CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 mai 2011, n° 10-03080
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Garage Arnoux (SARL)
Défendeur :
Daf Trucks France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Fèvre
Conseillers :
MM. Roche, Vert
Avoués :
SCP Grappotte-Benetreau, Pelit-Jumel, SCP Monin d'Auriac de Brons
Avocats :
Me Bertin, Selas Vogel & Vogel
LA COUR,
Vu le jugement du 19 avril 2005 du Tribunal de commerce de Paris qui a débouté la SARL Garage Arnoux de ses demandes, notamment de dommages-intérêts fondées sur la rupture d'un contrat de concession avec un préavis d'un an estimé insuffisant, formulées à l'encontre de la SARL Daf Trucks France et a accordé à cette dernière 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel de la société Garage Arnoux ;
Vu l'arrêt de cette cour, 5e chambre B, du 11 septembre 2008 qui a déclaré irrecevable la demande implicite de l'appelante au titre de la réparation du préjudice qui serait resulté d'une pratique discriminatoire alléguée et a confirmé le jugement sauf en ce qu'il avait accordé une indemnité à la société Daf au titre des frais irrépétibles ;
Vu l'arrêt du 15 décembre 2009 de la Cour de cassation qui a cassé l'arrêt susvisé du 11 septembre 2008 sauf en ce qu'il avait déclaré recevable l'appel et irrecevable la demande au titre de la pratique discriminatoire alléguée, au visa de l'article 3 paragraphe 5, sous le b sous le ii du règlement n° 1400-2002 du 31 juillet 2002 de la Commission des Communautés européennes et au motif qu'en se déterminant par des motifs insuffisants à caractériser la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau de distribution de la société Daf, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale ;
Vu la saisine de cette cour par la société Garage Arnoux et ses conclusions du 22 février 2011 par lesquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement ; débouter la société Daf Trucks France de toutes ses demandes ; dire irrégulière, illicite, en tous cas abusive au regard de l'article 5 paragraphe 3 du RCE 1475-95 et l'article 4 paragraphe 2 du contrat de concession liant les parties, la résiliation de celui-ci notifiée le 16 juin 2003 avec préavis d'un an ; dire qu'en outre Daf Trucks France s'est rendue responsable de la brusque rupture d'une relation commerciale établie en violation de l'article L. 442-6-I 5° du Code du commerce ; condamner la société Daf Trucks France à lui payer la somme de 312 867 euro correspondant à l'équivalent d'une année de marge brute pour la seule activité de vente de véhicules industriels neufs, somme calculée sur la moyenne des trois dernières années précédant la prise d'effet de la résiliation ; condamner en outre la société Daf Trucks France à lui payer une seconde somme de 312 867 euro du fait qu'un nouveau contrat liant les parties ayant fait l'objet d'une novation s'est formé à compter du 1er octobre 2003 pour une durée indéterminée, qu'il n'a fait l'objet d'aucune notification de résiliation et qu'un nouveau préavis de 2 ans aurait dû être respecté, et réclame 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 22 février 2011 de la société Daf Trucks France qui demande à la cour de confirmer le jugement ; débouter la société Daf Trucks France [sic] de toutes ses demandes ; dire nouvelle, vu l'article 564 du Code de procédure civile (et donc irrecevable) la demande relative à l'existence d'un nouveau contrat ; dire qu'elle-même était fondée à mettre un terme au contrat de concession avec un préavis d'une année ; subsidiairement que le préjudice n'est pas démontré et réclame 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant sur la procédure que l'ordonnance de clôture a été rendue le 15 février 2011 ; que les deux parties ont conclu le 22 février ; qu'elles demandent toutes deux que la clôture soit rabattue et que leurs écritures du 22 février soient reçues ; qu'il apparaît que ceci est nécessaire pour que la cour statue en considération d'un débat complet dans le caractère contradictoire de la procédure ; qu'il y a lieu de faire droit à la demande de rabat de la clôture et de recevoir les écritures respectives des parties du 22 février 2011 ;
Considérant sur l'application de l'article 564 du Code de procédure civile que l'allégation faite pour la première fois devant la cour d'un nouveau contrat au 1er octobre 2003 ayant fait novation et qui aurait dû faire l'objet d'un préavis de deux ans n'est pas un simple moyen nouveau, ne tend pas à opposer compensation, n'est pas l'accessoire ni le complément de demandes présentées en première instance et ne tend pas aux mêmes fins puisqu'elle fonde une demande distincte, de paiement cumulatif d'une seconde somme correspondant à une année de marge brute et ne constitue pas un fondement subsidiaire du paiement de la somme demandée au tribunal ; que l'allégation d'un nouveau contrat novatoire et distinct au 1er octobre 2003 est autonome par rapport à celle de non-conformité au règlement européen de 1995 et au contrat de concession ainsi qu'à la violation de l'article L. 446-I-5° [sic] du Code du commerce résultant de la résiliation du contrat antérieur faite le 16 juin 2003 avec préavis d'un an ; qu'il s'ensuit qu'il s'agit d'une demande nouvelle irrecevable ;
Considérant qu'il est constant que les parties étaient liées par un contrat de concession exclusive conforme au règlement de la Commission des Communautés européennes n° 147[5]-95 du 28 juin 1995, stipulant que le préavis de résiliation était de deux ans, réductible à un an en cas de nécessité pour le concédant de réorganiser la totalité ou une partie substantielle de son réseau de distribution ; que les conditions d'exemption de la prohibition, par les articles 81 et 82 du traité de Rome dans leur rédaction issue du traité d'Amsterdam, ont été modifiées par le règlement n°1400-200[2] du 31 juillet 2002 qui a remplacé le système de distribution de véhicules automobiles de concessions avec exclusivité territoriale et obligation pour le concessionnaire d'assurer le service d'entretien, réparation des vehicules, par un système de distribution sélective, selon des critères de sélectivité mais sans exclusivité territoriale ni lien obligatoire entre la distribution et l'entretien-réparation ; que pour les contrats de distribution en cours lors de la promulgation du nouveau règlement, la mise en conformité devait être effective à compter du 1er octobre 2003 ;
Considérant que la société Daf Trucks France a procédé, le 16 mars 2003, à la résiliation du contrat de concession avec préavis d'un an, à effet du 16 mars 2004, tout en offrant à son cocontractant la possibilité de conclure un contrat de réparateur agréé, mais en lui refusant un nouveau contrat de distribution ; que la société Garage Arnoux conteste la licéité de ce préavis réduit à un an ;
Considérant qu'en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes rappelée dans l'arrêt susvisé de la Cour de cassation et par les deux parties dans leurs conclusions devant la cour de renvoi, la nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle d'un réseau de distribution, de nature à ouvrir au fournisseur le droit de résilier un accord moyennant un préavis d'un an, implique que cette résiliation se justifie de manière plausible par des motifs d'efficacité économique, fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l'entreprise du fournisseur qui, à défaut d'une réorganisation rapide du réseau, serait susceptible, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes de ce réseau ; que pour apprécier la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau, il est pertinent de tenir compte des éventuelles conséquences économiques défavorables que serait susceptible de subir un fournisseur dans l'hypothèse où ce dernier procéderait à une résiliation de l'accord de distribution avec un préavis de deux ans, au lieu du préavis abrégé d'un an ; que la cour doit vérifier si la preuve est rapportée - par le fournisseur compte tenu du caractère dérogatoire du délai d'un an - que ces conditions sont réunies ;
Considérant que l'intervention d'un règlement modifiant les conditions d'exemption des prohibitions du droit de la concurrence et des sanctions y afférentes constitue une circonstance objective externe à l'entreprise du fournisseur ; que l'adaptation du réseau par la mise en conformité des contrats était une nécessité juridique ; que Daf fait valoir justement que cette nécessité juridique avait des conséquences économiques ; qu'un risque d'amende et de nullité des contrats représente un aléa tant juridique qu'économique, constitutif d'une éventuelle conséquence économique défavorable ; que le nouveau modèle de distribution était supposé plus efficace économiquement que l'ancien ; que les concurrents de Daf Trucks l'avaient adopté ; que le défaut de réorganisation aurait donc eu des conséquences économiques défavorables pour le fournisseur ; que le remplacement du système de distribution exclusive dans lequel le concessionnaire exerçait son activité sur un territoire déterminé avec un contrat unique pour la distribution et la réparation entretien, par un système n'ayant pas ces caractéristiques, constituait une modification substantielle des conditions tant juridiques qu'économiques de l'exploitation du réseau impliquant sa réorganisation ;
Considérant que la nécessité d'une réorganisation rapide résultait de la date limite imposée par le règlement ; que celui-ci n'accordait qu'un délai de mise en conformité de quatorze mois, très bref eu égard à l'ampleur des modifications juridiques et économiques que la mise en œuvre du règlement impliquait ; que Daf Trucks était certes en retard, la résiliation au 16 mars 2003 ne pouvant prendre effet au 1er octobre 2003, sauf signature des nouveaux contrats à laquelle la société Garage Arnoux n'était pas obligée de procéder, mais que le fait d'avoir laissé passer la date ne supprimait aucunement l'obligation de mise en conformité ni le risque de sanctions ; que le retard de quelques mois rendait au contraire d'autant plus présent ce risque et donc d'autant plus urgente la réorganisation du réseau, cet impératif de rapidité résultant aussi du fait que des concurrents y avaient déjà procédé et que la lenteur de Daf dans cette réorganisation, résultant du préavis de deux ans, l'aurait maintenue une année supplémentaire dans un système plus rigide et économiquement moins favorable que celui dans lequel se trouvaient ses concurrents, ce qui aurait porté atteinte à l'efficacité des structures existantes du réseau ;
Considérant que la réorganisation ne pouvait se faire par simple adaptation des contrats existants et leur prolongation pendant un an ; qu'en effet, la prestation caractéristique d'un contrat de distribution exclusive n'étant pas seulement la fourniture du produit mais aussi l'obligation d'assurer l'exclusivité de distribution au cocontractant, la modification eût porté sur l'objet même de la convention et eût nécessairement généré la conclusion d'un nouveau contrat, laquelle supposait l'acceptation préalable par le concessionnaire de ces nouvelles conditions ainsi qu'une durée d'engagement d'au moins cinq ans dès lors que le règlement communautaire n'accorde l'exemption qu'à des contrats à durée indéterminée ou à durée déterminée minimale de cinq ans, ce qui exclut toute possibilité légale d'"adaptation" pour seulement une année ; qu'en outre le maintien du contrat de concession litigieux pendant une année supplémentaire eût interdit la prospection personnalisée et nominative hors du territoire exclusif concède et eût également interdit aux autres membres du réseau de vendre activement sur ledit territoire, ce qui n'aurait pu que créer une distorsion dans le jeu de la concurrence et porter atteinte à la cohérence et à l'efficacité de la réorganisation engagée ; que l'appelante remarque elle-même que la transformation d'un ancien contrat de distribution exclusive en un contrat nové supposait que ce dernier ait une durée de cinq ans, ou une durée indéterminée, pouvant être résilié avec préavis de 24 mois ; que la cour ajoute - surabondamment compte tenu de ce qui est dit ci-dessus sur l'irrecevabilité de la demande nouvelle - qu'il n'existe aucune preuve que Daf Trucks ait jamais eu l'intention de conclure un tel contrat novatoire avec l'appelante à compter du 1er octobre 2003 ; qu'un tel contrat aurait nécessité un accord de volontés et ne pouvait résulter de la seule entrée en application du règlement ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il est suffisamment établi que les conditions de licéité du préavis d'un an sont réunies en l'espèce ;
Considérant que la société Garage Arnoux invoque aussi l'article L. 442-6-I-5° du Code du commerce ; mais que ce texte doit être interprété et appliqué en considération du droit communautaire dont les impératifs priment les règles générales et spéciales du droit français ; qu'il a été précédemment démontré que les impératifs du droit communautaire résultent de la combinaison des règles de la concurrence des articles 81 et 82 du traité de Rome et du règlement d'exemption du 31 juillet 2002 précité justifiaient le préavis d'un an ; que cette justification est indépendante de la durée des relations antérieures entre les parties ;
Considérant que la cour se réfère pour le surplus aux motifs non contraires du tribunal ;
Considérant qu'eu égard à l'ensemble des circonstances du litige, notamment à sa difficulté juridique et à la situation économique respective des parties, il est équitable de laisser à chacune d'elles la charge des frais irrépétibles de première instance et d'appel et celle des dépens d'appel qu'elles ont engagés ;
Par ces motifs, Rabat l'ordonnance de clôture. Fixe la nouvelle clôture au jour de l'audience. Reçoit les conclusions du 22 février 2011. Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a prononcé une condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute les parties de leurs autres demandes, comme y étant irrecevables ou mal fondées selon ce qui est dit ci-dessus. Laisse à chacune d'elles la charge des dépens d'appel qu'elles ont engagés.