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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 3 mars 2010, n° 08-19797

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tily Charon (SARL)

Défendeur :

Oil France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaboriau

Conseillers :

Mmes Imbaud-Content, Degrelle-Croissant

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Petit Lesenechal

Avocats :

Mes Meresse, Baret

T. com. Paris, du 4 sept. 2008

4 septembre 2008

Procédure et prétentions des parties

La cour statue sur l'appel interjeté par la société Tily Charon à l'encontre du jugement rendu le 4/9/2008 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- constaté la résiliation de plein droit, aux torts de la société Tily Charon et à compter du 4/2/2008, du contrat d'exploitation du 13/9/2005 et ordonné, en conséquence, son expulsion des lieux litigieux,

- débouté la société Tily Charon de l'ensemble de ses demandes,

- condamné celle-ci à payer à la société Oil France la somme de 19 608,42 euro au titre du solde impayé de son compte avec intérêts au taux légal à compter du 30/1/2008, date de la mise en demeure,

- condamné la société Tily Charon au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1943,97 euro à compter de mars 2008 et jusqu'à restitution effective des clés,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Tily Charon à payer à la société Oil France la somme de 3 600 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;

Les faits et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit :

Par contrat du 2/3/2001, la société Shell a confié à la société Tily Charon l'exploitation de sa station-service du 1, place Bellecourt à Lyon, cette exploitation étant à exercer sous forme de mandat pour l'activité de distribution de carburants et sous forme de location-gérance pour le surplus de l'activité ;

La société Shell envisageant le transfert de son réseau de stations-services à la société Oil France, un avenant dit de substitution au contrat du 2/3/2001 a été établi entre elle, la société Tily Charon et la société Oil France le 28/4/2005 par lequel la société Tily Charon ratifiait la société Oil France comme se substituant intégralement aux droits et obligations de la société Shell et s'engageait à accorder à la société Oil France une garantie équivalente en terme de coût à celle précédemment accordée à la société Shell laquelle garantie devait être formalisée dans les trois mois de la date de transfert, par lequel encore la société Shell et la société Tily Charon convenaient d'un arrêté de compte entre elles et par lequel il était prévu que les éventuelles pertes d'exploitation postérieures à la date de transfert seraient prises en charge par la société Oil France ;

Le transfert qui devait intervenir avant l'échéance du contrat du 2/3/2001, ayant été retardé, la société Shell et la société Tily Charon ont conclu le 13/9/2005 après cette date d'échéance un nouveau contrat aux mêmes conditions que celles fixées au contrat précédent ;

Après que le transfert a été réalisé le 18/10/2005, la société Oil France a repris les obligations de la société Shell sans qu'un autre contrat ne soit signé entre elle et la société Tily Charon ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19/1/2008, la société Tily Charon a mis en demeure la société Oil France d'avoir à procéder aux redditions de compte, à lui payer les pertes d'exploitation et d'avoir à procéder à la réparation de pompes à carburants, la société Oil France lui adressant de son côté par lettre recommandée avec accusé de réception du 31/1/2008 une mise en demeure d'avoir à régler dans les trois jours des livraisons impayées pour un total de 53 299,64 euro ainsi que de fournir la garantie bancaire prévue au contrat, cette mise en demeure visant la clause de résiliation de plein droit insérée au contrat en son article 15.1 ;

La société Tily Charon a alors initié une procédure de référé aux fins de voir la société Oil France déclarée tenue aux redditions de compte pour les exercices 2005 et 2006 et à la remise en état des pompes ;

Le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé, renvoyant, "par passerelle", l'affaire devant le tribunal ;

La société Oil France s'est opposée aux demandes contre elle et a formé une demande reconventionnelle aux fins de voir constater la résolution du contrat à effet du 4/2/2008 par suite de sa mise en demeure susvisée, voir ordonner l'expulsion des lieux de la société Tily Charon, voir celle-ci condamnée au paiement d'une somme de 19 608,42 euro au titre du solde du compte ;

C'est dans ces conditions que le jugement déféré a été rendu ;

Postérieurement au jugement la société Tily Charon a quitté les lieux et remis les clés ;

La société Tily Charon, appelante, demande à la cour :

- d'infirmer le jugement déféré en disant la société Oil France responsable de la rupture anticipée du contrat du 13/9/2005 et en la condamnant, à ce titre, au paiement d'une somme de 124 868 euro, en la condamnant, à titre de dommages-intérêts, à supporter la totalité de la créance qu'elle revendique contre la concluante, en disant que la société Oil France devra indemniser la concluante des pertes ce conformément aux accords interprofessionnels et aux dispositions de l'article 2000 du Code civil, en ordonnant une expertise pour déterminer les sommes dues par la société Oil France pour garantir, conformément aux accords interprofessionnels, un résultat d'exploitation positif et en la condamnant provisionnellement à ce titre au paiement d'une somme de 55 515 euro,

- de condamner la société Oil France au paiement d'une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

La société Oil France, intimée, demande, pour sa part, à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- Y ajoutant, de condamner la société Tily Charon au paiement d'une somme de 19 430 euro au titre des indemnités d'occupation, d'une somme de 46 377 euro au titre du stock de carburant et d'une somme de 100 000 euro au titre du préjudice subi par suite de la résiliation par la Communauté Urbaine Grand Lyon de la convention d'occupation temporaire du domaine public et du démontage de la station consécutifs à sa fermeture,

- de condamner celle-ci au paiement d'une somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Motifs de la décision

Considérant qu'au soutien de son appel, la société Tily Charon, qui reprend devant la cour uniquement ses demandes relatives aux pertes et aux dommages-intérêts pour rupture du contrat, expose,

- d'une part, que la société Oil France doit l'indemniser des pertes du mandat ce conformément aux accords interprofessionnels et à l'article 2000 du Code civil

- et, d'autre part, que la rupture du contrat est imputable à celle-ci par suite de manquements à ses obligations d'exécuter de bonne foi le contrat par refus, contrairement aux obligations résultant des accords interprofessionnels inclus selon elle dans le champ contractuel, d'examiner les comptes afin de garantir au gérant des résultats positifs d'exploitation et par refus, en violation des clauses du contrat, d'assurer l'entretien du matériel de la station-service nécessaire à sa bonne exploitation estimant à cet égard que les impayés pour des factures fournisseurs concernés par la mise en demeure du 30/1/2008 visant la clause résolutoire insérée au contrat sont dus à cette situation, les chiffres d'affaires, en l'absence d'indemnisation des pertes, ne lui ayant pas permis de couvrir l'intégralité à la fois des charges d'exploitation et le remboursement des livraisons de carburants et autres achats ;

Que la société Oil France expliquant n'avoir eu remise des clés qu'en date du 15/12/2008, avoir dû démonter la station suite à la résiliation de la convention d'occupation temporaire du domaine public à elle consentie par la Communauté Urbaine Grand Lyon et n'avoir jamais reçu paiement du stock carburant par elle livré à la société Tily Charon en exécution du contrat ajoute aux demandes par elle formulées en première instance en réclamant la condamnation de la société Tily Charon au paiement des indemnités d'occupation sur la base fixée au jugement ainsi que sa condamnation à des dommages-intérêts et sa condamnation au paiement du stock ;

Sur l'indemnisation des pertes du mandat et la demande d'expertise et de provision

Considérant que si la société Tily Charon ne peut utilement fonder sa demande de ce chef sur les dispositions de l'article 2000 du Code civil dès lors que le contrat du 13/9/2005 liant les parties dispose en son article 11 que la vente des produits sur lesquels porte le mandat serait assurée par l'exploitant, selon les articles 1984 et suivants du Code civil, à l'exception des articles 1999 et 2000 de ce code auxquels il était expressément renoncé, elle peut, par contre, valablement fonder sa demande sur les dispositions des accords interprofessionnels expressément visés à cette clause et en considération desquels les parties avaient convenu de la renonciation susvisée à l'article 2000 du Code civil précité;

Que l'article 1 du contrat mentionnant comme condition déterminante que ces accords interprofessionnels et ses avenants successifs compléteraient tant qu'ils seraient en vigueur les clauses contractuelles, les avantages y prévus étant exclusifs de l'application de toute autre légalisation, il ne peut être soutenu à cet égard, comme le fait la société Oil France, que ceux-ci ne fassent pas partie du champ contractuel, la volonté des parties, au vu des clauses ci-dessus rappelées ayant été de voir appliquer (aux lieu et place des dispositions de l'article 2000 du Code civil prévoyant l'indemnisation par le mandant des pertes essuyées par le mandataire à l'occasion de sa gestion sans imprudence qui lui soit imputable) lesdits accords, qui, partant, en leur point 3, du postulat que "la gestion d'une station-service suppose que l'exploitant se comporte en bon commerçant et dégage un résultat d'exploitation positif", posent le principe de l'engagement du pétrolier à étudier, à tout moment, le cas de toute station qui pourrait lui être soumis par l'exploitant qui estimerait ne pas dégager un tel résultat, ce principe impliquant un rééquilibrage par versements de sommes pour compenser les pertes ;

Qu'il ne peut être davantage retenu, comme le fait la société Oil France que l'indemnisation des pertes aurait été prise en compte dans l'article 11-5 du mandat par inclusion dans la commission forfaitaire y prévue alors que cet article se rapporte uniquement à la rémunération de l'exploitant " pour ses peines et soins " et, ensemble, " pour l'ensemble de ses frais et charges y compris les pertes " celles-ci n'étant donc envisagées que comme élément des charges prises en compte dans la rémunération du mandataire et non au titre de l'indemnisation du préjudice lié aux pertes, et cet article étant, dans la commune volonté des parties, applicable aux lieu et place de l'article 1999 du Code civil obligeant le mandant " à rembourser le mandataire de ses avances et frais et à lui payer ses salaires lorsqu'il en a été promis " (ce remboursement distinct des pertes envisagées, elles, à l'article 2000 du Code civil) et auquel les parties ont renoncé uniquement en considération de leur convention ci-dessus sur la rémunération ;

Considérant que les versements opérés par Shell dans le cours du contrat antérieur du 2/5/2001 pour compenser les pertes éclairent, s'il en est besoin, la volonté des parties lors de la conclusion du contrat litigieux de voir indemniser ces pertes et corroborent l'interprétation susvisée

- dès lors que le contrat du 2/5/2001 avait été souscrit à des conditions identiques ;

- et dès lors que par l'avenant du 28/4/2005 par elle signé stipulant que "les éventuelles pertes d'exploitation postérieures à la date du transfert à son profit du réseau des stations-service Shell seraient par elle prises en charge conformément aux accords interprofessionnels", la société Oil France avait adhéré à ces conditions dont, et bien, comme il l'était précisé, qu'elle ne soit pas signataire de ces accords, celles résultant des accords interprofessionnels ;

Considérant que l'existence alléguée de pertes qui pouvait être utilement vérifiée seulement par la reddition des comptes que la société Oil France s'est abstenue d'effectuer, ne peut être, en l'absence de cette reddition, d'emblée écartée dès lors que le résultat d'exploitation a été déficitaire en 2007 et dès lors que la société Tily Charon explique que le résultat en 2006 a été rendu bénéficiaire seulement grâce à la prime de fin de gérance versée par Shell ;

Considérant, ceci étant, que les pertes alléguées seraient indemnisables par la société Oil France uniquement si elles sont afférentes à la seule activité exercée sous mandat et autant qu'elles ne soient pas imputables à une mauvaise gestion de la part de la société Tily Charon ;

Considérant que la cour s'estimant insuffisamment informée sur la réalité des pertes, leur origine et leur montant, ordonnera une expertise confiée à M. Fruchter avec la mission ci-dessous précisée au dispositif, la provision de 5 000 euro à valoir sur la rémunération de l'expert étant à charge de la société Tily Charon qui pourra, en application des dispositions de l'article 269 du Code de procédure civile, la verser selon les modalités prévues au dispositif ci-après ;

Considérant qu'il ne sera pas, alors que les pertes liées au mandat et leur montant restent à déterminer, allouer de provision ;

Sur l'imputabilité de la rupture du contrat et les demandes de dommages-intérêts de la société Tily Charon

Considérant que si la société Oil France a mis en œuvre la clause de résiliation de plein droit insérée au bail par délivrance, en date du 30/1/2008, d'une mise en demeure pour impayés de factures fournisseurs, cette clause dont, sur la demande reconventionnelle en ce sens de la société Oil France, le jugement déféré a constaté les effets ne pourrait être considérée avoir produit effets dans le cas où il serait avéré que les impayés résultent, comme le prétend la société Tily Charon qui met en cause la bonne foi de la société Oil France dans l'exécution du contrat, de la carence de celle-ci à ses propres obligations contractuelles notamment (et avant même la cessation à partir du 28/1/2008 de toute livraison de carburants ayant empêchée l'exercice de l'activité) par non reddition des comptes, non indemnisation des pertes du mandat ;

Considérant, dans ces conditions et une expertise étant ordonnée pour vérifier l'origine des pertes, qu'il sera sursis à statuer sur la question de l'imputabilité de la rupture et les demandes de dommages-intérêts tant pour celle rattachée à cette rupture qu'à celle aux fautes alléguées, ces demandes formulées à hauteur de 124 868 euro du premier chef et à hauteur du montant des créances réclamées par la société Oil France du second chef ;

Sur l'appel incident de la société Tily Charon concernant les indemnités d'occupation et sur les demandes additionnelles de la société Oil France sur ces indemnités, l'indemnisation pour démontage de station-service et le paiement du stock

Considérant, dans la mesure où un compte sera éventuellement à faire entre les parties qu'il sera également sursis à statuer sur tous ces points ;

Sur les demandes des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens

Considérant que ces demandes seront réservées, qu'il en sera de même pour les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant en dernier ressort : I. Réformant la décision entreprise, Dit que la société Oil France est tenue en vertu des accords interprofessionnels entrés dans le champ contractuel à la garantie des éventuelles pertes sur le mandat afférent à la vente des carburants, Avant dire droit sur la demande de la société Tily Charon relative aux pertes par elle alléguées, ordonne une expertise confiée à M. Fruchter avec mission de : - se faire remettre tous documents notamment comptables sur la période de septembre 2005 à février 2008, utiles à l'accomplissement de cette mission, - de vérifier si, sans la prime de fin de gérance versée par la société Shell, le résultat d'exploitation sur 2006 aurait été ou non déficitaire, - de déterminer l'existence de pertes sur l'activité mandat, les causes et l'origine de ces pertes et le montant des sommes qui auraient été propres à garantir à la société Tily Charon et conformément aux accords interprofessionnels un résultat d'exploitation positif pour les années considérées, Dit que l'expert devra accomplir sa mission et déposer son rapport dans les cinq mois de sa saisine qui prendra effet à compter du premier versement prévu ci-après, Fixe à 5 000 euro la provision à valoir sur ses honoraires laquelle mise à charge de la société Tily Charon pourra être versée en quatre fois le premier versement d'un montant de 1 200 euro devant être versé, au service compétent du greffe de la cour, dans les quarante cinq jours du prononcé du présent arrêt et le solde, ensuite, par 3 versements égaux de 1 266 euro, chaque mois au quantième identique de celui du premier paiement, Renvoie l'affaire à la conférence de la mise en état du 27 octobre 2010, Désigne Madame Catherine Imbaud-Content, conseiller, ou tout autre magistrat de la chambre, pour suivre les opérations d'expertise en étant saisie, sans forme de toutes difficultés, Déboute la société Tily Charon de sa demande de provision sur dommages-intérêts, Sursoit à statuer, dans l'attente du rapport d'expertise, sur les deux chefs de demandes de dommages-intérêts de la société Tily Charon et portant sur les indemnités d'occupation ainsi que sur les demandes additionnelles susvisées de la société Oil France ; II. Réserve les demandes des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.