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Décisions

Cass. com., 24 mai 2011, n° 09-70.722

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Sandoz (SAS)

Défendeur :

Beecham Group Plc (Sté), Laboratoire GlaxoSmithKline (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Pezard

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

Me Ricard, SCP Hémery, Thomas-Raquin

TGI Paris, du 16 nov. 2004

16 novembre 2004

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Sandoz que sur le pourvoi incident relevé par les sociétés Beecham Group Plc et Laboratoire GlaxoSmithKline ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 septembre 2009), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 26 mars 2008, n° 06-18.366), que la société Beecham Group Plc (la société Beecham) est titulaire de la marque française dénominative "Deroxat", déposée le 25 mai 1992, renouvelée le 2 mars 2002, désignant en classe 5 les produits pharmaceutiques à usage humain ; que cette marque est utilisée par la société Laboratoire GlaxoSmithKline (la société GlaxoSmithKline) pour désigner un médicament antidépresseur commercialisé en France ; que la société G Gam, qui a obtenu le 6 août 2002 une autorisation de mise sur le marché d'une spécialité pharmaceutique dénommée "Paroxétine G.gam 20 mg", inscrite au répertoire des génériques le 10 mai 2004, a fait paraître en mai 2003 dans des journaux destinés aux professionnels des annonces informant de "la commercialisation prochaine de la Paroxétine G Gam (générique de Deroxat, paru au JO du 1er novembre 2002)" ; que les sociétés Beecham et GlaxoSmithKline ont assigné la société G Gam, aux droits de laquelle est venue la société Sandoz, en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale ;

Sur la recevabilité du pourvoi incident, contestée par la défense : - Attendu que la société Sandoz soutient que le pourvoi formé par les sociétés Beecham et GlaxoSmithKline est irrecevable comme se heurtant à la doctrine de l'arrêt de cassation du 26 mars 2008 rendu dans la présente affaire, et invoque la jurisprudence constante selon laquelle est irrecevable le grief qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt alors que la juridiction de renvoi s'y est conformée ;

Mais attendu que la Cour de cassation dans son arrêt du 26 mars 2008 ne s'est pas prononcée sur les articles L. 121-9 du Code de la consommation et L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle, fondement de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles déféré ; que le pourvoi est recevable ;

Sur le premier moyen de ce pourvoi : - Attendu que les sociétés Beecham et GlaxoSmithKline font grief à l'arrêt de dire que la publicité poursuivie est une publicité comparative licite au sens des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation, alors, selon le moyen : 1°) qu'un annonceur ne peut faire apparaître, de manière explicite ou implicite, dans une publicité comparative, le fait que le produit qu'il commercialise constitue une imitation ou une reproduction d'un produit portant une marque protégée ou de l'une des caractéristiques essentielles de ce produit ; qu'une publicité présentant un médicament comme le générique de la spécialité de référence ou princeps désigné par sa marque, informe le public non seulement que le médicament générique en question présente les mêmes caractéristiques essentielles que le princeps, - à savoir qu'il a la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique et que sa bioéquivalence avec le princeps est démontrée -, mais également qu'il en est la copie, et que l'identité qu'il présente avec le princeps résulte de la reproduction ou de l'imitation de ses [caractéristiques] essentielles ; qu'en présentant ainsi le médicament générique, non par sa seule dénomination commune internationale (DCI), mais par référence à la marque du princeps dont il constitue la copie, une telle publicité fait clairement apparaître que le médicament en cause en constitue une imitation ou une reproduction ; qu'en retenant que la publicité incriminée qui présentait la "Paroxétine G Gam" comme un "générique de Deroxat" se contenterait d'affirmer que ce médicament serait l'équivalent de la spécialité de référence "Deroxat", "sans faire allusion au fait que cette équivalence résulterait d'une copie", la cour d'appel a violé l'article L. 121-9 de la consommation, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive 84-450, modifiée par la directive 97-55, ainsi que l'article L. 5121-1 5° du Code de la santé publique ; 2°) que l'article L. 5122-4 du Code de la santé publique, applicable à l'époque des faits litigieux, mais aujourd'hui abrogé, disposait que la publicité des spécialités génériques "doit mentionner l'appartenance à la catégorie des spécialités génériques" ; que ce texte, qui n'impose aucunement la mention, dans la publicité, de la spécialité de référence, ni même de la marque sous laquelle cette dernière était commercialisée, ne constitue pas une exception à l'article L. 121-9, alinéa 4, du Code de la consommation ; qu'en relevant, pour juger que la publicité incriminée serait licite, que le médicament générique bénéficie d'un statut législatif spécifique et que toute publicité doit préciser que le médicament objet de cette publicité est un générique, la cour d'appel a violé L. 121-9 de la consommation, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive 84-450, modifiée par la directive 97-55, ainsi que l'ancien article L. 5122-4 du Code de la santé publique ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article L. 5121-1 5° du Code de la santé publique, la spécialité du générique d'une spécialité de référence est celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par les études de biodisponibilité appropriées ; qu'ayant retenu que le générique étant substituable au princeps et constituant son équivalent, il n'imitait pas le princeps et que la disposition de l'article L. 121-9, alinéa 4, du Code de la consommation visant la reproduction devait être différenciée de la notion de bioéquivalence qui caractérise le générique, la cour d'appel a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la seconde branche, fait l' exacte application de la loi en écartant la qualification d'imitation ou de reproduction ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen du même pourvoi : - Attendu que les sociétés Beecham et GlaxoSmithKline font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que dès lors qu'une publicité comparative présente, de manière illicite, les produits de l'annonceur comme une reproduction ou une imitation d'un produit portant une marque, le profit réalisé par l'annonceur grâce une telle publicité doit être considéré comme indûment tiré de la notoriété attachée à cette marque ; qu'en retenant que la publicité incriminée ne tirerait pas indûment profit de la notoriété de la marque "Deroxat", quand cette publicité présentait, de manière illicite, la "Paroxétine G Gam" comme une reproduction ou une imitation du princeps "Deroxat", la cour d'appel a violé l'article L. 121-9, alinéas 1er et 4, du Code de la consommation tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive 84-450, modifiée par la directive 97-55 ; 2°) qu'afin de déterminer si une publicité comparative tire indûment profit de la notoriété attachée à une marque, il convient de procéder à une appréciation globale tenant compte de tous les facteurs pertinents de l'espèce, et notamment, le cas échéant, du préjudice porté au caractère distinctif de la marque ; que l'annonceur qui, pour lancer la commercialisation d'un nouveau médicament générique, - ne bénéficiant, par définition, d'aucune connaissance sur le marché -, présente celui-ci comme le générique d'un princeps désigné par sa marque, se place nécessairement dans le sillage de celle-ci, profite du pouvoir d'attraction et de la réputation de cette dernière, et peut ainsi tirer avantage, sans compensation financière, de l'effort commercial et des investissements déployés antérieurement par le fabricant du princeps connu sur le marché pour créer et entretenir l'image de sa marque ; qu'en affirmant que la mention "générique de Deroxat paru au JO du 1/11/2002" ne chercherait pas à exploiter la notoriété de cette marque, sans rechercher, quand elle constatait, par ailleurs, que la citation de la marque "Deroxat" n'était pas nécessaire, si compte tenu du degré élevé de notoriété non contesté de cette dernière, et de l'absence corrélative de toute notoriété de la "Paroxétine G Gam", la référence qui était faite à la marque "Deroxat" dans la publicité litigieuse, diffusée précisément pour annoncer le lancement de ce médicament générique, ne permettait pas à la société Sandoz de faire immédiatement bénéficier celui-ci de la notoriété de la marque "Deroxat", et de se placer ainsi indûment dans le sillage de celle-ci, et sans tenir compte, comme elle y était invitée, de l'atteinte que l'usage en cause portait inévitablement au caractère distinctif de la marque "Deroxat", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-9 de la consommation, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive 84-450, modifiée par la directive 97-55 ; 3°) que même une publicité présentant un contenu informatif réel peut engendrer, dans le chef de son auteur, un profit indu, si l'usage qu'il fait de la marque de son concurrent lui permet de se placer, de manière injustifiée, dans le sillage de celle-ci ; qu'il en est notamment ainsi quand la citation de cette marque n'est pas nécessaire pour donner une telle information ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir que la mention "générique de Deroxat paru au JO du 1/11/2002" ne chercherait pas à exploiter la notoriété de cette marque, que cette mention servirait à donner une information immédiate aux professionnels de santé, en leur indiquant que cette spécialité est le générique de la spécialité de référence "Deroxat", la cour d'appel a statué par un motif inopérant, et a violé l'article L. 121-9 de la consommation, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive 84-450, modifiée par la directive 97-55 ; 4°) qu'une publicité comparative tire indûment profit de la notoriété attachée à une marque d'un concurrent, indépendamment de toute similitude entre les marques des produits faisant l'objet de la comparaison, dès lors que l'usage qu'il fait de la marque du concurrent permet à l'annonceur de se placer, de manière injustifiée, dans le sillage de cette marque ; qu'en relevant que les dénominations "Paroxétine" et "Deroxat" ne présentaient ni identité, ni similitude, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a violé l'article L. 121-9 de la consommation, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive 84-450, modifiée par la directive 97-55 ; 5°) que l'existence d'un profit indûment tiré de la notoriété attachée à une marque ne présuppose pas l'existence d'un risque de confusion quant à l'origine des produits objets de la publicité ; qu'en retenant, pour juger que la publicité incriminée serait licite, que le public visé étant un public de professionnels particulièrement avisés qui connaît les laboratoires pharmaceutiques, il n'existerait aucun risque de méprise sur l'origine des produits, la cour d'appel s'est encore prononcée par un motif inopérant et a violé l'article L. 121-9 de la consommation, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive 84-450, modifiée par la directive 97-55 ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la mention entre parenthèses et en petits caractères "générique de Deroxat paru au JO du 1er novembre 2002" ne cherche pas à exploiter la notoriété de la marque "Deroxat" mais à donner une information immédiate au public concerné, à savoir les pharmaciens et professionnels de santé, en leur indiquant que ce produit est le générique de la spécialité de référence Deroxat ; qu'en l'état de ces seules appréciations, faisant ressortir que cette référence conditionnait l'existence d'une concurrence effective sur le marché en cause, la cour d'appel a exactement retenu que la société Sandoz n'avait pas tiré indûment profit de la notoriété de la marque "Deroxat" ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches : - Vu les articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation et l'article L. 713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que pour dire que la société Sandoz ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle et qu'elle avait commis des actes de contrefaçon en reproduisant et en faisant usage de la marque "Deroxat", l'arrêt, après avoir décidé qu'il convenait de rechercher si la publicité incriminée, licite au regard des textes sur la publicité comparative, l'était également au regard de l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle, retient que si la mention de la marque est une solution de facilité et de commodité, elle n'est cependant pas une référence nécessaire puisqu'il existe pour le public concerné d'autres moyens d'identifier la destination du générique ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans son arrêt du 12 juin 2008 (aff C-533-06, 02 Holdings Limited et al.c/ Hutchison 3G UK Limited) que les articles 5, paragraphes 1 et 2, de la première directive 89-104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, et 3 bis, paragraphe 1, de la directive 84-450-CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, telle que modifiée par la directive 97-55-CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997, doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d'une marque enregistrée n'est pas habilité à interdire l'usage, par un tiers, dans une publicité comparative qui satisfait à toutes les conditions de licéité énoncées audit article 3 bis, paragraphe 1, d'un signe identique ou similaire à sa marque, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; Et vu l'article 627 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, sauf en ce qu'il a écarté les notes en délibéré des 24 et 31 juillet 2009, et 24 août 2009, ainsi que la pièce communiquée le 24 juillet 2009, et dit que la publicité poursuivie est une publicité comparative licite au regard des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation, l'arrêt rendu le 17 septembre 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; Dit n'y avoir lieu à renvoi.