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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 mai 2011, n° 09-19074

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bang & Olufsen France (SAS)

Défendeur :

Claudnat (SA), JWNAT (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

Me Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Rincazaux, Deubel

T. com. Bobigny, du 26 juin 2009

26 juin 2009

LA COUR,

Vu le jugement du 26 juin 2009, par lequel le Tribunal de commerce de Bobigny a condamné la société Bang Olufsen France à payer aux sociétés Claudnat et JW NAT la somme de 1 000 000 euro à se répartir entre elles " en réparation de leurs préjudices tous confondus du fait de leur éviction du réseau de distribution sélective de Bang & Olufsen France ", outre celle de 35 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté par la société Bang & Olufsen France et ses conclusions du 28 février 2011 tendant au débouté des intimées de leurs demandes indemnitaires ainsi qu'à la restitution par celles-ci de l'intégralité des sommes qui leur ont été payées en exécution du jugement du Tribunal de commerce de Bobigny en date du 26 juin 2009, lesquelles seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil, outre leur condamnation solidaire à lui verser 100 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions des sociétés Claudnat et JW NAT du 22 février 2011 et tendant à faire:

- réformer le jugement en ce qu'il a dit la rupture des contrats européens de distribution sélective non abusive, et statuant à nouveau,

- condamner la société Bang & Olufsen, du fait de la rupture abusive intervenue, à leur verser une indemnité 2 926 436,14 euro, celle-ci comprenant la réparation du préjudice né du retard dans l'indemnisation, outre la somme de 100 000 euro à chacune d'elles du fait des dénonciations téméraires dont elles ont été victimes, à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le délai de préavis de six mois " manifestement trop court " et en ce qu'il a condamné la société Bang & Olufsen au versement à ce titre de la somme de 1 000 000 euro, outre celle de 500 000 euro au titre du préjudice né du retard de la réparation, en tout état de cause,

- débouter la société Bang & Olufsen de l'ensemble de ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant qu'il résulte de l'instruction des faits suivants :

La société Bang & Olufsen France commercialise en France depuis 1962 des produits audiovisuels fabriqués par la société de droit danois Bang & Olufsen au travers d'un réseau de distributeurs agréés indépendants, dont les sociétés Claudnat et JW NAT, lesquels ont conclu avec l'intéressée un " contrat européen de distribution sélective " à durée indéterminée complété par deux conventions annexes révisées annuellement et intitulées " conditions de remise aux distributeur " et " conditions générales de vente ". Les contrats de distribution conclus avec lesdites sociétés Claudnat et JW NAT, cette dernière étant la filiale de la précédente, furent renouvelés en septembre 1995. Lors de la Foire de Paris, laquelle s'est tenue du 26 avril au 8 mai 1996, les sociétés Claudnat et JW NAT ont, pour la première fois, représenté la marque " Bang et Olufsen ".

Toutefois, à l'issue de cette manifestation et par courrier du 25 octobre 1996, la société appelante a attiré l'attention des dirigeants des sociétés intimées sur le fait que certains clients s'étaient plaints de s'être fait livrer des produits autres que ceux achetés à la foire, ce qui aurait porté atteinte à l'image de la marque " Bang & Olufsen ".

Si le dirigeant social de la société JW NAT a effectivement reconnu l'existence d'erreurs de conformité entre les produits livrés et ceux commandés, les sociétés intimées se sont cependant refusées à produire les documents sollicités par la société Bang & Olufsen "afin de dissiper tout doute quant aux pratiques commerciales" et notamment les bons de commande et les factures relatifs aux livraisons litigieuses. Face à cette situation et estimant que ce défaut délibéré de coopération était incompatible avec la poursuite des liens commerciaux existants la société Bang & Olufsen a notifié le 11 février 1997 aux sociétés Claudnat et JW NAT la résiliation des contrats de distribution souscrits entre les parties à l'expiration du délai de préavis contractuel de 6 mois.

C'est dans ces conditions de fait et de droit que, par acte du 16 juillet 1997, les sociétés Claudnat et JW NAT ont assigné la société Bang & Olufsen devant le Tribunal de commerce de Bobigny aux fins d'octroi de divers dommages-intérêts aux motifs que la résiliation intervenue serait abusive et qu'a été rendu le jugement susvisé présentement déféré.

Considérant que si les sociétés Claudnat et JW NAT excipent du caractère abusif de la résiliation des contrats de distribution les liant à la société Bang & Olufsen France et si elles contestent les conditions de la rupture, lesquelles méconnaîtraient "la spécificité reconnue du réseau de distribution sélective", ainsi que l'absence de manquement contractuel avéré et dûment motivé, "les quelques erreurs humaines de livraison entre deux types de téléviseurs similaires" ne pouvant, selon elles, être considérées comme un tel manquement, il convient de relever que lorsque l'appelante a eu connaissance de l'existence d'interversions de produits lors de la foire de Paris susmentionnée au travers de livraisons de téléviseurs d'un modèle de qualité inférieur (MX 6000) à des clients ayant commandé et réglé à un prix plus élevé un produit de modèle supérieur (MX 7000), elle a souhaité procéder à des vérifications pour s'assurer de la réalité desdits faits et a cherché à obtenir des intimées les éléments de renseignement nécessaires ; qu'elle a ainsi, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 6 décembre 1996, demandé de pouvoir "avoir accès et consulter toutes (ses) factures clients établies sur l'année 1996 pour l'ensemble de (ses) magasins, et être en mesure de pouvoir prendre des photocopies sur place" ; que par télécopie du 10 décembre 1996, elle a indiqué : "comprendre les inconvénients pratiques que ce type de contrôle peut entraîner (...)" et a demandé "pour le moins, (...) de mettre immédiatement à notre disposition vos dossiers relatifs aux ventes de MX 6000 et MX 7000 faites au cours des derniers mois. Une telle revue ne devrait pas nécessiter plus d'une demi-journée. Elle concernera l'examen des fichiers produits que vous conservez conformément à l'article 6.6 du contrat de distribution sélective" ; que par un nouveau courrier en date du 12 décembre 1996, l'appelante a rappelé l'objet du contrôle qu'elle souhaitait réaliser sur les "documents commerciaux relatifs aux ventes de téléviseurs MX 6000 et 7000 durant les douze derniers mois" dont les numéros de série étaient joints en annexe, et informé M. Jean Nataf, dirigeant de la société JW NAT que dans le but de faciliter (les) contrôles, nous souhaitons comme nous vous l'avions indiqué, obtenir des photocopies des factures correspondantes, et nous vous remercions de prendre les dispositions nécessaires en ce sens ; qu'au surplus et afin d'alléger la tâche des sociétés JW NAT et Claudnat, la société Bang & Olufsen a joint à son courrier le détail de certaines références de téléviseurs MX 6000 et MX 7000 qu'elle souhaitait contrôler et qui leur avaient été livrés au cours des douze derniers mois avec l'indication de leurs numéros de série ;

Considérant que, si, à la suite de ces multiples courriers, un rendez-vous a été finalement organisé avec M. Jean Nataf le 15 décembre 1996, ce dernier a alors informé le représentant de la société appelante que le double des factures de vente et les coordonnées des clients n'étaient pas conservées et que les numéros de séries des produits vendus ne faisaient l'objet d'aucun enregistrement ; que cette absence de conservation des données sollicitées était en parfaite contradiction tant avec les exigences des articles L. 123-22 du Code de commerce et L. 102 B du livre des procédures fiscales qu'avec l'article 6-6 du contrat européen de distribution sélective " Bang et Olufsen ", lequel stipulait que : " Le distributeur consignera avec soin tous les produits Bang et Olufsen vendus, indiquant avec précision la date de la vente et le nom de l'acquéreur. Il notera également le numéro de l'appareil (numéro du type et de la série) afin de permettre un contrôle parfait au moyen de ces numéros. Ces registres devront être conservés pendant au moins deux ans à compter de la date de la facture ";

Considérant que le procès-verbal de la délibération du Conseil d'administration de la société Bang et Olufsen spécialement réuni le 6 janvier 1997, a relevé que : " Malgré de nombreux courriers et démarches, Bang & Olufsen France SA n'a pu obtenir les renseignements souhaités ce qui renforce la suspicion à l'égard des pratiques " des sociétés JW NAT et Claudnat; que ce même organe, au vu de ce constat, a décidé de mettre en demeure les sociétés JW NAT et Claudnat de lui produire sous 8 jours certains documents et, " dans le cas d'un refus du distributeur de donner suite à cette mise en demeure, de procéder à la résiliation du contrat de distributeur conclu avec lesdites sociétés " ; qu'ainsi il est constant que la résiliation des contrats considérés n'a été envisagée qu'en dernier ressort, dans l'hypothèse d'un ultime refus de collaborer des dirigeants des sociétés intimées ; que c'est dans ces conditions que, par lettre recommandée en date du 10 janvier 1997, signée par son président et son directeur général, la société Bang & Olufsen faisant suite aux nombreuses demandes précédentes, toutes restées infructueuses, a une nouvelle fois mis en demeure les sociétés JW NAT et Claudnat de lui adresser sous 8 jours la liste complète et détaillée des personnes ayant procédé depuis le 1er janvier 1995 à l'achat de téléviseurs MX 6000 et MX 7000 noirs ; que, par lettre recommandée du 17 janvier 1997, les sociétés intimées lui ont répondu une fois encore qu'elles ne pouvaient pas accéder à cette demande : "Concernant votre demande (...) Nous ne pouvons accéder à celle-ci (...) N'étant en possession d'aucun double de factures de clients particuliers";

Considérant qu'il s'ensuit que tant le refus réitéré de toute collaboration de la part des sociétés intimées que la méconnaissance directe par celles-ci des dispositions législatives susmentionnées ainsi que des stipulations du contrat européen de distribution sélective justifient, eu égard à leur gravité et à l'impossibilité en résultant de la poursuite des relations spécifiques et étroites propres aux partenaires d'un réseau de distribution sélective, la décision de résiliation prononcée le 11 février 1997 par l'appelante après avoir constaté la vanité des échanges ci-dessus rappelés ; que cette mesure ne présente, par suite, nul caractère "abusif" et ce sans qu'il soit besoin de rechercher la réalité des autres griefs également articulés par la société Bang & Olufsen ;

Considérant, par ailleurs, que les intimées ne sauraient davantage utilement contester l'insuffisance du délai de préavis consenti dès lors, d'une part, que l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce énonce lui-même que ses dispositions ne font pas "obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations", et, d'autre part, que les pièces du dossier révèlent que ledit délai a permis aux intéressées de pleinement reconvertir leur activité, ces dernières n'ayant été au demeurant ni dans une relation d'exclusivité contractuelle avec la marque Bang & Olufsen ni dans une situation de dépendance économique, laquelle est caractérisée par l'impossibilité pour le distributeur de s'approvisionner en produits substituables dans des conditions techniques et économiques équivalentes ; qu'il n'est ni établi ni même allégué que tel eût été le cas en l'occurrence ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de débouter les intimées de l'ensemble de leurs prétentions indemnitaires qu'elles soient fondées sur le prétendu caractère 'abusif' sus rappelé ou sur l'insuffisance du délai de préavis octroyé ;

Considérant, enfin, que si les sociétés Claudnat et JWNAT sollicitent aussi l'octroi d'une somme de 200 000 euro en réparation du préjudice que leur aurait occasionné la " dénonciation téméraire " dont elles-mêmes et leurs dirigeants auraient fait l'objet de la part de la société Bang et Olufsen à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par celle-ci à leur encontre, il sera, tout d'abord, observé que les mis en cause se sont abstenus d'user de la faculté offerte par l'article 472 du Code de procédure pénale de former devant la juridiction pénale, seule compétente en la matière, une demande en dommages et intérêts pour " abus de constitution de partie civile " ; que les intimés ne justifiant, pour leur part, ni d'une faute distincte imputable en la matière à l'appelante ni d'un préjudice distinct de celui lié au dépôt de la plainte pénale critiquée ne peuvent qu'être déboutées de la demande indemnitaire présentée à ce titre ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a prononcé des condamnations à l'encontre de la société Bang et Olufsen, de l'infirmer de ce chef et, statuant à nouveau, de rejeter l'ensemble des demandes des sociétés Claudnat et JW NAT et condamner ces dernières à restituer l'intégralité des sommes qui leur ont été payées en exécution du jugement déféré, lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, du présent arrêt et les intérêts échus étant capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner in solidum les sociétés Claudnat et JW NAT à payer à la société Bang et Olusfen la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens ;

Par ces motifs Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé des condamnations à l'encontre de la société Bang & Olufsen France. Et statuant à nouveau de ce chef, Rejette l'ensemble des demandes des sociétés Claudnat & JW NAT. Condamne ces dernières à restituer l'intégralité des sommes qui leur ont été payées en exécution du jugement déféré, lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, du présent arrêt et les intérêts échus étant capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ; Condamne in solidum Claudnat & JW NAT aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. Les condamne sous la même solidarité à payer à la société Bang & Olufsen la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens.