CA Riom, 4e ch. civ. soc., 24 novembre 2009, n° 09-01718
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (SA)
Défendeur :
Floret
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Payard
Conseillers :
Mme Sonokpon, M. Thomas
Avocats :
Mes Peignard, Bellet
Faits et procédure
Conseillère en esthétique au sein de l'institut " Yves Rocher " de Clermont-Ferrand depuis le 3 décembre 2001, Mme Fabienne Floret s'est vue confier la direction de cet institut à compter de sa reprise le 1er juillet 2002 par la société Stand'Yr.
Satisfaite de ses compétences la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher a proposé à Madame Fabienne Floret de diriger un autre institut sous son enseigne dans le Centre commercial les 4 chemins à Vichy.
Le 15 décembre 2002 les parties ont signé un contrat de location-gérance, à effet au 3 janvier 2003, pour l'exploitation de cet institut à Vichy, Madame Fabienne Floret constituant le 31 janvier 2003 pour les besoins de cette exploitation une EURL, dite " Nymphéa ".
Par courrier en date du 26 août 2002, Madame Fabienne Floret a informé la société Yves Rocher par courrier d'une situation intermédiaire comptable, et attiré l'attention de la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher sur les résultats et difficultés de trésoreries de l'institut.
Le 19 septembre 2005 la société Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher a dénoncé le contrat de location-gérance à effet du 2 janvier 2006, prorogé au 28 février 2006.
Par jugement du 21 mars 2006 le Tribunal de commerce de Cusset, a prononcé la liquidation judiciaire de l'EURL Nymphéa.
Le 19 juin 2008 estimant qu'il y avait lieu de requalifier le contrat de gérance en contrat de travail, Madame Fabienne Floret a saisi le conseil des prud'hommes aux fins d'entendre :
- constater qu'au-delà de l'existence de l'EURL Nymphéa, l'activité était en fait exercée par elle personnellement.
- dire et juger, à titre surabondant, que l'EURL Nymphéa est une société fictive.
- rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher et se déclarer incompétent.
- débouter la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- dire et juger que Madame Floret réunit toutes les conditions posées par les articles L. 7321-1 et L. 1221-1 du Code de travail
- requalifier le contrat de location-gérance en contrat de travail
- dire et juger que la rupture du contrat en un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- en conséquence de condamner la société SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher à verser à Madame Fabienne Floret les sommes suivantes :
- 43 230 euro du titre de rappel d'heures supplémentaires
- 1 900 euro de l'indemnité conventionnelle de licenciement
- 5 700 euro au titre de l'indemnité de préavis
- 1 580 euro au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés
- 45 600 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans réelle et sérieuse
- 43 000 euro au titre du remboursement du paiement indu de l'arriéré de factures de marchandises avec un intérêt légal à compter de la date de versement Madame Fabienne Floret
- dire que ces condamnations seront assorties des intérêts au taux légal avec capitalisation
- condamner la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher à remettre à Madame Fabienne Floret les bulletins de paie correspondant à la période de préavis, un certificat de travail et l'attestation Assedic
- ordonner l'exécution provisoire du jugement
- condamner la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher à verser à Madame Fabienne Floret la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 CPC.
La juridiction prud'homale, par jugement du 20 juillet 2009 :
- s'est déclarée compétente pour connaître du litige entre Madame Florence Floret et la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher
- a suspendu l'instance jusqu'à l'expiration du délai de contredit ou jusqu'à ce que la cour d'appel ait rendu sa décision
- a dit qu'à l'issue de ces délais, l'affaire serait à nouveau fixée devant le bureau de jugement
- a dit qu'il n'y a pas lieu, en l'état de l'affaire, de faire droit aux demandes de dommages et intérêts et frais irrépétibles.
Le 24 juillet 2009, la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, a formé un contredit contre cette décision qui lui avait été notifiée le 21 juillet 2009.
Prétentions des parties:
La SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, sollicite la réformation du jugement et demande à la cour, après avoir constaté l'incompétence de la juridiction prud'homale, de renvoyer le dossier, devant le Tribunal de commerce de Vannes, et de condamner Madame Fabienne Floret à payer les sommes de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts et 5 000 euro au titre des frais irrépétibles.
Elle soutient que la juridiction compétente est le Tribunal de commerce de Vannes lieu du siège social de la société conformément aux dispositions de l'article 42 du CPC.
Elle fait valoir que la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher n'a jamais eu de lien contractuel avec Madame Fabienne Floret, celle-ci n'ayant pas travaillé pour la société avant de créer la sienne, et que les seules relations contractuelles qui ont existé l'ont été avec la société Nymphéa.
Elle conteste l'existence d'un lien de subordination, précisant que Madame Fabienne Floret s'exprimait non pas comme une salariée mais bien comme une gérante.
Elle précise que la gestion et le recrutement ont été réalisés par ses soins, en ajoutant que celle-ci déterminait seule le montant de ses rémunérations personnelles.
Elle soutient que l'article L. 7321-2 du Code du travail n'est pas applicable en l'espèce, les quatre conditions cumulatives d'application à savoir, l'exercice pour l'essentiel d'une activité de vente de marchandises et de denrées, que ces marchandises et denrées soient fournies exclusivement par une seule entreprise industrielle et commerciale, que l'activité soit réalisée dans un local fourni ou agréé par l'entreprise industrielle ou commerciale, et enfin que l'exercice de l'activité soit soumis aux conditions et les prix imposés par cette entreprise, n'étant pas réunies.
Elle fait valoir que Madame Fabienne Floret exerçait deux activités distinctes : une de vente de marchandise et une de dispense de soins et soutient que la pratique des soins était libre, ne dépendant pas d'un processus défini et encadré par la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher.
Elle fait observer que les résultats de la société Nymphéa démontrent que l'activité de cette entreprise ne consistait pas essentiellement à vendre des marchandises qui lui étaient fournies par la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, ce qui exclut l'application de l'article L. 7312-2 du Code du travail, et l'action diligentée par Madame Fabienne Floret.
Elle conteste d'autre part la fictivité de l'entreprise, critère retenu par le conseil de prud'hommes pour se déclarer compétent.
Elle fait observer que la société immatriculée au registre du commerce et des sociétés s'acquitte chaque année de la taxe professionnelle non salariée.
Elle prétend en outre que les conditions posées par la Cour de cassation pour juger qu'une société d'exploitation est fictive, ne sont pas réunies en l'espèce puisque la clause intuitu personae concerne la société Nymphéa et non Madame Fabienne Floret, la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher n'a pas apporté financièrement son soutien à la société Nymphéa, l'objet social de cette société n'ayant en outre aucun rapport avec le fonds de commerce d'Yves Rocher.
Elle précise enfin que la société Nymphéa a bénéficié d'une parfaite liberté de gestion et de direction prévue contractuellement, ce qui a permis à Madame Fabienne Floret d'être autonome quant à la gestion de ses salariées et du choix de son expert comptable, et de la fixation des prix.
Madame Fabienne Floret sollicite la confirmation du jugement, rejetant l'exception d'incompétence.
Elle prétend qu'il n'est pas nécessaire de s'interroger sur le caractère fictif ou non de la société avec laquelle le contrat de location-gérance a été conclu et qu'il suffit pour que le gérant soit déclaré salarié qu'il travaille dans les conditions du salariat c'est-à-dire révélant en fait l'existence d'un lien de subordination.
Elle souligne que le fait que le contrat de gérance du fonds de commerce ait été conclu par le fournisseur avec une société et non directement avec un exploitant personne physique, n'interdit en rien à ce dernier d'invoquer le bénéfice des dispositions du Code du travail et ne fait pas échapper sa demande à la compétence du conseil de prud'hommes.
A titre surabondant, elle soutient rapporter la preuve de ce que les conditions exigées par la Cour de cassation pour juger qu'une société d'exploitation est fictive, sont réunies, puisque:
- c'est Yves Rocher qui lui a expressément demandé de constituer une société pour exploiter l'institut sous son enseigne.
- le contrat de gérance libre a été expressément conclu en considération de sa personne.
- il existe plusieurs sociétés construites par des gérants ou des mandataires ayant le même objet social.
- La société Yves Rocher lui a accordé des aides pour compenser les difficultés financières rencontrées notamment en l'exonérant des redevances d'une ou deux cabines pendant trois années consécutives.
- Yves Rocher lui faisait obligation de communiquer ses chiffres d'affaires et bilans.
Elle soutient en outre que la fictivité de l'EURL Nymphéa est avérée lorsque l'on constate qu'elle n'a jamais eu une autre activité ni avant, ni après l'exploitation de l'institut Yves Rocher.
Elle fait valoir d'autre part qu'elle remplit cumulativement les conditions posées par les articles L. 7321-1 et L. 1221-1 du Code du travail puisqu'il est amplement démontré que Yves Rocher lui imposait :
- la vente exclusive de ses marchandises
- le local d'exploitation
- les conditions d'exploitation
- les prix
- une autorité et un contrôle effectif de son travail
- les conditions matérielles d'exécution du travail
- son pouvoir de sanction sur les éventuels manquements et que par conséquent en égard à l'état de subordination dans lequel elle était placée son contrat de location-gérance doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée.
Discussion
La SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher fonde essentiellement son exception d'incompétence sur le fait qu'elle n'a jamais eu aucune relation contractuelle que ce soit, avec Mme Floret qui agit à son encontre devant le conseil de prud'hommes.
Dans la mesure où un contrat de location-gérance a été conclu par la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, non pas avec Mme Floret personne physique mais avec la société " Nymphéa ", la compétence de la juridiction prud'homale suppose que le fonds donné en location-gérance soit exploité dans des conditions faisant apparaître un lien direct entre la société Yves Rocher et Mme Floret à titre personnel et que par ailleurs les conditions prévues à l'article L. 781-1 (devenu L. 7321-1) du Code du travail soient réunies.
Sur les conditions d'exercice de la gérance
Il résulte des pièces versées aux débats que la société " Nymphéa " a été créée concomitamment à la conclusion du contrat de gérance libre, sous forme d'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée dont le capital social était intégralement détenu par Mme Floret associée unique et n'a eu pour seul objet que l'exploitation sous l'enseigne centre de beauté Yves Rocher, du fonds de commerce de vente de produits de beauté et soins esthétiques dans le centre commercial " les 4 chemins " à Vichy.
La société Nymphéa étant en cours de constitution lors de la signature du contrat de gérance libre, il est précisé dans l'acte que " dans le cas où la société ne serait pas immatriculée pour quelque raison que ce soit, le contrat sera réputé avoir été passé depuis sa date des faits avec Mlle Fabienne Floret ".
Il ne peut par ailleurs être contesté notamment à la lecture des articles 13 et 15 que le contrat de gérance libre signé entre la société Yves Rocher et l'EURL Nymphéa a été conclu en considération de la personne de Mme Floret, gérante de cette dernière, étant notamment précisé que tout changement de dirigeants sociaux et toute cession des parts devrait être soumis à l'agrément préalable et écrit de la société Yves Rocher sous peine de résiliation.
Il n'est pas non plus discutable que Mme Floret assurait directement et personnellement l'exploitation du fonds de commerce de vente de produits de beauté et soins esthétiques avec le concours de salariés.
Toutefois il résulte des courriers et lettres versées aux débats que la société Yves Rocher, non seulement fixait les objectifs de l'institut et procédait aux évaluations des résultats commerciaux et de la qualité des prestations et services mais encore donnait des instructions nombreuses et détaillées quant aux conditions d'exploitation du fonds et sur les aspects les plus divers de l'activité : opérations publicitaires, signalétique, agencement et décoration de l'institut, présentation des produits ... etc, de telle sorte que Mme Floret dont l'activité était largement encadrée, ne disposait pas d'une véritable autonomie.
Dans ces conditions l'existence de la personne morale que constitue l'EURL Nymphéa et dont la réalité juridique ne peut être remise en cause, ne saurait priver Mme Floret des droits que celle-ci serait susceptible de tenir à titre individuel en application de l'article L. 781-1 (devenu L. 7321-1) du Code du travail.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 781-1 (devenu L. 7321-1) du Code du travail
Aux termes des articles susvisés, les dispositions du Code du travail sont applicables aux gérants de succursales c'est-à-dire aux personnes dont la profession consiste essentiellement à vendre les marchandises fournies exclusivement ou presque par une même entreprise commerciale, exerçant dans un local fourni par cette entreprise aux conditions et prix imposés par cette société.
Il n'est pas discuté que les produits commercialisés étaient fournis exclusivement ou presque exclusivement par la société Yves Rocher puisque Mme Floret exerçait conformément aux dispositions du contrat de gérance libre une activité consistant en la vente de produits de la société Yves Rocher et en l'exploitation d'un institut de beauté, le contrat comportant l'engagement de la gérante libre de s'approvisionner exclusivement auprès de la société Yves Rocher et à ne pas vendre des produits qui n'auraient pas au préalable été approuvés expressément par ladite société.
La société Yves Rocher ne saurait, pour tenter de réfuter l'application de l'article L. 7321-1 du Code du travail, utilement soutenir que l'activité de vente de produits lorsqu'on la compare avec celle relative à la dispense de soins, n'apparaît pas essentielle.
En effet cette activité de soins de beauté, expressément prévue au contrat de gérance libre, était étroitement liée à l'activité de vente puisque conformément aux exigences de la société Yves Rocher, les soins étaient dispensés en utilisant les produits fournis par cette dernière.
D'autre part le chiffre d'affaires généré par la seule activité de vente de produits (731 682 euro pour l'exercice clos au 31 mars 2004) était plusieurs fois supérieur à celui provenant de l'activité de soins (66 616 euro pour le même exercice) même si ce dernier incluait le coût des produits utilisés et si la marge dégagée par l'activité de soins était supérieure en pourcentage à celle dégagée dans le cadre de la vente de produits, la marge brute dégagée par la vente de produits (227 251 euro pour l'exercice clos aux 31 mars 2004) n'en restait pas moins largement supérieure à celle générée par l'activité de soins (33 850 euro).
Dans la mesure où l'institut de beauté n'avait aucune autre activité que les deux ci-dessus évoquées, il ne peut donc être contesté que l'activité de vente de produits représente son activité essentielle.
La société Yves Rocher ne discute pas que le fonds donné en gérance libre était exploité dans un local dont elle était locataire et par conséquent fourni par elle-même.
S'agissant des conditions d'exploitation du fonds, les dispositions du contrat de gérance libre notamment en son article 5 énumérant les obligations de la gérante libre dans le cadre de l'exploitation du fonds et les autres pièces versées aux débats (courriels, notes, catalogues, guide de procédure, fiches d'audit, rapport qualimétrie, bilan de conformité...) qui établissent que la société Yves Rocher adressait de manière quasi-quotidienne des directives à Mme Floret et procédait à des contrôles et à des évaluations, établissent que cette exploitation s'effectuait suivant les prescriptions imposées par la société Yves Rocher.
Enfin si concernant la fixation des prix des produits commercialisés la société Yves Rocher soutient que la société Nymphéa était parfaitement libre de celle-ci, les éléments produits par Mme Floret, démontrent qu'en pratique il n'en était rien puisque les prix figuraient dans les catalogues édités par la société Yves Rocher, laquelle par ailleurs décidait des campagnes promotionnelles, faisait réaliser les affiches et les bandeaux publicitaires devant être affichés dans les vitrines et comportant les prix, adressait directement aux clientes des mailings proposant des réductions ou remises et diffusait sur Internet les prix de certains produits, de telle sorte que les gérants libres se trouvaient dans l'impossibilité de pouvoir mener une politique personnelle des prix.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme Floret satisfait aux conditions requises par l'article L. 7321-1 du Code du travail pour revendiquer l'application des dispositions dudit code et c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes dans le jugement sera confirmé a retenu sa compétence.
La société Yves Rocher ne peut qu'être déboutée de sa demande en dommages et intérêts, laquelle ne repose sur aucun fondement.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
La société Yves Rocher devra supporter les entiers dépens du contredit et ne saurait de ce fait prétendre au bénéfice de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser Mme Floret supporter l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer pour faire assurer la défense de ses intérêts devant la cour. Une indemnité de 1 500 euro lui sera donc allouée en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme en toutes les dispositions le jugement rendu le 20 juillet 2009 par le Conseil de prud'hommes de Vichy. Y ajoutant, Déboute la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher de sa demande en dommages et intérêts. Condamne la SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher à payer à Mme Fabienne Floret une indemnité de 1 500 euro (mille cinq cents euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamne en outre aux entiers dépens du contredit.