Cass. com., 24 mai 2011, n° 10-18.474
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Capi (Sté)
Défendeur :
Chanel (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Lyon-Caen, Thiriez
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 10 mars 2010), que la société Chanel, propriétaire de diverses marques "Chanel" a agi à l'encontre de la société Capi pour contrefaçon et concurrence déloyale après que cette société a acheté à la société Futura finances des produits de parfumerie et cosmétiques de marque "Chanel" dépendant du stock de la société les Galeries rémoises vendu aux enchères publiques, sur autorisation du juge-commissaire à la liquidation judiciaire de cette société, distributeur agréé de la société Chanel ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Capi fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée pour contrefaçon des marques "Chanel" et "Chanel en double C" au paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) que ne saurait constituer une contrefaçon par usage la simple commercialisation de produits authentiques régulièrement acquis après avoir été initialement mis en vente avec l'accord du titulaire de la marque ; qu'en décidant en l'espèce, pour condamner la société Capi à payer à la société Chanel la somme de 8 000 euro, que l'exposante avait commis des actes de contrefaçon des marques Chanel et Chanel en double C, quand il était constaté que les produits authentiques litigieux avaient été initialement commercialisés par la société les Galeries rémoises avec l'accord de la société Chanel, avant d'être acquis ensuite régulièrement à des fins commerciales par la société Capi, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que l'autorisation de commercialiser, donnée en principe par le titulaire de la marque, peut également être issue d'une décision dotée de l'autorité de chose jugée ; qu'en retenant en l'espèce le contraire, en énonçant qu'il importe peu que la vente aux enchères des produits litigieux ait été ordonnée par justice, pour condamner la société Capi à payer à la société Chanel la somme de 8 000 euro, la cour d'appel a violé les articles 480 du Code de procédure civile et 1351 du Code civil, ensemble les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que le titulaire de la marque ne peut s'opposer à une nouvelle commercialisation de produits, à laquelle il a, fût-ce tacitement, consenti, en refusant de contester judiciairement une décision ayant autorisé cette nouvelle commercialisation ; qu'en retenant en l'espèce, pour condamner la société Capi à payer à la société Chanel la somme de 8 000 euro, que l'exposante avait fait usage illicite de la marque Chanel en commercialisant, sans son autorisation, des produits authentiques de cette marque à la suite de la liquidation judiciaire de la société les Galeries rémoises, distributeur agréé par la société Chanel, quand il était constaté que la société Chanel, parfaitement informée des opérations de liquidation, n'avait intenté aucun recours à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente aux enchères des produits litigieux, en sorte qu'elle avait, au moins tacitement, acquiescé à une nouvelle commercialisation de ses produits, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 4°) qu'il appartient au juge de rechercher si une méconnaissance du contrat de distribution sélective par le titulaire de la marque, refusant de racheter les produits de sa marque aux termes dudit contrat, ne lui interdit pas de se prévaloir d'un motif légitime permettant d'interdire une nouvelle commercialisation ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir, pour condamner la société Capi à payer à la société Chanel la somme de 8 000 euro au titre d'une contrefaçon, que la société Chanel avait "des motifs légitimes pour s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation qui, dans le cas présent (...) contrevenait aux exigences de son réseau de distribution sélective" sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Chanel ne s'était pas opposée de manière purement formelle à la vente aux enchères des produits litigieux, en rechignant en réalité à fournir son contrat de distribution sélective prévoyant la reprise desdits produits au prix de livraison, en préférant, autrement dit, au coût contractuel et certain d'une reprise de produits, les bénéfices éventuels d'une action en contrefaçon contre le revendeur, ce dont il se déduisait une absence de motif légitime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 5°) que l'usage illicite d'une marque ne peut résulter du seul fait d'une commercialisation de produits authentiques, régulièrement acquis, en dehors d'un réseau de distribution sélective, lorsque le revendeur a présenté ces produits à la vente avec tout le soin requis pour ne pas porter atteinte à la marque ; qu'en l'espèce la cour d'appel a, sur la foi d'un procès-verbal du 21 février 2005, constaté que les produits cosmétiques de marque Chanel (déjà vendus au jour du constat) avaient été présentés à la vente dans des vitrines fermées, et ainsi séparés des autres produits du magasin, quand la clientèle était également informée de l'origine des produits, du caractère exceptionnel de la vente et de la qualité du revendeur, n'étant pas un distributeur agréé ; qu'en déduisant néanmoins de l'ensemble de ces éléments que la société Capi avait porté atteinte à la marque Chanel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que la société Chanel avait clairement informé le liquidateur de son opposition à la vente par adjudication et rappelé qu'elle offrait de reprendre ses produits moyennant paiement d'une certaine somme, l'arrêt relève par motifs adoptés que les produits en cause étaient offerts à la vente et vendus dans une solderie, sur une zone commerciale grand public, parmi de nombreux objets proposés en vrac, parfois encore dans leur carton de transport ; qu'il retient que les conditions d'exposition à la vente des produits Chanel étaient incompatibles avec l'image de la marque Chanel qui a été utilisée sur une affiche comme une marque d'appel ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, desquelles elle a pu déduire que la société Chanel justifiait d'un motif légitime l'autorisant à s'opposer à une nouvelle commercialisation de ses produits et à se prévaloir de l'absence d'épuisement du droit sur sa marque, la cour d'appel, qui a fait la recherche visée par la quatrième branche, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève par motifs propres et adoptés que l'ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la vente par adjudication des produits Chanel, n'avait jamais été notifiée à la société Chanel, que cette société avait manifesté son opposition à la vente dès qu'elle en avait eu connaissance et offert de reprendre les produits aux conditions prévues au contrat de distribution sélective signé avec la société Galeries rémoises ; que la cour d'appel qui a ainsi fait ressortir que la société Chanel n'avait pas consenti, même implicitement, à une nouvelle commercialisation des produits en cause a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour retenir que la société Capi avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Chanel et la condamner au paiement de dommages-intérêts, l'arrêt relève par motifs propres et adoptés que la société Capi a distribué des produits de grand luxe recouverts d'une marque de prestige particulièrement notoire, dans des conditions qui ne pouvaient que porter atteinte à l'image et au prestige de ces marques puisque les produits "Chanel" ont été présentés comme dégriffés ou provenant de fins de série ou de sinistres ; qu'il relève encore que la société Capi a entendu bénéficier de la notoriété des marques en cause et des produits de la société Chanel pour attirer à elle des clients qu'elle ne pouvait pourtant plus satisfaire ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser des faits distincts de ceux retenus pour justifier l'absence d'épuisement du droit sur la marque Chanel et la condamnation de la société Capi pour contrefaçon de cette marque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Capi à payer à la société Chanel la somme de 7 000 euro pour actes de concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 10 mars 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Douai, autrement composée.