CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 22 octobre 2010, n° 09-17232
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Advenced Radiator Systems (SAS)
Défendeur :
Afnor
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girardet
Conseillers :
Mmes Darbois, Nerot
Avoués :
SCP Larourgue-Olivier, SCP Oudinot Flauraud
Avocats :
Mes Chatelain, Fendeleur
L'Association Française de Normalisation (ci-après désignée Afnor) qui a pour principale activité l'élaboration, l'homologation et la promotion des normes en France et exerce ses missions dans le cadre du décret du 26 janvier 1984 modifié régissant l'activité de normalisation, est notamment titulaire de la marque semi-figurative " NF " pour l'avoir déposée le 23 juillet 1942, sous le numéro 1 588 821, dans les classes 1 à 42 et régulièrement renouvelée.
Les règles de certification " NF Electricité et NF Electricité Performance " qui garantissent que les produits certifiés répondent à des critères de sécurité, de performance et de qualité définis par des règles de certification particulières (autrement appelées règlements d'application ou référentiels de certification) couvrent, notamment, les radiateurs électriques.
La société Advenced Radiator Systems (ci après désignée ARS) qui fabrique et commercialise des radiateurs électriques radio-commandés avec un procédé d'inertie thermique original associant le fluide et la pierre, a bénéficié d'une licence " NF " électricité numéro 60 013 920, délivrée le 15 septembre 2003, pour une gamme particulière de radiateurs après s'être soumise aux épreuves de l'organisme mandaté par l'Afnor, le Laboratoire Central Industries Electriques-LCIE puis a obtenu, le 16 novembre 2005, du fait de modifications dans les caractéristiques des produits, une nouvelle licence numéro 600 344 000 valide pour une période dont le terme était fixé au 1er septembre 2007.
Ayant pu constater, lors de la Foire de Paris qui s'est tenue du 30 avril au 20 mai 2008, que la société ARS reproduisait la marque semi-figurative " NF " sur des documents publicitaires, l'Afnor a fait dresser un procès-verbal de constat, le 7 mai 2008, duquel il ressort que la marque semi-figurative " NF " telle que déposée était reproduite sur des brochures et sacs publicitaires diffusés par la société ARS pour désigner l'ensemble de ses produits.
Se prévalant de la perte, par la société ARS, à compter du 1er septembre 2007, de tout droit d'usage sur la marque NF qui lui a été notifiée le 29 novembre 2007 sans rétablissement postérieur de ce droit d'usage, elle a saisi la juridiction de fond d'une action en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 8 juillet 2009, le Tribunal de grande instance de Paris, assortissant sa décision de l'exécution provisoire sauf pour ce qui concerne la mesure de publication, a:
- dit qu'en apposant sur sa documentation et ses supports commerciaux Le signe " NF " sous forme de lettres-bâton blanches N et F, la première penchée vers la gauche, l'autre vers la droite, le tout compris dans un ovale bleu, la société ARS s'est rendue coupable d'acte de contrefaçon par imitation de la marque semi-figurative " NF " numéro 1 588 821 dont l'Afnor est titulaire et, en conséquence,
- fait interdiction à la société ARS de poursuivre de tels agissements sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée dont il s'est réservé la liquidation et ce à compter de la signification du jugement,
- condamné la société ARS à payer à l'Afnor la somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon commis à son encontre,
- autorisé la publication du dispositif du jugement dans deux journaux et revues au choix de l'Afnor et aux frais de la société ARS sans que le coût de chaque publication n'excède, à la charge de cette dernière, la somme de 5 000 euro HT,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société ARS à verser à l'Afnor une somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
La société par actions simplifiée Advenced Radiator Systems (ARS) appelante, par dernières conclusions signifiées le 25 novembre 2009, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter l'Afnor de toutes ses prétentions, subsidiairement de fixer la condamnation à réparation à un montant symbolique, et de condamner l'Afnor aux entiers dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 23 juin 2010, l'Afnor - Association Française de Normalisation demande à la cour, au visa, notamment, des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, L. 121-1 et suivants et L. 115-30 du Code de la consommation et 1382 du Code civil, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande fondée sur la concurrence déloyale, de condamner la société ARS à lui payer la somme de 25 000 euro à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale du fait de pratiques commerciales trompeuses et tromperie ainsi que celle de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Il est renvoyé aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
Sur ce,
Sur la contrefaçon de marque :
Considérant que la marque semi-figurative " NF " déposée par l'Afnor est composée d'un rectangle foncé incluant un ovale de couleur claire, lequel inclut lui-même les lettres capitales d'imprimerie N et F de couleur foncée inclinées l'une vers la gauche, l'autre vers la droite, symétriquement pour former un angle aigu;
Que les documents publicitaires qui ont fait l'objet du procès-verbal de constat établi le 7 mai 2008 supportent la marque semi-figurative telle que déposée par l'Afnor, les seules différences minimes portant sur l'absence du rectangle et la couleur, blanche, des lettres NF;
Considérant que l'appelante ne critique pas le jugement en ce qu'il a considéré qu'il y avait imitation de la marque mais se prévaut de l'application de l'article L. 715-2 § 3 de ce Code selon lequel " l'usage de la marque collective de certification est ouvert à toutes les personnes, distinctes du titulaire, qui fournissent des produits et des services répondant aux conditions imposées par le règlement " pour soutenir qu'il n'est pas démontré qu'elle fournissait, à la date du constat du 8 mai 2008, des produits ne répondant pas aux conditions imposées par le règlement Afnor;
Que, sans contester le fait que la certification dont elle bénéficiait jusqu'en septembre 2007 était venue à échéance à la date du constat et qu'aucun document authentifiant le renouvellement de la licence précédemment accordée ne lui avait été adressé à cette date, elle tire, par ailleurs, argument de l'acquittement, en février 2008, des redevances pour l'année 2007 et de la date à laquelle la LCIE lui réclamait paiement de ses factures, soit en juillet et septembre 2008, ajoutant que la procédure de validation en cours n'était subordonnée qu'au paiement de ces dernières factures;
Qu'elle oppose, de plus, à l'Afnor l'interprétation a contrario d'une lettre que lui a adressée la LCIE le 28 novembre 2008 selon laquelle " le droit d'usage sera suspendu " en l'absence de paiement la semaine suivante, pour soutenir qu'aucune mesure de suspension n'était intervenue dans le courant de l'année 2008 et qu'à la date du constat, la licence était toujours valide;
Qu'elle fait, enfin, état d'une jurisprudence selon laquelle un fabricant peut, sans porter atteinte à la marque " NF " indiquer que ses produits sont conformes " à une norme française NF déterminée ";
Mais considérant qu'il n'est pas reproché à la société ARS d'avoir mentionné que ses produits étaient conformes à une norme déterminée, comme dans l'espèce étrangère au présent litige qu'elle invoque, mais d'avoir reproduit par imitation la marque " NF " telle que déposée et ceci afin de désigner l'ensemble de ses produits;
Considérant, s'agissant de la conformité des produits ARS à la norme " NF ", qu'il résulte des pièces versées aux débats que, le 28 février 2008,la société ARS a demandé au LCIE de pouvoir soumettre ses produits à des essais lui permettant, s'ils étaient validés, de bénéficier de la licence de marque " NF " ; qu'en réponse, le LCIE lui a adressé une offre qu'elle a acceptée en remplissant le formulaire requis intitulé " application form ";
Que, cependant, à la date du constat, les essais visant à contrôler si les produits particuliers pour lesquels la licence était demandée étaient ou non conformes aux règles " NF " se trouvaient en cours d'exécution en sorte qu'à cette date, la société ARS ne pouvait tenir pour acquis que les produits qu'elle présentait à la Foire de Paris répondaient aux normes de certification " NF " ; qu'elle le pouvait d'autant moins que le LCIE lui a adressé, le 27 juin 2008, une correspondance l'informant de plusieurs non-conformités de ses produits;
Considérant, s'agissant de l'absence de suspension du droit d'usage durant les opérations de contrôle par ailleurs invoquée, qu'il est établi que dès le mois de mars 2007, le LCIE a informé la société ARS que sa licence arrivait à expiration en novembre 2007 et qu'en l'absence de réponse, le LCIE , par lettre du 26 novembre 2007, lui a indiqué qu'elle n'avait plus de droit d'usage sur cette marque en précisant que tous les appareils de chauffage concernés sont retirés de la liste des produits certifiés; que l'ingénieur de la LCIE, Monsieur Dejongh, atteste, sans être contesté, que, lors d'une rencontre avec un dirigeant de la société ARS portant sur le règlement de factures, il lui a précisé que l'utilisation du logo NF ne devait plus être appliquée (...) et donc ne plus apparaître sur des documents commerciaux et publicitaires;
Que la formulation contenue dans la lettre du LCIE du 28 novembre 2008 qu'interprète a contrario la société ARS s'inscrit dans le contexte particulier d'une clôture de son dossier, faute d'accomplissement des diligences requises portant sur les non-conformités relevées, puis d'une régularisation tardive par la société ARS, puis, enfin, d'un ajournement du dossier, la validation des documents adressés en novembre 2008 par la société ARS étant alors suspendue au paiement des factures émises par le LCIE;
Que la société ARS ne peut donc se prévaloir des termes de cette lettre;
Qu'ainsi, par delà la question du paiement des sommes réclamées par le LCIE, il ressort des pièces versées aux débats qu'à la date du constat, la société ARS ne pouvait prétendre user de la marque collective " NF " pour l'ensemble de ses produits dans la mesure où elle ne fournissait pas des produits " répondant aux conditions imposées par le règlement " et qu'en faisant figurer sur des documents publicitaires la marque " NF " elle a commis des actes de contrefaçon par imitation causant un préjudice au titulaire de la marque;
Sur les actes de concurrence déloyale, de pratiques commerciales trompeuses et de tromperie:
Considérant que l'Afnor critique le tribunal en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de la concurrence déloyale aux motifs que, n'étant pas le concurrent direct de la société ARS, elle ne peut justifier d'un préjudice de concurrence déloyale et en ce qu'il énonce que le grief de publicité trompeuse, induit par la contrefaçon, ne peut être réparé deux fois sans " dégager " de préjudices distincts;
Qu'elle fait valoir qu'en laissant croire aux professionnels et aux consommateurs que les radiateurs commercialisés seraient certifiés par l'Afnor, la société ARS se livre, à son préjudice, à des pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L. 121-1 et suivants, L. 115-30 du Code de la consommation et que ces textes, de portée générale, ne protégeant pas uniquement l'intérêt des consommateurs, il est indifférent qu'elle ne soit pas en rapport de concurrence avec la société ARS;
Que pour établir que la société ARS a commis une faute constitutive de concurrence déloyale distincte de sa participation aux faits de contrefaçon par ailleurs retenus, l'Afnor excipe de la dévalorisation de la marque " NF " et du fait que l'utilisation d'allégations trompeuses ne peut qu'inciter les sociétés concurrentes qui se soumettent aux procédures contraignantes et coûteuses de contrôle pour bénéficier du droit d'usage de la marque " NF " à y renoncer;
Considérant, ceci exposé, que l'Afnor ne peut se voir opposer, par la société ARS, un défaut de qualité à agir sur le fondement de article L. 121-1 (1°) invoqué, - aux termes duquel " une pratique commerciale est trompeuse (...) lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent " - faute de n'avoir pas la qualité de consommateur ou de ne pas figurer au nombre des associations ayant pour objet la défense d'intérêts collectifs, dans la mesure où la diffusion, au moyen de documents publicitaires d'informations de nature à induire en erreur le public sur les caractéristiques des produits qui lui sont proposés et, en particulier, sur ses propriétés et qualités, peut être invoquée par le titulaire de la marque qui subit le comportement fautif incriminé ;
Que tel est le cas d'un document publicitaire destiné à permettre à un client potentiel de se faire une opinion sur les résultats qui peuvent être attendus du bien offert à la vente ; que l'article L. 115-30 de ce Code réprime, notamment, le fait, dans la publicité ou la présentation d'un produit, de faire référence à une certification qui n'a pas été définie dans les conditions de certification précisées aux articles précédents;
Qu'elle ne peut davantage se voir opposer le fait qu'elle ne se trouve pas en situation de concurrence avec la société ARS, cette situation ne faisant pas obstacle à une action en concurrence déloyale qui exige seulement la démonstration d'une transgression constitutive d'une faute engageant la responsabilité civile de son auteur;
Que, dès lors qu'il est établi que la marque " NF " est ancienne, qu'elle est connue de 90 % des Français, qu'elle s'est imposée en France comme une marque de certification de normes dans les secteurs les plus divers en n'attestant de la conformité des produits aux normes en vigueur qu'à l'issue qu'une procédure contraignante et coûteuse, l'usage qu'en a fait la société ARS pour promouvoir ses produits porte atteinte à la procédure de certification;
Que ces faits, distincts de ceux retenus au titre de la contrefaçon, constituent des actes de concurrence déloyale en sorte que le jugement qui a débouté l'Afnor de sa demande sera infirmé de ce chef;
Sur les mesures réparatrices:
Considérant que l'appelante conclut à l'infirmation du jugement en ses dispositions relatives aux mesures d'interdiction et de publication;
Que, propres à informer le public et à prévenir le renouvellement des actes litigieux, elles seront confirmées, sauf à ajouter que la publication ordonnée tiendra compte du présent arrêt;
Considérant que pour solliciter l'infirmation du jugement qui a fixé à la somme de 30 000 euro le montant des dommages-intérêts venant indemniser le préjudice résultant de la contrefaçon, la société ARS se borne à souligner la qualité technique de ses produits qui ont obtenu, en janvier 2008, une certification nécessaire à leur commercialisation aux Etats-Unis et au Canada;
Mais considérant que cet argument est inopérant puisqu'il résulte de ce qui précède que, par ses agissements lors de la Foire de Paris, la société ARS a contrefait la marque " NF " ; qu'eu égard, toutefois, aux faits particuliers de l'espèce et du caractère circonscrit de l'atteinte à la valeur de la marque " NF ", la condamnation de l'appelante au titre de la contrefaçon sera ramenée à la somme de 10 000 euro;
Que le préjudice subi par l'Afnor du fait des actes de concurrence déloyale, sur lequel l'appelante s'abstient de débattre, sera réparé par l'allocation d'une somme de 15 000 euro;
Sur la demande accessoire:
Considérant que l'équité conduit à faire droit à la demande de l'Afnor fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à lui allouer une somme complémentaire de 3 000 euro à ce titre;
Que, succombante, la société ARS supportera les dépens d'appel;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris à l'exception de ses dispositions relatives au montant de l'indemnisation des actes de contrefaçon et de celles relatives aux faits de concurrence déloyale et, statuant à nouveau en y ajoutant; Dit que la société par actions simplifié Advanced Radiator Systems a commis des actes de concurrence déloyale préjudiciant à l'Association Française de Normalisation; Condamne la société Advanced Radiator Systems à verser à l'Association Française de Normalisation: la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon, la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale, une somme complémentaire de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile; Dit que la mesure de publication ordonnée par le tribunal tiendra compte du présent arrêt; Condamne la société Advanced Radiator Systems aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.