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Décisions

CA Versailles, 17e ch., 4 décembre 2008, n° 08-00879

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Masures

Défendeur :

Hommes et châteaux (SAS), Richard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Robert (faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Bourgogne, Capra

Avocats :

Mes Moreuil, Brezillon

Cons. prud'h. Nanterre, sect. encadr., d…

14 janvier 2008

Exposé des faits et de la procédure

Suivant contrat à durée indéterminée en date du 28 août 1989, Jean-Pierre Masures est engagé par la société Les Tours, aux droits de laquelle vient la société Hommes et Châteaux (contrat de travail transféré en janvier 1999), en qualité de VRP exclusif. Il est chargé de placer les produits commercialisés par la société Vernhes dans les " cafés-hôtels-restaurants" et est rémunéré à la commission.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 20 février 2005, M. Masures informe l'employeur de ce qu'il veut faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er juin 2005 et qu'il quittera la société à cette même date.

Par lettre en date du 25 mai 2005, il prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur en raison du non-paiement de l'intégralité de ses commissions.

Il saisit le Conseil de prud'hommes de Nanterre afin d'obtenir la condamnation solidaire, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de la société Hommes et Châteaux et de la société Richard en qualité de co-employeurs à lui payer les sommes suivantes:

- 313 838,08 euro à titre de rappel de commission pour la période du 1er janvier 1999 au 31 mai 2005,

- 31 383,80 euro au titre des congés payés y afférents,

- 34 881 euro à titre de commissions sur échantillonnages,

- 3 488,10 euro au titre des congés payés y afférents,

- 14 949 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 494,90 euro au titre des congés payés y afférents,

- 101 659 euro à titre d'indemnité de clientèle, subsidiairement 16 942,20 euro à titre d'indemnité conventionnelle de rupture,

- 119 592 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement rendu le 14 janvier 2008, le conseil de prud'hommes statuant en formation de départage:

- dit que la société Hommes et Châteaux et la société Richard sont co-employeurs de M. Masures,

- déboute M. Masures de l'ensemble de ses demandes,

- rejette les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamne M. Masures aux dépens.

Le salarié relève régulièrement appel de cette décision.

Il demande l'infirmation des dispositions du jugement déféré qui lui sont défavorables et maintient ses demandes initiales sauf en ce qui concerne l'indemnité de clientèle qu'il porte à 135 545,98 euro et l'indemnité de licenciement qu'il veut voir fixer à la même somme;

Il sollicite en outre des intérêts de retard à compter du 3 juin 2005, subsidiairement la reddition des comptes aux frais des sociétés intimées et la condamnation solidaire de celles-ci à lui verser 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés intimées demandent l'infirmation du jugement entrepris en ce qui concerne la qualité de co-employeur de la société Richard et sa confirmation pour le surplus. La société Hommes et Châteaux demande le paiement par le salarié de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

Motifs de la décision

Sur la qualité de co-employeur de la société Richard

Considérant que c'est par de justes motifs que la cour adopte, que le conseil de prud'hommes a constaté que le salarié était sous la direction effective de la société Richard qui avait donc la qualité de co-employeur;

Sur le rappel de commissions et les congés payés y afférents

Considérant que l'article 5 du contrat de travail prévoit qu'en rémunération de ses services, le salarié recevra une commission sur toutes les affaires définies à l'article 6 ; que pour toutes les affaires traitées à d'autres conditions que celles du tarif, un accord interviendra pour fixer le taux de commission;

Que les articles suivants précisent que l'intéressé aura droit à une commission sur les commandes, qu'il transmettra directement ou indirectement à l'entreprise et livrées dans sa clientèle ; que les commissions seront calculées suivant la nature des produits vendus et objets du barème et qu'elles seront acquises au fur et à mesure des encaissements et au prorata des paiements des clients ; que le paiement s'effectuera le dernier jour de chaque mois;

Considérant que Christophe Vrignaud, VRP, atteste de ce que les vins, spiritueux et eaux donnent lieu au versement d'une commission à taux plein de 8 % sauf quand les tarifs sont négociés ; que M. Charbogne et M. Verdier, également VRP au sein de l'entreprise, indiquent que les taux de commissions sont variables selon les contrats passés avec les clients ; que ces 3 salariés fournissent un barème établi et approuvé le 1er octobre 2004 ; qu'il n'est pas fourni d'élément en ce qui concerne les autres VRP exclusifs de la société au nombre de 47 selon une liste établie par l'employeur le 31 décembre 2006, dont 8 embauchés après 2004;

Considérant que de son côté le salarié a approuvé par écrit un barème établi le 1 octobre 2004, rédigé dans les mêmes termes que les barèmes produits par les VRP cités ci-dessus et dont il résulte que les commissions calculées sur les prix de vente HT et hors redevance sont de 8 % pour le prix catalogue en ce qui concerne les vins, avec une minoration selon les remises ou participations ; que pour les champagnes, eaux, jus de fruits, sodas, bières et sirops, le taux de commission pour le prix catalogue est de 6 % ; que pour les spiritueux, il correspond au forfait de la chambre syndicale ; que pour ces catégories de produits sont également prévues des minorations de commissions en cas de négociation des tarifs;

Que le salarié a également approuvé le 8 décembre 2004 un autre document concernant l'activité Café, qui rappelle les " conditions actuelles:

3 % sur le chiffre d'affaires HT encaissé toutes familles confondues (minoré de 50 % pour les groupes)

A partir du 1er janvier 2005, vos commissions évolueront de la manière suivante:

Pour la clientèle existante, ou celle que vous créerez en binôme avec un prospecteur, votre taux de commission sera le suivant:

Famille sucre : 3 % du chiffre d'affaires HT encaissé,

Famille café : 4 % du chiffre d'affaires HT encaissé,

Famille autres produits : 4 % du chiffre d'affaires HT encaissé.

Pour la clientèle que vous créerez seul et qui ne bénéficiera pas de conditions particulières, votre taux de commission sera le suivant :

Famille sucre : 3 % du chiffre d'affaires HT encaissé,

Famille café : 5,5 % du chiffre d'affaires HT encaissé,

Famille autres produits : 5,5 % du chiffre d'affaires HT encaissé.

Pour celle que vous créerez seul et qui bénéficiera de conditions particulières (convention, machine automatique..), le taux de la famille café et de la famille autres produits sera ramené à 5 %.

3) Pour les groupes: minoration inchangée";

Considérant que le salarié fait valoir qu'il a signé sous la pression ce dernier courrier sans prétendre pour autant que les dispositions qui y sont prévues ne lui seraient pas opposables;

Qu'à toutes fins, la cour constate qu'il n'est pas démontré l'existence d'un vice du consentement au sens des articles 1109 et suivants du Code civil;

Considérant que l'employeur fait valoir, sur la base du contrat de travail et de ces éléments, que le salarié n'a droit à une commission à taux plein que pour les seules affaires réalisées dans les conditions normales et aux tarifs habituels de la société et que pour les affaires traitées à d'autres conditions, la rémunération doit intervenir sur d'autres bases ; que la pratique constante de ce mode de rémunération diversifiée et son usage commun à tous les VRP de l'entreprise est établie;

Considérant que le salarié qui critique l'existence de cet usage, soutient qu'il n'y a pas eu accord des parties au sens du contrat prévoyant des taux de commissions inférieurs à 8 %, sauf s'agissant du taux de commission de 3 % sur les cafés minorés de 50 % pour les groupes aux termes du courrier du 1er décembre 2004;

Considérant qu'il soutient que le montant des commissions variait d'une année sur l'autre et d'un représentant à l'autre, sans que ce point soit utilement démenti par l'employeur ; que le pourcentage de 8 % n'était même pas appliqué dans les cas prévus par un des barèmes dont l'employeur s'était prévalu; qu'il n'a jamais traité d'affaires à d'autres conditions que celles du tarif; qu'il convient donc d'appliquer, sauf s'agissant des taux minorés qu'il reconnaît ci-dessus, un taux de commission de 8 %;

Considérant que si le salarié n'a pas émis de protestation concernant les paiements effectués pour la période considérée, la cour ne peut constater, au vu de l'ensemble des pièces produites, l'existence d'un accord explicite de sa part conformément aux dispositions contractuelles, concernant un taux de commission réduit antérieurement aux accords écrits précités, ni l'existence à cet égard d'un usage dans l'entreprise pour cette période;

Considérant qu'on ne peut également retenir que les parties ont entendu au titre de cette même période se référer, en l'absence de dispositions contractuelles en ce sens, à un usage de l'entreprise en ce qui concerne le calcul de l'assiette de cotisation sur la base d'un chiffre d'affaires hors taxes et dont il serait déduit notamment les avantages financiers accordés le cas échéant par l'employeur aux clients ou à des sociétés tierces;

Considérant que le salarié fait valoir par ailleurs que l'employeur n'a pas communiqué les éléments permettant de vérifier que l'ensemble des commissions dues a été versé ; qu'il ne dispose que d'un décompte, les commandes comme les factures ne lui étant pas communiquées ; qu'il ne peut vérifier s'il est rempli de ses droits ;

Considérant qu'il appartient à l'employeur de justifier du paiement de la rémunération du salarié;

Considérant que la cour ne dispose pas en tout état de cause d'éléments justificatifs à cet égard, l'attestation de M. Pommier, expert-comptable et commissaire aux comptes de la société Richard, "délivrée à la demande du conseil de prud'hommes", et au vu de documents présentés par cette même société, concernant en toute hypothèse un autre salarié M. Marx, également en litige avec les sociétés intimées ;

Considérant qu'il convient de préciser que ces éléments manquent également pour la période postérieure aux accords écrits des parties définissant des barèmes, notamment au regard de la catégorie des produits concernés et du montant des remises ou participations;

Considérant que l'employeur ne justifie pas également de ce que le salarié n'était pas fondé à obtenir le paiement de commissions au titre des ventes de cafés Ritazza et de la reprise de commissions aux taux de 8 % ou de 8,38 %;

Considérant que le salarié n'a pas été mis en possession des éléments lui permettant de chiffrer ou de connaître le montant de ses commissions ; que c'est donc à juste titre qu'il invoque le principe selon lequel la prescription quinquennale ne saurait lui être opposée ; que les sociétés intimées ne font d'ailleurs pas état de cette question dans leurs explications ;

Considérant qu'au vu des explications des parties et des pièces produites, la demande formée au titre des arriérés de commissions et des congés payés y afférents est fondée;

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail et ses effets

Considérant que le salarié a pris l'initiative de mettre fin à son contrat de travail au motif de son départ à la retraite, ce avant la prise la prise d'acte de la rupture de ce contrat ; que la rupture des relations contractuelles était donc déjà consommée ; que la prise d'acte est dès lors inopérante;

Qu'il convient donc de rejeter les demandes d'indemnité de rupture et de clientèle formées par le salarié au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Considérant qu'il y a lieu en revanche de faire droit à sa demande d'indemnité conventionnelle de rupture prévue à l'article 13 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 dont l'employeur n'invoque pas l'inapplicabilité au cas d'espèce et sur laquelle le conseil de prud'hommes a omis de statuer;

Que sur la base d'un salaire mensuel de référence de 4 983 euro, il est dû de ce chef la somme de 16 942,20 euro;

Sur les commissions sur échantillonnages

Considérant que le salarié se prévaut des dispositions des articles L. 7313-11 et L. 7313-12 du Code du travail pour réclamer la somme de 34 881 euro à titre de commissions sur échantillonnages pour la période de juin à décembre 2005 ainsi que les congés payés y afférents;

Considérant que le VRP a droit au paiement des commissions sur les ordres non encore transmis à la date de départ de l'entreprise qui sont la suite directe des échantillonnages et des prix faits antérieurs à l'expiration du contrat et qu'il appartient à l'employeur de fournir les justificatifs des [sic) ainsi passés et le d'en [sic] résultant;

Considérant que l'employeur ne fournit aucune explication ni aucune pièce à cet égard;

Considérant qu'il convient de faire droit aux demandes du salarié formées à ce titre sur lesquelles le conseil de prud'hommes a omis de statuer ;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité ne commande pas l'application de cet article;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Infirme partiellement le jugement rendu le 14 janvier 2008 par le Conseil de prud'hommes de Nanterre, Statuant à nouveau, Condamne solidairement la société Hommes et Châteaux et la société Richard à verser à Jean-Pierre Masures : - 313 838,08 euro bruts à titre de rappel de commissions, - 31 383,80 euro bruts au titre des congés payés y afférents, lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation, Confirme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement déféré, Y ajoutant, Condamne solidairement la société Hommes et Châteaux et la société Richard à verser à Jean-Pierre Masures : - 16 942,20 euro à titre d'indemnité conventionnelle de rupture, - 34 881 euro bruts à titre de commissions sur échantillonnage, - 3 488,10 euro bruts au titre des congés payés y afférents, lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation, Rejette le surplus des demandes, Condamne solidairement la société Hommes et Châteaux et la société Richard aux dépens de première instance et d'appel.