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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 mars 2010, n° 08-21434

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dupas, Romo pièces autos (SA)

Défendeur :

Dupas (SA), Dupas (Consorts), Grez pièces autos (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fèvre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Ribaut, SCP Menard-Scelle-Millet, SCP Lagourgue-Olivier, SCP Hardouin

Avocats :

Mes Frenot, Sicakyuz, André, Boubée

T. com. Montereau, du 21 sept. 2004

21 septembre 2004

LA COUR,

Vu l'arrêt du 24 mai 2006 par lequel la cour de céans a:

Dit Madame Dupas responsable d'une violation de son obligation contractuelle de non-concurrence et M. Eric Dupas ainsi que les sociétés Romo pièces autos et Grez pièces autos complices de cette violation,

Mis en revanche, hors de cause M. D. Dupas,

Condamné Madame Dupas à indemniser la société Dupas du préjudice résultant de sa faute contractuelle et in solidum E. Dupas et les sociétés Romo pièces autos et Grez pièces autos du préjudice résultant de leurs fautes délictuelles,

Avant dire droit

- commis Marie-Paule Degeilh, expert-comptable, 41 avenue de Friedland - 75008 - Paris, afin d'évaluer le préjudice de la société Dupas résultant des pratiques de violation de la clause de non-concurrence et de complicité au vu des éléments comptables et autres pièces qui lui seront remis par les parties concernant les activités commerciales de Madame Dupas et de la société Romo pièces autos, de M. E. Dupas et de la société Grez pièces autos ainsi que de la société Dupas,

- fixé à 15 000 euro à la charge in solidum de Madame Dupas, de M. E. Dupas et des sociétés Romo pièces autos et Grez pièces autos, la provision qui sera déposée au greffe aux fins de l'expertise et à mois le délai donné à l'expert pour déposer son rapport,

- débouté la société Dupas de sa demande de fermeture des fonds de commerce exploités par les sociétés Romo pièces autos et Grez pièces autos,

- débouté les consorts Dupas et les sociétés Romo pièces autos et Grez pièces autos de leurs demandes reconventionnelles,

- condamné in solidum Madame Dupas et la société Romo pièces autos, M. E. Dupas et la société Grez pièces autos à payer 10 000 euro à la société Dupas sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu le dépôt du rapport d'expertise de Mme Degeilh, en date du 29 avril 2009;

Vu, enregistrées le 17 novembre 2009, les conclusions présentées par les sociétés Dupas et tendant à faire :

A titre principal :

- déclarer nul et de nul effet le rapport d'expertise déposé par Madame Degeilh,

- dire que son préjudice doit être arrêté à la somme de 2 286 000 euro,

- condamner en conséquence Madame Dupas à l'indemniser du préjudice résultant de sa faute contractuelle et in solidum M. E. Dupas ainsi que les sociétés Romo pièces autos du préjudice résultant de leurs fautes délictuelles, en les condamnant solidairement à lui payer la somme de 2 286 000 euro, avec intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir,

A titre subsidiaire :

- ordonner en tant que de besoin une nouvelle mesure d'expertise,

En tout état de cause,

- condamner in solidum Madame Dupas, M. E. Dupas ainsi que les sociétés Romo pièces autos et Grez pièces autos au versement de la somme complémentaire de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu, enregistrées le 31 décembre 2009, les conclusions présentées par Madame Dupas ainsi que par la société Romo pièces autos et tendant à faire fixer le préjudice de la société Dupas à la somme de 104 238 euro et celui imputable à elle-même au quart de cette somme :

Vu, enregistrées le 5 janvier 2010, les conclusions présentées par M. E. Dupas et la société Grez pièces autos et tendant à faire:

- fixer le préjudice total subi par la société Dupas résultant des pratiques de violation de l'obligation de non-concurrence et de complicité à la somme de 104 238 euro ;

- fixer le préjudice imputable à Mme Dupas "résultant de sa faute contractuelle" à la somme de 26 059,50 euro;

- fixer le préjudice imputable in solidum aux sociétés Grez pièces autos, Romo pièces autos et à M. E. Dupas et "résultant de leurs fautes délictuelles" à la somme de 78 178,50 euro;

- débouter la société Dupas du surplus de ses demandes fins et conclusions.

Sur la régularité du rapport expertal

Considérant que l'expert a tenu 4 réunions et établi 2 notes de synthèse avant le rapport;

Considérant qu'à l'appui de sa demande principale aux fins de constat de la nullité du rapport d'expertise la société Dupas excipe, tout d'abord, de la "durée et du déroulement anormal des opérations d'expertise" en ce que celles-ci ont pris 18 mois alors que dès la première réunion elle avait remis une note de son expert, M. Matt, lequel déterminait avec précision son préjudice à 2 286 000 euro "selon une méthodologie simple après étude des mêmes éléments comptables que ceux que l'expert judiciaire a eu en main pour répondre a sa mission "; que si la société Dupas ajoute à cette critique l'absence du "pré-rapport" annoncé par l'expert pour le mois d'octobre 2007, il convient, toutefois, de relever que dans sa note de synthèse du 4 avril 2008 Madame Degeilh avait elle-même souligné : " Je n'ai pas annoncé lors de votre réunion du 6 septembre 2007 que j'établirai un pré-rapport. Je n'établis un pré-rapport que lorsque la décision de justice me le demande expressément "; qu'en tout état de cause, la circonstance que l'expert ait adressé aux parties une seconde "note de synthèse" et non un pré-rapport ne saurait aucunement constituer une irrégularité susceptible d'entacher de nullité son rapport ; qu'il en est de même de la durée des opérations, laquelle a été induite par la complexité de l'évaluation à effectuer et par l'opposition même entre les parties sur les calculs à réaliser et les paramètres à prendre en compte ; qu'enfin la société Dupas ne peut utilement reprocher à l'expert d'avoir accompli sa mission et de ne pas s'être contenté de reprendre l'analyse de M. Matt;

Considérant que la société Dupas soutient, en deuxième lieu, que l'expert n'aurait pas tenu compte de l'impact de la société Cash Autos dans la détermination de son préjudice et ce en violation de l'autorité de la chose jugée puisque l'arrêt susvisé mentionne expressément cette société dans l'appréciation des faits reprochés à Madame Dupas ; que, cependant, il ressort de l'examen des énonciations de rapport expertal que celui-ci a expressément pris en considération l'impact allégué de la société Cash Autos et, après une analyse précise du chiffre d'affaires réalisé par la société Dupas, écarté toute incidence sur l'activité de cette dernière de l'installation de ladite société ; qu'aucune violation de l'autorité de la chose jugée ne saurait, dès lors, être imputée à Madame Degeilh de ce chef;

Considérant que la société Dupas reproche, en troisième lieu, au rapport d'expertise "la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense" au motif d'une "prétendue absence de transmission de pièces dont il est avéré qu'elle est inexacte" ; que, cependant, l'intéressée indique elle-même dans ses écritures n'avoir transmis que le seul " chiffre d'affaires mensuel de l'année 2000-2001 " alors que l'expert avait sollicité "le cumul de chiffres d'affaires de 2000 à 2001 et les modalités de traitement du compte Frais-Filia-Maif dans la présentation des chiffres d'affaires mensuels pour les années 2001 à 2005"; que la société Dupas ne peut, dès lors, se prévaloir de ses propres carences dans la communication des documents sollicités pour invoquer une prétendue violation du principe du contradictoire;

Considérant enfin, que la société Dupas soutient que le rapport serait, en tout état de cause, nul du fait de son "incohérence" et de ses "contradictions manifestes" ; qu'elle considère que le fait pour l'expert d'avoir envisagé dans le cadre d'une note de synthèse en date du 18 janvier 2008 une évaluation de son préjudice à la somme de 458 000 euro ne pouvait l'autoriser à le réduire ultérieurement à société à la somme de 104 238 euro qu'il s'agirait, selon la société Dupas, d'une "volte-face inexplicable autrement que par une mesure de rétorsion" consécutive à la saisine par ses soins du magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise ; qu'il sera, néanmoins, relevé que si l'expert avait effectivement procédé à une première analyse du préjudice l'estimant à 458 000 euro, aucune nullité ne saurait, en tant que telle, s'inférer du fait qu'à la suite de la poursuite des opérations expertales et, notamment, de la transmission de dires les 8 et 15 février 2008, une nouvelle évaluation du préjudice soit proposée au regard des nouvelles explications fournies et des nouveaux éléments comptables et financiers produits par les parties ;

Considérant qu'il échet, en conséquence, de rejeter l'ensemble des moyens invoqués par la société Dupas à l'appui de sa demande aux fins de nullité du rapport d'expertise déposé par Madame Degeilh.

Au fond

Considérant, que si aux termes de sa note de synthèse susmentionnée du 18 janvier 2008, l'expert avait initialement considéré que " le calcul du préjudice de la société Dupas peut s'effectuer en considérant que la seule existence de la société Grez pièces autos s'est effectuée au détriment de la société Dupas et que la totalité du chiffre d'affaires réalisé par la société Grez pièces autos entre le 1er juin 2002 et le 9 mars 2003 aurait dû être réalisé par la société Dupas", il a, par la suite, modifié son approche, ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, après avoir observé que, du 1er octobre 2000 au 31 mai 2002, date de création de la société Grez pièces autos, le chiffre d'affaires de la société Dupas avait d'ores et déjà baissé de plus de 457 500 euro ; qu'il a, alors, justement considéré que "la baisse d'activité Dupas n'est pas due aux seuls effets des agissements des sociétés Grez pièces autos et Romo pièces autos contrairement à ce que (la SA Dupas) a pu soutenir" (point 5.5.1 du rapport) ; qu'en outre l'expert a également souligné que le chiffre d'affaires dont s'agit ne pouvait, en aucun cas, constituer une base pertinente d'évaluation du préjudice allégué et qu'il convenait de limiter la base de calcul au seul chiffre d'affaires afférent aux clients identifiés comme ayant été perdus par la société Dupas et captés par la société Grez pièces autos ; que, par ailleurs, le préjudice considéré avait été, lors d'une première approche, calculé sans limitation dans le temps avant d'être réduit à la durée d'application des clauses de non-concurrence méconnues ;

Considérant que la critique d'ensemble formulée par la société Dupas à l'encontre de la méthode sus-analysée revient à considérer la baisse cumulée de son chiffre d'affaires entre 2000 et 2005 comme étant imputable à la seule création de la société Grez pièces autos alors même qu'aucun élément de fait ou de droit ne permet de rattacher la baisse invoquée, indépendamment des opérations précisément relevées par l'expert et ayant été à l'origine du détournement de clientèle retenu, à d'autres agissements déloyaux ou violation d'une obligation de non-concurrence de la part des appelants ; que c'est ainsi à bon droit que l'expert commis a estimé que la perte de marge brute (évaluée sur la base de la marge brute moyenne de la société Dupas "afin de la replacer autant que faire se peut dans la situation initiale, c'est-à-dire, dans une situation où elle n'aurait pas subi de préjudice") afférente au chiffre d'affaires identifié comme correspondant aux clients captés dont la liste a été précisément établie constituait le seul préjudice indemnisable subi par la société Dupas au titre de sa perte d'activité ; que la cour fait sien le mode de calcul retenu de ce chef par l'expert, lequel a évalué le préjudice en cause à la somme de 74 134 euro;

Considérant que l'expert a également pris en compte la dévalorisation du fonds de la société Dupas liée à la perte de sa clientèle "captée" par la société Grez pièces autos ; que se fondant à cet effet sur les coefficients de valorisation de clientèle tels qu'ils ressortent des actes du 9 mars 2000 ainsi que du 31 mai 2002 et les rapportant au chiffre d'affaires réalisé par la société Grez pièces autos, l'expert a exactement évalué le préjudice correspondant, distinct de la perte d'activité ci-dessus analysée, à la somme de 30 104 euro;

Considérant qu'il y a lieu, par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une quelconque nouvelle mesure d'expertise, d'arrêter à la somme de 104 238 euro le préjudice total de la société Dupas et, eu égard à l'égale importance des fautes tant contractuelle que délictuelle commises par les auteurs du dommage, de condamner, d'une part, Madame Dupas à verser à la société Dupas la somme de 26 059,50 euro et, d'autre part, de condamner in solidum les sociétés Grez pièces autos, Romo pièces autos ainsi que M. Eric Dupas à payer la somme de 78 178,50 euro à la société Dupas, lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la date du prononcé du présent arrêt;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner in solidum Madame Dupas, M. E. Dupas ainsi que les sociétés Romo pièces autos et Grez pièces autos à payer à la société Dupas la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens afférents à la procédure postérieure à l'arrêt susvisé;

Par ces motifs, Fixe le préjudice total de la société Dupas à la somme de 104 238 euro. Condamne Madame Dupas à verser à la société Dupas la somme de 26 059,50 euro outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Condamne in solidum les sociétés Grez pièces autos, Romo pièces autos ainsi que M. Eric Dupas à payer la somme de 78 178,50 euro à la société Dupas outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives. Condamne in solidum M. Eric Dupas et Mme Dupas, ainsi que les sociétés Romo pièces autos et Grez pièces autos aux dépens, y compris les frais d'expertise, afférents à la procédure postérieure à l'arrêt susvisé. Les condamne sous la même solidarité à payer à la société Dupas la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens afférents à la procédure postérieure à l'arrêt susvisé.