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Décisions

CA Saint-Denis de la Reunion, ch. civ., 23 juillet 2010, n° 09-00941

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bourgogne

Défendeur :

Giordano Distribution (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Creze

Conseillers :

M. Lamarche, Mme Jouanard

Avocat :

Me Fontaine

TGI Saint-Pierre, du 3 avr. 2009

3 avril 2009

Faits et procédure

Il convient de se reporter, pour plus ample exposé, aux faits relatés dans la décision frappée d'appel.

Pour l'essentiel, le 1er décembre 2004 Didier Bourgogne signait un contrat d'agent commercial avec la SARL Giordano, pour une durée indéterminée. Sa rémunération, versée sous forme de commissions, a fait l'objet d'un avenant applicable le 1er février 2005.

Par courrier du 25 janvier 2007, portant la mention " rupture de contrat ", la SARL Giordano Distribution informait Didier Bourgogne qu'elle mettait fin à son contrat d'agent commercial indépendant.

Par acte du 21 août 2007, ce dernier assignait la SARL Giordano devant le Tribunal de grande instance de Saint-Pierre, pour voir juger que la rupture de son contrat d'agent commercial est intervenue à l'initiative de son mandant et de condamner celui-ci à lui payer les sommes de 9 327 euro bruts au titre de son préavis, 74 618,57 euro à titre d'indemnité de rupture, avec exécution provisoire et 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 3 avril de 2009, le Tribunal de grande instance de Saint-Pierre :

Constatait que Didier Bourgogne a commis une faute grave dans l'accomplissement de son mandat d'agent commercial, laquelle justifie la rupture de son contrat par la SARL Giordano Distribution,

Déboutait Didier Bourgogne de toutes ses demandes,

Condamnait le même à payer à la SARL Giordano Distribution la somme de 1 400 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par acte du 8 juin 2009, Didier Bourgogne interjetait appel de cette décision.

L'affaire était clôturée par ordonnance du Conseiller de la mise en état du 25 janvier 2010 et, ne requérant pas de plaidoirie, ce dernier autorisait, à leur demande, les avocats à déposer leur dossier au greffe de la chambre civile de la cour d'appel entre le 11 juin 2010 et le 18 juin suivant.

Moyens et prétentions

Par dernières conclusions, régulièrement déposées le 8 octobre 2009 et notifiées par voie d'assignation délivrée à personne habilitée, Didier Bourgogne, appelant, demande :

- de voir constater que le contrat d'agent commercial a été résilié du fait du mandat, par la SARL Giordano Distribution,

- de voir constater qu'aucune pièce ne vient justifier d'une faute grave qu'il aurait commise,

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de condamner la SARL Giordano Distribution à lui payer la somme de 9 327 euro à titre d'indemnité de préavis et de 74 618,57 euro à titre d'indemnité de rupture,

- de condamner la SARL Giordano Distribution à lui verser la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'appelant fait valoir, en substance, qu'il devait vendre au nom et pour le compte de la société Giordano Distribution sans exclusivité auprès de la clientèle des particuliers, ainsi que des commerçants et entrepreneurs, des produits de la gamme chauffe-eau solaire fabriqués ou diffusés par celle-ci sur l'ensemble du département de La Réunion.

Il explique que les rapports se sont dégradés à l'arrivée du nouveau responsable du bureau de Saint-Pierre, qu'il lui était interdit d'assister aux réunions, d'utiliser les installations à des fins professionnelles et d'être présent aux promotions sur les lieux de vente. Il avance qu'un préavis de trois mois lui est dû conformément à la loi, ainsi qu'une indemnité de rupture compensatrice du préjudice qu'il a subi, que la jurisprudence a arrêtée au montant représentant la somme de deux années de commissions brutes.

Il soutient qu'il n'a commis aucune faute et qu'aucun acte de sa part ne porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun rendant impossible le maintien du lien contractuel.

La société Giordano, intimée et assignée par acte remis à personne habilitée, ne s'est pas constituée.

Il y a lieu de statuer par arrêt réputé contradictoire.

Motifs

- Sur l'imputation de la rupture du contrat de mandat:

L'article L. 134-4 du Code de commerce précise que le contrat d'agent commercial est conclu dans l'intérêt commun des parties, et que les rapports de ces dernières sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

En l'espèce, il ne saurait être sérieusement contesté que la rupture du contrat d'agent commercial de Didier Bourgogne a été opérée à l'initiative de la SARL Giordano Distribution. Or, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, qui n'est pas due lorsqu'elle résulte d'une faute grave commise par lui. La faute grave, qu'il appartient au mandant de la rapporter, est définie comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et qui rend impossible le maintien du lien contractuel.

L'appelant produit de nombreuses attestations, dont celles de Michel Leblanc, Ignace Begue, Jean Giovanni Payet, Jean Pierre Matter, Michel Dijoux, Fatémah Moullan, Eric Dijoux, Eric Mayen, Emmanuel Demile, Stéphane Charlette, Serge Pittiani, Yannis Lebon, dont il ressort que celui-ci avait des qualités humaines et techniques faisant de lui un bon commercial.

Il ne lui est pas reproché la qualité de son travail ou ses résultats commerciaux, mais d'avoir jugé de la pertinence des méthodes de travail qui prévalent dans l'entreprise dont il commercialise les produits et des difficultés relationnelles avec les dirigeants de cette dernière.

Pour autant, des critiques formulées directement à l'adresse des dirigeants de l'entreprise ne sauraient constituer en elles-mêmes une faute pour un agent commercial indépendant qui n'est pas, contrairement à un salarié, tenu par un lien de subordination, si ces critiques s'inscrivent, conformément à son obligation d'information, dans une démarche constructive et visent, dans l'intérêt commun des parties à améliorer les résultats de l'entreprise mandante. C'est ainsi que peut s'interpréter le courrier du 3 janvier 2006, adressé à Thierry Demaret, gérant de l'entreprise Giordano Distribution, dans lequel l'appelant informe du manque d'expérience de certains personnels de la comptabilité, des problèmes suscités par le nouveau logiciel mis en place, et rappelle à son mandant qu'il a rempli les listings pour y inscrire les éléments demandés aux fins de calculer sa commission, et qu'il reste lui devoir la somme de 6 085,13 euro sur les commissions d'avril à juillet 2005.

De même, le courrier de Serge Legay, gérant de la Ader SARL, adressé à Thierry Demaret, explique que Didier Bourgogne a tenté d'intervenir pour régler au mieux une situation qui nuisait à l'image de marque de la société Giordano, en relatant que Jean-Luc Begue, responsable du bureau de Saint-Pierre de la société Giordano, avait commandé et enlevé une machine de projection, ainsi que des matériaux, pour une valeur totale de 9 026,55 euro et que, malgré une mise en demeure de payer ces marchandises qui lui avait été adressée, il n'avait pas répondu.

Encore, dans un courrier adressé le 5 septembre 2006 au même gérant, l'appelant précise qu'il avait souhaité s'entretenir personnellement avec le directeur commercial, mais qu'aucune suite n'avait été donnée à sa demande, avant qu'il ne se croit obligé d'engager une procédure contentieuse à l'encontre du client Angelin Blard. En outre, une telle procédure ne parait pas dénuée de tout fondement dans la mesure où l'article 6 du contrat d'agent commercial signé entre les parties stipule une clause de ducroire au terme de laquelle tout refus de paiement de la part du client sera déduite par compensation sur les commissions dues à l'agent.

De fait, il n'est pas démontré que l'agent commercial aurait manqué à son devoir de loyauté envers la société Giordano et qu'il aurait commis une faute grave de nature à le priver de toute indemnité.

Il ressort néanmoins du dossier, et des nombreuses attestations produites respectivement par les parties, qu'un conflit personnel existait entre les dirigeants de la société Giordano Distribution, notamment avec Jean-Luc Begue responsable du bureau de Saint-Pierre, et l'agent commercial. Il est ainsi rapporté par le gérant de la société, dans un courrier du 3 janvier 2007, une altercation entre les deux intéressés qui auraient pu en venir aux mains.

Ainsi, le mandant reproche à l'appelant d'être une personne arrogante imbue d'elle-même, de faire preuve d'un esprit polémique permanent, de créer une ambiance agressive, et dénonce son refus de se conformer aux méthodes de travail, son attitude irrespectueuse à l'égard des salariés de l'agence et produisait en ce sens plusieurs attestations auxquelles les premiers juges ont été sensibles.

Or, le devoir de loyauté de l'agent commercial s'étend également à l'égard des dirigeants de la personne morale qui l'a mandaté et il convient de relever que l'agent commercial a ainsi manqué à cette obligation.

Toutefois, il convient également de relever que Didier Bourgogne a plusieurs fois dénoncé à Thierry Demaret, les difficultés relationnelles qu'il rencontrait avec Jean-Luc Begue, résultant notamment de la carence de ce dernier d'honorer certaines factures envers ses clients, ainsi que le rappelle Serge Legay, dans la lettre précitée, ou encore qu'il l'a informé de l'attitude de Jean-Luc Begue qui a refusé de lui restituer une facture de novembre pour qu'il puisse corriger l'erreur qu'il y avait commise. Pour autant, le gérant de l'entreprise Giordano Distribution, qui n'ignorait pas le conflit personnel opposant le responsable du bureau de Saint-Pierre avec l'agent commercial indépendant, ainsi qu'en attestent ses différents courriers, ne fait état d'aucune intervention de sa part pour tenter de le résoudre.

De même, il n'est pas contesté que l'agent commercial n'était pas autorisé à assister aux réunions, alors que son mandant était tenu envers lui par une obligation d'information.

Par ailleurs, d'autres attestations, telles que celle d'Ignace Begue, Yannis Lebon et Michel Leblanc, témoignent du fait que les conditions de travail des commerciaux dans l'entreprise Giordano n'étaient pas exemptes de critiques, et qu'ils étaient régulièrement écartés des grands événements commerciaux, tels que le salon de la maison.

En outre, il convient de relever que l'appelant a été obligé d'engager une procédure d'injonction de payer, afin d'obtenir le paiement de ses commissions.

Aussi, il convient de constater que le mandant n'a pas mis l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat dans des conditions favorables, manquant ainsi, lui aussi, à son obligation de loyauté.

Or, les rapports entre l'argent commercial et son mandant sont régis par une obligation de loyauté réciproque, qui peut entraîner un partage de responsabilité en cas de rupture des relations contractuelles résultant du mandat.

En conséquence, il y a lieu de considérer, au regard des éléments produits en la cause, que la rupture du contrat de mandat commercial est imputable à parts égales aux deux parties et d'infirmer le jugement entrepris.

- Sur l'indemnité de préavis :

La durée du préavis était prévue à l'article 2 du contrat d'agent commercial, en application des dispositions de l'article 11 alinéa 2 de la loi du 25 juin 1991, et fixée en l'occurrence à trois mois de date à date soit du 25 janvier 2007 au 25 avril 2007.

L'appelant soutient que ce préavis lui serait dû du fait qu'il n'a pu l'exécuter, la société Giordano ayant mis fin au contrat à réception de la lettre de rupture sans mentionner de délai.

En ce sens, il convient de relever que les termes du courrier de rupture du 25 janvier 2007 précisent qu'il est mis fin au contrat aux conditions figurant à l'article 7 de ce dernier, à compter de la réception de la présente.

De fait, il convient de considérer qu'en mettant fin au contrat à compter de la réception de la présente, le mandant n'a laissé à son agent commercial aucun délai de préavis. Didier Bourgogne percevant une moyenne de 3 109 euro bruts de commission par mois, il convient donc de condamner le mandant à lui payer la somme de 9 327 euro bruts au titre du préavis de trois mois que ce dernier n'a pu exécuter et ce conformément aux dispositions contractuelles.

- Sur l'indemnité de rupture du contrat:

L'article L. 134-12 du Code du commerce énonce qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Il précise que ce dernier perd le droit à réparation, s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

En l'espèce il n'y est pas contesté que Didier Bourgogne a bien notifié à son mandant son souhait de faire valoir ses droits à indemnité, dans une lettre recommandée avec accusé de réception du 30 janvier 2007.

Or, cette indemnité doit être évaluée en fonction du préjudice constitué par la perte de revenus que l'appelant aurait pu continuer à percevoir, si le contrat s'était poursuivi, ainsi que par la perte de la valeur économique de son contrat.

Aussi, au vu des éléments produits au départ, du caractère à durée indéterminée du contrat conclu et de la durée durant laquelle celui-ci a été exécuté avant sa rupture, il y a lieu d'évaluer cette indemnité à la somme de 74 616 euro, correspondant à 24 mois de commissions calculées sur la base de la même moyenne mensuelle que celle utilisée pour l'indemnité de préavis.

Toutefois, en considération de ce qui a été dit plus haut, cette somme sera réduite de moitié, pour tenir compte du comportement respectif des parties qui entraîne un partage de responsabilité dans la rupture du contrat de mandat commercial.

Rien ne justifie qu'il soit dérogé en l'espèce à la règle de l'article 696 du Code de procédure civile selon laquelle la partie perdante est condamnée aux dépens. Il serait inéquitable, en revanche, de laisser à l'appelant la charge de l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'il a dû exposer pour faire valoir ses droits.

En conséquence, il y a lieu de condamner la SARL Giordano Distribution à verser à Didier Bourgogne la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire, en audience publique, en matière civile et en dernier ressort : En la forme: Déclare recevable l'appel interjeté le 8 juin 2009 contre le jugement rendu le 3 avril 2009 par le Tribunal de grande instance de Saint-Pierre; Au fond : Infirme ce jugement en toutes ses dispositions ; Condamne la SARL Giordano Distribution à verser à Didier Bourgogne la somme de 9 327 à titre d'indemnité de préavis ; Condamne la SARL Giordano Distribution à verser à Didier Bourgogne la somme de 37 308 euro à titre d'indemnité compensatrice de la rupture du contrat d'agent commercial ; Déboute les parties de leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires ; Condamne la SARL Giordano Distribution à verser à Didier Bourgogne la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL Giordano Distribution aux entiers dépens d'instance et d'appel.