CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 11 mars 2010, n° 07-05457
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Free (SAS)
Défendeur :
Libentia (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maron
Conseillers :
Mmes Brylinski, Beauvois
Avoués :
SCP Jullien Lecharny Rol, Fertier, SCP Jupin & Algrin
Avocats :
Mes Khayat, Kuchukian
Faits et procédure:
La société Telecom Italia, anciennement dénommée Telecom Italia France, opérateur de téléphonie et de fourniture d'accès à Internet sous l'enseigne "Alice", aux droits de laquelle est aujourd'hui la société Free, a conclu le 26 novembre 2003 un contrat d'agent commercial à durée indéterminée avec Aclys Consulting, aux droits de laquelle est aujourd'hui Libentia, afin de recruter des clients sur le territoire français.
Telecom Italia entrait en effet sur le marché français de la téléphonie, à l'occasion de la fin du monopole de France Telecom.
Telecom Italia a résilié le 29 juillet 2005 le contrat d'agence commerciale qui la liait à Libentia en invoquant des comportements commerciaux qualifiés de faute grave.
Estimant de son côté que Telecom Italia avait commis des manquements graves et répétés à ses obligations contractuelles, Libentia l'a assignée le 26 octobre 2005 devant le Tribunal de commerce de Nanterre, pour obtenir sa condamnation à lui payer notamment 1 676 000 euro.
Par le jugement déféré, en date du 23 mai 2007, cette juridiction a fait droit à la demande de Libentia à hauteur de 56 855,41 euro TTC et de 150 000 euro de dommages intérêts.
Telecom Italia a interjeté appel de cette décision et Libentia a formé appel incident.
Au soutien de l'appel interjeté, Free a notamment fait valoir, par conclusions du 2 février 2009 (reprises après arrêt avant dire droit de la cour dans des conclusions du 8 janvier 2010), que le 1er juin 2004, un nouveau contrat avait annulé et remplacé le premier. Il n'imposait aucune exclusivité à Libentia, seulement tenue d'une obligation de non-concurrence.
Quatre avenants furent ensuite conclus puis un troisième contrat d'agent commercial, avec effet au 1er mai 2005.
Pourtant, durant l'année 2004, Telecom Italia a dû faire face à une situation engendrée par de nombreux démarchages illicites de Libentia.
Aussi a-t-elle mis en place diverses mesures (charte déontologique, courriers dénonçant certaines pratiques, appels de qualité aux clients démarchés, pré-inscription des noms des agents démarcheurs, envoi d'une lettre de bienvenue à tout nouveau client afin de s'assurer de son consentement...), puis même contrôle systématique, a posteriori, de chaque formulaire de souscription.
Libentia n'a pas, pour autant, mis fin à ses pratiques illicites, ce qui a conduit à la résiliation de son contrat.
La rupture du contrat était, dans ces conditions, justifiée.
Les fautes reprochées à Libentia sont avérées. Des courriers de personnes abusivement démarchées, voire non démarchées, en témoignent.
Les fautes ainsi commises sont d'une particulière gravité. En premier lieu, l'article L. 134-11 du Code de commerce prévoit la possibilité de résiliation d'un contrat d'agent en cas de faute grave et cela a, en outre, été prévu par les parties (article 8-3 du contrat). En second lieu, il s'agit de fautes portant atteinte à la finalité du contrat. Au demeurant, une fois encore, les articles 3-11 et l'article 8-3 du contrat prévoient la résiliation immédiate en cas de violation des dispositions légales, réglementaires et/ou déontologiques relatives au démarchage à domicile.
Le comportement de Telecom Italia à l'égard de Libentia ne saurait légitimer les actes reprochés. Ni le fait qu'elle n'aurait qu'insuffisamment protesté, ni le prix remis pendant l'exécution du contrat, ni encore la signature d'un nouveau contrat en 2005 ne sauraient avoir un tel effet.
Après avoir protesté et face à la persistance de plaintes, Telecom Italia a légitimement choisi de rompre, en définitive, le contrat.
Les primes et prix octroyés à Libentia ne prennent pas en compte les ventes abusives, bien souvent découvertes après coup. Par ailleurs, c'est l'ensemble des sociétés de démarchage agissant pour Telecom Italia qui se voyait récompenser, les réunions de remise de trophées ayant seulement pour objet de dynamiser les agents. Enfin, l'envoi d'une mise en demeure de cesser tout comportement fautif témoigne de l'absence de tout acquiescement à ceux-ci. La conclusion du nouveau contrat ne saurait, par ailleurs, avoir "purgé" toute critique afférente aux agissements antérieurs. Au contraire, le nouveau contrat atteste de la volonté de Libentia de maintenir le respect de ces règles.
Sur la violation des devoirs d'information et de loyauté que reproche Libentia à Telecom Italia, Free fait valoir que Telecom Italia a régulièrement communiqué les motifs des refus de commissions.
Sur les prétendus actes de concurrence déloyale commis par Telecom Italia, Free fait valoir que la signature du nouveau contrat sur des bases distinctes ne constitue pas une faute. Aucune obligation pour Libentia de n'agir exclusivement pour le compte de Telecom Italia n'est prévue. Si l'article 3 est intitulé "clause d'exclusivité", le contenu de cet article fait seulement référence à une obligation de non-concurrence.
De même, en nommant FDC (qui n'était pas un de ses agents et qui n'a exercé une double fonction d'agent d'European Impact que durant une courte période) responsable de son "back-office" (soutien logistique), Telecom Italia n'a commis aucun acte de concurrence déloyale. Au demeurant, l'activité de FDC n'a fait que décroître depuis mai 2005, ce qui démontre qu'elle n'a en aucun cas bénéficié de son activité de soutien logistique.
En tout état de cause, Libentia n'apporte pas la preuve du moindre préjudice qui serait résulté de cet état de fait.
Sur la prétendue récupération, par Telecom Italia, de clients sans paiement de commissions, Free estime qu'aucun élément de preuve de ce fait n'est apporté.
Sur l'équilibre du contrat d'agent, Free souligne que, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, il n'y a lieu à dommages intérêts qu'en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution d'une obligation contractuelle. Tel n'est pas le cas du prétendu caractère déséquilibré d'un contrat.
Sur la prétendue stratégie d'éviction de Libentia, Free estime que rien, et pour cause, ne vient la démontrer, pas plus le rachat de Tiscali par Telecom Italia que le fait que d'autres sociétés, qui avaient comme Libentia conclu des contrats d'agents commerciaux avec Telecom Italia, aient pu connaître des difficultés économiques.
Le système de dé-commissionnements retenu était parfaitement licite.
Il a été mis en place pour répondre au développement de cas de démarchage illicite et l'objectif recherché était de protéger les consommateurs. L'information relative à ces dé-commissionnements a régulièrement été communiquée à Libentia par courriels, avec les motifs pour chaque client.
Sur la demande en paiement de 140 573 euro, Free fait valoir que, pour chaque client concerné, les motifs du dé-commissionnement sont indiqués. La preuve n'est pas rapportée qu'ils seraient erronés. En outre le tableau produit par Libentia est, lui, erroné et la somme devrait en être diminuée de 22 545 euro.
La facture de Libentia d'un montant de 46 986 euro HT est elle-même intégrée dans la demande de 140 573 euro HT. Aussi la décision du premier juge y faisant droit doit-elle être infirmée.
Sur le paiement de la facture d'août 2006, Free fait valoir qu'elle mentionne 8 165 euro de commissions pour août 2005 et une reprise d'avance consentie par Telecom Italia pour un montant de 20 000 euro. La compensation entre ces sommes permet de dégager un solde, au bénéfice de Free, d'un montant de 7 613,03 euro TTC, non contesté par Libentia. Il y a lieu de la condamner à payer cette somme.
Enfin, sur la demande en paiement de 75 251 euro HT, cette demande n'est, à aucun moment, justifiée par Libentia.
Free demandait condamnation de Libentia à lui payer 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Libentia faisait valoir, dans ses conclusions du 3 février 2009, (reprises, après l'arrêt avant dire droit de la cour de ce siège, dans des conclusions du 12 janvier 2010) que le cadre légal de ses relations avec Telecom Italia était celui de la directive du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants et des articles L. 134 et suivants du Code de commerce.
Elle a conclu un premier contrat d'agence commerciale avec Telecom Italia le 26 novembre 2003, pour la représenter, distribuer et vendre ses services de télécommunication.
Le 1er juin 2004, les parties ont signé un nouveau contrat d'agent commercial, modifiant le premier et s'en distinguant à plusieurs égards : l'exclusivité concédée a été retirée, en revanche le territoire contractuel a été élargi et les missions confiées à Libentia ont été étendus notamment aux services appelés "Alice" destinés aux professionnels.
Quatre avenants sont venus modifier ce deuxième contrat les 21 juin 2004, 1er juillet 2004, 1er septembre 2004 et 1er février 2005. Ils concernent notamment les conditions du droit à commission, et son taux, les produits et services appelés "Alice".
Enfin, un troisième et dernier contrat d'agence commerciale distribution, a été conclu entre les parties, avec effet au 1er mai 2005, pour modifier le deuxième et ses quatre annexes. On est alors passé à sept annexes.
Ce nouveau document avait été exigé par Telecom Italia dès mai 2005. C'est à cette époque que Libentia a dû le signer, mais sans le dater.
Lorsqu'il sera signé et daté par Telecom Italia, on lui donnera la date du 13 septembre 2005.
En septembre 2005, à sa date formelle, il était déjà résilié depuis deux mois par Telecom Italia.
Comme les contrats qui l'ont matériellement précédé, il est passé sans limitation de durée et remplace à compter du 1er mai 2005 les accords antérieurement passés entre les mêmes parties.
Il modifie le territoire contractuel et limite les services "Alice" à des offres destinées aux consommateurs, ainsi que les modalités de calcul de la commission versée à l'agent, qui sont fonction des services souscrits par le client.
Dans ses conclusions d'appel Free fait état d'un contrat du 29 juillet 2005. Libentia indiquait ne pas le connaître.
Quoi qu'il en soit, le point de départ des rapports contractuels est l'année 2003, et juillet 2005 est l'époque de la rupture définitive par l'opérateur.
La rémunération de Libentia était subordonnée à quatre obligations cumulatives le contrat d'abonnement ne devait pas être raturé de telle manière que les données essentielles soient illisibles, les nom et prénom indiqués dans le contrat d'abonnement devaient être ceux du titulaire de la ligne téléphonique déjà existante (chez France Telecom), le contrat d'abonnement devait être signé par le client titulaire de la ligne et comporter la mention "lu et approuvé" sur le mandat en cas de dégroupage total. Enfin, le champ dédié au téléphone d'Alice sur le contrat d'abonnement devait obligatoirement avoir été complété par le client.
Les commissions n'étaient payées à Libentia, en fonction du service vendu (suivant tableaux en annexe du contrat d'agent commercial) que pour autant que la ligne permettant le fonctionnement du dit service ait été activée par Telecom Italia.
Etait également appliqué un système de dé-rémunération ou de reprise sur rémunération dans l'hypothèse où un client résiliait le service choisi dans les 60 jours qui suivaient l'activation de la ligne et si cette résiliation intervenait suite à une réclamation du client due à une inexécution ou une mauvaise exécution de l'agent commercial.
Telecom Italia a par ailleurs, dès le 1er février 2005, compliqué la tache de Libentia, en ce sens que les modalités de rémunération ont été modifiées.
La liberté d'action de l'agence commerciale était d'autant plus nulle que ses accords avec Telecom Italia faisaient de celle-ci son client unique.
Dans un premier temps, Telecom Italia a récompensé Libentia par des primes mensuelles, qualifiées de "Grand prix qualité", pour des montants importants.
Plus encore, les performances reconnues par l'opérateur ont été très officiellement saluées les 9 et 10 mai 2005, deux mois à peine avant la brusque rupture, par la direction de Telecom Italia, qui lui a remis un trophée lors d'une convention qu'elle organisait au Maroc, à Marrakech. Libentia avait même le droit de venir avec ses invités.
Rapidement cependant, la situation se tendait et, par lettre du 29 juillet 2005, Telecom Italia anéantissait le nouveau contrat signé.
Les devoirs d'information et de loyauté édictés à l'article L. 134 al. 2 du Code de commerce ont été bafoués par Telecom Italia et ses substituées.
En agissant ainsi l'opérateur voulait réduire ses frais de gestion au détriment des producteurs actifs, en taillant, en premier lieu, dans les rémunérations de ses distributeurs apporteurs de contrats.
A les supposer démontrées, les critiques de Telecom Italia contre Libentia qui ne concernent que quelques dizaines de plus de 20 000 contrats seraient insuffisantes en qualité et en quantité, pour justifier une rupture du contrat, alors que l'art. L. 134-10 du Code de commerce ne prévoit guère, en ce cas, qu'une perte de la commission.
Si les difficultés qu'elle a évoquées par la suite avaient existé ou avaient eu le caractère de gravité revendiqué contre l'agent commercial, Telecom Italia n'aurait pas manqué de protester, sanctionner ou rompre plus tôt. En outre, jusqu'au 15 juin 2005, Telecom Italia a récompensé Libentia par des primes "exceptionnelles" répétées chaque mois.
En réalité, les accusations de Telecom Italia de "comportements commerciaux litigieux" ne reposent sur aucune base sérieuse : ils ne sont confortés ni par des lettres de clients, qui ne seraient d'ailleurs que des plaintes, sans pour autant qu'elles soient vraies, ni surtout par la preuve d'annulations éventuelles.
Ce n'est que le 15 mai 2006, soit plus de 20 mois après le premier contrat prétendument frauduleux et 8 mois après l'assignation, que seront invoqués treize cas litigieux, plus une ligne d'un "listing" qui aurait été adressée à Libentia, sans courriel d'accompagnement ni même une confirmation de lecture de sa part. La ligne en question précise uniquement les coordonnées du client et son état dans la base client, en aucun cas elle n'indique les raisons de l'annulation.
Les réponses de Telecom Italia aux demandes d'explications de Libentia quant au non-paiement des commissions, se sont la plupart du temps traduites par un mutisme complet, et parfois par des réponses du type "déjà payé" sans justification comptable ou "client non dégroupable".
Libentia conteste un à un, les différents courriers présentés comme de réclamation des clients.
Au demeurant, souligne Libentia, les actes malveillants qu'a eu Telecom Italia à son égard ont été commis, de la même manière, à l'encontre des autres agents. Elle en veut pour preuve les difficultés rencontrées par ceux-ci, dont elle justifie, et les témoignages qu'elle produit à ce sujet.
Dans ces conditions, estime Libentia, les manquements à ses obligations contractuelles de Telecom Italia sont prouvés, de même que ses multiples manquements aux devoirs de loyauté et d'information.
Les fautes éventuelles dans l'exécution du contrat sont à rechercher du côté de Telecom Italia, et l'analyse de celui-ci démontre qu'il est léonin en tout cas d'un dirigisme anormal.
Telecom Italia porte l'entière responsabilité de l'anéantissement du réseau commercial brusque et sans préavis et de la force de vente de Libentia et le préjudice en résultant.
Enfin, la récupération par Telecom Italia, rétroactive et injustifiée de commissions échues pour des affaires menées à bien est établie.
Libentia souligne encore que l'exclusivité formelle qui lui était concédée dans le premier contrat du 26 novembre 2003 lui a été retirée des contrats suivants sans explication.
En outre, Telecom Italia a institué comme chef de réseau de ses distributeurs et gestionnaire des contrats, un concurrent direct de Libentia, les sociétés FDC. FDI qui interviendront directement sur le territoire contractuel de Libentia et auprès de ses clients sans l'en informer.
Le contrat imposé à compter du 1er mai 2005, stipule que désormais l'agent va communiquer avec l'opérateur, soit directement, soit par l'intermédiaire du prestataire qu'il impose (art. 3.13) à savoir un concurrent de Libentia, FDC - FDI.
Une succession d'obligations nouvelles sera en outre imposée par Telecom Italia à ses distributeurs qui aboutissent à vider de sa substance et de son intérêt le partenariat entre les deux sociétés et réduire de façon conséquente les conditions de la commission.
Le système de "dé-rémunération", géré par FDC-FDI, a abouti en fait à priver le distributeur de tout ou partie de sa commission et aboutit à des contestations régulières des contrats qui lui sont transmis par Libentia, à l'annulation de nombreux clients, à la perte de plusieurs contrats et à la récupération malhonnête, par FDC, d'affaires menées à bien par Libentia.
S'agissant de ses demandes, Libentia discutait les avoirs, abusifs, faits par Telecom Italia.
A la date de la rupture, à la fin juillet 2005, il était dû à Libentia la facture, qui sera matériellement émise le 7 octobre 2005, de 46 986,00 euro hors taxes soit 56 195,25 euro TTC.
Au titre des commissions encore dues, elle demandait 140 573 euro, hors taxes, soit 168 125,30 euro TVA comprise, ainsi que 75 251 euro hors taxes, soit 90 000,19 euro TVA comprise.
Enfin, sur les conséquences de la rupture, Libentia détaillait son préjudice. Ses pertes sont de deux ordres. Les premières découlent du caractère brusque de la rupture. Elle évalue ce premier chef de préjudice à 229 785,60 euro HT.
Elle a, par ailleurs, subi un second préjudice, du seul chef de la rupture. Elle l'évalue à 1 243 261 euro hors taxes et demande condamnation de Free au paiement de ces sommes.
Elle sollicitait en outre 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par arrêt avant dire droit en date du 9 avril 2009, la cour de ce siège, après avoir relevé qu'elle était dans l'incapacité de savoir quelles pièces du dossier qui lui avait été remis par Libentia avaient été régulièrement soumises au débat contradictoire devant elle a rouvert les débats et enjoint aux parties de communiquer, sous bordereau unique, avec un intitulé clair pour chacune d'entre elles, l'ensemble des pièces dont elles entendaient se prévaloir. En tant que de besoin, la cour a précisé que les textes invoqués n'avaient pas à être communiqués dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une publication dans un bulletin de publication officielle.
Ensuite de cet arrêt, Libentia a versé un nouveau bordereau de communication de pièces (comportant, comme pièce 1... la directive communautaire du 18 décembre 1986 !), puis Free en a fait de même. Les parties ont ensuite à nouveau conclu, Free le 8 janvier 2010 et Libentia le 12 janvier 2010.
Dans ses conclusions du 12 janvier 2010, Libentia actualise, en tant que de besoin, ses demandes, en les dirigeant contre Free, compte tenu de traités de fusion qu'elle verse aux débats. Elle demande le rabat de l'ordonnance de clôture pour production de ses conclusions du 12 janvier 2010 et des traités de fusion qu'elle communique et qui la conduisent à diriger désormais ses demandes contre Free.
Sur ce LA COUR,
Vu l'article 455 du Code de procédure civile et les conclusions de Free en date du 8 janvier 2010 et de Libentia en date du 12 janvier 2010,
Attendu, sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôture, que les nouvelles conclusions de Free ne sont que la reprise des conclusions précédentes ; qu'en ce qui concerne les conclusions de Libentia, il en est de même, sauf les indications précédemment mentionnées que les conclusions antérieures à l'arrêt avant dire droit contenaient, contre Free, les mêmes demandes que celles formulées dans les nouvelles conclusions qu'il n'est pas contesté par Free qu'elle vient aux droits de Telecom Italia, sans qu'il ne soit nécessaire qu'il en soit justifié, par Libentia, par la production des traités de fusion-absorption que cette dernière entend verser aux débats ;
Attendu que la cour ne saurait, à peine de méconnaissance du principe du contradictoire, rabattre l'ordonnance de clôture et clôturer de nouveau par le même arrêt que celui par lequel elle prononce sur les demandes ; que dès lors, afin de donner à l'instance une solution rapide, il n'y a pas lieu de rabattre l'ordonnance de clôture, mais seulement de juger en l'état de la procédure telle qu'elle résulte des conclusions antérieures à l'arrêt avant dire droit du 9 avril 2009 et des pièces telles que communiquées conformément audit arrêt ;
Attendu, sur la rupture du contrat, que par courrier recommandé AR en date du 29 juillet 2005, Telecom Italia a notifié à Libentia la résiliation pour faute grave du contrat d'agent commercial qui liait les parties ;
Attendu qu'aux termes de ce courrier, la résiliation est effectuée pour faute grave ; qu'à cet égard Telecom Italia fait état de plusieurs réclamations reçues de consommateurs victimes de ventes forcées de la part de trois des commerciaux de Libentia ; que Telecom Italia souligne qu'elle avait signalé cet état de fait à plusieurs reprises ; que Telecom Italia fait valoir encore le fait que, nonobstant le fait que l'article 3-13 du contrat prévoyait une telle possibilité, Libentia contestait la nouvelle procédure d'externalisation du "back office" (service logistique) que Telecom Italia avait mise en place ;
Attendu que la simple contestation, par Libentia, de la mise en place d'une externalisation du service logistique de Telecom Italia ne saurait constituer une faute grave justifiant la résiliation du contrat d'agent commercial dont elle bénéficiait ;
Attendu, sur les réclamations résultant de ventes forcées, que Telecom Italia verse aux débats copie des courriers recommandés qu'elle avait, antérieurement à la résiliation, adressés à Libentia ;
Attendu que, par courrier du 1er septembre 2004, Telecom Italia faisait connaître à Libentia que, sur la période courant du 1er juillet 2004 au 31 août 2004, un commercial (M085) avait eu un comportement intolérable (non précisé) à l'égard de quinze clients ;
Attendu que, par courrier du 1er septembre 2004, Telecom Italia faisait connaître à Libentia que, sur la période courant du 1er juillet 2004 au 31 août 2004, un commercial (M085) n'avait pas eu un comportement tolérable (non précisé) à l'égard de quinze clients ; qu'elle rappelait les règles déontologiques qui s'imposaient à l'activité de démarchage à domicile et demandait à Libentia de prendre toutes les mesures nécessaires pour que le commercial M085 n'exerce plus aucune fonction au nom et pour le compte de Telecom Italia ;
Attendu que, par courrier du 19 novembre 2004, Telecom Italia faisait connaître à Libentia que, sur la période courant du 1er octobre 2004 au 31 octobre 2004, deux commerciaux (P044 et M096) n'avaient pas eu un comportement tolérable (non précisé) à l'égard respectivement de huit et de huit clients ; qu'elle rappelait les règles déontologiques qui s'imposaient à l'activité de démarchage à domicile et demandait à Libentia de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les commerciaux P044 et M096 n'exercent plus aucune fonction au nom et pour le compte de Telecom Italia ;
Attendu que, par courrier du 20 décembre 2004, Telecom Italia faisait connaître à Libentia que, sur la période courant du 1er novembre 2004 au 30 novembre 2004, six commerciaux (M096, M100, M107, P044, P054 et P063) n'avaient pas eu un comportement tolérable (non précisé) à l'égard respectivement de dix-huit, dix-sept, treize, neuf, huit et seize clients ; qu'elle rappelait les règles déontologiques qui s'imposaient à l'activité de démarchage à domicile et demandait à Libentia de prendre les mesures pour faire cesser ces pratiques et de la tenir informée de la nature des mesures prises ;
Attendu que, par courrier du 10 janvier 2005, Telecom Italia faisait connaître à Libentia que, sur la période courant du 1er décembre 2004 au 31 décembre 2004, cinq commerciaux (M096, M100, M102, M107 et P044) n'avaient pas eu un comportement tolérable (non précisé) à l'égard respectivement de quinze, douze, huit, quinze et neuf clients ; qu'elle rappelait les règles déontologiques qui s'imposaient à l'activité de démarchage à domicile et demandait à Libentia de prendre les mesures pour faire cesser ces pratiques et de la tenir informée de la nature des mesures prises ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que, comme l'avait demandé Telecom Italia, dans son courrier du 1er septembre 2004, il n'a plus pu être reproché quelque comportement que ce soit au commercial M085 ; qu'en revanche, les commerciaux P044 et M096 ont poursuivi leurs démarchages avec "un comportement non tolérable" ; que cependant, alors que dans ses deux premiers courriers, Telecom Italia demandait que les commerciaux concernés n'exercent plus aucune fonction en son nom et pour son compte, dans les courriers des 20 décembre 2005 et 10 janvier 2005, elle se bornait à demander qu'il soit mis fin aux pratiques dénoncées ; que dans ces conditions, Telecom Italia ne démontre pas qu'elle considérait que les fautes qu'elle dénonçait étaient considérées par elle comme susceptibles de constituer, de la part de Libentia, une faute grave dans l'exécution de son contrat d'agent commercial ;
Attendu en outre, que dans aucun des courriers susvisés, Telecom Italia ne manifeste son intention, si les pratiques dénoncées perduraient, de résilier le contrat ;
Attendu que dans un courrier du 21février 2005, Telecom Italia indiquait, sans autres précisions, continuer de recevoir de la part de clients démarchés par Libentia, "des réclamations concernant le comportement de certains de (ses) commerciaux" et réitérait sa "demande de faire cesser les pratiques déviantes" desdits commerciaux, demandant en outre à Libentia de lui indiquer les mesures prises suite au courrier du 10 janvier précédent et celles qu'elle allait à nouveau prendre ;
Attendu qu'entre ledit courrier du 21 février 2005 - dernier courrier dénonçant des "comportements" de certains commerciaux (non identifiés) - et la lettre de résiliation - soit sur une période de près de six mois -, il n'est versé aucun nouveau courrier qui puisse justifier de ce que Libentia aurait poursuivi, par un comportement inadéquat de ses commerciaux, le comportement dénoncé comme préjudiciable par Telecom Italia ; que les seuls courriers faisant état de comportements des commerciaux ne les reprochent pas en tant que tels, mais n'en font état que pour justifier des dérémunérations (courriers non datés -adressés au "cher partenaire" - de dérémunérations de février 2005 - pièce 184 de Libentia -, de juin 2005 - pièce 188 Libentia - et de juillet 2005 - pièce 189 de Libentia - ; que, par ailleurs, Libentia apparaît comme préoccupée par la nécessité, pour elle, de parvenir à ne plus avoir d'annulations de contrats du fait de comportements commerciaux (son courrier du 2 mars 2005, pièce 44 de Telecom Italia) ;
Attendu que non seulement Telecom Italia n'a plus reproché à Libentia de comportements de ses commerciaux mais qu'au contraire, et comme le souligne et en justifie Libentia, cette dernière société a été invitée, les 9 et 10 mai 2005, à une convention qui s'est déroulée à Marrakech, au cours de laquelle la jeune femme "Alice", emblème de "Alice" de Telecom Italia a remis un trophée à l'animateur de Libentia, comme il en est justifié par les pièces 22 à 25 bis et 201 à 204 ;
Attendu dans ces conditions qu'il résulte de ces éléments que les actes - certains - reprochables à Libentia jusqu'au 31 décembre 2004 n'ont pas été considérés par Telecom Italia, lors de leur survenance, comme constitutifs de faute grave ; qu'au surplus il n'est pas démontré que leur poursuite au-delà de février 2005 ait été considérée comme fautive ; qu'enfin il est démontré qu'en mai 2005, Libentia était considérée, par Libentia, comme un excellent agent commercial, digne de recevoir un trophée - y compris si, comme le fait valoir Free, un tel trophée avait pour but plus de motiver les équipes que de récompenser des résultats particulièrement satisfaisants - ;
Attendu de même que la signature, avec Libentia, d'un nouveau contrat en mai 2005 est incompatible, même si ledit contrat rappelle les règles déontologiques applicables, avec le fait que Telecom Italia aurait considéré que Libentia méconnaissait gravement ses obligations, depuis juillet 2004 (le courrier du 1er septembre 2004, Telecom Italia faisait connaître à Libentia que, sur la période courant de juillet 2004 à août 2004, un commercial n'avait "pas un comportement tolérable") et à tout le moins jusqu'en février 2005 ;
Attendu dans ces conditions que la résiliation du contrat d'agent commercial, par Telecom Italia, est abusive ;
Attendu que Libentia demande à ce titre d'une part paiement d'un préavis de six mois, soit 229 785,60 euro HT et d'autre part l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture elle-même, soit 1 243 261 euro HT ; qu'elle demande par ailleurs paiement de commissions abusivement retenues, pour un montant de 46 986 euro HT ;
Attendu, sur ce point, que la cour n'est pas en mesure de déterminer les sommes restant éventuellement dues au titre des commissions ; qu'il y a lieu d'ordonner une expertise ;
Attendu, sur les demandes afférentes à la rupture que, compte tenu de la durée des relations, un préavis de quatre mois aurait été nécessaire ;
Attendu cependant qu'eu égard au fait qu'il existe une incertitude sur le montant des commissions auxquelles Libentia a eu droit pendant la durée des relations entre les deux parties, la cour n'est pas en mesure de déterminer le montant de la somme due au titre du préavis, ni celui des dommages intérêts dûs du fait de la rupture abusive du contrat ; qu'il y a lieu d'allouer à Libentia une somme provisionnelle, d'un montant de 350 000 euro à ce double titre ;
Attendu que l'équité conduit, d'ores et déjà, à condamnation de Free à payer à Libentia la somme de 12 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire avant dire droit, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Dit abusive la rupture du contrat d'agent commercial de Libentia par Telecom Italia, Condamne Free, venant aux droits de Telecom Italia, à payer à Libentia une provision de 350 000 euro à valoir sur le préavis (quatre mois) et les dommages-intérêts pour rupture abusive, ainsi que 12 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Avant dire plus ample droit, Ordonne une expertise et nomme Monsieur Legris Jean-Charles, domicile professionnel 7, bis rue de l'Aigle, 92250 La Garenne-Colombes, tél. 01 42 56 40 00, fax 01 42 56 52 23, port. 06 60 54 40 00, e-mail [email protected], avec pour mission : convoquer les parties, se faire remettre tous documents utiles et entendre les explications des parties, examiner les documents remis par Free pour justifier des décommissionnements et donner à la cour tous éléments qui lui permettront de déterminer les sommes restant éventuellement dues en fonction de la pertinence des motifs avancés et des preuves apportées pour ces décommissionnements. Fixe à 10 000 euro le montant de la provision qui devra être déposée au greffe de la cour par Libentia dans un délai de six mois, Dit qu'à défauit de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque sauf prorogation de délai ou relevé de forclusion conformément aux dispositions de l'article 271 du Code de procédure civile, Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de dix mois après acceptation de sa mission et dépôt de consignation, Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert, il sera remplacé sur simple requête, Désigne le Président ou à défaut le conseiller de la mise en état pour en suivre les opérations, Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 22 septembre 2011 pour conclusions après dépôt du rapport d'expertise, Réserve les dépens.