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Décisions

Cass. crim., 4 mai 2011, n° 10-81.750

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

DNECCRF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Sassoust

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel, SCP Delaporte, Briard, Trichet

Versailles, JLD, du 19 févr. 2010

19 février 2010

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : La Direction Nationale des Enquêtes, de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, contre l'ordonnance du premier Président de la Cour d'appel de Versailles, en date du 19 février 2010, qui a annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé des opérations de visite et de saisie, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a annulé l'ordonnance du 30 juin 2006 et l'ordonnance de rectification d'erreur matérielle du 10 juillet 2006 rendues par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre ;

"aux motifs qu'aux termes de l'article L. 450-4, alinéa 2, du Code de commerce : " Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que des indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée " ; qu'en l'occurrence, le juge des libertés et de la détention relève que les pratiques illicites " qui auraient débuté en 2001, se seraient au moins poursuivies jusqu'au 3 février 2006, date à laquelle la DGCCRF a procédé à des visites et saisies sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers par autorisation du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre des 31 janvier 2006 et 2 février 2006 ; qu'il n'est pas exclu que ces agissements perdurent dans le secteur des produits d'hygiène et du soin du corps nonobstant les investigations déjà réalisées dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers " ; que, toutefois, au regard de cette motivation, il n'existe aucun élément de nature à laisser supposer que ces pratiques illicites se seraient poursuivies au-delà du 3 février 2006, soit durant les quatre mois ayant précédé le prononcé de l'ordonnance entreprise, dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, et a fortiori dans celui des produits d'hygiène et de soins du corps, qui est l'objet de cette ordonnance ; que dans la mesure où rien n'autorise à conclure que des infractions auraient été commises dans l'intervalle, ou que des pratiques illicites auraient perduré notamment depuis les premières investigations effectuées le 3 février 2006 dans le secteur parallèle des produits d'entretien et des insecticides ménagers, le premier juge ne pouvait valablement autoriser les opérations de visite et saisie litigieuses sur la base de simples indices permettant de présumer l'existence des pratiques dont la preuve était recherchée ; qu'au demeurant, les indices retenus par le premier juge pour fonder sa décision reposent pour l'essentiel sur les premières mesures d'enquête ayant fait suite aux opérations de visite et saisie du 3 février 2006 dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, lesquelles " semblent montrer que l'ILEC et PBMO Corporate pourraient avoir outrepassé leur rôle d'expertise également dans le secteur des produits d'hygiène et du soin du corps, en donnent la possibilité aux entreprises fournissant la grande distribution d'échanger des informations confidentielles leur permettant d'avoir une connaissance globale de l'état de discussions entre distributeurs et fournisseurs et d'adapter en conséquence leur politique commerciale " ; que, toutefois, il ne peut se déduire, ni des conclusions incertaines de ces premières mesures d'enquête, ni des tableaux comparatifs des chiffres d'affaires présentés en annexe 3 à la note des rapporteurs, l'existence de pratiques anticoncurrentielles prohibées auxquelles les sociétés Georgia Pacific France et Vania Expansion auraient participé ; qu'au surplus, l'allégation suivant laquelle la société Vania Expansion apparaît, avec d'autres fournisseurs, au coeur des pratiques relevées dans le secteur des produits d'hygiène et de soins du corps du fait de sa participation aux réunions " Team PCP ", et la circonstance que la société Vania Expansion soit une filiale de la société Georgia Pacific France, domiciliée à la même adresse et ayant le même gérant, ne peuvent constituer des présomptions suffisantes que ces deux sociétés se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81-1 du traité instituant la Communauté européenne ; qu'au regard de ce qui précède, il apparaît que le juge des libertés et de la détention ne disposait pas, au sens de l'article L. 450-4 deuxième alinéa du Code de commerce, d'éléments suffisants d'information de nature à justifier la visite des locaux des sociétés Vania Expansion et Georgia Pacific France, ce qui vicie l'ordonnance dont celles-ci ont interjeté appel ; qu'à titre surabondant, pour justifier les opérations de visite et saisie dans les locaux occupés par la société Georgia Pacific France, l'ordonnance entreprise énonce que cette-dernière " présente sur son site Vania comme l'une de ses marques, que la société Vania Expansion est une filiale de Georgia Pacific France, domiciliée à la même adresse et ayant le même gérant, M. Patrick Legrand...; que les seules indications figurant au siège de la société Vania Expansion concernaient Georgia Pacific, que ce constat permet d'établir qu'au sein des locaux de Georgia Pacific est hébergée la société Vania Expansion " ; que, cependant, d'une part, l'existence d'un lien capitalistique entre deux sociétés, à l'exclusion de tout autre élément, n'est pas de nature à constituer un indice suffisant permettant de présumer l'existence des pratiques illicites dont la preuve est recherchée ; que, d'autre part, la circonstance que les deux sociétés sont domiciliées à la même adresse et ont le même gérant ne peut caractériser l'existence d'un tel lien, alors surtout que ce dernier n'est jamais visé par l'ordonnance déférée comme ayant participé aux pratiques alléguées ; que, de surcroît, la société Georgia Pacific France ne figure pas parmi les sociétés, visées en pages 3 et 4 de cette ordonnance, ayant participé aux réunions entre fournisseurs et n'est pas davantage mentionnée dans la note des rapporteurs du Conseil de la concurrence jointe à la requête de la DGCCRF et du Conseil de la concurrence ; qu'il s'ensuit qu'en l'absence d'élément permettant de faire la relation entre elle et les pratiques illicites litigieuses, le premier juge ne pouvait valablement autoriser les opérations de visite et saisie dans les locaux de la société Georgia Pacific France ; que, dès lors, il convient, sans qu'il y ait lieu se prononcer sur le dernier grief tiré de la prétendue absence de nécessité et de proportionnalité des opérations de visite et saisie telles que requises par les dispositions supranationales, d'annuler l'ordonnance entreprise, avec toutes conséquences de droit ; que l'annulation de l'ordonnance rendue le 30 juin 2006 doit entraîner l'annulation subséquente de la décision rectificative intervenue le 10 juillet 2006 ;

"alors que la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée, dès lors que la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du Code de commerce en train de se commettre ; qu'ainsi, l'existence d'une demande de clémence présentée par une société dénonçant une entente, et la note des rapporteurs qui en rend compte et contient en annexe des pièces relatives aux sociétés du secteur soupçonnées de participer à l'entente, justifient que le juge autorise les visites et saisies à l'encontre des entreprises soupçonnées, ainsi que celles qui leur sont liées et partagent les mêmes locaux ; qu'en l'espèce, pour infirmer l'autorisation de visites et saisies dans les locaux des sociétés Vania Expansion et Georgia Pacific France, le premier président de la cour d'appel a jugé qu'il n'existait aucun élément de nature à laisser supposer que les pratiques illicites se seraient poursuivies au-delà du 3 février 2006 ni que ces deux sociétés y auraient participé, peu important que Vania Expansion soit une filiale de Georgia Pacific France et qu'elles aient le même gérant et leur siège social à la même adresse ; qu'en statuant ainsi, tandis que le procès-verbal de réception de la demande de clémence faisant état de pratiques prohibées datait du 28 février 2006, que la note des rapporteurs explicitant les pratiques des entreprises du secteur en vigueur depuis plusieurs années datait du 23 juin 2006 et qu'y étaient jointes des annexes impliquant la société Vania Expansion, dont l'identité d'adresse et les liens capitalistiques et de direction avec la société Georgia Pacific France étendaient nécessairement les soupçons à cette dernière, le premier président a privé sa décision de base légale" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure que l'une des sociétés dans les locaux de laquelle avaient été effectuées, le 3 février 2006, des visites et saisies en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, a présenté auprès du Conseil de la concurrence, une demande de clémence pour sa participation à de telles pratiques dans le domaine des produits d'hygiène et des soins du corps ; que, sur requête en date du 29 juin 2006, de la Direction Nationale de Enquêtes, de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, le juge des liberté et de la détention de Nanterre a, par ordonnance du 30 juin 2006, autorisé des visites et saisies, notamment dans les locaux des sociétés Georgia Pacific France et Vania Expansion, pour rechercher la preuve des dites pratiques ;

Attendu que, pour infirmer cette décision, sur l'appel de ces sociétés et annuler la mesure litigieuse l'ordonnance énonce qu'aucun élément ne laisse supposer que les pratiques illicites se seraient poursuivies au delà du 3 février 2006 et que le premier juge ne pouvait, en conséquence, autoriser les visites et saisies sur la base de simples indices faisant présumer l'existence des agissements dénoncés ; que le premier Président ajoute que celle-ci ne pouvait se déduire, ni des conclusions incertaines des premières investigations effectuée en matière de pratiques illicites dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, ni des tableaux annexés à la note des rapporteurs ; qu'il relève encore que la participation de la société Vania Expansion aux réunions "Team PCP" et le fait que la société Georgia Pacific France soit une de ses filiales domiciliée à la même adresse et ayant le même gérant, ne pouvaient faire présumer son implication dans les pratiques prohibées ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs contradictoires, et alors qu'il résultait de ses propres constatations, d'une part que l'autorisation de visite et de saisie requise se fondait sur une demande de clémence reçue le 28 février 2006 par le Conseil de la concurrence, dénonçant des faits ayant débuté en octobre 2003 et encore en cours à l'époque de la dénonciation, d'autre part, que le gérant des deux sociétés avait participé à des réunions dénommées "Team PCP" durant lesquelles, selon le demandeur de clémence, des informations confidentielles étaient échangées par les entreprises en vue d'adapter les pratiques et la position sur le marché des divers concurrents, le premier Président de la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions l'ordonnance susvisée du premier président de la Cour d'appel de Versailles, en date du 19 février 2010, et, pour qu'il soit à nouveau jugé, Renvoie la cause et les parties devant le premier Président de la Cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, Chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus.