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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 15 septembre 2009, n° 08-05724

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Distribution Casino France (SAS)

Défendeur :

Plessadis (SARL), Azima (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mme Cocchiello, M. Christien

Avoués :

SCP Bazille, SCP Gauvain, Demidoff

Avocats :

Mes Hallouet, Caron

T. com. Saint-Brieuc, du 23 juin 2008

23 juin 2008

Exposé du litige

Par acte sous-seing privé du 20 octobre 1999, la société Casino France (actuellement société Distribution Casino France, " la société Casino ") a signé un contrat de franchise avec la société Plessadis pour l'exploitation d'un magasin à l'enseigne de Casino à Plessala (Côtes d'Armor).

Une nouvelle convention " contrat de franchise Casino " se substituait au contrat initial le 13 février 2006, le terme en étant le 30 octobre 2006, sauf tacite reconduction. Cette convention prévoyait dans son article 14 un pacte de préférence au profit de la société Casino en cas de transfert du fonds de commerce, la notification des conditions de la cession valant offre de vente et ce, pendant les vingt-quatre mois suivant la résiliation du contrat de franchise.

La société Plessadis faisait savoir à la société Casino par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 mars 2006 qu'elle n'entendait pas poursuivre le contrat à son échéance le 30 octobre 2006.

Les époux Mounier, associés de la société Azima étaient présentés par la société Plessadis comme repreneurs et étaient agréés par la société Casino le 16 octobre 2006.

La société Plessadis cédait son fonds de commerce à la société Azima le 2 novembre 2006.

Après avoir formulé un certain nombre de griefs contre la société Casino dans un courrier qu'elle lui adressait le 9 novembre 2006, la société Azima lui faisait savoir le 13 novembre 2006 qu'elle ne souhaitait pas signer un contrat de franchise.

Le 14 novembre 2006, la société Casino faisait constater par un huissier qu'il était accroché en dessous de l'enseigne Casino une banderole sur laquelle on pouvait lire " prochainement ouverture supermarché G 20 ".

La société Casino reprochant à la société Plessadis de ne pas avoir respecté les dispositions contractuelles relatives à son droit de préemption en cas de vente du fonds de commerce, a assigné la société Plessadis et la société Azima devant le tribunal de commerce.

Par jugement du 23 juin 2008, le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc a:

- débouté la société Casino de sa demande de condamnation solidaire des sociétés Azima et Plessadis ou de l'une à défaut de l'autre à lui verser des dommages-intérêts, de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles,

- condamné la société Azima à payer à la société Casino la somme de 680,15 euro,

- condamné la société Casino à payer à la société Plessadis et à la société Azima la somme de 3 500 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles,

- condamné la société Casino à payer à la société Azima la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamné la société Casino aux dépens.

La société Distribution Casino France en a relevé appel.

Par conclusions du 23 mai 2009, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, la société Casino demande à la cour de:

- infirmer le jugement entrepris,

- condamner solidairement les sociétés Azima et Plessadis à lui payer la somme de 630 000 euro à titre de dommages-intérêts,

- condamner la société Plessadis à lui payer la somme de 152 027,45 euro à titre de pénalité contractuelle,

- condamner la société Azima à lui payer la somme de 6 621,41 euro,

- débouter les sociétés Plessadis et Azima de toutes leurs demandes,

- condamner solidairement les deux sociétés au paiement de la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement les mêmes aux dépens et dire que les dépens d'appel seront recouvrés par la SCP JJ Bazille avec le bénéfice du recouvrement direct.

La société Plessadis demande à la cour de :

• par conclusions de procédure du 9 juin 2009 :

- rejeter des débats les pièces communiquées le 3 juin 2009 par la société Casino,

• et par conclusions du 8 février 2009 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, de:

- confirmer le jugement,

- condamner la société Casino à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, condamner la société Casino à lui payer la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles,

- condamner la société Casino en tous les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Azima demande à la cour:

• par conclusion de procédure du 5 juin 2009, de:

- rejeter des débats les pièces transmises par la société Casino le 28 mai, la veille de l'ordonnance de clôture,

• par conclusions du 25 mars 2009 auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, de:

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Casino la somme de 680,15 euro à titre d'emballage,

- condamner la société Casino à lui payer la somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Casino à payer la somme de 7 000 euro à titre des frais irrépétibles,

- condamner la société Casino en tous les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur ce,

Sur les demandes de rejet de pièces:

L'ordonnance de clôture initialement prévue le 13 mai a été reportée à la demande des parties au 29 mai, l'affaire devant être plaidée le 11 juin 2009,

La société Casino a fait le 28 mai une demande de report de l'ordonnance de clôture au motif qu'elle souhaitait communiquer de nouvelles conclusions et transmettre de nouvelles pièces. Le conseiller de la mise en état n'a pas fait droit à cette demande et la date de l'ordonnance de clôture a été maintenue au 29 mai.

La société Casino a communiqué le 28 mai à la société Azima les pièces 17 et 18 intitulées " factures avoirs duplicata justificatifs d'échéances société à responsabilité limitée Plessadis et société à responsabilité limitée Azima, relevé de compte du 25 mai 2009 " ; la société Azima n'a pu, compte tenu du volume important des pièces produites, en prendre connaissance en temps utile, la clôture intervenant le lendemain de cette communication. Ces pièces seront écartées des débats.

La société Casino a communiqué le 3 juin ces mêmes pièces à la société Plessadis, c'est-à-dire après l'ordonnance de clôture. Ces pièces sont irrecevables selon les termes de l'article 783 du Code de procédure civile.

Les pièces portant les numéros 17 et 18 de la société Casino seront écartées.

sur la demande d'annulation d'une partie du contrat signé le 13 février 2006:

La société Casino reproche à la société Plessadis de ne pas avoir respecté les termes du contrat signé le 13 février 2006 (article 14) en la privant de la " possibilité de racheter le fonds pour l'exploiter ou faire exploiter par un tiers sous l'enseigne Casino ". La société Plessadis invoque la nullité de l'article 14 du contrat signé en février 2006 et le respect des tenues du contrat de 1999. La société Azima reprend les moyens de la société Plessadis.

La cour observe que la demande porte sur l'annulation de l'article 14 du contrat du 13 février 2006 et non sur la totalité du contrat, au motif invoqué du non-respect des termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce, des manœuvres de la société Casino et du vice de son consentement qui en a résulté.

Les dispositions d'information précontractuelle prévues par de la loi Doubin sont motivées par la nécessité d'informer le contractant distributeur qui ne doit pas être sous la dépendance de la tête du réseau. Elles s'imposent en cas de renouvellement du contrat, en cas de signature d'un nouveau contrat.

En l'espèce, les dispositions insérées dans l'article L. 330-3 du Code de commerce ont vocation à s'appliquer au contrat signé par les parties le 15 février 2006.

Le non-respect de ces dispositions est sanctionné par la nullité du contrat et non l'inopposabilité. L'annulation s'impose dès lors qu'il résulte de la violation de l'obligation précontractuelle un vice du consentement.

En l'espèce, il apparaît:

- que depuis 2003, la société Plessadis avait adressé à la société Casino plusieurs courriers pour lui faire part de son souhait de mettre un terme, pour des raisons personnelles au gérant et à sa famille, au contrat de franchise, et que la société Casino avait indiqué rechercher des éventuels repreneurs,

- que la signature du nouveau contrat du 15 février 2006 avait été précédée d'une réunion entre les parties au cours de laquelle il avait été indiqué (selon les propres termes du courrier de Casino à Plessadis) que le nouveau contrat avait pour objet une nouvelle tarification dans le cadre de la loi Duteil, qui permettrait à la société Plessadis de " réagir face à la concurrence", étant précisé que le nouveau contrat reprenait " bien évidemment " les dates initiales du contrat en cours,

- qu'aucune information précontractuelle n'a été transmise au franchisé,

- que le nouveau contrat présentait des modifications réelles par rapport au contrat signé par les parties en 1999, notamment dans son article 14 qui créait, au profit de la société Casino, un délai de deux ans après la résiliation du contrat, pour préempter en cas de vente de son fonds de commerce par l'ancien franchisé.

En ne donnant aucun document d'information précontractuelle qui aurait permis à la société Plessadis de connaître la mesure de ses nouvelles obligations, tout particulièrement liées à la clause d'agrément du repreneur et à la possibilité donnée à la société Casino, que celle-ci n'avait pas dans le contrat de 1999, d'exercer un droit de préemption sur la vente du fonds de commerce pendant les 24 mois suivant la notification, en " endormant " sa confiance après lui avoir exposé par écrit que la signature du nouveau contrat avait pour seul objet de modifier les tarifications et précisé que les termes du contrat restaient inchangés, elle a manifestement dupé la société Plessadis, et le contrat encourt l'annulation.

Toutefois, la cour constate, comme l'a fait remarquer la société Casino, que la demande d'annulation faite par la société Plessadis porte non pas sur le contrat du 15 février 2006 mais sur l'un de ses articles. Un contrat est un ensemble d'engagements pris par les parties qui forment un tout, de sorte que s'il y a lieu à annulation pour une cause quelle qu'elle soit, l'annulation porte sur la totalité du contrat et non seulement sur certaines parties de l'acte. Par conséquent, compte tenu de la demande formée par la société Plessadis, l'annulation ne peut être prononcée.

Sur la responsabilité de la société Plessadis:

Le contrat signé le 13 février 2006 prévoir en son article 14 un certain nombre d'obligations à la charge des parties en cas de " transfert " du fonds de commerce du franchisé:

Le franchisé s'engage à transmettre au franchiseur au préalable par lettre recommandée avec accusé de réception l'ensemble des modalités de l'opération projetée, qui vaut " offre indivisible et irrévocable " de céder au franchiseur le fonds de commerce.

Le franchiseur dispose d'un délai de deux mois pour faire savoir au franchisé s'il entend:

- " soit agréer le repreneur présenté ", étant précisé que " dans ce cas, ... le transfert doit être réalisé au profit du repreneur .... sous le délai de deux mois à compter de l'agrément "...,

- " soit exercer son droit de préemption.

L'article 14 précise in fine que les dispositions de l'article 14 " auront vocation à s'appliquer pendant la durée du présent contrat de ses renouvellements, ou prorogations, augmentée d'une durée de vingt-quatre mois à compter de son terme pour quelque cause que ce soit ".

Une correspondance importante a été échangée entre les parties par mails et par courriers au cours de l'année 2006. Il en résulte:

- que les candidats à la reprise du fonds de commerce de la société Plessadis avaient rencontré les dirigeants de la société Casino le 14 octobre 2006, que ces candidats ont formé le 15 octobre auprès de la société Casino une offre de reprise du magasin,

- que la société Casino a fait savoir par mail du 16 octobre à la société Plessadis que Monsieur et Madame Moumer avaient obtenu son agrément,

- que la société Plessadis a alors "confirmé " le 17 octobre à la société Casino que la cession du fonds de commerce interviendrait le 2 novembre, et lui a demandé de poursuivre l'approvisionnement jusqu'à cette date,

- que les parties ont signé un contrat d'approvisionnement jusqu'au 2 novembre 2006.

La société Plessadis n'a pas notifié selon les termes de l'article 14 à la société Casino les modalités de la vente, puis la cession. Toutefois, en ne faisant aucune observation sur ce point et choisissant, comme les termes du contrat le lui permettaient, d'agréer un repreneur, la société Casino avait accepté qu'elle procède ainsi et manifesté son intention de ne pas reprendre le fonds pour son compte ou celui d'un tiers. De même, en de telles circonstances, la cession intervenue le 2 novembre n'avait pas à lui être notifiée.

Elle ne peut a posteriori revenir sur une décision qu'elle a prise en toute connaissance de cause, et soutenir qu'elle a été privée de la possibilité de racheter le fonds pour l'exploiter ou le faire exploiter par un tiers sous l'enseigne Casino.

Ne rapportant en définitive la preuve d'aucune faute de la société Plessadis, elle doit être déboutée de sa demande formée contre cette société. Le jugement sera confirmé.

Sur la responsabilité de la société Azima:

La société Casino reproche à cette société d'avoir été complice de la société Plessadis qui n'a pas respecté les modalités contractuelles de transfert du fonds de commerce. Elle indique que cette société a feint son intérêt pour l'enseigne Casino alors qu'elle n'a jamais eu l'intention de travailler avec la société Casino.

La société Azima explique que la société Casino, qui n'a jamais eu l'intention d'acheter, était parfaitement informée des modalités de la cession et de sa date, ayant d'ailleurs signé un contrat d'approvisionnement expirant le 2 novembre 2006, date de la cession.

Selon elle, l'obtention de l'agrément n'impose pas la signature d'un contrat avec le franchiseur; l'information précontractuelle a pour but de permettre au candidat franchisé de réfléchir et d'étudier la proposition faite pendant au moins vingt jours avant la date prévue pour la signature du contrat. S'étant portée candidate à la reprise, elle s'est aperçue pendant le délai de réflexion que la société Casino ne lui apportait pas satisfaction sur le plan commercial à la différence de la centrale d'achat Francap (enseigne G 20) avec laquelle elle avait précédemment travaillé.

Aucune complicité dans le non-respect par la société Plessadis de ses obligations contractuelles ne peut être reprochée à la société Azima, alors que la société Plessadis n'a pas commis de faute.

Par ailleurs, rien ne permet de dire que la société Azima a fraudé aux droits de la société Casino ainsi qu'elle l'indique elle-même, elle s'est portée candidate comme repreneur, elle a obtenu l'agrément de la société Casino, elle a eu reçu les documents précontractuels prévus par l'article L. 330-3 du Code de commerce et a pu ainsi se déterminer en toute connaissance de cause. Ne pas faire suivre les négociations précontractuelles de la conclusion d'un contrat de franchise n'est pas fautif; le seul fait que la société Azima ait finalement distribué des produits sous l'enseigne "G 20" et signé quelques mois plus tard un contrat avec la société Francap qu'elle connaissait depuis longue date, ne révèle nullement la volonté qu'elle avait de ne jamais conclure de contrat de franchise avec la société Casino de tromper celle-ci sur ses intentions pour la priver de son droit de préemption.

La faute de la société Azima n'est pas établie.

La société Casino doit être déboutée de sa demande à son égard. Le jugement sera confirmé.

Sur la somme demandée par la société Casino à la société Azima:

La société Casino demande la condamnation de la société Azima à lui payer la somme de 6 621,41 euro, somme due au titre de la "courte période où elles ont été en relation d affaires ". La société Azima conteste devoir cette somme, elle expose que les marchandises livrées au 2 novembre ont été payées, qu'elle conteste devoir la somme de 680,15 euro au titre d'emballages, que les facturations de la société Casino comportent de multiples anomalies.

La société Casino ne verse aux débats aucune pièce, les pièces 17 et 18 étant écartées des débats. En revanche, la société Azima fait état d'un solde à payer de 680,15 euro au 31 octobre 2007, selon le document établi par son expert comptable le 16 novembre 2007. Si elle conteste toutefois devoir cette somme au titre d'emballages, elle ne précise pas les motifs de son refus de payer une telle somme. Elle sera condamnée à payer cette somme à la société Casino.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive:

Le fait que la société Casino succombe en sa demande principale ne caractérise pas l'abus du droit d'ester en justice.

Les sociétés Plessadis et Azima seront déboutées de leur demande.

Le jugement sera réformé sur ce point pour la demande de la société Azima.

Sur les frais irrépétibles et les dépens:

Succombant en ses prétentions, la société Casino sera condamnée à payer à la société Plessadis la somme de 6 000 euro au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles.

Succombant partiellement, la société Azima sera déboutée de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles.

Les sociétés Azima et Casino supporteront les dépens à concurrence d'un quart pour la première et de trois quarts pour la seconde. Les dépens seront recouvrés pour ceux d'appel avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Ecarte des débats les pièces 17 et 18 de la société Casino, Infirmant le jugement sur les dommages-intérêts pour procédure abusive alloués à la société Azima, Déboute la société Azima de sa demande, Confirme le jugement déféré pour le surplus, Déboute la société Plessadis et la société Azima de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne la société Distribution Casino France à payer à la société Plessadis la somme de 6 000 euro au titre des frais irrépétibles, Dit n'y avoir lieu à indemnité pour frais irrépétibles engagés par les sociétés Casino et Azima, Condamne la société Casino et la société Azima à supporter respectivement trois quarts et un quart des dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.