutôt qu'au prix de la livraison ou à l'opérateur effectuant la prestation, La Poste et Mondial Relay pourraient, grâce à leur partenariat, récupérer une partie significative des clients de Kiala, notamment dans l'hypothèse où cette dernière ne s'appuierait que sur un réseau de [1 400-1 700] points de retrait. Deuxièmement, La Poste ayant décidé de démarcher de nouveaux clients, notamment les " petits sites de vente en ligne ", qui ne faisaient pas partie, jusqu'alors, de la clientèle de Kiala, les volumes de colis transitant par le réseau de Mondial Relay devraient encore être accrus. Troisièmement, Mondial Relay a désormais la possibilité de développer sa propre clientèle, ce qui devrait également conduire à une hausse des volumes. Enfin, selon toute vraisemblance, le commerce en ligne devrait poursuivre sa croissance dans les années à venir et encore accroître les volumes de colis livrés par les opérateurs, notamment en points de retrait.

209. Dans ces circonstances, au regard de la capacité de traitement du réseau de Mondial Relay ([...] par jour ouvré et par point de retrait), de la croissance attendue du nombre de colis livrés, du fait que des colis peuvent, pendant plusieurs jours, rester en instance dans les points de retrait et que les flux de colis connaissent des pics saisonniers, notamment aux périodes des fêtes, l'accueil de l'activité d'un troisième opérateur, en plus de l'activité en propre de Mondial Relay et de La Poste, pourrait entraîner un risque de saturation du réseau de Mondial Relay.

210. Le fait que les volumes prévisionnels annoncés par La Poste soient inférieurs aux capacités de traitement du réseau de Mondial Relay ne suffit pas à atténuer ce risque. Premièrement, ces volumes ne constituent en aucun cas un engagement de La Poste, qui aura la faculté d'exiger de Mondial Relay de traiter des volumes de colis supérieurs à ces prévisions. Deuxièmement, les capacités annoncées par Mondial Relay ne constituent pas non plus un engagement de sa part, et tant que les volumes livrés demeurent inférieurs aux capacités de traitement du réseau, Mondial Relay n'est pas tenue, par le contrat, d'accroître ses capacités de traitement. Troisièmement, ces volumes prévisionnels, s'ils n'ont pas valeur d'engagement, témoignent néanmoins des ambitions de La Poste pour le développement de son activité de livraison de colis en points de retrait. Ainsi, au moment du lancement de son appel d'offres en 2008, alors que Kiala livrait, à cette époque, 6 millions de colis hors domicile (63), La Poste annonçait comparativement des volumes prévisionnels (64) de 5 millions de colis dès la seconde année du partenariat et de 12 millions de colis dès sa troisième année, à partager entre le réseau Mondial Relay et Pickup Services.

211. La Poste fait valoir également qu'actuellement, par le biais de son offre So Colissimo, elle ne distribue qu'un faible volume de colis hors domicile, en particulier en points de retrait ([50 000-100 000] colis entre juin 2010 et février 2011). Toutefois, La Poste a indiqué elle-même dans ses observations que le succès limité de l'offre So Colissimo s'expliquerait par l'absence de disponibilité du réseau de Mondial Relay (cote 1904). Elle a également indiqué que le site internet Vente-Privée.com, acteur majeur de la vente en ligne, référence, depuis octobre 2009, les services de livraison de Kiala, qui vend ses prestations moins cher que La Poste et qui dispose toujours, à ce jour, grâce au réseau de Mondial Relay, d'un réseau de 5 800 points de retrait. Ainsi, dans la mesure où à partir de [...], le réseau de Kiala pourrait se réduire à [1 400-1 700] points de retrait (65) et où La Poste pourrait avoir accès au réseau de Mondial Relay grâce au partenariat litigieux, il n'est pas exclu que La Poste puisse accroître les volumes de colis livrés en points de retrait, en particulier au travers du réseau de Mondial Relay.

212. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient La Poste, le fait que Kiala ait entrepris de répondre à l'appel d'offres de La Poste n'implique pas nécessairement que le partenariat litigieux permette à Mondial Relay de traiter simultanément les colis de plusieurs opérateurs distincts. En effet, lorsque Kiala a candidaté à l'appel d'offres de La Poste, Mondial Relay offrait peu ses services directement aux sites de vente en ligne, ce qui n'est plus nécessairement son intention actuelle. En outre, les termes précis de l'accord - en particulier, les engagements de capacité requis - n'étaient pas connus de Kiala au moment du lancement de l'appel d'offres. Surtout, il ressort de l'instruction, qu'à l'époque du partenariat entre Kiala et Mondial Relay, le réseau de ce dernier avait déjà présenté des problèmes de saturation dont Kiala s'était régulièrement plainte (66). Au final, lors de sa réponse à l'appel d'offres lancé par La Poste, Kiala avait insisté sur la pertinence d'une " solution alternative " consistant en " une stratégie de développement multi-réseaux visant à disposer de 6 000/10 000 points de contact dans les délais les plus courts " (67).

213. Enfin, il est à noter qu'une fois une offre de livraison présente sur un site de vente en ligne, les opérateurs ne sont pas en mesure d'évaluer avec précision la demande des consommateurs qui s'adressera à eux ou de la contrôler de façon à ce qu'elle n'excède pas les capacités résiduelles de traitement du réseau (68). Ainsi, en accueillant l'activité d'un troisième opérateur, Mondial Relay ne serait pas en mesure de prévoir à l'avance les volumes provenant de cet opérateur et d'anticiper ainsi sur une éventuelle saturation de son réseau.

214. Le partenariat entre La Poste et Mondial Relay est donc susceptible de conduire cette dernière à devoir traiter un volume de colis tel que l'accueil d'un troisième intervenant conduirait à un risque de saturation de son réseau.

215. Or, l'Autorité de la concurrence relève qu'aux termes du contrat de partenariat, s'il arrive à Mondial Relay de se trouver dans l'impossibilité matérielle d'assurer tout ou partie des prestations exigées par La Poste, celle-ci pourrait résilier son contrat de partenariat s'il n'est pas apporté de remède à ces manquements dans un délai de quinze jours (69). Alternativement, elle pourrait exiger que Mondial Relay prenne alors en charge financièrement la différence de tarifs entre une prestation négociée en urgence avec un opérateur tiers et le prix négocié figurant au contrat litigieux avec Mondial Relay (70) ou verse à La Poste des pénalités (71) correspondant au coût d'un emballage Coliposte prépayé XL, soit actuellement 13,60 euro, c'est-à-dire un montant entre [sept et neuf] fois plus élevé que les tarifs facturés par Mondial Relay à La Poste pour la livraison d'un colis. De plus, le contrat de partenariat ne prévoyant aucun engagement de volumes, ces pénalités peuvent s'appliquer indépendamment du volume de livraison effectué par La Poste.

216. Ainsi, l'accord litigieux pourrait bien avoir pour conséquence de dissuader Mondial Relay de conclure des partenariats avec d'autres opérateurs puisque de tels partenariats seraient susceptibles de conduire à la saturation de son réseau, l'empêchant ainsi d'assurer tout ou partie des prestations exigées par La Poste. A minima, l'accord pourrait conduire Mondial Relay à n'allouer aux opérateurs tiers qu'une part limitée, en termes de volumes ou de points de retrait de son réseau ou à en augmenter le prix d'accès. Compte tenu du faible nombre de réseaux de points de retrait préexistants (voir supra), notamment pour ce qui concerne les réseaux offrant une prestation de transport mutualisé, une telle exclusivité de fait est de nature à empêcher l'entrée d'opérateurs tiers, à empêcher l'extension des réseaux des opérateurs déjà présents sur ce segment de marché et au final à préserver ainsi les intérêts de La Poste, en position dominante sur le marché de la livraison standard de colis.

217. En tout état de cause, à supposer que le réseau de Mondial Relay puisse accueillir un troisième opérateur, grâce, par exemple, à un accroissement du nombre de ses points de retrait, il n'est pas certain que Mondial Relay soit disposée à ouvrir son réseau à un second concurrent susceptible de remettre en cause les positions qu'elle aura acquises sur le marché dès lors que son partenariat avec La Poste sera effectivement mis en œuvre. En effet, à supposer que ce partenaire dispose d'un réseau suffisamment attractif pour être référencé, grâce à son accès au réseau de Mondial Relay, un tel concurrent serait en mesure d'exercer une plus forte concurrence en prix et de capter des volumes de colis transitant déjà par le réseau de Mondial Relay. A l'inverse, en l'absence de ce partenariat avec Mondial Relay, un tel concurrent pourrait éprouver des difficultés à pénétrer significativement le segment de la livraison en point de retrait, du fait des barrières à l'entrée évoquées supra et de la moindre attractivité de son réseau s'il n'incorpore pas les points de retrait de Mondial Relay. Étant donnée la faible élasticité prix de la demande finale et la densité du réseau de La Poste, lui permettant d'être plus aisément référencée auprès des clients-chargeurs, les gains associés à un renforcement de la concurrence en prix apparaissent limités pour Mondial Relay.

218. Ainsi, dès lors que l'accord entre Mondial Relay et La Poste pourrait permettre de marginaliser des concurrents existants ou d'empêcher l'entrée de concurrents potentiels, qu'il participerait suffisamment à la mutualisation des coûts fixes de Mondial Relay, qu'il garantirait, grâce à la densité du réseau présenté par La Poste, sa présence après des sites de vente en ligne, et enfin, que le volumes des colis traités est peu sensible au prix proposé par les prestataires de livraison, Mondial Relay pourrait n'avoir que peu d'intérêt à s'associer à un opérateur tiers alors que ces partenariats peuvent s'avérer primordiaux, tant pour le partage de certains coûts fixes que pour constituer un réseau attractif face au réseau de La Poste.

219. La Poste soutient enfin qu'à supposer que le partenariat avec Mondial Relay recèle une exclusivité de fait à son bénéfice, sa durée initiale de trois ans tendrait à en atténuer les effets d'exclusion, un concurrent efficace étant en mesure, au terme de ces trois années, de proposer à Mondial Relay de se substituer à La Poste.

220. Toutefois, eu égard aux difficultés associées à la constitution par un opérateur tiers d'un réseau de points de retrait et à la densité du réseau de La Poste, notamment grâce au partenariat avec Mondial Relay, il est, à ce stade de l'instruction, peu probable qu'au terme de ces trois années de partenariat, un concurrent soit suffisamment attractif à l'égard des sites de vente en ligne et de leurs consommateurs pour promettre un volume de colis suffisant à Mondial Relay et lui faire ainsi renoncer à son partenariat avec La Poste. Au demeurant, aucune justification n'est avancée par les parties pour justifier cette durée initiale de trois années.

Sur l'atténuation de la concurrence entre La Poste et Mondial Relay

221. Les lignes directrices de la Commission européenne sur l'applicabilité de l'article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale, précitées, énoncent que le risque d'une " coordination du comportement concurrentiel des parties en tant que fournisseurs " paraît significatif " si les parties possèdent un pouvoir de marché et si les marchés présentent des caractéristiques propices à une telle coordination, en particulier lorsque l'accord de production accroît la mise en commun des coûts des parties (c'est-à-dire la proportion des coûts variables que les parties ont en commun) dans une mesure qui leur permette de parvenir à une collusion, ou si l'accord comprend un échange d'informations commerciales sensibles pouvant déboucher sur une collusion. " (point 158).

222. Au cas présent, comme indiqué plus haut, les parties à l'accord détiennent ensemble, principalement par l'intermédiaire de La Poste, un pouvoir de marché très important qui n'est pas susceptible d'être remis en cause à court terme.

223. Comme le soulignent La Poste (72) et, dans une moindre mesure, Mondial Relay (73), les scénarii décrits ci-dessus par les lignes directrices de la Commission, paraissent, en l'état actuel des éléments du dossier, peu en mesure de se réaliser, eu égard à la structure du partenariat entre La Poste et Mondial Relay, qui n'implique, en première analyse, ni partage d'informations sensibles, ni accroissement des coûts communs aux parties.

224. En revanche aux termes des lignes directrices précitées, si une atténuation du jeu concurrentiel entre les concurrents parties à l'accord peut découler de la mise en commun des coûts ou d'un échange d'informations liés à l'accord de production, elle peut également résulter d'autres paramètres (point 175), et ce même si, comme en l'espèce l'une des parties, à savoir Mondial Relay, conserve la faculté de concurrencer La Poste sur la base de son propre réseau.

225. En effet, à ce stade de l'instruction, l'accord litigieux est susceptible d'avoir pour conséquence de diminuer les incitations de Mondial Relay à concurrencer La Poste. A cet égard, il convient de rappeler qu'en évaluant la profitabilité d'une baisse de prix, toute entreprise effectue un arbitrage entre deux effets, celui d'une hausse des quantités vendues, d'une part, celui d'une diminution de sa marge, d'autre part. Au cas présent, dans le cadre du partenariat entre La Poste et Mondial Relay, la marge supplémentaire éventuellement obtenue par Mondial Relay en captant des clients de La Poste grâce à une baisse de prix serait diminuée de la marge qui aurait de toute façon été obtenue par Mondial Relay en application de l'accord litigieux. L'intérêt d'une réduction de prix de la part de Mondial Relay est donc susceptible d'être diminué par rapport à la situation où l'accord n'est pas mis en œuvre, notamment si une politique de diminution des prix n'est pas de nature à convaincre les consommateurs de se faire livrer sur le réseau Mondial Relay plutôt que sur un réseau tiers ou à conduire les sites internet à ne pas référencer La Poste.

226. Par ailleurs, si, théoriquement, une politique tarifaire agressive de la part de Mondial Relay pourrait conduire La Poste à réduire sa propre marge et au final à accroître les volumes livrés, un tel effet paraît, à ce stade de l'instruction, peu probable si, comme cela semble être le cas en l'espèce, les consommateurs sont plus sensibles à la proximité de leur point de retrait qu'au prix et si le réseau de La Poste est si étendu par rapport à celui de ses concurrents qu'il est largement référencé par les sites de vente en ligne.

227. Enfin, cet effet d'atténuation du jeu concurrentiel entre La Poste et Mondial Relay est d'autant plus probable que la capacité des opérateurs tiers à concurrencer La Poste est également susceptible d'être affectée négativement par le partenariat avec Mondial Relay. En effet, à l'heure actuelle, l'affaiblissement du réseau de Kiala est susceptible de l'empêcher d'exercer une concurrence suffisante sur La Poste ou sur Mondial Relay. Quant à la compétitivité de Sogep (dont le réseau comprend [environ 4 000] points de retrait) face au réseau postal, celle-ci demeure incertaine et, en tout état de cause, son réseau est déjà accaparé par ses propres besoins de livraison. Enfin, comme il a été exposé plus haut, le marché en cause se caractérise par de fortes barrières s'opposant à l'entrée de nouveaux opérateurs.

Sur la nécessité de l'accord litigieux

228. Dans ses écritures, La Poste avance que l'accord lui permettrait d'entrer sur le marché de la livraison de colis en points de retrait dont elle était jusqu'à présent absente. Par ailleurs, grâce à l'accord litigieux, les " petits sites de vente en ligne " pourraient désormais bénéficier de services de livraison en points de retrait, ce qui n'était pas le cas avec Kiala qui refusait de leur offrir ses prestations en raison du trop faible volume de colis transmis par ce type de clientèle (74).

229. Toutefois, ainsi que cela a été montré plus haut, la livraison ordinaire de colis hors domicile ne peut, à ce stade de l'instruction, être qualifiée de marché pertinent au sens du droit de la concurrence. L'arrivée de La Poste dans ce secteur d'activité ne pourrait donc être assimilée à l'entrée d'un nouvel opérateur sur un marché mais seulement à l'extension de ses capacités de traitement sur le marché de la livraison standard de colis. De plus, indépendamment de la délimitation de marché qui pourrait être retenue au terme d'une instruction au fond, il peut être constaté que l'entrée de La Poste sur le segment de marché de la livraison de colis en points de retrait a déjà été réalisée au travers de sa filiale Pickup Services, laquelle a permis d'ajouter environ 3 000 points de retrait au réseau existant des bureaux de poste de La Poste.

230. Par ailleurs, dans son avis, l'Arcep indique que " La Poste dispose en droit et en fait d'un réseau de 17 000 points de contact. On constate par ailleurs que La Poste a d'ores et déjà développé un réseau complémentaire de 3 500 points de contact pour le retrait de colis par le biais de sa filiale Exapag. On peut donc légitimement s'interroger sur la nécessité pour elle de recruter de nouveaux points pour le retrait de colis. Néanmoins, s'il s'avérait que l'activité de La Poste nécessitait effectivement de nouveaux points pour le retrait des colis, La Poste serait donc parfaitement en mesure d'élargir son réseau par ses propres moyens ".

231. En outre, il ne saurait être considéré, à ce stade de l'instruction que l'accord est nécessaire pour que les " petits sites de vente en ligne " puissent disposer, par l'intermédiaire de La Poste, d'une offre de livraison en points de retrait. En effet, La Poste se trouve actuellement en mesure de formuler une telle offre indépendamment de la conclusion de l'accord avec Mondial Relay.

232. Enfin, si en permettant un partage des points de retrait de Mondial Relay entre ce dernier et La Poste, l'accord permet la réalisation d'économies d'échelles, permettant à ces deux opérateurs d'optimiser l'exploitation de leurs infrastructures logistiques (75), comme le rappelait d'ailleurs Kiala dans une présentation à Mondial Relay (76), dans le cas de La Poste, qui livre déjà des volumes importants de colis, les économies de coûts ainsi retirées de l'accord sont minimes, d'autant que le réseau de points de retrait de La Poste, qu'il s'agisse de points de retrait commerçants ou de bureaux de poste, ne fait pas l'objet d'un partage avec Mondial Relay. Du côté de Mondial Relay, si l'accord lui permet d'optimiser l'exploitation de son réseau, il n'est, au demeurant, pas démontré qu'un accord produisant des effets d'efficience similaires ne pouvait pas être conclu avec un autre opérateur du secteur, fût-ce Kiala.

Conclusion

233. L'ensemble des éléments relevés aux paragraphes 176 à 232 démontre qu'à ce stade de l'instruction, l'accord entre La Poste et Mondial Relay est susceptible de produire des effets anticoncurrentiels sur le marché de la livraison standard de colis " B2C " en violation des dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE.

b) Sur les pratiques tarifaires de La Poste

234. Kiala fait valoir que certains coûts, en particulier des coûts fixes, ne seraient pas ou seraient insuffisamment pris en charge par Coliposte, division en charge de la livraison de colis au sein de La Poste. Les prix proposés par La Poste ne seraient ainsi supérieurs aux siens que d'environ [5 %-20 %], cette différence étant, selon Kiala insuffisante pour couvrir le coût incrémental engendré par l'activité de livraison de colis à domicile.

235. Par ailleurs, Kiala soutient que les comportements de La Poste illustreraient la mise en œuvre d'un plan de prédation de la part de cette dernière, dont le but serait de récupérer la clientèle de Kiala. En particulier, La Poste aurait continué d'examiner la candidature de Mondial Relay dans le cadre de son appel d'offres lancé en décembre 2008, alors même que Kiala lui aurait indiqué que le choix de Mondial Relay induirait une violation des accords qu'elle a conclus avec Kiala (77). En outre, l'offre So Colissimo, qui ne serait pas reproductible et supprimerait toute différenciation entre les offres de La Poste et de Kiala, attesterait d'une volonté de La Poste de capter la clientèle de Kiala. Kiala fait encore valoir que la note de cadrage de 2008 de la directrice marketing de La Poste communiquée par cette dernière dans la présente procédure attesterait de l'existence d'un plan de prédation.

236. La Poste souligne que les services de livraison de colis " B2C " en points de retrait ou à domicile de Coliposte sont nettement plus chers que ceux de ses concurrents. En effet, la différence de prix entre l'offre de Kiala et l'offre So Colissimo serait de l'ordre de 33 %, de sorte qu'elle ne serait compatible ni avec une pratique de prédation ni avec un quelconque effet d'éviction. En outre, certains des coûts évoqués par Kiala seraient bien attribués par La Poste au métier du colis, notamment le coût des campagnes publicitaires de So Colissimo, une quote-part des coûts de rénovation des bureaux de poste et les coûts liés à l'utilisation des infrastructures de transport et de distribution de la division courrier de La Poste pour ses colis. Partant, La Poste ne vendrait pas ses services en dessous des coûts incrémentaux.

237. Au demeurant, les cinq services de livraison proposés dans le cadre de l'offre So Colissimo n'impliqueraient pas plus de coûts pour La Poste puisque chaque service serait proposé au tarif de la livraison à domicile, qui serait la plus onéreuse, et que les autres modes de livraison engendreraient, au contraire, des coûts moindres.

238. Enfin, La Poste soutient que Kiala ne rapporterait ni chiffre, ni élément démontrant l'existence d'une pratique de prédation à son égard. En particulier, la note de cadrage de 2008 dont se prévaudrait Kiala ne contiendrait aucun élément laissant supposer une intention prédatrice de la part de La Poste.

239. Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 102 TFUE interdit à une entreprise en position dominante de se livrer à des pratiques tarifaires produisant des effets d'éviction à l'encontre de ses concurrents aussi efficaces, actuels ou potentiels, c'est-à-dire à des pratiques qui sont à même de rendre plus difficile, voire impossible, l'accès au marché de ces derniers, ainsi qu'à rendre plus difficile, voire impossible, pour ses cocontractants, le choix entre plusieurs sources d'approvisionnement ou partenaires commerciaux, renforçant ainsi sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, toute concurrence par les prix ne peut donc être considérée comme légitime (voir arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C-280-08 P, non encore publié au Recueil, point 177, et jurisprudence citée).

240. Dans sa décision n° 07-D-09 du 14 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par le laboratoire GlaxoSmithKline France, le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de rappeler que la prédation peut être définie comme la pratique par laquelle une entreprise en position dominante fixe ses prix à un niveau tel qu'elle subit des pertes ou renonce à des profits à court terme dans le but d'évincer ou de discipliner un ou plusieurs concurrents, ou encore de rendre plus difficile l'entrée de futurs compétiteurs sur le marché, afin ultérieurement de remonter ses prix pour récupérer ses pertes (voir également arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2009).

241. La caractérisation d'une pratique abusive de prédation s'opère à partir de la comparaison entre les prix de vente et différents niveaux envisageables de coûts : coût variable moyen, coût total moyen et, dans des cas plus complexes, coût incrémental (arrêt de la Cour de justice des Communautés européenne, 3 juillet 1991, Akzo/Commission, C-62-86, Rec. p. I-3359, points 71 et 72, et décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-09, précitée, points 171 à 173). A cet égard, une comparaison avec le coût incrémental apparaît plus adaptée dans le cas d'entreprises menant à la fois des activités protégées par un monopole légal ou qui l'étaient récemment et des activités en concurrence pour lesquelles les risques de subventions croisées sont plus importants. Toutefois, un test de coût démontrant que les prix sont supérieurs aux coûts totaux moyens suffit, à lui seul, à écarter la qualification de prédation, sauf circonstances exceptionnelles (voir décision n° 07-D-09, précitée, points 184 et 185).

242. En l'espèce, contrairement à ce que soutient Kiala, à ce stade de l'instruction, il n'existe aucun élément au dossier permettant d'établir que La Poste aurait mis en œuvre une pratique de prix prédateurs sur le marché de la livraison standard de colis " B2C ". En particulier, il apparaît que La Poste commercialise ses prestations de livraison en points de retrait au même prix que ses prestations de livraison à domicile, à un prix qui reste nettement supérieur à celui offert par Kiala (environ [25 %-50 %]). De plus, il n'apparaît pas, à ce jour, que l'offre So Colissimo ait entraîné une captation de la clientèle de Kiala de nature à caractériser un effet d'éviction anticoncurrentiel, le succès limité de ladite offre s'expliquant, selon La Poste, par le prix relativement élevé de ces offres et par l'indisponibilité des points relais du réseau Mondial Relay.

243. En revanche, l'instruction a révélé que La Poste fait figurer dans ses contrats de prestations de livraison de colis " Colissimo " et " So Colissimo " une clause de remise sur ses tarifs généraux hors taxe, en contrepartie d'engagements souscrits par le client-chargeur (cotes 2747 à 2957).

244. A cet égard, il convient de rappeler que, afin d'apprécier si une entreprise est susceptible d'abuser de sa position dominante en mettant en œuvre un système de rabais fidélisants, la Cour de justice des Communautés européenne a jugé qu'il y a lieu " d'apprécier l'ensemble des circonstances, et notamment les critères et les modalités d'octroi des rabais, et d'examiner si les rabais tendent, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée " (arrêt précité " Michelin I ", point 73).

245. En outre, il ressort de la communication de la Commission européenne précisant les orientations sur les priorités pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes (JOUE 2009 C 45, p. 7) que " la probabilité d'une éviction anticoncurrentielle est plus forte lorsque les entreprises ne sont pas en mesure de se faire concurrence à armes égales pour la totalité de la demande de chaque client. Un rabais conditionnel accordé par une entreprise dominante peut lui permettre d'utiliser la part non disputable de la demande de chaque consommateur (c'est-à-dire le volume qui serait de toute façon acheté par le client auprès de l'entreprise dominante) comme levier pour baisser le prix à acquitter pour la partie disputable de la demande (c'est-à-dire le volume pour lequel le consommateur préférera et pourra peut-être trouver des remplaçants) " (point 39).

246. Il en ressort également que " [l]a probabilité d'une éviction de concurrents actuels ou potentiels est d'autant plus forte que le rabais représente un pourcentage élevé du prix total, que le seuil est élevé et que l'incitation est forte en-deçà du seuil " (point 40).

247. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, dans le cadre de ses contrats de prestations de livraison de colis " Colissimo " et " So Colissimo ", La Poste consent une remise à ses clients-chargeurs sur la base d'engagements pris par ces derniers notamment quant au volume de colis que ceux-ci envisagent de confier à La Poste au cours de la période contractuelle, au chiffre d'affaires que ceux-ci envisagent de réaliser avec elle ou encore [secret des affaires] (cotes 5666 à 5694).

248. S'agissant plus particulièrement de l'engagement sur le volume ou le chiffre d'affaires souscrit par le client-chargeur, il concerne l'ensemble des colis confiés à La Poste dans le cadre des offres " So Colissimo ", " Colissimo Access F " et " Colissimo Expert F " de sorte que pour apprécier le respect de l'engagement souscrit par le client, sont prises en compte à la fois, les données relatives à la livraison à domicile et celles concernant la livraison en points de retrait, en bureau de poste ou en consignes (cotes 1099, 1132, 1165, 1250 et 1281).

249. Par ailleurs, en contrepartie des engagements du client-chargeur, la remise consentie par La Poste peut être importante et constituer une réduction significative du prix payé par le client-chargeur. Ainsi, cette remise pourrait être supérieure à [30 %-50 %] % (cote 1376) et s'appliquerait à l'ensemble des volumes livrés, et non à la seule part des volumes excédant le seuil de déclenchement des remises.

250. Enfin, il apparaît que, lorsque le client-chargeur ne respecte pas ses engagements, certains contrats So Colissimo proposés par La Poste prévoient la possibilité pour La Poste, à l'issue de chaque trimestre, de modifier " le(s) taux de remise consenti(s), et ce en fonction des volumes confiés à La Poste au cours du dernier trimestre " (affaire 10/0088 F, cotes 1108, 1140, 1173 et 1257) ou de procéder " à un réajustement rétroactif de la remise " (affaire 10/0088 F, cotes 1205 et 1231). Or, ces stipulations ne précisent pas l'ampleur de la modification ou du réajustement concerné.

251. Compte tenu du fait qu'il est peu probable que les opérateurs de livraison en points de retrait soient capables de proposer une offre de livraison de colis à domicile susceptible de constituer une alternative à celle de La Poste, et du mode de calcul utilisé par La Poste pour apprécier le respect des engagements souscrits par le client-chargeur, qui cumule à la fois les données relatives à la livraison à domicile et celles relatives aux autres modes de livraison, une telle pratique de rabais fidélisants est susceptible d'inciter les clients-chargeurs à privilégier une solution de livraison de La Poste au détriment d'une solution de livraison d'un autre opérateur, lorsque le consommateur ne choisit pas la livraison à domicile comme mode de remise de son colis.

252. Partant, il conviendra de procéder à une instruction sur le fond afin de vérifier si, compte-tenu de la structure et du mode d'octroi des remises de La Poste, des concurrents seraient bien en mesure, par une politique de prix suffisamment compétitive, de convaincre la clientèle de La Poste de leur confier une partie de leurs volumes de colis à livrer, ou si La Poste a mis en œuvre une pratique de rabais fidélisants susceptible d'entraver l'expansion ou l'entrée même de concurrents sur le marché de la livraison standard de colis " B2C ".

c) Sur l'accès à l'infrastructure de livraison de La Poste

253. Dans sa saisine, Kiala prétend que La Poste lui aurait opposé un refus d'accès à son infrastructure terminale de livraison (bureaux de poste et personnels) qui constituerait une infrastructure essentielle. La saisissante soutient également que ce refus serait discriminatoire dans la mesure où La Poste aurait permis à 3 Suisses et à La Redoute de bénéficier du programme Synergie Postale.

254. La jurisprudence tant nationale que communautaire encadre strictement la définition d'une infrastructure essentielle et les conditions dans lesquelles la liberté économique du détenteur d'une infrastructure essentielle peut être limitée.

255. Le Conseil de la concurrence a eu à plusieurs reprises l'occasion d'énumérer les cinq critères cumulatifs permettant de se livrer à une telle appréciation :

- en premier lieu, l'infrastructure est possédée par une entreprise qui détient un monopole (ou une position dominante) ;

- en deuxième lieu, l'accès à l'infrastructure est strictement nécessaire (ou indispensable) pour exercer une activité concurrente sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l'infrastructure détient un monopole (ou une position dominante) ;

- en troisième lieu, l'infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions raisonnables par les concurrents de l'entreprise qui la gère ;

- en quatrième lieu, l'accès à cette infrastructure est refusé ou autorisé dans des conditions restrictives injustifiées ;

- en dernier lieu, l'accès à l'infrastructure est possible (78).

256. Ainsi, dès lors que de tels critères sont réunis, constitue un abus de position dominante prohibé par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, le refus par le détenteur de l'infrastructure essentielle d'en donner l'accès à ses concurrents dans des conditions équitables (notamment orientées vers les coûts) et non discriminatoires, à moins que ce refus ne soit justifié par des raisons légitimes (79).

257. Le Conseil de la concurrence a néanmoins déjà souligné que le droit d'accès à une infrastructure essentielle ne devait pas être trop aisément reconnu, notamment au regard des critères d'impossibilité de trouver une solution alternative ou de la reproduire à des conditions économiques raisonnables, au risque de compromettre l'incitation à l'innovation et, in fine, une situation de saine concurrence (80). En ce sens également, la Cour de justice des Communautés européenne a elle-même indiqué que si elle avait jugé abusif le fait, pour une entreprise détenant une position dominante sur un marché donné, de refuser de fournir à une entreprise avec laquelle elle se trouve en concurrence sur un marché voisin les matières premières ou les services indispensables à l'exercice des activités de celle-ci, elle l'a fait dans la mesure où le comportement en cause était de nature à éliminer toute concurrence de la part de cette entreprise (81).

258. En l'espèce, l'instruction a révélé que plusieurs entreprises opèrent sur le marché de la livraison standard de colis " B2C " en concurrençant La Poste, parmi lesquelles Sogep et Mondial Relay. En effet, ces entreprises, qui appartiennent aux deux groupes les plus importants de la vente à distance, ont été en mesure de développer une infrastructure complète de livraison, aux fins d'acheminer les volumes de colis provenant des enseignes de leur groupe (82). Elles estiment d'ailleurs disposer d'une infrastructure leur permettant d'assurer l'envoi de colis à l'ensemble des clients finaux de leur propre clientèle (cotes 241 et 783).

259. Ainsi, l'accès à l'infrastructure de La Poste n'est pas strictement nécessaire pour exercer une activité de livraison de colis. A cet égard, il est indifférent que, pour leurs besoins, ces entreprises fassent appel à la sous-traitance d'opérateurs logisticiens, pour une partie, parfois la plus importante, de leur activité (83). En effet, s'agissant d'une activité susceptible de connaître des variations d'activité importantes, d'une année à l'autre, voire au cours d'une même année (les mois de novembre et de décembre connaissent traditionnellement un doublement de l'activité par rapport aux autres mois de l'année), le recours à la sous-traitance octroie à ces entreprises la souplesse qu'elles recherchent pour répondre à ces évolutions, en leur permettant, le cas échéant, de transformer en coûts variables les coûts fixes associés à ce surcroît d'activité.

260. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient Kiala, l'infrastructure terminale de La Poste ne semble pas répondre aux conditions posées par la jurisprudence précitée pour constituer une infrastructure essentielle. Dès lors, le refus d'accès à cette infrastructure opposé par La Poste à Kiala, à supposer qu'il soit établi, ne saurait constituer un abus de position dominante contraire aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

261. En revanche, il ressort du dossier que La Poste propose à certains opérateurs, notamment Sogep et Mondial Relay, une offre dénommée Synergie Postale par laquelle elle leur assure une prestation de livraison standard de colis " B2C " à domicile mais leur sous-traite une partie de la prestation de transport.

262. Dans ses observations, La Poste indique que Synergie Postale n'est pas une offre d'accès à une quelconque infrastructure mais un schéma contractuel tout à fait classique utilisé couramment par La Poste lorsque ses clients réalisent eux-mêmes une partie de la prestation. La Poste explique qu'elle propose cette solution à tous les clients ayant un volume de colis significatif et disposant d'une solution de transport en propre.

263. Il y a lieu de relever que la solution Synergie Postale s'apparente à une forme particulière d'offre de livraison de colis de La Poste par laquelle celle-ci confie à ses clients une partie de la prestation de livraison de colis. Ainsi, les clients assurent la partie amont du transport des colis (de leurs centres de stockage jusqu'aux points d'entrée dans le réseau de La Poste), tandis que La Poste, quant à elle, en exécute la partie aval (de ces points d'entrée dans le réseau jusqu'aux domiciles des consommateurs).

264. Partant, les conditions d'accès discriminatoires à l'offre Synergie Postale pourraient constituer, si elles étaient avérées, un abus de position dominante de la part de La Poste sur le marché de la livraison standard de colis " B2C ". Or, en l'espèce, La Poste n'explique pas pour quelles raisons Kiala n'aurait pas accès à cette offre alors même qu'elle dispose d'une solution de transport en propre pour acheminer les colis de ses clients-chargeurs vers les agences régionales de Mondial Relay et qu'elle traite chaque année un volume d'environ [8-13] millions de colis.

265. Il conviendra donc de procéder à une instruction sur le fond pour apprécier à quelles conditions précises La Poste permet à certains de ses clients, qui sont par ailleurs ses concurrents sur le marché de la livraison de colis " B2C ", d'accéder à l'offre Synergie Postale.

d) Sur l'incitation ou la participation de La Poste à la rupture par Mondial Relay de son contrat de partenariat avec Kiala

266. Selon la jurisprudence communautaire, la notion d'exploitation abusive est " une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence " (arrêts de la Cour de justice des Communautés européenne du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, 85-76, Rec. p. 461, point 91, et du 11 décembre 2008, Kanal 5 et TV 4, C-52-07, Rec. p. I-9239, point 26).

267. Par ailleurs, il résulte d'une pratique décisionnelle constante du Conseil de la concurrence puis de l'Autorité que " [l]a concurrence suppose un certain degré de rivalité et de compétition entre les acteurs d'un marché. Néanmoins, cette lutte pour la conquête de la clientèle n'autorise pas tous les comportements, surtout de la part d'une entreprise qui, détenant une position dominante sur un marché, encourt une responsabilité particulière " (voir, notamment, décision n° 09-D-14 du 25 mars 2009, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l'électricité, point 57, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 23 mars 2010). En particulier, dans un marché libéralisé, un opérateur historique, au capital majoritairement détenu par l'État, détenant une position dominante, ne doit pas viser dans la mise en œuvre de sa stratégie commerciale à un assèchement de la concurrence.

268. Dès lors, il ne saurait être exclu qu'en mettant en œuvre une pratique visant à inciter une autre entreprise à rompre un accord exclusif avec une autre entreprise, telle que cette pratique serait de nature à influencer la structure du marché et aurait pour effet de faire obstacle au maintien ou au développement d'une concurrence effective sur ce marché, une entreprise en position dominante commettrait un abus contraire aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

269. La qualification d'une telle pratique d'anticoncurrentielle impliquerait que l'entreprise en position dominante ait utilisé son pouvoir de marché pour inciter à la rupture de l'accord exclusif, en ayant recours pour ce faire à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale entre concurrents.

270. En l'espèce, contrairement à ce que soutient Kiala, aucun élément dont dispose l'Autorité de la concurrence ne permet d'établir un lien de causalité direct et certain entre le comportement de La Poste ayant consisté à retenir la candidature de Mondial Relay à l'issue de son appel d'offres en 2009 et la rupture des relations contractuelles entre Mondial Relay et Kiala qui s'en est suivie.

271. [Ce paragraphe couvert par le secret des affaires explique la manière dont a été réglé le différend entre Mondial Relay et Kiala].

272. [Idem].

273. [Idem].

274. [Idem].

275. [Idem].

276. [Idem].

277. Il résulte de ce qui précède qu'à ce stade de l'instruction, aucun élément du dossier n'est de nature à établir que La Poste aurait fait usage d'un quelconque pouvoir de marché pour inciter Mondial Relay à rompre son partenariat avec Kiala.

e) Sur la pratique de ventes liées

278. Kiala soutient que l'offre So Colissimo offerte par La Poste serait une offre de couplage illicite qui aurait un effet d'éviction lié à l'impossibilité pour les sites de vente en ligne d'opter de façon simultanée pour deux réseaux différents de livraison hors domicile.

279. Dans la Communication du 24 février 2009 sur les priorités retenues par la Commission européenne pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes (JOUE 2009 C 45, p. 7), il est indiqué qu'" il y a 'vente liée' lorsque la vente d'un produit donné (le produit liant) est subordonnée à l'achat d'un autre produit (le produit lié) à l'entreprise dominante. Cette pratique peut avoir des raisons techniques ou résulter de dispositions contractuelles. La notion de 'vente groupée' renvoie habituellement aux modalités selon lesquelles les produits sont proposés et leurs prix fixés par l'entreprise dominante. Dans le cas de la vente groupée pure, les produits ne sont vendus qu'ensemble, dans des proportions fixes. Dans le cas de la vente groupée mixte, souvent aussi appelée 'rabais multiproduits', les produits sont également disponibles séparément, mais la somme des prix de chacun des produits est supérieure au prix total résultant de la vente groupée " (point 48).

280. Si de telles pratiques sont courantes, " une entreprise qui occupe une position dominante sur un ou plusieurs marchés de produits liés ou groupés (marché liant) peut léser les consommateurs du fait de cette vente liée ou groupée, en ce qu'elle verrouille le marché des autres produits faisant l'objet de la vente liée ou groupée (marché lié) et, indirectement, le marché liant " (point 49 de la communication précitée).

281. Pour que de telles pratiques soient considérées comme abusives de la part d'une entreprise en position dominante, il faut, d'une part, que les produits liants et liés soient des produits distincts et, d'autre part, que la vente liée soit susceptible de déboucher sur une éviction anticoncurrentielle (point 50 de la communication précitée).

282. En l'espèce, l'offre So Colissimo proposée par La Poste consiste à proposer aux clients-chargeurs le référencement d'une gamme de cinq services de livraison parmi lesquels le consommateur pourra choisir afin de réceptionner son colis, lorsque celui-ci effectue un achat à distance par Internet. Ces services sont les suivants : livraison en points de retrait, livraison à domicile sans ou sur rendez-vous, livraison en espace Cityssimo ou livraison en bureau de poste.

283. Dans le cadre de cette offre, La Poste ne facture au client-chargeur que le prix des prestations effectivement fournies, en l'occurrence le prix du service de livraison choisi par le consommateur au moment de son achat. En d'autres termes, le référencement de cette gamme de services n'entraîne pas de paiement fixe de la part du client-chargeur, susceptible ensuite de le dissuader d'acquérir des prestations de services d'un autre opérateur. Il n'entraîne pas non plus de remise de gamme, c'est-à-dire l'offre d'un prix qui serait inférieur à la somme des prix de chacun de ces services, incitant le client-chargeur à référencer l'intégralité de la gamme proposée de services, hormis dans le cadre des remises quantitatives discutées plus haut. Partant, le client-chargeur ne réalise aucune économie en proposant à sa clientèle l'ensemble des services de livraison contenus dans l'offre So Colissimo et n'est pas dissuadé, du fait du choix de l'offre, de référencer les offres de livraison de colis, notamment en points de retrait d'autres prestataires.

284. De plus, La Poste continue de proposer sur le marché deux offres de livraison à domicile distinctes de l'offre "So Colissimo", à savoir les offres "Colissimo Access" (livraison à domicile " simple ") et "Colissimo Expert" (livraison à domicile " contre signature "). Les clients-chargeurs peuvent donc continuer à faire appel à La Poste pour la livraison à domicile et opter, le cas échéant, pour un autre opérateur pour proposer d'autres modes de livraison à leur clientèle. Par ailleurs, il convient de relever que le tarif pratiqué pour chacune des prestations de livraison incluse dans l'offre So Colissimo est le même, quel que soit le mode de livraison choisi, et est égal en l'occurrence au tarif de la livraison à domicile. Chacune des modalités de l'offre est donc proposée à un prix supérieur à celui des autres services de livraison existant sur le marché.

285. Enfin, il convient de relever qu'aucun élément du dossier ne démontre en quoi l'intégration technique de l'offre "So Colissimo" sur le site Internet d'un client-chargeur empêcherait ce dernier de référencer parallèlement à l'offre en cause des services concurrents. Si des sites en ligne souhaitent, pour différentes raisons, ne référencer qu'un nombre limité de solutions de livraisons, il n'apparaît pas que la diversité et le nombre des services inclus dans l'offre "So Colissimo" puissent, à eux seuls, entraîner l'éviction d'offres concurrentes.

286. Il résulte de ce qui précède qu'à ce stade de l'instruction, aucun élément du dossier n'est de nature à établir que La Poste se livrerait, au travers de l'offre "So Colissimo", à une pratique de ventes liées susceptible de déboucher sur une éviction anticoncurrentielle, contraire aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

D. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

287. Aux termes de l'article L. 464-1 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut " prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. [...] Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ". Il ressort de ces dispositions que les mesures conservatoires prises en vertu de l'article L. 464-1 précité doivent répondre à une atteinte revêtant de façon cumulative un caractère de gravité et un caractère d'immédiateté.

1. LES MESURES CONSERVATOIRES DEMANDÉES PAR KIALA

288. Accessoirement à sa saisine au fond, Kiala demande à l'Autorité de la concurrence de prononcer les mesures conservatoires suivantes :

Ordonner la suspension de l'exécution du contrat conclu entre La Poste et Mondial Relay [n° 1] ;

Ordonner la suspension de l'exécution des articles suivants du protocole d'accord conclu entre Mondial Relay et Kiala [n° 2] :

- l'article 1.1, dans la mesure où il prévoit la rupture définitive de leurs relations commerciales à effet en [...] (ce dont il résultera la poursuite de la relation commerciale entre les parties jusqu'à la décision au fond) ;

- l'article 1.3, dès lors qu'il permet à Mondial Relay à la fois de démarcher des clients en dehors des enseignes de son Groupe, et de fournir ses services à La Poste depuis le 1er septembre 2010 ;

- l'article 1.6, dès lors qu'il interdit à Kiala d'utiliser un quelconque réseau autre que celui de Presstalis ;

Interdire la conclusion de tout nouvel accord avec un réseau existant de points de retraits ainsi qu'avec des points de retrait individuels [n° 3] ;

Ordonner la suspension de tout accord déjà conclu avec un réseau existant de points de retrait ainsi qu'avec des points de retrait individuels [n° 4] ;

Ordonner la suspension de toute offre commerciale liant les différentes modalités de livraison de colis possibles, que ce soit en imposant un achat groupé ou en permettant le bénéfice de remises liées à l'achat cumulé de plusieurs modalités de livraison ou une remise globalisant ces chiffres d'affaires [n° 5] ;

Enjoindre à La Poste d'offrir dans un délai maximum de quatre mois à compter de la notification de la présente décision, une offre technique et commerciale d'accès à son infrastructure de livraison de colis dans les conditions de la demande de Kiala en date du 18 octobre 2010 " [n° 6].

289. A titre liminaire, il convient de souligner que la demande des mesures conservatoires n° 2, 5 et 6 ne saurait être accueillie puisqu'elle concerne des pratiques pour lesquelles il n'a pas été démontré, à ce stade de l'instruction, qu'elles étaient susceptibles d'être qualifiées d'anticoncurrentielles. En revanche, seront examinées les conditions d'octroi de mesures conservatoires, notamment les n° 1, 3 et 4 proposées par Kiala, pour l'accord entre La Poste et Mondial Relay qui paraît pouvoir constituer, à ce stade de l'instruction, une entente anticoncurrentielle.

2. SUR L'EXISTENCE D'UNE ATTEINTE GRAVE ET IMMÉDIATE

290. La Poste conteste l'existence d'une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, au secteur intéressé ou à l'intérêt des consommateurs. Selon elle, le secteur de la distribution de colis serait dynamique et innovant grâce notamment, à la croissance du commerce en ligne. De nombreux partenariats entre les acteurs se développeraient, permettant d'offrir de nombreux services aux consommateurs. Par ailleurs, de nouvelles offres seraient lancées, notamment celles permettant l'envoi de colis de particuliers à particuliers, de points de retrait à points de retrait dans le cadre d'une livraison express. En outre, l'accord entre La Poste et Mondial Relay, d'une durée de trois ans, permettrait à Coliposte d'entrer efficacement sur le marché avec une offre innovante. Cet accord serait donc manifestement favorable à la concurrence, et ce d'autant que le projet n'entraînerait ni exclusivité en faveur de La Poste, ni saturation du réseau de Mondial Relay, et que les gestionnaires de réseaux de points de retrait seraient en mesure de l'étendre pour accueillir un prestataire tiers. La Poste soutient enfin que de nombreux acteurs sont présents sur le secteur de la livraison de colis " B2C " en points de retrait et qu'aucun d'entre eux n'est amené à disparaître du fait de son arrivée, de sorte que le marché compterait autant de réseaux après qu'avant l'entrée de La Poste sur le marché.

291. Mondial Relay, quant à elle, fait valoir qu'elle a déjà conclu [200-300] contrats avec des clients-chargeurs, lesquels bénéficieraient donc d'une nouvelle alternative depuis que Mondial Relay n'est plus liée par une clause d'exclusivité avec Kiala. Elle allègue également que d'autres acteurs présents sur le marché auraient développé leurs propres outils logistiques et logiciels, comme Mondial Relay, et seraient en mesure de se substituer, le cas échéant, à Kiala.

292. Mais il ressort de l'analyse concurrentielle précédemment exposée que l'accord entre La Poste et Mondial Relay est susceptible d'atténuer sensiblement la concurrence sur le marché de la livraison standard de colis " B2C " en conduisant à l'éviction ou à la marginalisation des concurrents et en dégradant les incitations de Mondial Relay à concurrencer La Poste. Du fait de l'accord litigieux, la position dominante de La Poste sur le marché en cause pourrait se trouver rapidement renforcée, grâce, notamment, à la durée limitée des contrats liant les prestataires de livraison et les sites de vente en ligne, permettant ainsi à La Poste de tirer immédiatement parti de l'extension de son réseau par rapport à ceux de ses concurrents (voir à cet égard le raisonnement suivi par la Cour d'appel de Paris dans l'arrêt du 9 mai 2006, NMPP/SAEMTP).

293. Or, le marché de la livraison standard de colis " B2C " constitue un vecteur essentiel de la concurrence sur le secteur postal. En effet, comme l'Arcep l'a souligné dans son avis, le marché de la livraison standard de colis " B2C " concerné par les pratiques en cause constitue le principal segment du secteur postal sur lequel s'est développée une certaine pression concurrentielle sur l'opérateur historique, pression d'autant plus importante aujourd'hui que l'activité de livraison de colis en points de retrait connaît une forte croissance liée à l'essor du commerce électronique (cf. §§ 30-31). Ainsi, les gestionnaires de réseaux, tels que Mondial Relay et Sogep qui, jusqu'à récemment, privilégiaient la livraison des colis émanant de leur groupe paraissent à présent disposés à développer eux-mêmes une activité de livraison de colis en points de retrait à destination de clients tiers. Le marché de la livraison standard de colis " B2C " est aussi, pour les opérateurs qui y sont actifs, un vecteur de développement vers d'autres activités du marché postal. En effet, Kiala, Sogep et Mondial Relay ont d'ores et déjà choisi de proposer des prestations de livraison de colis " C2C " (84) à partir de schémas logistiques réalisés pour la livraison " B2C ". Plus largement, la mutualisation des coûts logistiques effectuée lors de la livraison en points de retrait pourrait par exemple, à terme, permettre de rentabiliser une activité de livraison à domicile, au moins pour les zones densément peuplées.

294. En créant un risque d'éviction ou de marginalisation des concurrents, l'accord entre La Poste et Mondial Relay est donc de nature à compromettre le développement de la concurrence naissante sur ce segment de marché mais aussi, à plus long terme, de remettre en cause toute possibilité d'animation concurrentielle dans le secteur postal, alors même que celui-ci vient d'être entièrement libéralisé depuis le 1er janvier 2011.

295. Cette atteinte apparaît comme d'autant plus immédiate qu'elle intervient dans un environnement concurrentiel qui pourrait, dès [...], se trouver très affaibli en raison de la fin du partenariat entre Mondial Relay et Kiala. En effet, Kiala, qui constitue actuellement le principal concurrent de La Poste, ne pourra plus compter que sur le réseau Presstalis à compter de cette date. Or, à ce stade de l'instruction, il n'est pas certain que ce réseau puisse permettre à Kiala d'offrir sur le marché des prestations suffisamment attractives pour concurrencer La Poste qui, en plus de disposer de ses propres points de retrait, sera adossée au réseau de Mondial Relay. De ce fait, l'accord, susceptible par nature de dégrader la situation concurrentielle sur le marché, intervient précisément au moment où l'un de ses principaux animateurs sera en difficulté et ne pourra plus exercer une pression concurrentielle suffisante pour contrebalancer les effets restrictifs de concurrence identifiés.

296. Plus généralement, l'immédiateté de l'atteinte résulte, en l'espèce, de l'existence de la note de cadrage de La Poste datée de 2008 dans laquelle cette dernière fait état d'une orientation commerciale stratégique qu'elle est en train de mettre en œuvre et aux termes de laquelle elle explique vouloir s'adjoindre tous les réseaux constitués. En effet, après avoir rappelé que 15 % du nombre d'acheteurs " préfèrent le relais à tout autre mode de livraison ", La Poste propose : " de s'associer potentiellement à tous les réseaux constitués " à savoir, " tous les bureaux de poste, le réseau Sogep, le réseau Mondial Relay, A2PAS (bureaux de tabac) ", et ce sans que ne soit, à aucun moment, évoquée la nécessité économique d'une telle démarche. L'adjonction, par La Poste, opérateur dominant sur le marché de livraison standard de colis, du réseau de Mondial Relay et, potentiellement, de tous les réseaux de points de retrait constitués, conduirait à assécher la concurrence et enverrait un signal négatif en dissuadant les opérateurs tiers de développer leur activité sur le marché de livraison de colis, primordial pour le développement de la concurrence sur le secteur postal.

297. Contrairement à ce qu'allèguent Mondial Relay et La Poste, le fait que leur projet d'accord soit de plusieurs mois antérieur à la saisine de l'Autorité, de même que la circonstance que l'accord ait été suspendu par La Poste, ne remet pas en cause l'existence d'une atteinte grave et immédiate justifiant une intervention en urgence de l'Autorité.

298. En effet, le Conseil de la concurrence a déjà considéré que l'octroi de mesures conservatoires est possible dans l'hypothèse où la mise en œuvre de l'accord auquel se rapportent les pratiques est imminente (décision n° 06-MC-01 du 23 février 2006 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par les sociétés les Messageries Lyonnaises de Presse et Agora Diffusion Presse, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 mai 2006).

299. En l'espèce, si l'accord entre La Poste et Mondial Relay n'est pas encore entré en vigueur, en raison de la décision de La Poste d'en suspendre l'exécution, le caractère immédiat de l'atteinte au secteur et à l'intérêt des consommateurs peut néanmoins être caractérisé puisque la décision annoncée par La Poste ne revêt aucune force obligatoire et que rien n'empêcherait celle-ci de revenir à tout moment sur son engagement.

300. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la mise en œuvre, possible et imminente, du partenariat conclu entre La Poste et Mondial Relay caractérise une atteinte grave et immédiate au maintien d'une concurrence suffisante dans le secteur intéressé, au détriment de l'économie générale et de l'intérêt des clients, qui justifie le prononcé d'une mesure conservatoire.

3. SUR LA NATURE DE LA MESURE CONSERVATOIRE

301. L'Autorité peut intervenir notamment en "gelant" une situation afin d'éviter qu'une pratique très vraisemblablement anticoncurrentielle porte une atteinte grave, immédiate et difficilement réversible au mécanisme concurrentiel. Dans ce cadre, les mesures conservatoires prononcées par l'Autorité de la concurrence doivent néanmoins être nécessaires et proportionnées à l'urgence.

302. S'agissant des mesures conservatoires n° 3 et 4 demandées par Kiala, visant à interdire à La Poste de conclure tout nouvel accord avec un réseau existant de points de retrait ou avec des points de retrait individuels, et à lui ordonner la suspension de tout accord de ce type déjà conclu, ces mesures ne sauraient être accueillies dès lors, même s'il ressort de la note de cadrage de 2008 citée plus haut que La Poste pourrait avoir pour intention de signer d'autres partenariats, que l'Autorité de la concurrence n'a pas, à ce stade de l'instruction, constaté de telles pratiques et qu'elle ne peut donc pas se prononcer sur ces dernières.

303. En revanche, l'Autorité de la concurrence considère qu'au regard des risques déjà identifiés que représente, pour la concurrence, l'accord entre La Poste et Mondial Relay, il convient, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de maintenir la suspension de l'accord entre La Poste et Mondial Relay. Ainsi, l'Autorité prend acte de l'engagement pris par le Président de La Poste, dans son courrier du 12 janvier 2011, de " suspendre la signature du contrat avec Mondial Relay jusqu'à ce que l'Autorité ait statué " et enjoint à La Poste de maintenir cette suspension.

304. Selon La Poste, la suspension de l'exécution du contrat conclu avec Mondial Relay serait disproportionnée alors que ce contrat est non-exclusif, n'entraînerait aucune saturation du réseau de Mondial Relay et par conséquent n'accaparerait nullement ce réseau. Selon Mondial Relay, cette suspension remet en cause la pérennité même de son activité (85).

305. Toutefois, il convient de souligner que, comme indiqué ci-dessus, par courrier du 12 janvier 2011 adressée au ministre de l'Économie et au Président de l'Autorité de la concurrence, La Poste a d'elle-même choisi de suspendre la signature du contrat avec Mondial Relay jusqu'à ce que l'Autorité ait statué. Par ailleurs, il a été démontré que, si l'accord litigieux ne prévoit pas d'exclusivité de droit, dans les faits, il est susceptible de conférer à La Poste une priorité d'utilisation du réseau en points de retrait de Mondial Relay pouvant conduire à accroître encore le pouvoir de marché de La Poste, à dissuader Mondial Relay de développer des partenariats avec d'autres opérateurs, et à atténuer la concurrence devant exister entre La Poste et Mondial Relay.

306. En tout état de cause, en vertu des mesures prononcées, La Poste pourra continuer à assurer ses prestations de livraison de colis en points de retrait dans les mêmes conditions que celles existant aujourd'hui, c'est-à-dire par le biais de son réseau Pickup Services. De même, la suspension de l'accord litigieux n'aura pas non plus de conséquences à l'égard des clients-chargeurs, puisqu'elle ne réduira pas la structure de la concurrence en empêchant La Poste ou Mondial Relay d'opérer. En revanche, du fait de la mesure conservatoire prononçant la suspension de l'accord entre La Poste et Mondial Relay, cette dernière pourrait enregistrer un manque à gagner puisqu'elle ne pourra pas traiter les colis que La Poste aurait pu lui confier. Cependant, ici encore, il convient de rappeler qu'en l'absence de mesure conservatoire, Mondial Relay aurait de toute façon subi un manque à gagner du fait de la décision prise d'elle-même par La Poste le 12 janvier 2011 de suspendre la signature du contrat. Surtout, Mondial Relay conserve la faculté, si cela était nécessaire, de conclure un partenariat avec d'autres opérateurs.

307. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de prononcer la mesure conservatoire décrite au paragraphe 303.

Decision

Article unique : L'Autorité de la concurrence prend acte de l'engagement pris par le Président de La Poste, dans son courrier du 12 janvier 2011, de " suspendre la signature du contrat avec Mondial Relay jusqu'à ce que l'Autorité ait statué " et enjoint au groupe La Poste de maintenir cette suspension jusqu'à ce qu'intervienne la décision au fond de l'Autorité dans cette affaire.

Délibéré sur le rapport oral de M. Alexandre Lacresse et l'intervention de M. Etienne Pfister, rapporteur général adjoint, par M. Patrick Spilliaert, vice-Président, Président de séance, Mme Laurence Idot et M. Yves Brissy, membres.

Notes

1 version non confidentielle (les passages entre crochets sont protégés par le secret des affaires).

2 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 20 juillet 2005, " Actions communes pour la croissance et l'emploi : le programme communautaire de Lisbonne " (COM(2005) 330 final, non publiée au JOUE).

3 Article 3, paragraphe 1, de la directive 97-67 modifiée.

4 Article 12 de la directive 97-67 modifiée.

5 Article 3, paragraphes 2 et 3, de la directive 97-67 modifiée.

6 Article 3, paragraphe 4, de la directive 97-67 modifiée.

7 Dans les conditions prévues à l'article L. 5-1 du CPCE.

8 Article L. 1, alinéa 4, du CPCE.

9 Article 7 de la directive 97-67 modifiée.

10 Article L. 2-2 du CPCE.

11 Annexe I de la directive 97-67 modifiée fixant les orientations pour le calcul du coût net éventuel du service universel ; En principe, " [l]e coût net des obligations de service universel correspond à tout coût lié et nécessaire à la gestion de la fourniture du service universel. Ce coût correspond à la différence entre le coût net supporté par un prestataire de service universel désigné lorsqu'il est soumis aux obligations de service universel et celui qui est supporté par le même prestataire de services postaux lorsqu'il n'est pas soumis à ces obligations ".

12 Article 14 de la directive 97-67 et, plus généralement, voir chapitre 5 de ladite directive relatif aux principes tarifaires et à la transparence des comptes (articles 12 à 15).

13 Articles L. 5-2, 6 et R. 20-32 du CPCE.

14 Article R. 20-31 du CPCE.

15 Article L. 5-2, 3 du CPCE.

16 Cote 262.

17 Cote 810.

18 Observations de La Poste, cotes 1895-1896. Voir également, " Etude la FEVAD ", cotes 1954-1957 ; " Etude du CREDOC ", cotes 1979-1987 ; " Etude de La Poste sur les préférences des consommateurs ", cote 2241 ; "Considérations sur la stratégie de ColiPoste ", cotes 2297-2302 ; " Note de cadrage ", cotes 2269-2271.

19 Cf. les articles référencés par Mondial Relay dans ses observations, pièces n°31 et n°32.

20 Voir §§ 76 à 78.

21 Cotes 244 à 247 et 4261 à 4264.

22 Le " Colissimo Access F ", offre de livraison standard nationale avec suivi et livraison directement en boite aux lettres sans signature, le " Colissimo Expert F ", offre de livraison standard nationale avec suivi et livraison contre signature, le " Colissimo Services F " (prestation retour), offre de livraison standard nationale avec suivi contre signature à la distribution, et le " Colissimo Profil ", équivalent du " Colissimo Access F " pour les gros clients capables de remettre à La Poste des colis triés par destination en quantité suffisante.

23 JOUE du 19/12/2008, avis n° 2008/S245-326709 ; affaire 10/0097 F, cotes 327 à 334.

24 Exapaq est filiale de GeoPost depuis mars 2006. Voir le site Internet de Exapaq (http://www.exapaq.com/index.php/fr/Connaitre-Exapaq/Historique-et-chiffres-cles).

25 Voir avis d'attribution publié au supplément du JOUE consacré aux marchés publics européens, le 25 septembre 2009 ; Affaire 10/0097 F, cotes 327 à 334.

26 Moyennant un surcoût de 3 euro. Actuellement disponible uniquement dans certains arrondissements de Paris.

27 Une trentaine de points de retrait dans cinq villes de France : Paris, Lyon, Marseille, Lille et Nantes.

28 Voir procès-verbal d'audition de Kiala, cotes 195 à 202.

29 Affaire 10/0088 F, cotes 7 à 130.

30 [...] Mondial Relay n'avait que [1-10] clients : [...] ; Affaire 10/0097 F, cote 14.

31 Voir procès-verbal d'audition de Sogep, cotes 780 à 784.

32 Procès-verbal d'audition d'Altadis, cotes 2493 à 2498.

33 Procès-verbal d'audition de Presstalis, cotes 2500 à 2505, ainsi que le courriel du 25 février 2011, cotes 4251 à 4254.

34 Affaire 10/0088 F, Cotes 156 à 229.

35 Soit un jour avant la date du dépôt par Kiala de sa demande de mesures conservatoires devant l'Autorité.

36 (cotes 44 et 45).

37 En anglais.

38 Points 16 et 17 de la décision.

39 Décision de l'Autorité de surveillance AELE, du 14 juillet 2010, Norway Post/Privpak, aff. n°34250.

40 Voir point 359.

41 En 2010, le prix moyen d'une livraison à domicile par La Poste est de [2-5] euro. Le prix d'une livraison en point de retrait par Kiala est de [2-4] euro.

42 Voir notamment décision de la Commission européenne, Posten AB/Post Danmark A/B, précitée, point 64.

43 Cote 800.

44 Voir les procès-verbaux d'audition de Kiala (cotes 195 à 202 et 4844 à 4850), La Poste (cotes 46 à 54), Mondial Relay (cotes 238 à 243), Sogep (cotes 780 à 784), Altadis (cotes 2493 à 2498) et Presstalis (cotes 2500 à 2505), ainsi que la réponse de La Poste à une demande d'informations (cote 799) ; Voir également l'avis de l'Arcep (cote 4833).

45 Cf. les observations de La Poste, cotes 1930-1931.

46 Sur [200-250] millions de colis livré par La Poste en 2010 en " B2C ", seulement [200 000-700 000] ont été livrés hors domicile, soit une part de livraison de colis à domicile supérieure à 99 %.

47 Comme l'indique la Commission européenne dans sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit de la concurrence, " Si les ventes sont généralement la référence pour calculer des parts de marché, il y a néanmoins d'autres références, selon les produits ou l'industrie spécifiques en question, qui peuvent offrir l'information utile, telles que, notamment, la capacité, le nombre d'opérateurs dans l'offre des marchés, les unités de flottes dans le cas de l'aérospatiale ou des réserves tenues dans le cas des secteurs tels que l'exploitation minière " (soulignement ajouté).

48 Cotes 4037 à 4045.

49 Cote 4447.

50 Exapaq (PickUp Services), Mondial Relay, Presstalis, Sogep, Ici Relais (A2Pas), Casino (cote 4833).

51 Observations de Mondial Relay, cotes 2316-2317.

52 Observations de Mondial Relay, cote 2321.

53 Cote 1891.

54 Observations de Mondial Relay, cote 2316.

55 Affaire n° 10/0097 F, cotes 424 à 427.

56 Procès verbal d'audition de Mondial Relay, p. 3.

57 Procès-verbaux d'audition de Sogep, p. 2 et 3, et de Mondial Relay, cote 278.

58 Cf. annexe 4 du contrat.

59 C'est-à-dire les 13 000 points de La Poste auxquels s'ajoutent les 4 300 points de Mondial Relay. Le réseau de La Poste pourrait d'ailleurs être encore plus important si on prenait en considération comme points de retrait ses 17 000 bureaux de poste.

60 Cotes 244 à 247 et 4261 à 4264.

61 Procès-verbal d'audition de Mondial Relay, cote 241.

62 Selon Kiala, la capacité de traitement médiane du réseau de Mondial Relay est de [20-35] colis par jour et par point de retrait (cote 241). De la même façon, dans sa réponse à l'appel d'offres de La Poste, Mondial Relay a indiqué disposer d'une capacité de traitement de 20 millions de colis la première année du partenariat, soit 18 colis par jour ouvré (20 000 000/(252*4300)). Elle traite également environ [12-15] millions de colis pour les filiales de son groupe, soit environ [...] colis par jour et par point relais.

63 Réponse de Kiala à la consultation de La Poste, cote 2036.

64 Cote 1899.

65 Cote 1904.

66 Observations de Kiala, cotes 4383-4435.

67 Réponse de Kiala à la consultation de La Poste, cotes 2037 et suivantes.

68 Cote 1903.

69 Article 27, Résiliation.

70 Article 7, Modalités d'exécution, et article 8, difficultés d'exécution, du contrat entre La Poste et Mondial Relay.

71 Article 14 du projet de contrat.

72 Observations de La Poste, cotes 1933-1934.

73 Observations de Mondial Relay, cote 2336.

74 Cf. les observations de La Poste, cote 1930.

75 Cf. les observations de Mondial Relay, cote 2328.

76 Présentation de septembre 2009. Cf. les observations de Mondial Relay : " Le départ de Kiala (de Mondial Relay) entraînerait un manque à gagner immédiat de 10M€ dont 6M€ de contribution aux coûts fixes " (cote 2459).

77 Cotes 952 et 953.

78 Voir décision n° 08-D-08 du Conseil du 29 avril 2008, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'édition et de la vente de monographies touristiques, point 56, et avis n° 07-A-04 du 15 juin 2007, relatif à la possibilité de réserver aux producteurs d'une filière de qualité agricole ou alimentaire certains produits intermédiaires, point 25.

79 Voir arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2005, Presse 2000.

80 Voir les avis n° 02-A-08 du Conseil du 22 mai 2002 relatif à la saisine de l'Association pour la promotion de la distribution de la presse, et n° 07-A-04 du 15 juin 2007 relatif à la possibilité de réserver aux producteurs d'une filière de qualité agricole ou alimentaire certains produits intermédiaires, point 27.

81 Voir arrêt CJCE du 26 novembre 1998, Oscar Bronner, C-7-97, Rec. p. I-7791, point 38.

82 La plus ancienne Sogep, filiale du groupe PPR (La Redoute), opère depuis 1969 pour la livraison de colis à domicile et, depuis 1983, pour la livraison de colis en commerces de proximité (voir http://www.sogep.com/index.php/presentation-relais-colis/notre-histoire).

83 Voir procès-verbal d'audition de Mondial Relay : " [...] notre modèle repose essentiellement sur la sous-traitance, notamment pour la partie 'roulante' de notre activité qui est sous-traitée en totalité. ", cotes 238 à 243.

84 _

85 Observations de Mondial Relay, cote 2344.